Molécules

IDÉES

MOLÉCULES

par Jacques Guarinos

 

Le Temps stratégique, No 66Nous ne sommes pas égaux devant la mort
L’espérance de vie des êtres humains, moyennée sur tout le globe, est passée de 61 ans en 1980 à 65 ans actuellement. Mais si la durée de vie a augmenté dans la majorité des pays, elle est en régression dans les pays les plus pauvres. Tandis que les Japonais peuvent espérer vivre jusqu’à 78 ans, les Ougandais voient leur espérance de vie réduite à 43 ans, deux années de moins que ce qu’elle était il y a vingt ans. Si l’Afrique se trouve dans une situation alarmante, les pays de l’Europe de l’Est suscitent aussi quelque inquiétude: l’espérance de vie en Russie a perdu plus de trois années pendant la période 1992-1993. A l’origine de cette situation, la recrudescence ou la réapparition de maladies dues à la pauvreté: le choléra, la tuberculose, la diphtérie et même la peste.

Nouvel élément dans le dossier de la disparition des dinosaures
A la fin de l’ère secondaire, il y a 65 millions d’années, les dinosaures et de nombreuses autres espèces animales et végétales ont brutalement disparu de la surface terrestre. Il semble très probable que cette extinction de masse soit due à la chute d’une énorme météorite à proximité de l’actuelle péninsule du Yucatan (Mexique). Les partisans d’une origine volcanique du désastre ne désarment pas pour autant, les formidables épanchements de lave qui tapissent sur plusieurs kilomètres d’épaisseur la région indienne du Deccan s’étant effectivement mis en place à cette époque, en « seulement » 500 000 ans. Certains spécialistes avaient avancé récemment l’hypothèse que la chute de la météorite aurait pu déclencher de l’autre côté de la planète cette extraordinaire activité volcanique. Des chercheurs indiens viennent de démontrer que cette hypothèse ne tient pas. Ayant réussi à localiser dans le Deccan la couche géologique de sédiments qui, sur tous les continents, marque la séparation entre le crétacé (à la fin du secondaire) et le début de l’ère tertiaire, ils se sont rendu compte que cette couche, riche de l’iridium que la météorite contenait et qu’elle a répandu sur toute la surface du globe, est coincée entre deux coulées de lave. Cela prouve de manière incontestable que le volcanisme du Deccan a commencé à se manifester bien avant que la météorite ne sonne le glas du règne des dinosaures.

Avalanche de « records » dans les sciences de la Terre
En Australie, où l’on trouve les plus vieilles roches terrestres, des chercheurs viennent de découvrir le morceau de croûte continentale émergée le plus âgé de tous ceux que l’on connaît, formé il y a 3 milliards 500 millions d’années. Cette découverte permettra d’affiner la théorie de la tectonique des plaques, selon laquelle l’écorce terrestre est morcelée en une douzaine de plaques dites lithosphériques qui s’entrechoquent et se chevauchent. L’étude de ce doyen du plancher des vaches laisse espérer en particulier une meilleure compréhension des mécanismes de destruction et de création de la croûte continentale, dont on ne sait toujours pas si elle s’accumule sans cesse aux frontières des plaques convergentes, ou si le bilan entre sa création et sa destruction est nul. Dans ce deuxième cas, des continents se seraient formés il y a longtemps, et les distributions actuelles de leurs âges et de leurs masses ne feraient que traduire le lent travail de la dérive des continents. Un autre « record », publié une semaine seulement après la découverte australienne, recule de 800 millions d’années l’âge de la première trace connue de subduction. On appelle subduction le passage d’une plaque lithosphérique sous une autre. En étudiant les profils sismiques d’une région du Canada que sa surface désignait comme une zone de collision entre deux plaques, des chercheurs canadiens ont pu mettre en évidence que cette collision a été précédée par la disparition d’un bassin océanique, en d’autres termes qu’un morceau de croûte océanique est passé sous une plaque avec toute la masse d’eau et de sédiments qu’il supportait, selon le même processus de subduction qui est à l’oeuvre actuellement dans de nombreuses régions du monde… A cette différence près que le phénomène canadien s’est produit il y a 2 milliards 700 millions d’années! On a ainsi la preuve que le mécanisme de la tectonique des plaques, qui explique entre autres la formation des montagnes et des grandes structures géologiques, fonctionne depuis fort longtemps sur notre planète. Rappelons que cette dernière, âgée de 4 milliards et demi d’années, est le seul astre du système solaire à présenter une telle activité. A propos de subduction, on vient de mesurer la plus grande vitesse actuelle de convergence entre deux plaques lithosphériques: de 24 cm/an, elle caractérise l’enfoncement de la plaque du Pacifique sous celle de l’Australie, à l’aplomb des îles Tonga. A cette vitesse, il suffit de 10 millions d’années pour qu’un océan de 2400 km de « large » disparaisse entièrement, une durée comparable à l’âge des premiers hominidés…

© Le Temps stratégique, No 66, Genève, octobre 1995.

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