Une science ‘ironique’ ?

SCIENCE/POLEMIQUE

La science ?
Il ne lui reste plus rien à découvrir!

Par John Horgan

John Horgan, ancien rédacteur senior du « Scientific American », auteur de The End of Science. Facing the Limits of Knowledge in the Twilight of the Scientific Age (Addison-Wesley, 1996), prépare actuellement Why Freud Isn’t Dead, un ouvrage à propos de la manière dont la science a échoué à comprendre l’esprit humain: il y critique notamment la psychiatrie, les neurosciences, la génétique comportementale, la psychologie « darwinienne » et l’intelligence artificielle.

« Railler (…) le progrès est de la dernière imbécilité, le signe même d’une âme pauvre et d’un esprit minable. »

Peter Medawar

J’étais jadis comme feu Peter Medawar, prix Nobel britannique de biologie, je croyais avec ferveur au progrès scientifique. En fait, si je suis devenu journaliste scientifique, c’est dans une large mesure parce que je voyais dans la science la plus noble des créations de l’homme. Peut-on imaginer défi plus grisant que d’être sur terre afin de comprendre pourquoi nous y sommes? Avenir plus radieux que celui que la science nous prépare?

Jadis j’admettais, sans y avoir réfléchi vraiment, que notre quête de la connaissance et de la puissance ne connaîtrait jamais de fin. Au début des années 1990 cependant, j’ai cessé de croire à la nature illimitée de la science. Là où je voyais auparavant des défis et des oppportunités, je me suis mis à voir des limites et des barrières. Aujourd’hui, je suis convaincu que les jours de gloire de la science sont passés.

Même ceux qui sont plus optimistes que moi reconnaissent que les temps sont devenus difficiles pour les chercheurs, assiégés désormais par une armée de technophobes, de fanatique du droit des animaux, d’intégristes religieux, de philosophes post-modernes et… de politiciens soucieux de préserver les deniers publics: les fonds destinés à la recherche fondamentale ont en effet commencé à décroître, en Europe, aux Etats-Unis, dans tout le monde industrialisé, après avoir connu plusieurs décennies d’une croissance extraordinaire.

La science elle-même découvre les limites de sa propre puissance. La théorie de la relativité spéciale d’Einstein prouve qu’il est impossible de transmettre de la matière ou même de l’information à une vitesse supérieure à celle de la lumière. La mécanique quantique, que notre connaissance des micro-mondes sera toujours un peu floue. La théorie du chaos, que nous ne serons jamais capables de prédire avec une totale précision certains phénomènes, météorologiques pare exemple, parce que de minuscules variations des conditions initiales peuvent entraîner des conséquences finales énormes. La biologie évolutionniste, enfin, que les humains sont des animaux déterminés par sélection naturelle pour se reproduire, et non pour découvrir les vérités profondes de la nature. Ces limitations rendront la recherche de la vérité difficile au cours des années à venir.

La menace la plus grave pesant sur l’avenir de la science provient toutefois, j’en suis convaincu, de ses triomphes passés. Elle a découvert tant de choses, en effet, qu’il ne lui reste presque plus rien à découvrir!

Voyez ce que la science a déjà accompli.

Les chercheurs ont établi une espèce de carte de la réalité physique, laquelle s’étend du micro-monde des quarks et des électrons au macro-monde des planètes, des étoiles et des galaxies. Les physiciens ont montré que toute matière est constituée d’un petit nombre de particules essentielles, elles-mêmes gouvernées par quelques forces de base. Ils ont intégré ces particules et ces forces dans des théories mathématiques extraordinairement précises.

Puis, ayant ordonné leurs connaissances, ils ont livré un récit, peut-être pas très détaillé mais impressionnant, de la manière dont les humains sont apparus sur terre. Ils racontent qu’il y a quinze milliards d’années — à plus ou moins cinq milliards près —, une explosion a produit l’univers, et que l’univers continue aujourd’hui encore à se dilater. Qu’il y a environ 4.5 milliards d’années, les détritus résultant de l’explosion d’une étoile — une supernova — se sont condensés pour former notre système solaire. Qu’au cours des quelque centaines de millions d’années suivantes, pour des raisons qui nous resteront peut-être à jamais inconnues, des microbes unicellulaires porteurs d’une molécule ingénieuse, l’ADN, sont apparus sur terre. Que ces organismes primordiaux, aiguillonnés par la sélection naturelle, ont évolué pour se diversifier en une collection extraordinaire de créatures de plus en plus complexes, dont Homo sapiens.

J’ai la conviction que cette carte fondamentale de la réalité sera valable dans 100 ans ou 1000 ans autant qu’aujourd’hui. Pour la simple raison qu’elle est vraie. Je crois aussi que, compte tenu des limitations physiques, cognitives, sociales et économiques qui freinent de nouvelles recherches, la science ne pourra plus enrichir nos connaissances de façon significative. Lorsque je dis la science, je ne parle pas, bien sûr, de science appliquée, mais de science fondamentale — la pure, la grande, celle qui s’efforce de répondre aux questions que nous nous posons sur l’univers et sur la place que nous y occupons. La recherche scientifique ne pourra plus produire, désormais, de grandes révélations ou de grandes révolutions, mais seulement de petits progrès obéissant à la loi des rendements décroissants.

En vérité, la grande majorité des chercheurs ne fait aujourd’hui que compléter le détail des grands modèles qu’ont établis leurs prédécesseurs. Ils essaient de comprendre en termes quantiques tel nouveau supraconducteur à haute température, ou comment la mutation d’une séquence donnée d’ADN déclenche un cancer du sein.

Seuls quelques chercheurs, trop ambitieux et créatifs pour compléter seulement le travail des grands pionniers, rêvent de dépasser les vérités admises, et de créer des révolutions analogues à celles que provoquèrent jadis la théorie de l’évolution de Darwin ou la théorie de la mécanique quantique. Mais ils n’ont guère d’autre choix, désormais, que de faire ce que j’appelle de la « science ironique ». La science ironique ressemble à la philosophie, à la théologie, à la critique littéraire, en ceci qu’elle propose des points de vue et des opinions « intéressants », qui provoquent le débat. Mais elle n’accroît pas notre compréhension de la vérité. A la différence des quarks, de la double hélice de l’ADN ou de l’expansion de l’univers, elle ne peut être validée ni par l’observation ni par l’expérience de laboratoire.

Au cours de ce siècle, l’essentiel de la science ironique a été produit par les sciences sociales, qui ont proposé des modèles aussi spectaculairement spéculatifs que la psychologie freudienne, le marxisme, le structuralisme ou la théorie générale des systèmes.

Cependant, même les sciences dures, comme la physique ou la chimie, ont produit leurs propres théories ironiques. Je pense, par exemple, à la théorie des cordes, qui, pendant plus d’une dizaine d’années, a tenu le pompon dans la course à une théorie unifiée de la physique. Appelée souvent « théorie de toutes les choses » (theory of everything), elle postule que toute la matière et toute l’énergie de l’univers, de même que le temps et l’espace, découlent de particules infinitésimale en forme de cordes qui frétilleraient dans un hyperespace comprenant une dizaine de dimensions ou davantage.

Mais, manque de chance, le micromonde supposément habité par les « cordes » est inaccessible aux expérimentateurs humains. Une « corde » serait en effet aussi petite par rapport à un proton qu’un proton par rapport au système solaire. Pour explorer ce monde infinitésimal, il faudrait disposer d’un accélérateur de particules d’un rayon de 1000 années-lumière, alors même que le rayon de la totalité du système solaire est d’un « jour »-lumière seulement. C’est cette impossibilité de prouver expérimentalement la théorie des cordes qui a fait dire à Sheldon Glashow, prix Nobel de l’université de Harvard, qu’elle ressemblait fort à de la théologie médiévale.

D’autres théories ironiques ont fleuri dans les sciences dures, entre autres raisons parce que les journalistes — dont je suis — les adorent. Voyez par exemple la théorie d’Andrei Linde, un physicien russe pour qui notre cosmos pourrait n’être qu’un cosmos parmi une infinité d’autres, dont les lois physiques sont peut-être totalement différentes du nôtre. L’hypothèse Gaïa de James Lovelock et Lynn Margulis, pour qui la biosphère est un organisme vivant. Ou les théories anti-darwiniennes de Brian Goodwin et Stuart Kauffman, pour qui l’évolution des espèces pourraient n’être pas gouvernées par les lois de la sélection naturelle, mais par de mystérieuses « lois de la complexité ».

Les optimistes prétendent que l’existence même de ces théories tirées par les cheveux et improuvables indique bien la vitalité de la science et ses possibilités illimitées. Pour ma part, j’y vois le signe d’une science désespérée parce que mortellement atteinte.

Je suis convaincu que nous ne découvrirons jamais d’autres univers. En revanche, nous découvrirons peut-être que la vie existe ou a existé ailleurs dans l’univers. Une équipe de chercheurs américains n’a-t-elle point annoncé en 1996 avoir trouvé, dans une météorite antarctique de la taille d’une pomme de terre, des preuves d’une vie sur Mars? Cette découverte fit à juste titre la une de tous les journaux du monde. Hélas, les spécialistes des très vieux microfossiles — qui en connaissent long sur l’origine de la vie sur terre — considèrent que les quelques éléments chimiques organiques et les particules à vague forme de microbes terrestres trouvés dans le météorite sont des preuves bien légères. Le seul véritable moyen de savoir s’il y a de la vie sur Mars serait d’envoyer sur la Planète rouge une expédition, qui y réaliserait des forages jusqu’à une profondeur où l’eau et la température seraient suffisantes pour que la vie soit là théoriquement possible.

Mais imaginons que les chercheurs réussissent finalement à prouver que la vie existe ou a existé sur Mars. Leur découverte donnerait assurément un coup de fouet aux études sur les origines de vie et à la biologie en général. En revanche, elle ne signifierait nullement que la science se trouve soudain libérée des limitations évoquées plus haut. Si l’on trouvait de la vie sur Mars, cela prouverait que la vie a surgi dans notre système solaire, peut-être sur Mars avant de se transmettre à la Terre, ou sur la Terre avant de se transmettre à Mars, mais rien de plus.

Nous continuerions en effet à ignorer si la vie existe ailleurs dans l’univers, et comment nous pourrions nous y prendre pour le savoir. Et même si, un jour, nous réussissions à construire un véhicule spatial capable de se dépacer à une vitesse de 1 million de kilomètres par heure, son équipage aurait encore besoin de 5000 ans pour atteindre Alpha du Centaure, l’étoile la plus proche.

Si les partisans du programme américain de recherche d’une intelligence extraterrestre (Search for Extraterrestrial Intrelligence, SETI) tiennent pour probable l’existence de civilisations de haute technologie ailleurs dans l’univers, c’est pour la seule raison que nous avons sur terre une civilisation de haute technologie: physiciens, ils ont du réel une vision extrêmement déterministe.

Les biologistes jugent pourtant leur raisonnement de physiciens absurde, parce que l’évolution des espèces dépend d’événements imprévisibles. Stephen Jay Gould, le biologiste de Harvard et auteur de best-sellers scientifiques, dit que si l’on refaisait un million de fois la Grande Expérience qui a permis à la vie d’éclore, l’évolution qui suivrait cet événement ne déboucherait probablement jamais sur les mammifères tels que nous les connaissons aujourd’hui, et moins encore sur ces drôles de primates debout sur leurs deux pattes et disposant de cerveaux ridiculement énormes! C’est d’ailleurs la raison pour laquelle Ernst Mayr, l’un des biologistes évolutionniste les plus éminents de ce siècle, ne voit dans notre recherche d’une vie extraterrestre que gaspillage de temps et d’argent.

La plupart des gens trouvent grotesque l’idée que la science puisse toucher à sa fin. Il est facile de comprendre pourquoi: nous sommes plongés jour et nuit dans une atmosphère de progrès, réel et « bidon ». Nos ordinateurs deviennent toujours plus petits et plus rapides, nos voitures plus aérodynmiques, nos télévisions capables de recevoir plus de chaînes. Et puis, comment oser prétendre que la science approche de son terme alors que l’homme n’a pas encore construit les vaisseaux spatiaux plus rapides que la lumière à l’honneur dans Star Trek, la série télé de science-fiction, et ne s’est pas encore doté du pouvoir psychique fantastique décrits par je ne sais quels romans à la noix?

La science contribue elle-même à répandre ce genre d’âneries. Les revues de physiques les plus sérieuses ne craignent pas de publier des discussions sur les voyages dans le temps, la téléportation, les univers parallèles. Brian Josephson, prix Nobel de l’université de Cambridge, n’a-t-il point déclaré que la physique ne pourrait se considérer comme achevée à moins de prendre en compte la perception extrasensorielle et la télékinésie? Il est vrai que Josephson a abandonné depuis longtemps la physique réelle, au profit du mysticisme et des sciences occultes.

Si l’avenir de la science fondamentale paraît aujourd’hui désespéré, celui de la science appliquée apparaît plus prometteur en revanche. Longtemps encore les chercheurs pourront s’occuper à développer des matériaux nouveaux; des ordinateurs plus rapides et plus sophistiqués; des techniques de génie génétique destinées à nous permettre de vivre en meilleure santé et plus longtemps. Mais ces progrès-là nous apporteront-ils des « surprises » essentielles, un glissement révolutionnaire de nos connaissances de base? Contraindront-ils les scientifiques à réviser leur carte de l’univers, leur récit du Big Bang et de ses suites? Sans doute pas. Durant ce siècle, la science appliquée a confirmé la justesse des modèles théoriques existants plus qu’elle ne l’a infirmée. Les lasers et les transistors ont confirmé les lois de la mécanique quantique. Le génie génétique a confirmé le modèle d’évolution fondé sur l’ADN.

Et pourtant, même la science appliquée pourrait approcher de ses limites. On croyait dur comme fer, jadis, que les physiciens allaient pouvoir utiliser leur connaissance de la fusion nucléaire — au cœur de la bombe à hydrogène — pour développer une énergie bon marché, propre et illimitée. Mais, 50 ans et quelques milliards de dollars plus tard, ce rêve est à deux doigts de s’évanouir. Les chercheurs disent bien sûr, comme ils l’ont toujours fait: « Continuez à nous donner des fonds, et dans 20 ans nous vous fournirons une énergie tellement bon marché vous pourrez supprimer tous les compteurs de la terre ». Malgré leur plaidoyer, le gouvernement américain a, au cours des dernières années, réduit radicalement son financement de la fusion, si bien que les chercheurs même les plus optimistes disent maintenant qu’il leur faudra 50 ans au moins avant de pouvoir construire des réacteurs à fusion viables économiquement. Les pessimistes considèrent, quant à eux, que l’énergie de fusion est un rêve qui ne se réalisera sans doute jamais, tant les obstacles techniques, économiques et politiques qui jonchent sa route sont énormes.

Dans le domaine de la biologie appliquée, le progrès le plus spectaculaire serait évidemment de maîtriser l’immortalité. De nombreux chercheurs s’efforcent d’identifier les mécanismes précis du vieillissement. Peut-être sauront-ils demain les bloquer, permettre aux êtres humains aptes de vivre des centaines d’années, et peut-être pour toujours. Les biologistes évolutionnistes rétorquent cependant que l’immortalité est vraisemblablement impossible. La sélection naturelle nous a constitués en effet pour vivre le temps d’engendrer et d’élever nos enfants. La sénescence ne découlerait donc pas d’une cause unique, ni même d’une suite de causes, mais serait inextricablement liée à notre être.

L’incapacité de la science à vaincre la mort pourrait toutefois avoir un bon côté, pour les chercheurs tout au moins. Harvey Sapolsky, professeur de politique sociale au MIT (Massachusetts Institute of Technology), note que, depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, la science doit l’essentiel de son financement à des préoccupations de défense nationale. Cela explique pourquoi elle a de plus en plus de peine, depuis que l’Empire du mal soviétique a disparu, à justifier ses budgets colossaux. Sapolsky suggère donc de remplacer l’ennemi soviétique défaillant par la mortalité. Si la science se fixait comme objectif primordial de vaincre la mort, conclut-il, elle serait assurée de recevoir des fonds de recherche jusqu’à la fin des temps — puisque vaincre la mort est un objectif vraisemblablement inatteignable.

Mais la réaction de loin la plus commune, lorsque l’on suggère que la science touche aujourd’hui à sa fin, est du style: « On disait la même chose il y a cent ans ». Le raisonnement est le suivant: à la fin du 19è siècle, les scientifiques croyaient tout savoir; mais Einstein et d’autres physiciens découvrirent la relativité et la mécanique quantique, ouvrant des horizons nouveaux et immenses à la physique et aux autres branches de la science; moralité: quiconque oserait prétendre aujourd’hui que la science touche à sa fin est sûr d’apparaître, demain, aussi myope que les physiciens du siècle passé. Bill Gates raconte une anecdote de même tonneau dans « The Road Ahead » [La route du futur], affirmant qu’au 19è siècle un préposé aux brevets du gouvernement américain avait donné sa démission tant il était convaincu qu’il ne restait désormais plus rien à inventer.

Hélas, ces histoires sont fausses. Les physiciens de la fin du 19è, loin de se croire omniscients, débattaient de la question essentielle de savoir si les atomes existent vraiment. Et aucun préposé américain aux brevets n’a jamais démissionné dans les conditions rocambolesques évoquées par Bill Gates.

Quant au fait que la science se soit développée de façon spectaculaire au cours du 20è siècle écoulé, il ne prouve en rien qu’elle va continuer à le faire de la même manière longtemps encore, ou pour l’éternité. Dans une perspective historique longue, le progrès scientifique rapide du 20è siècle n’apparaît point comme un caractère durable, mais comme une aberration momentanée due à la convergence singulière de facteurs économiques, politiques et intellectuels.

J. B. Bury, un historien, a fort bien montré, d’ailleurs, que le concept de progrès n’est vieux que de quelques centaines d’années. Avant la fin du moyen âge, la plupart des chercheurs de vérité voyaient l’Histoire comme une dégénérescence: pour eux, les anciens Grecs avaient atteint le sommet de la connaissance mathématique et scientifique, puis la civilisation n’avait fait que régresser. Ce sont les précurseurs de la science moderne empirique, les Descartes, Newton, Bacon et autres Leibniz, qui, les premiers, ont avancé l’idée que les humains peuvent acquérir et accumuler de la connaissance par l’étude de la nature. La plupart de ces pré-scientifiques pensaient néanmoins que cette accumulation était un processus fini, si bien qu’un jour l’humanité atteindrait la connaissance totale, qui lui permettrait de construire enfin une utopie, c’est-à-dire une société parfaite.

Mais avec l’arrivée de Darwin et de ses théories de l’évolution, certains intellectuels tombèrent tellement amoureux du progrès, qu’ils se convainquirent qu’il était sûrement, ou forcément, « éternel ». Gunther Stent, un biologiste de Berkeley, montre comment, depuis la publication, en 1859, du fameux ouvrage « De l’origine des espèces au moyen de la sélection naturelle », « l’idée de progrès acquit un statut de religion scientifique (…) Cette vision optimiste des choses est devenue générale dans les pays industrialisés (…) C’est pourquoi prétendre que le progrès touche à sa fin apparaît aussi bizarre aujourd’hui que, jadis, l’affirmation que la Terre tourne autour du Soleil. »

Que les Etats-nations modernes soient devenus des supporters fervents de la science-sans-limites ne saurait surprendre. Cette dernière n’a-t-elle pas produit des merveilles telles que l’énergie nucléaire, les fusées, le radar, les ordinateurs? En 1945, Vannevar Bush, un physicien américain, écrivait que la science est « un arrière-pays encore largement inexploré », « clé essentielle » de la sécurité militaire et économique des États-Unis. Son essai (« Science: The Endless Frontier ») inspira la construction de la National Science Foundation, qui fut chargée de financer la recherche fondamentale américaine à une échelle jamais vue jusque là. En ce temps-là, l’Union soviétique croyait au progrès scientifique et technologique encore plus fort que l’Amérique, si c’est possible. Engels n’avait-il point écrit, — dans son tract inachevé, « La dialectique de la nature », publié en URSS en 1925 — que la science est destinée à progresser toujours d’un pas rapide?

Mais aujourd’hui, des forces puissantes — sociales, politiques et économiques, — freinent ce progrès scientifique et technique supposé sans limite. Depuis la fin de la Guerre froide, les États-Unis et les républiques de l’ancienne Union soviétique n’ont plus besoin de se prouver les unes aux autres leur puissance respective en construisant des stations spatiales et des accélérateurs géants. Quant aux simples citoyens, ils se préoccupent de plus en plus des conséquences néfastes de la science et de la technologie, telles que la pollution, la contamination nucléaire, les armes de destruction massive.

Même les leaders politiques, défenseurs traditionnels du progrès scientifique, commencent à tourner casaque. Vaclav Havel, poète et président, déclarait en 1992 que l’Union soviétique avait incarné, et par conséquent discrédité pour toujours, le « culte [scientifique] de l’objectivité », exprimant l’espoir que la dissolution de l’État communiste « mettra fin à une ère moderne (…) dominée par la conviction que (…) le monde (…) est un système totalement connaissable, gouverné par un nombre fini de lois universelles que l’homme peut comprendre et utiliser à son avantage. »

Au début du siècle, Oswald Spengler prophétisait déjà la fin de la science, affirmant, dans son « Déclin de l’Occident » (1918), que la science obéit à des cycles. Aux périodes « romantiques » d’étude de la nature et d’invention de nouvelles théories, écrivait-il, succèdent des périodes de consolidation au cours desquelles la connaissance scientifique se fossilise. Pour lui, l’arrogance croissante des scientifiques, de moins en moins tolérants des autres systèmes de croyances, religieux notamment, allait fatalement provoquer une rebellions contre la science et un renouveau du fondamentalisme religieux et de quelques autres systèmes de croyances irrationnelles. Ce renversement de cycle, prédisait-il, commencerait avec la fin du 20è siècle.

Mais l’analyse de Spengler paraît encore trop optimiste. Le modèle cyclique qu’il décrit implique en effet que la science pourra un jour renaître et faire à nouveau de grandes découvertes. L’ennui est que la science n’est pas cyclique, mais linéaire: elle ne peut découvrit qu’une seule fois le tableau périodique des éléments, le phénomène d’expansion de l’univers ou la structure de l’ADN. Richard Feynman, prix Nobel de physique, écrivait en 1965, dans « The Character of Physical Law », que « nous vivons dans l’âge de la découverte des lois fondamentales de la nature, qui jamais ne reviendra. »

Il est vrai qu’à ce jour, la science moderne reste encore incapable de répondre à certaines questions essentielles: de quelle manière exacte l’univers a-t-il été créé, et n’est-il qu’un univers parmi d’autres? Les quarks et les électrons sont-ils composés de particules plus petites, toujours plus petites, et ainsi de suite ad infinitum? Le début de la vie était-il vraiment « inévitable », et inévitable l’apparition d’êtres suffisamment intelligents pour créer la science? Et surtout: pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien?

Compte tenu de nos humaines limitations, il est cependant probable que nous ne pourrons jamais y répondre clairement.

C’est la raison pour laquelle est née ce que j’ai appelé plus haut la science ironique: la théorie des cordes, l’hypothèse Gaia, et toutes ces sortes de choses. Je ne prétends nullement que la science ironique est dépourvue de valeur, au contraire même. Car, tout comme la grande littérature, l’art ou la philosophie, elle nous inspire le doute et la crainte, nous laisse sidérés par le mystère de l’univers, au lieu de nous conforter dans nos certitudes. En nous rappelant sans cesse que nos connaissances ne sont que des demi-connaissances, elle maintient intactes nos capacités d’émerveillement, et les maintiendra intactes même lorsque la science empirique aura atteint son terme. Le seul inconvénient de la science ironique est qu’elle ne nous fait point approcher de la vérité.

Ceux qui annoncent la fin du progrès sont souvent accusés de manquer d’imagination. Il est vrai que notre culture populaire — qui s’étend de Star Trek à Star Wars en passant par les messages de la publicité et la rhétorique des politiciens — ne cesse de nous promettre des lendemains meilleurs, et que les scientifiques (et les journalistes) ne cessent d’écrire que nous nous trouvons à la veille de grandes révélations, de percées décisives et autres découvertes du saint Graal. Je confesse humblement avoir écrit moi-même des histoires de ce genre.

Il serait de bonne hygiène toutefois que le public accepte au moins d’envisager ce que serait notre destin collectif si, malgré ce que disent les scientifiques, l’humanité avait vraiment découvert l’essentiel de ce qu’il y a à découvrir; si demain nous ne connaissions pour l’essentiel que ce ce que nous connaissons aujourd’hui; si nous ne réussissions jamais à construire des vaisseaux spatiaux capables de déformer l’espace-temps et de nous emmener dans d’autres galaxies ou d’autres univers; si le génie génétique ne nous permettait jamais de devenir infiniment sages ou immortels; si nous devions renoncer définitivement à découvrir l’esprit même de Dieu, je cite le propos de Stephen Hawkins, physicien britannique et… athée convaincu; si nous ne réussissions jamais à savoir pourquoi, dans l’univers, il y a quelque chose plutôt que rien.

Si la science se trouvait bel et bien enfermée dans un tel cul-de-sac, qu’adviendrait-il de l’humanité?

Que l’on me permette de rappeler ici deux prophéties intéressantes. Dans « The Coming of the Golden Age » (1970), Gunther Stent écrit que plus la science nous rapprochera de l’universelle abondance, moins nous éprouverons le besoin d’acquérir de nouvelles connaissances, si bien que nous finirons par nous retrouver dans un état de « nouvelle Polynésie », où nous ne chercherons plus que le plaisir pour le plaisir, dans les drogues, les réalités virtuelles ou la stimulation électronique directe des zones de plaisir de notre cerveau.

Dans « La fin de l’Histoire » (1992), Francis Fukuyama suggère, quant à lui, que le triomphe de la démocratie libérale et capitaliste sur le socialisme, a mis un terme à notre quête du système politique le moins nocif et le plus juste. Mais Fukuyama, qui est un élève de Nietzsche, dit craindre cependant que notre insatiable volonté de pouvoir, notre constant besoin de vaincre, ne nous empêchent à tout jamais d’être contents de l’abondance et du confort que ce meilleur des mondes possibles pourrait nous assurer, et qu’en conséquence nous recommencions toujours et toujours à jouer à la guerre, juste pour nous occuper.

Si Fukuyama montre là des signes d’intoxication nietzschéenne grave — que je reconnais parce que j’ai souffert des mêmes dans ma jeunesse —, Gunther Stent donne, lui, l’impression d’avoir été trop influencé par la culture hippie, née, comme on le sait, à Berkeley, où il enseignait. Je ne crois pas, pour ma part, que notre destin sera de verser soit dans les guerres idiotes que craint Fukuyama, soit dans la jouissance idiotes que dénonce Stent. Mais qu’arrivés au bout des grandes découvertes scientifiques, nous continuerons notre petit bonhomme de chemin en hésitant sans cesse, comme hier, entre le plaisir et la guerre, entre la clarté et la confusion, entre la bienveillance et la cruauté, et que le monde ne sera pas très différent de ce qu’il est aujourd’hui. Peter Medawar, que je citais en exergue, dirait sans doute que mon âme est pauvre et mon esprit minable. Se pourrait-il que je sois simplement réaliste?

© paru dans Le Temps stratégique, No 84, novembre-décembre 1998.

POLEMIQUE / CONTRE-ARGUMENT 1

Finie, la science? Tout reste à découvrir !

Par Robert M. Hazen 
Robert M. Hazen est chercheur au Laboratoire de géophysique de la Carnegie Institution de Washington, D.C., et professeur de sciences de la terre à l’université George Mason, à Fairfax (Virginie). Il a publié avec Maxine Singer, président du Carnegie Institute et ancien chercheur au Laboratoire de biochimie du National Institute of Health, Why Aren’t Black Holes Black? The Unanswered Questions at the Frontiers of Science(New York, Anchor Books, 1997) [Pourquoi les trous noirs ne sont-ils pas noirs? Les questions sans réponse aux frontières de la science].

Si l’on veut comprendre pourquoi la science est un territoire où jamais les conquêtes ne prendront fin, il ne faut pas dresser le catalogue de ce que nous savons mais la liste de ce que nous ignorons encore. Ces grandes questions sans réponse sont le moteur de la recherche fondamentale. Elles tombent dans trois catégories. Qu’est-ce qui existe? Comment ce qui existe est advenu? Et comment la nature fonctionne-t-elle?

La question « qu’est-ce qui existe? » est la question première de toute science. Les explorateurs scientifiques des siècles passés ont récolté dans les terres les plus exotiques des spécimens d’animaux, de plantes et de minéraux. Les chimistes ont isolé les uns après les autres les éléments. Les astronomes ont dressé la liste d’étoiles innombrables. Les physiciens ont scruté les phénomènes étranges associés à l’électricité et au magnétisme.

Et pourtant, même après des siècles de labeur, la science n’a identifié, estime-t-on ordinairement, qu’un ou deux pour-cent de toutes les espèces vivant sur la terre, n’a exploré que la peau superficielle de la planète, n’a décrit que quelques-unes des 80’000 protéines produites par notre corps. Nous connaissons certes aujourd’hui les quelque 100 éléments stables du tableau périodique, mais très mal les combinaisons entre ces éléments, dont le nombre est quasiment infini. Et il existe, dans chacune de dizaines de milliards de galaxies de l’espace, ses dizaines de milliards d’étoiles — quelque chose comme un billion de systèmes solaires pour chaque habitant de la terre. Il reste tant à découvrir.

Et comme si la tâche de décrire l’univers tangible n’était pas suffisante, il apparaît aujourd’hui que la masse essentielle de l’univers — 99%, disent certains — est manquante, parce que constituée d’une matière étrange ne ressemblant à rien de ce que nous connaissons. Au cours des deux dernières décennies, les astronomes ont découvert des preuve écrasantes que l’univers est parsemé de matière sombre, une chose invisible que ne peuvent débusquer nos télescopes même les plus puissants.

La matière de l’univers que nous connaissons est presque tout entière concentrée dans des galaxies, lesquelles existent à une échelle qui dépasse notre entendement. Chaque galaxie contient en effet des dizaines ou des centaines de milliards d’étoiles dans un espace dont le diamètre peut dépasser 100’000 années-lumière (une année-lumière est la distance que la lumière franchit en une année, soit approximativement 9.4 billions de kilomètres). Par une nuit claire et à l’œil nu, nous pouvons voir toutes les étoiles et toutes les constellations de la Voie Lactée, notre propre galaxie; mais avec des télescopes, on peut encore voir aisément des milliards d’autres galaxies.

Les galaxies sont le point de départ logique pour les astronomes désireux d’étudier la nature et la distribution de la masse de l’univers. Pour estimer la masse d’une galaxie, ils utilisent deux méthodes complémentaires. Une méthode simple et rapide: ils comptent les étoiles visibles et multiplient le nombre observé par la masse moyenne d’une étoile, déterminée par l’observation et le calcul théorique. Ils obtiennent ainsi une valeur appelée « masse visible » de la galaxie. Et une méthode plus sophistiquée, qui définit la « masse dynamique » de la galaxie en observant la manière dont ses étoiles se déplacent.

Pour la seconde méthode, les astronomes mesurent la position et la vitesse orbitale des étoiles ou des nuages en train de tournoyer au-dessus du noyau de la galaxie qu’ils étudient, noyau qui est le lieu de forces gravitationnelles immenses. Plus la masse de la galaxie est grande, plus les étoiles tournent rapidement, ou alors elles sont happées par son noyau. Au terme de ces observations, pour peu que toutes les variables de la galaxie aient été correctement prises en compte, la masse visible de la galaxie doit être identique à sa masse dynamique.

Mais dans les années 1970, les astronomes ont découvert que certaines parties extérieures des galaxies spirales tournaient deux ou trois fois plus vite qu’elles n’auraient dû, compte tenu de la gravité des étoiles visibles. L’équation simple qui décrit les orbites n’a que trois variables: la distance orbitale, la vitesse orbitale et la masse. La distance et la vitesse orbitales, que l’on peut mesurer par le biais d’observations télescopiques, permettent de déterminer la vraie masse de la galaxie. Conclusion: si l’évaluation de la masse d’une galaxie fondée sur l’observation des étoiles visibles aboutit à des résultats erronés, c’est que l’essentiel de la matière de l’univers est sombre et invisible.

Les spéculations sur la nature de la matière sombre abondent. Mais la première chose à faire est de déterminer ce que la matière sombre n’est pas. Elle ne peut être un amas ordinaire de matière, comme les boules de neige ou les trous noirs, parce que, dans ce cas, on détecterait ses effets sur la lumière arrivant de sources plus éloignées qu’elle. Elle ne peut être constituée non plus de particules chargées électriquement, comme les électrons ou les protons, puisqu’on ne repère aucune radiation électromagnétique. Le fait que l’on ne puisse détecter la matière sombre en laboratoire suggère qu’elle passe directement à travers les atomes ordinaires.

Confrontés à cette difficulté intimidante, les chercheurs ont postulé, pour rendre compte de cette masse manquante, l’existence de particules subatomiques exotiques: neutrinos massifs ou axions, mini-trous noirs, ou amas de quarks appelés aussi pépites de quarks (quark nuggets). Mais, en vérité, ils ne savent rien de sûr. C’est pourquoi, partout dans le monde, des équipes de physiciens s’efforcent d’imaginer des détecteurs ultrasensibles, capables de capter quelques signaux subtils de la matière sombre. Cela leur prendra des dizaines d’années, mais ils ne lâcheront sûrement pas prise par manque d’intérêt.

Si la science actuelle est tout entière fondée sur l’observation et la mesure d’un pour cent seulement des briques de construction de la réalité — la matière atomique ordinaire — comment penser que la physique ait atteint son terme? Notre quête de la matière sombre, qui est encore dans son extrême enfance, n’est pas une quête académique banale. La nature et la quantité de masse manquante détermineront en effet le destin ultime de l’univers. Sa gravité énorme ralentira-t-elle son expansion continue? Finira-t-elle par le condamner à s’effondrer sur lui-même? En vérité, le problème de la masse manquante est au cœur de nos efforts pour comprendre le passé, le présent et le futur du cosmos.

Et puis, de quelle matière étrange est donc constituée cette masse manquante? Comment pouvons-nous l’étudier? Quelles lois gouvernement ses comportements? Et si nous réussissons un jour à la capter et à lui donner la forme que nous voulons, qui sait quelles technologies inouïes en pourraient découler?

La naissance de la vie résultant d’un processus chimique, les questions sur l’origine de la vie présentent l’avantage immense de pouvoir être étudiées en laboratoire. On recourt pour cela à deux stratégies complémentaires.

En 1952, Harold Urey, professeur à l’université de Chicago, et Stanley Miller, l’un de ses étudiants, provoquèrent en laboratoire des étincelles électriques dans une atmosphère primordiale de méthane, d’hydrogène et d’ammoniac circulant au-dessus d’un réservoir d’eau chaude. Au bout de quelques jours, ils eurent la surprise de voir la solution, incolore à l’origine, virer au rose, puis au rouge, puis au brun, à mesure que se formait un riche bouillon de molécules organiques. Les expériences de ce genre font évoluer artificiellement les composants de carbone qui existaient à l’époque où la terre commençait à se former, il y a 4.5 milliards d’années. Elles suggèrent que les océans primitifs se sont sans doute remplis rapidement d’une variété de molécules organiques complexes. La concentration d’un tel mélange organique a dû croître sans cesse, aucune vie n’existant pour s’en nourrir.

Mais, bien sûr, il y a une distance énorme entre la soupe organique stérile préparée par Miller et Urey, et une cellule vivante. Cette distance pourrait toutefois être réduite par la seconde stratégie de recherche. L’idée, là, est d’étudier les mécanismes de fonctionnement chimique de deux des organismes unicellulaires les plus primitifs de la terre: les mycoplasmes et les cynobactéries.

Les mycoplasmes sont la forme de vie la plus simple que l’on connaisse; ils ont un diamètre d’environ 1/2500è de millimètre et dépendent de leur environnement pour plusieurs types de substances nutritives, y compris des aminoacides et des bases d’acides nucléiques. Les cynobactéries, eux, sont des organismes unicellulaires plus grands et plus complexes, capables de survivre et de se reproduire à partir des ingrédients de base les plus simples: le dioxyde de carbone, l’azote, l’eau, et quelques minéraux.

La simplicité structurelle des mycoplasmes et chimique des cynobactéries pourrait contribuer à expliquer les mécanismes de la vie primitive. Par exemple, toutes les formes de vie ont une structure cellulaire, et toutes les formes de vie disposent des mécanismes métaboliques qui leur permettent d’extraire l’énergie dont elles ont besoin. On en peut déduire que cette structure et ces mécanismes doivent avoir forcément existé, d’une manière ou d’une autre, dans les premières cellules vivantes. En réduisant ainsi les mécanismes métaboliques aux réactions chimiques les plus simples possibles, les chercheurs espèrent découvrir la séquence des événements qui se sont probablement enchaînés pour permettre à la première cellule de se reproduire.

Le début de la vie fut un événement historique majeur, dont les nombreux détails se conservent aujourd’hui encore dans la structure chimique des cellules. En étudiant cette structure, la recherche biochimique devrait donc pouvoir reconstituer les étapes chimiques du début de la vie et peut-être même les reproduire. Mais même si, d’ici quelques siècles, nous réussissons à connaître en détail la séquence chimique qui a fait surgir la vie sur la terre, qui sait si, ailleurs dans l’univers, des séquences chimiques différentes n’ont pas fait surgir elles aussi la vie? Cette quête des innombrables origines possibles de la vie dans l’univers ne connaîtra jamais de fin.

La troisième quête scientifique, la plus illimitée assurément, et qui mobilise le gros de la recherche fondamentale actuelle, tente de comprendre comment la nature fonctionne: comment les étoiles évoluent, comment les rochers s’érodent, comment le cancer se développe, comment les atomes interagissent entre eux, comment les champignons se reproduisent, et des millions d’autres questions, toutes d’une complexité ahurissante.

Ainsi par exemple cette question, qui interpelle les chercheurs depuis très longtemps: comment un simple œuf fertilisé peut-il se transformer en un être humain? A mesure que l’embryon grandit, les cellules de l’œuf doivent en effet développer entre elles des relations spatiales hyperspécifiques, et ce dans une séquence temporelle immuable. A mesure que le nombre des cellules croît par divisions, ces cellules se spécialisent et acquièrent en effet une identité unique: la tête, l’intestin, les jambes, le cœur, le sang, les os, le cerveau.

Comment est-il possible que les gènes d’un simple œuf fertilisé contiennent toutes les informations qui sont nécessaires pour produire un individu aussi complexe? Cette question a été posée pour la première fois il y a un siècle par Wilhelm Roux, un biologiste allemand, qui étudiait des embryons de grenouilles au microscope. On la trouve aujourd’hui au cœur de l’un des domaines les plus excitants de la science. Et bien que des milliers de chercheurs y consacrent leurs meilleurs efforts, rien ne permet aujourd’hui de penser qu’elle recevra jamais de réponse.

Et même si une réponse lui était un jour donnée, elle serait vraisemblablement d’une complexité et d’une longueur sans égales. L’analyse et la description des étapes spécifiques aboutissant à la production d’une simple mouche — les soies rêches de ses pattes, les facettes impeccablement ordonnées de ses yeux, les nervures exquises de ses ailes — nécessiteraient à elles seules des milliers de volumes épais, tous richement illustrés et remplis à ras bord de jargon génétique. Le même travail, pour l’être humain, nécessiterait sans doute des millions de volumes, sans que l’on sache aujourd’hui comment on en noircirait les pages.

Sans doute faudra-t-il donc des siècles avant que nous ne connaissions le détail des processus de développement qui sculptent nos visages, nos corps et nos esprits. Mais des expériences de biologie développementale remarquables commencent à faire surgir quelques principes de base. La biologie développementale surprend souvent parce qu’elle s’intéresse plus à ce qui va mal qu’à ce qui va bien. La raison en est qu’il est pratiquement impossible de débusquer directement les mécanismes génétiques du développement normal. Et qu’il en serait ainsi même si l’on pouvait geler chacune des séquences de ce mécanisme pour les examiner à loisir. Il y a en effet trop de processus simultanément en cours, trop de gènes qui agissent en même temps. De surcroît, l’embryon humain se développe lentement et son étude pose des problèmes éthiques délicats. L’étude de notre propre espèce a donc beaucoup de peine à progresser.

Pour tenter de contourner ces obstacles, des milliers de biologistes développementaux concentrent leurs efforts sur des organismes beaucoup plus simples et à reproduction beaucoup rapide que l’organisme humain. Leur stratégie de recherche standard consiste à faire se reproduire des millions d’animaux à vie courte, le plus souvent des mouches du vinaigre, Drosophila melanogaster, dont le cycle de vie a le bon goût de n’être que de 10 à 14 jours, ou, à défaut, des vers plats, Caenorhabditis elegans, ou des petits vertébrés: poissons zébrés, grenouilles, souris.

Dans le cas des mouches du vinaigre, le plus fréquent, les biologistes développementaux exposent les insectes en train de se reproduire, ou leurs œufs, à des rayons X ou à des produits chimiques mutagènes, et obtiennent ainsi une quantité énorme d’individus mutants. Lorsqu’une mouche ne réussit pas à se développer ou se développe de manière anormale, les équipes de recherche se précipitent pour identifier le gène responsable de ce malfonctionnement. Et à mesure qu’elles débusquent les gènes critiques, elles commencent à reconstituer le puzzle du développement de la vie.

Il va sans dire, cependant, que lorsque d’anciennes énigmes se résolvent, de nouvelles surgissent. Les progrès récents de la recherche dans quelques domaines-clés, brièvement évoqués ci-dessous, en attestent.

Contrôles chimiques à l’intérieur de l’œuf. Le développement d’un organisme complexe commence longtemps avant l’acte sexuel, parfois des mois ou des années avant que l’œuf et le sperme ne soient réunis. Chaque œuf, par exemple, doit contenir une suite de messages chimiques complexes qui vont guider la formation initiale de l’embryon. Dans les vers plats, la première division cellulaire produit toujours une plus grande cellule en tête et une plus petite en queue. Si l’on ôte l’une de ces deux cellules, la division suivante produit de nouveau une cellule plus grande en tête et une plus petite en queue. On en peut déduire que le message chimique contenu dans l’œuf distingue d’emblée la tête de la queue. Pourtant, l’œuf ne peut contrôler indéfiniment le développement de l’organisme. Si, après deux divisions cellulaires (quatre cellules), l’on ôte l’une quelconque de ces cellules, le vers va souffrir d’une déformation grave. On peut en déduire qu’après deux divisions cellulaires, ce sont les cellules elles-mêmes qui s’envoient les unes aux autres les signaux qui vont guider le développement ultérieur. Comment font-elles? C’est ce que les chercheurs essaient aujourd’hui de découvrir.

Régulation des gènes. Le processus qui fait qu’un gène spécifique produise ou ne produise pas une protéine est au cœur de la biologie développementale. Chaque cellule d’un organisme contient le génome complet de l’organisme, c’est-à-dire les instructions nécessaires à la production de toutes les protéines dont il pourrait avoir besoin. Or, malgré son potentiel universel, chaque cellule remplit des fonctions très spécialisées. Toutes les cellules du pancréas, par exemple, contiennent l’ensemble des gènes du corps humain, et pourtant chaque type d’entre elles produit seulement un nombre limité de protéines pancréatiques spécifiques, notamment de l’insuline (unr hormone) et une variété d’enzymes digestives. Bien que les chercheurs sachent désormais que chaque étape du développement est contrôlé par une combinaison unique de signaux chimiques, ils ne font que commencer à comprendre comment ces signaux régulent le développement et le fonctionnement de milliers de gènes dans chaque cellule du corps.

Mort programmée des cellules. La biologie développementale s’intéresse à la mort des cellules autant qu’à leur croissance. A mesure qu’un embryon se développe, la mort extraordinairement sélective de certaines cellules sculpte en effet les creux, les cavités et les tubes de l’embryon, destinés à constituer les structures essentielles du corps du nouveau-né. Les cellules constituant par exemple les tissus palmés qui relient les doigts et les orteils en train de se former, finissent par mourir pour dégager doigts et orteils. Dans le cerveau, de grandes quantités de cellules meurent, pour ne laisser vivre que celles d’entre elles qui ont construit des réseaux interactifs et productifs. La mort programmée élimine aussi les cellules du système immunitaire capables de reconnaître les cellules de l’organisme auquel elles appartiennent, car elles risqueraient de les attaquer. De manière plus générale, la mort programmée régule le nombre total des cellules de l’organisme durant toute la vie de ce dernier; elle supprime notamment les cellules défectueuses ou endommagées. Mais comment les cellules savent-elles à quel moment elles doivent mourir? C’est l’une grandes questions auxquelles la biologie développementale ne peut pour l’heure apporter de réponse.

Instructions d’assemblage. De nombreux organismes — par exemple les mouches, les vers, les poissons, les hommes — ont des plans corporels remarquablement semblables: un avant, un arrière, et un long intestin qui s’étend de l’un à l’autre. En 1984, des biologistes qui travaillaient sur des mouches du vinaigre ont découvert qu’une mutation grotesque — des pattes poussant sur la tête des insectes à la place d’antennes — coïncidait avec un petit segment défectueux de l’ADN d’un gène. Ce segment, appelé « homeobox » — qui code la synthèse d’une protéine capable de se fixer à des segments spécifiques d’ADN —, régule les gènes qui déterminent le développement des schémas corporels, notamment le schéma répétitif des pattes chez les arthropodes, des facettes oculaires chez les mouches, des vertèbres chez les mammifères.

Des « homeoboxes » pratiquement identiques apparaissent plus de 100 fois sur le génome de la mouche, chacun d’eux lié à un gène de développement spécifique. Ces « homeoboxes » et les gènes qui leur sont associés se regroupent autour de deux séquences chromosomales géantes, chacune longue d’un quart de million de paires de bases! Les biologistes développementaux ont été étonnés de découvrir que la manière dont ces gènes sont ordonnés le long des chromosomes est identique à l’ordre avant-arrière des « homeoboxes » dans l’embryon de la mouche. Lorsqu’une « homeobox » se brise, les instructions d’assemblage de la mouche se mélangent.

Mais ce qui a vraiment soufflé les biologistes, c’est de découvrir dans toutes sortes d’organismes — des vers aux humains — des « homeoboxes » pratiquement identiques, qui diffusent des paquets d’instructions génétiques déterminant — des dents aux orteils — toutes sortes de structures anatomiques.

Les implications de cette découverte sont nombreuses. Auparavant, on pensait que chaque étape du développement était une séquence unique en son genre, déclenchée par une combinaison elle aussi unique de signaux génétiques. La découverte du rôle universel des « homeoboxes » suggère ce que de nombreux biologistes espéraient: que le détail du développement des organismes obéit à des principes généraux — et qu’en conséquence les recherches conduites sur les mouches du vinaigre et quelques autres animaux ont un rapport direct avec le développement de l’embryon humain.

De fait, tant les principes généraux que plusieurs des étapes de détail observés dans le développement de la mouche éclairent le processus de développement humain — lequel est cependant, il est vrai, beaucoup plus complexe et difficile d’accès. Des chercheurs supputent aujourd’hui que certains défauts des séquences de contrôle des « homeoboxes » pourraient être responsables d’anomalies à la naissance et d’avortements spontanés chez les humains. Et pensent que si l’on pouvait un jour déchiffrer le code des « homeoboxes », les patients dont les reins ou les poumons sont endommagés pourraient les régénérer à partir d’une unique cellule saine; les victimes de lésions au cerveau ou à la moelle épinière pourraient produire de nouveaux neurones ou de nouvelles cellules nerveuses; et les patients cancéreux pourraient sélectionner et supprimer leurs cellules malades. Les instructions nécessaires à remettre en nous toutes choses en état sont enfouies au plus profond de chacune de nos cellules; il suffirait en somme que nous apprenions à débusquer ces instructions et à les lire.

Les quelques questions scientifiques pressantes évoquées dans cet article augurent, à elles seules, de siècles de recherches et de découvertes. Les critiques qui, comme John Horgan [auteur, dans ce numéro, de « La science? Il ne lui reste plus rien à découvrir! »] parlent de la fin de la physique, de la fin de la cosmologie, de la fin de la biologie évolutionniste, raisonnent comme si la connaissance scientifique existait en petits paquets séparés, fermés hermétiquement. Or la nature ne connaît aucune limite de ce genre. La physique est une partie de la cosmologie qui est une partie de la géologie qui est une partie de la vie. Les questions les plus excitantes auxquelles devront répondre les chercheurs de l’avenir ne surgiront pas du cœur des connaissances établies, mais des surfaces de recoupement encore inexplorées entre disciplines académiques traditionnelles.

D’ailleurs, le progrès de la science se mesure moins, je le répète, par les questions auxquelles elle a déjà donné réponse, que par la liste des questions qu’elle se pose encore. A vues humaines, ce questionnement ne cessera jamais.

 

© MIT’s Technology Review 1998.
© paru dans Le Temps stratégique, No 84, novembre-décembre 1998.


POLEMIQUE / CONTRE-ARGUMENT 2

 La faiblesse de la thèse de John Horgan
est qu’elle aussi est improuvable!

Tout est de la faute de Mary Shelley. Lorsque son anti-héros, Victor Frankenstein, s’est mis à fricoter avec des forces qu’il ne comprenait pas, elle s’est fait la porte-parole de ceux qui doutent de la science. Depuis lors, ce doute horrible n’a cessé de prospérer. Et le voici maintenant qui s’immisce dans l’establishment. John Horgan, ancien journaliste du « Scientific American », auteur de The End of Science [La fin de la science], ouvrage dont il reprend les thèmes principaux dans l’article ci-contre, prétend que l’âge d’or de la science est passé, et que l’humanité devra continuer à vivre avec beaucoup de choses incompréhensibles. La thèse de Horgan n’est pas très convaincante.

Certes, il peut être tentant pour des scientifiques de penser que les théories actuelles ne seront peut-être jamais surpassées. Richard Feynman, prix Nobel de physique, est de ceux-là: « Nous avons de la chance, dit-il, de vivre à une époque où il est encore possible de faire des découvertes. C’est comme l’Amérique: on ne peut la découvrir qu’une fois. »

La messe est dite? C’est vite dit!John Horgan considère que dans de nombreux domaines de la science, la messe est dite. La biologie a tout ce qu’il lui faut avec Darwin et la génétique moderne; la cosmologie, avec le Big Bang; la physique, avec la mécanique quantique et la description standard de la structure de la matière. Horgan considère que dans d’autres domaines, la définition de la conscience ou l’unification des sciences sociales notamment, la science sera à jamais impuissante.

Que reste-t-il alors? John Horgan, empruntant à la théorie littéraire le terme « ironique », suggère que ce qui reste c’est la science « ironique »: une spéculation érudite mais impossible à prouver, sur la signification des théories scientifiques existantes et leurs interconnexions: telles les « cordes » (superstrings) d’Edward Witten, physicien à Princeton, qui seraient des brins d’énergie multidimensionnels inimaginablement petits, ou tels les « trous de vers » de Stephen Hawking, cosmologiste britannique, censés relier entre elles des régions éloignées de l’espace-temps.

Newton faisait aussi de la science « ironique »Mais la science n’est-elle affaire que de grande théorie? Assurément non. La « simple résolution de problèmes », comme dit un peu sèchement John Horgan dans son livre, occupe en effet l’essentiel du temps des chercheurs aujourd’hui. Et puis la distinction que Horgan fait entre la science « ironique » et la science « réelle » tient difficilement la route. Que faisait Newton lorsqu’il spéculait sur la structure de la matière? Et Kepler, lorsqu’il évoquait la musique des sphères célestes? Les « ironies » des savants de jadis ont été soit oubliées, soit transformées en théories modernes de plein droit.

Mais la vraie faiblesse de John Horgan est qu’il invoque un argument lui aussi impossible à prouver. Les théories sont par définition efficaces lorsqu’elles permettent d’expliquer ce pour quoi les gens d’une époque donnée ont envie d’explications. Les faiblesses des théories n’apparaissent que plus tard, lorsque des faits nouveaux sont débusqués et que certains faits anciens prennent un sens neuf. Notre fin de 20è siècle est-elle vraiment le dernier âge des grandes théories, comme l’affirme Horgan? Il est possible que la réponse soit oui. Mais il est aussi possible qu’elle soit non. Chi lo sà?

Edward Carr, « The reliability of science. Beyond our ken? », in: »The Economist », 20 juillet 1996.


 ADDENDA

 

Les théories fusillées par John Horgan

Les univers parallèles de Andrei Linde
Astrophysicien russe enseignant à l’université de Stanford depuis 1990, Andrei Linde a formulé en 1982 une nouvelle théorie de l’univers qui se veut une « amélioration » du modèle du Big Bang (l' »explosion initiale » à l’origine de la création de l’univers). Linde critique la théorie du Big Bang pour les nombreux problèmes physiques et philosophiques qu’elle soulève. Il considère notamment que les équations physiques qui déterminent le Big Bang prédisent un univers beaucoup plus petit qu’il ne l’est en réalité et que le modèle théorique n’explique pas pourquoi les différentes régions de l’univers se ressemblent et les lointaines galaxies sont distribuées de façon aussi uniforme dans toutes les directions au sein de l’univers. C’est pourquoi l’astrophysicien russe propose la théorie d’un univers auto-reproducteur et à très forte croissance (self-reproducing inflationary universe) qu’il a modélisé grâce à des simulations sur ordinateur. Selon lui, la croissance de l’univers à son origine aurait été extrêmement rapide – elle aurait dépassé la vitesse de la lumière – et aurait obéi à un modèle d' »inflation chaotique ». Alors que la théorie classique du Big Bang décrit un univers semblable une bulle de savon se gonflant graduellement, la théorie de Linde décrit un univers semblable à une bulle qui produirait des bulles identiques, et ainsi de suite. L’univers décrit par Linde enfanterait de nouveaux univers par auto-reproduction et selon une arborescence empruntée aux mathématiques fractales.

Le modèle d’univers auto-reproducteur et inflationniste
d’Andrei Linde

Source: « The Self-Reproducing Inflationary Universe » par Andrei Linde. In: « Scientific American », No 271, November 1994.

La théorie des cordes d’Edward Witten
Physicien et mathématicien né en 1951 et enseignant à l’université de Princeton, Edward Witten est considéré comme un des plus éminents spécialistes de la physique théorique. En 1990, il a reçu la médaille Fields, l’équivalent du prix Nobel pour les mathématiques, pour ses modélisations de la théorie des cordes (topological quantum field theory). Selon Edward Witten, la théorie des cordes dominera la physique des 50 prochaines années et les « physiciens sont en train de poser des questions qui impliquent de nouvelles mathématiques qui n’existent pas encore ».

Sa théorie représente les particules élémentaires de la physique par des cordes extrêmement petites (100 milliards de milliards de fois plus petites qu’un noyau d’hydrogène) évoluant dans un espace étrange à 10 ou 26 dimensions, pouvant vibrer à différentes fréquences ou « résonances ». Pour décrire les mouvements vibratoires d’une corde, il faut représenter un espace avec un grand nombre de dimensions. La topologie (science de l' »étude des lieux » et qui est une sorte de « géométrie de situation ») joue ici un rôle majeur car elle permet d’imaginer comment, à l’intérieur de ces cordes, on peut voyager dans des mondes aux dimensions différentes.

L’intérêt de la théorie des cordes pour les théoriciens de la physique est qu’elle surmonte et par là même unifie les deux grandes théories de la physique moderne, celle de la relativité générale et celle de la mécanique quantique. Elle modifie notre compréhension de l’espace-temps et notamment envisage ses autres aménagements possibles.

Interaction de deux cordes

Ces cordes se combinent et se séparent, elles peuvent aussi se tordre, faire des boucles, elles se meuvent dans un espace-temps à plus de 4 dimensions car il existe des dimensions nouvelles enroulées dans leur espace interne.

Source: « Les dimensions secrètes de l’univers » par Michel Gagnon. Association canadienne-française pour l’avancement des sciences, 1996.

 

Les lois de la complexité
Les lois de la complexité sont des modélisations théoriques de systèmes dynamiques étudiés dans diverses disciplines : biologie, chimie, mathématiques, physique et informatique principalement. Ces systèmes, qui vont de la fourmilière aux marchés financiers, ne peuvent être décrits par l’analyse réductionniste (consistant à découper le tout en plusieurs parties pour mieux l’appréhender par décomposition de ses fonctions élémentaires), ni selon une perception linéaire du temps. Pour tenter de répondre au défi croissant de ces phénomènes complexes et contradictoires, des scientifiques se sont regroupés au sein d’un centre de recherches pluridisciplinaires, le Santa Fe Institute, créé en 1984 au Nouveau Mexique.

Parmi les membres de ce centre, deux biologistes ont avancé un certain nombre de « lois » de la complexité. Ainsi Brian Goodwin, auteur de plusieurs ouvrages sur la biologie dont How The Leopard Changed Its Spots: The Evolution of Complexity (New York, C. Scribner’s Sons, 1994), plaide pour un changement de perspective théorique en biologie. Il appelle à abandonner la vision darwiniste (compétitivité des individus, « guerre de tous contre tous », etc.) qu’il estime incomplète car il montre que les organismes vivants sont plus que des machines à survivre, qu’il y a, outre l’aspect compétitif, « égoïste », destructif et répétitif chez les individus biologiques, des formes de coopération, véritablement altruistes, créatives et mêmes ludiques.

Stuart Kauffman, quant à lui, a écrit deux livres remarqués, Origins of Order: Self-Organization and Selection in Evolution, (New York, Oxford University Press, 1993) et At Home in the Universe: the search for the laws of complexity (New York, Oxford University Press, 1995) dans lesquels il expose ces lois et leurs fonctions. « Nous ne pourrons jamais espérer prédire les bifurcations exactes de l’arbre de la vie, affirme Kauffman, mais nous pouvons découvrir des lois puissantes qui prédisent et expliquent leur forme générale (…) La vie (…) est un phénomène émergent qui apparaît lorsque la diversité moléculaire du système chimique prébiotique augmente au-delà d’un certain seuil de complexité. Il n’y a pas de force vitale ou de substance externe dans ce tout émergent et auto-reproducteur ».

Source: Santa Fe Institute

L’hypothèse Gaïa
L’hypothèse Gaïa est une théorie de la vie sur terre proposée à la fin des années 1960 par le biochimiste britannique James E. Lovelock et la microbiologiste américaine Lynn Margulisis. Ces deux chercheurs affirment que la Terre, composée de ses matières inorganiques et de ses organismes vivants, formerait un superorganisme appelé Gaïa (d’après la divinité grecque personnifiant la Terre, « mère des Titans »). Selon cette hypothèse, la Terre serait un système dynamique qui s’auto-régulerait et où « le tout est plus que la somme de ses parties ». Le processus d’évolution biologique y serait moins le résultat d’une sélection par la compétitivité entre individus qu’un processus de coopération des organismes en quête de symbiose avec leur environnement.

James Lovelock a popularisé cette hypothèse au travers de nombreux livres: La terre est un être vivant : l’hypothèse Gaïa (Monaco, Editions Le Rocher, 1986), Les âges de Gaïa (Paris, Robert Laffont, 1990), Gaia : comment soigner une terre malade ? (Paris, Robert Laffont, 1992).

 

Note sur la quête d’une intelligence extraterrestre
Le SETI
(Search for Extraterrestrial Intelligence) est un institut de recherches à but non lucratif basé en Californie qui se consacre entièrement à l’étude de l’intelligence et de la vie extraterrestres. Les différents travaux et projets scientifiques développés par cet institut sont financés par la NASA, le National Science Foundation et un grand nombre d’institutions privées. Ils concernent l’astronomie, les processus d’évolutions chimique et biologique et l’étude des origines de la vie. Le principal chantier du SETI est le projet Phenix lancé en 1995 pour sonder les signaux radio de quelques 1000 étoiles situées à 200 années-lumières de la Terre à la recherche d’une source extraterrestre. Ce projet, qui coûte entre 4 et 5 millions de dollars par an, n’a enregistré aucune « signature » extraterrestre jusqu’à présent; théoriquement, il lui resterait 400 milliards d’étoiles à scruter au sein de notre galaxie.

 

Who’s who pratique
Sir Peter B. Medawar (1915-1987), biologiste brésilien devenu britannique, fut prix Nobel de médecine en 1960 pour ses travaux pionniers sur la greffe de tissus qui permirent d’envisager la transplantation d’organes. Il est l’auteur de nombreux écrits scientifiques et philosophiques parmi lesquels The Limits of Science(Oxford, New York, Oxford University Press, 1987).
Brian Josephson, physicien anglais né en 1940, prix Nobel de physique 1973 pour ses travaux sur la superconductivité, est directeur de projet au sein du laboratoire Cavendish de Cambridge. Ses travaux récents militent pour une théorie de l’intelligence et une « science de la conscience »: il a ainsi co-édité l’ouvrage Consciousness and the Physical World (Oxford, New York, Pergamon Press, 1980).
Ernst Walter Mayr, né en 1904 en Allemagne, a enseigné à partir de 1953 la zoologie à l’université Harvard. Il est surtout connu pour ses vues néo-darwiniennes sur l’évolution, développées dans plusieurs livres:Populations, espèces et évolution (Paris, Hermann, 1974) La biologie de l’évolution (Paris, Hermann, 1981),Darwin et la pensée moderne de l’évolution (Paris, Odile Jacob, 1993), L’évolution : articles extraits de « Scientific American » et de « Pour la Science » (Paris, Pour la science, 1978). Ernst Mayr a récemment participé à un débat sur l’intelligence extraterrestre organisé par l’institut du SETI (Search for Extraterrestrial Intelligence) où il a dit le scepticisme que lui inspirent les recherches en cours, en raison, dit-il, de leurs prémices erronées sur l’intelligence et l’évolution.
Stephen Hawking, astrophysicien anglais né en 1942, enseigne les mathématiques à l’université de Cambridge. Il est l’auteur du best-seller Une brève histoire du temps : du big bang aux trous noirs (Paris, Flammarion, 1989) qui a été traduit dans 33 langues. Des réflexions sur les lois fondamentales de l’univers étaient la plupart de ses livres comme Commencement du temps et fin de la physique? (Paris, Flammarion, 1992), La nature de l’espace et du temps (coauteur avec Roger Penrose, Paris, Gallimard, 1997) et Trous noirs et bébés univers et autres essais (Paris, Odile Jacob, 1993).

Gunther Siegmund Stent, né en 1924 à Berlin, professeur émérite de neurobiologie à l’université de Californie (Berkeley). Auteur de nombreux ouvrages scientifiques, il s’est particulièrement intéressé, depuis les années 1960, à l’histoire et à la philosophie des sciences. Il a écrit notamment The coming of the Golden Age; a view of the End of Progress (Garden City, N.Y., Natural History Press, 1969), Paradoxes of Progress(San Francisco, W. H. Freeman, cop. 1978).

Stephen Jay Gould, né en 1941, est un paléontologue qui enseigne la géologie, la biologie et l’histoire des sciences depuis 1967 à l’université de Harvard. Chroniqueur au magazine « Natural History », il est l’auteur d’innombrables articles de vulgarisation scientifiques ainsi que de nombreux livres dont Darwin et les grandes énigmes de la vie (Paris, Pygmalion, 1979), Le pouce du panda : les grandes énigmes de l’évolution (Paris, Grasset, 1982), La foire aux dinosaures : réflexions sur l’histoire naturelle (Paris, Seuil, 1993), L’éventail du vivant : le mythe du progrès (Paris, Seuil, 1997). Il est considéré comme le chercheur scientifique le plus populaire des États-Unis.

John Bagnell Bury, historien (1861-1927), auteur d’une histoire de la notion de progrès qui fait référence jusqu’à nos jours The idea of progress : an inquiry into its origin and growth (New York, Dovar publications, 1955) publiée pour la première fois en 1932. Il y atteste notamment que « l’idée de Progrès signifie que la civilisation s’est déplacée, se déplace et se déplacera encore vers une direction désirable. »

Francis Fukuyama, politologue américain, membre de la Rand Corporation, est surtout connu pour son livreLa fin de l’histoire et le dernier homme (Paris, Flammarion, 1992) qui est une réflexion théorique inspirée par la fin de la guerre froide et de la « victoire » du libéralisme sur le communisme. Il a publié dernièrement La confiance et la puissance : vertus sociales et prospérité économique (Paris, Plon, 1997).

 

Sur la fin de la science
The End of Science: Facing the Limits of Science in the Twilight of the Scientific Age, par John Horgan. New York, Broadway Books, 1997.
Impossibility: The Limits of Science and the Science of Limits, par John Barrow. Oxford, Oxford University Press, 1998.
The limits of science, par Peter B. Medawar. Oxford, New York, Oxford University Press, 1987.
The coming of the Golden Age; a view of the end of progress, par Gunther Siegmund Stent. Garden City, N.Y., Natural History Press, 1969.

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