Mysticisme et physique

Mysticisme et physique nouvelle

Michael Talbot (Paris, Le Mail, 1984)

« Montrer la convergence du mysticisme et de la physique moderne, offrir une perspective de l’univers à partir de cette structure nouvelle et implicite, voilà le sujet directeur de ce livre »

Extraits significatifs ;

p. 15 ; «  »La violente réaction du récent développement de la physique moderne ne peut être comprise que quand on réalise que les fondements de la physique ont commencé à bouger ; et que ce mouvement a créé la sensation que la matière serait coupée de la science. » »

p. 18 ; « C’est à quoi se réfère, semble-t-il, don Juan lorsqu’il dit, dans Histoires de Pouvoir, de Carlos Castaneda : « Le monde ne nous apparaît pas directement ; entre lui et nous se tient la description du monde. »

(…) mais le langage lui-même devient un obstacle. La physique et la métaphysique ont atteint toutes les deux un point où le langage ne fournit plus aucune information. »

p. 19 ; « En métaphysique également, il y a de nombreuses situations où le langage ne nous apporte pas d’information. Dans le livre de John Blofeld, The Zen Teaching of Hui Hai, un disciple demande au maître zen: « Que signifie percevoir le vrai Buddhakaya? » Hui Hai répond : « Cela signifie ne plus percevoir quelque chose comme existant ou non-existant… Existence est un terme utilisé par opposition à non-existence, alors que non-existence est utilisé par opposition à existence. A moins que vous ne commenciez par admettre le premier terme, l’autre ne peut pas tenir. De façon similaire, sans le concept de non-existence, comment est-ce que celui d’existence peut avoir un sens ? Ces deux termes sont par leur mutuelle dépendance, et ils appartiennent au royaume de la naissance et de la mort. C’est en fait en évitant une telle perception dualiste que nous pouvons être amenés à voir le vrai Buddhakaya. »

(…) Cet apparent dilemme devrait servir à mettre en évidence les limites du langage. »

p. 23 ; « nous sommes incapables de comprendre l’infini.

(…) La difficulté qu’elles présentent réside dans le fait que l’infini ne se conforme pas aux conditions ordinaires de quantité et de nombre.

(…) L’intuition nous induit en erreur, le langage nous trahit, et nous verrons que notre compréhension de l’univers repose sur des modes de pensée que la civilisation occidentale commence à peine à sentir. La découverte de ces formes indéterminées, notre manière d’en parler et d’y penser se situent précisément là où convergent le mysticisme et la physique nouvelle. »

p. 24 ; « Les auteurs précisaient : « Ce schéma satisfait d’une part les postulats de la physique moderne, et d’autre part ceux de la psychologie. » »

p. 25 ; « C’est ce qu’exprime sir James Jeans dans The Mysterious Universe. « De nos jours, écrivait-il, il existe un consensus -et en ce qui concerne les sciences physiques il est presque unanime- pour dire que le courant de la connaissance est en train de s’orienter vers une conception non-mécanique de la réalité. L’univers commence à se présenter plus comme une grande pensée que comme une grande machine. L’esprit n’apparaît plus comme un intrus accidentel dans le royaume de la matière ; nous commençons à nous rendre compte que nous devrions plutôt saluer en lui le créateur et l’organisateur de ce royaume de la matière… »

p. 26 , « Nous touchons là à l’essentiel même du rêve.

(…) Il reste à voir comment la nature omnijective de la réalité transformera la civilisation occidentale. La seule certitude que nous ayons à ce sujet est que cette transformation sera stupéfiante. »

p. 29 ; « Pour décrire ce qui est arrivé, il faut remplacer l’ancien mot d' »observateur » par celui de « participant ». De façon assez étrange, l’univers est un univers de participation. »

John A. Wheeler,

The physicist’s Conception of Nature »

p. 32 ; Laplace et le concert mécaniste, la causalité reine ; « Dans son Essai philosophique sur les probabilités(1814), Laplace résuma cette croyance en disant : « Nous devrions considérer l’état actuel de l’univers comme le résultat de ses états antérieurs, et comme la cause de celui qui va suivre. Étant donné, à un instant, une intelligence qui pourrait comprendre toutes les forces de la nature et la situation respective des éléments qui la composent (…) pour elle, rien ne serait incertain et le futur, comme le passé, serait présent à ses yeux. »

p. 33 ; « D’un poids oscillant au bout d’un ressort jusqu’au mouvement des planètes, tous les corps représentaient des systèmes obéissant aux lois apparentes de la causalité. »

p. 37 ; « Parce que les particules quantiques présentent une complémentarité-elles ont à la fois les propriétés d’une particule et celles d’une onde– cette équation est connue sous le nom de fonction d’onde de la particule. »

p. 38 ; Le chat de Shrödinger ; « On retrouve la question de l’indéterminisme, illustré d’une façon dramatique, dans ce qu’on appelle le paradoxe du « chat de Shrödinger ». Le problème est le suivant : un chat est enfermé dans une pièce avec un compteur Geiger contenant assez de matière radioactive pour que, exactement une heure plus tard, il y ait 50 % de chances pour qu’un des noyaux se désintègre. Sous la décharge du compteur, un marteau qui y est relié cassera un flacon de gaz empoisonné. Au bout d’une heure, selon la fonction d’onde de Shrödinger, le système aura donc une forme où le chat vivant et le chat mort seront « mélangés » en proportion égale. L’équation prédit que le chat sera en même temps vivant et mort. Si l’on effectue l’expérience, naturellement, une seule des deux solutions observables aura lieu ; ceci amena Schrödinger à considérer que les mathématiques créent une paradoxale et inacceptable description de la réalité. »

p. 47 ; « Le physicien Jack Sarfati établit de manière similaire, dans un article intitulé « Implications of Meta-physics for Psycho-energetic Systems » qu' »une des idées les plus significatives pour le développement des systèmes psycho-énergétiques est que la structure de la matière ne peut pas être indépendante de la conscience. »

p. 54 ; « Pour tous ceux qui ont passé leur vie à essayer de pénétrer les secrets de la matière, la physique nouvelle apporte un message ; pas un message nouveau, mais un message qui peut très bien devenir l’une des plus grandes re-découvertes que l’humanité ait jamais faite. Peut-être le changement sera-t-il ressenti comme un roulement de tonnerre.

(…) Nous avons pénétré la matière, y avons trouvé l’illusion -et un peu de nous-même. »

p. 55 ; «  »Il est aujourd’hui à peu près certain que le « siège de la conscience » ne sera jamais découvert par un neurochirurgien, parce qu’elle paraît moins impliquer un organe, ou plusieurs organes, que l’interaction de champs d’énergie à l’intérieur du cerveau. Ces modèles d’énergie seraient perturbés par une intervention chirurgicale, et ils ont disparu depuis longtemps dans les cadavres. Les neurophysiologistes ne découvriront probablement pas ce qu’ils recherchent hors de leur propre conscience, car ce qu’ils recherchent est cette chose même qui est en train de chercher. »

Keith Floyd,

Of Time and the Mind. »

p. 56 ; « La propriété « holographique » -toutes les parties sont contenues dans le tout- est quelque chose de remarquable »

p. 64 ; « La téléologie, selon la définition du Webster, est la croyance que les phénomènes naturels ne sont pas seulement déterminés par des causes mécaniques, mais par un dessein (une finalité) plus général inscrit dans la nature. »

p. 74-75 ; Le bootstrap de Chew ; « Le glissement d’un univers causal vers un univers téléologique, l’interdépendance de toutes les parties contenant la totalité, l’idée de Burr que la gravité doit être vue comme un maître-champ gouvernant l’organisation de tous les phénomènes-tous ces points de vue sont en totale contradiction avec nos notions de physique classique. En 1968, le philosophe Geoffrey Chew formula la fameuse théorie du « Bootstrap« , qui fit reprise et développée par F. Capra. Cette théorie rejetait définitivement la conception mécaniste du monde, telle qu’elle fut arrêtée par Newton. On n’y voit plus le monde comme quelque chose de construit à partir d’entités fondamentales et régi par des propriétés fondamentales. On n’y conçoit plus l’univers comme un assemblage de parties indépendantes, comme des touches de peinture d’un tableau impressionniste. C’est un hologramme, une trame dynamique d’événements reliés dans laquelle toute partie détermine la structure de l’ensemble.

L’approche holographique de la conscience (et à vrai dire l’approche holographique de l’univers tout entier) est sûrement celle qui relie le plus physique et mysticisme sans qu’aucun de ces deux domaines ne perde son identité. on se souvient de la parabole du filet d’Indra, dans l’Avatamska Sûtra, où l’univers est perçu comme une sorte d’immense réseau cosmique où les choses et les gens s’entremêlent. « Dans le paradis d’Indra, il est dit qu’il existe un filet de perles disposées de telle manière que si vous regardez l’une d’elles, vous voyez toutes les autres qui se reflètent en elle. De façon identique, chaque objet du monde n’est pas simplement lui-même, mais il comprend tous les autres objets, et il est en réalité toutes les autres choses. Dans chaque parcelle de poussière, il y a des Bouddha présents sans nombre. »

p. 91 ; Heisenberg après ses passionnantes discussions avec Bohr : la nature peut-elle vraiment être aussi absurdes ? ; « Est-ce que les unités fondamentales de l’âme peuvent être quelque chose qui n’ont affaire ni avec notre langage, ni avec nos conceptions courantes ? Heisenberg a vivement dépeint le choc qu’il avait ressenti comme physicien dans son livre Physique et Philosophie : « Je me souviens des discussions que nous avions, Bohr et moi, qui se poursuivaient très tard dans la nuit, et se terminaient presque dans le désespoir ; et, lorsqu’après cela, je partais seul me promener dans un parc voisin, je me répétais sans cesse la même question : la nature peut-elle vraiment être aussi absurde qu’elle nous semble l’être dans ces expériences sur les atomes? »

p. 92 ; l’insuffisance du langage pour décrire la réalité ; « Il sous-entendait que la nature absolue de la réalité est au-delà d’une description verbale. Un des points communs au mysticisme et à la physique nouvelle est en effet que tous les deux convergent vers cette insuffisance du langage. »

p. 93 ; les mots ; « Ils sont ainsi tous des trahisons de la raison. »

p. 94 ; « la lumière se comportait bien plus comme des particules, ou des photons, et qu’elle était distribuée de manière discontinue, en quanta. »

p. 96 ; « De plus, aucun physicien ne verra jamais, ni ne touchera jamais, un électron , car l’électron est un phénomène que ni nos concepts ni notre langage ne peuvent cerner. »

p. 104-105 ; l’univers : une pensée géante et non une machine géante ; « L’idée de James Jeans, d’opposer un univers qui serait une pensée géante au lieu d’une machine géante, fut reprise en écho par la physique quantique. Jack Sarfati écrit : « Des signaux circulent à travers les interférences des wormholes, sans cesse en train d’apparaître et de disparaître, et ils fournissent des communications instantanées entre toutes les parties de l’espace. On peut comparer ces signaux aux impulsions nerveuses d’un immense cerveau cosmique qui se serait infiltré dans toutes les parties de l’espace. Cette vision géométrique des choses est motivée par la relativité générale d’Einstein. Un point de vue semblable est donnée par l’interprétation de la mécanique quantique de Bohm. A mon avis, ce n’est pas un accident, car je soupçonne la relativité générale et la théorie quantique d’être deus aspects complémentaires d’une théorie plus profonde qui engagerait une sorte de conscience cosmique comme concept-clé. » »

p. 106-107 ; on ne peut analyser l’univers en le divisant en parties, selon la méthode cartésienne ; « Le travail de Bohm et Hiley a révélé qu’on ne pouvait pas analyser l’univers en le divisant en parties. Selon leurs propres termes:

« Notre travail a fait ressortir de manière intuitive comment et pourquoi un système quantique à plusieurs corps ne pouvait pas être convenablement analysé en parties existant séparément, avec des relations dynamiques fixes et déterminées entre elles. Il faut plutôt voir ces parties en connexion les unes avec les autres, et considérer que leurs relations dynamiques dépendent, d’une manière irréductible, de l’état de système en totalité (et à vrai dire de systèmes plus vastes dans lesquels elles sont contenues, systèmes s’étendant en principe jusqu’à l’univers tout entier). Ainsi, on est conduit à la notion de totalité indivise de l’univers qui nie l’idée classique d’analyse du monde en parties existant séparément et indépendamment les unes des autres… »

On peut encore penser que l’état de rêve se substituerait encore une fois à une totalité indivise. Et que la relation entre deux particules qui dépendent de quelque chose se situant au-delà de ce qui peut être décrit en terme de particules prises isolément indique que l’univers est holistique ou global. Comme le modèle holographique de conscience présenté au chapitre précédent, comme la conscience cosmique de Sarfatti, ou la pensée géante de Jeans, la totalité indivise de l’univers de Bohm et Hiley nous fournit une image de l’univers que les mystiques ont prônée pendant des siècles. »

p. 123-124 ; Concept espace-temps, relatif ; « Et ils proposent le même arrière-plan tachyonique que celui utilisé par Sarfatti et Wolf : équivalent à un cadre de référence (comme l’aurait été celui de l’éther) dans lequel « notre » ordonnancement temporel des événements n’est seulement qu’un ordonnancement parmi tous les autres possibles. Comme le dit John A. Weelher : « Ces considérations montrent que les concepts d’espace-temps et même de temps ne sont pas primordiaux, mais sont des idées secondaires dans la structure de la physique théorique. Ces concepts sont valables dans une approximation classique. Cependant, ils n’ont ni signification ni application dans certaines circonstances, quand par exemple des effets quantiques géométricodynamiques prennent de l’importance. On doit alors renoncer à cette vision de la nature dans laquelle chaque événement, passé, présent, ou futur, occupe sa position prédéterminée dans le grandiose album appelé espace-temps. Il n’y a pas d’espace-temps, il n’y a pas de temps, il n’y a pas d’avant, il n’y a pas d’après. La question, qu’arrive-t-il ensuite, est sans signification. »

Encore une fois, nous sommes confrontés à la physique existentielle de Finkelstein. Dans la vie de tous les jours nous pouvons fonctionner efficacement avec l’idée de temps absolu. Mais la boussole du physicien indique quant à elle une direction que nos esprits ont du mal à concevoir. Des phénomènes tels que le potentiel quantique et l’existence possible du tacyon suggèrent qu’au moins certaines portions de notre univers et, si la théorie du Bootstrap appliqué à la conscience et à la réalité est correcte, certaines portions de notre conscience) existent hors du temps. L’existence d’une région de l’ailleurs au-delà du cône lumineux est une intuition qui est défendue depuis longtemps par les mystiques. Maintenant elle est avancée par des physiciens. Ceci n’est pas sans conséquences sur notre manière de voir la structure du temps. »

p. 205 ; « L’apport capital de la physique, c’est qu’elle offre une base scientifique à la religion. Voilà quelque chose de complètement nouveau dans l’histoire de la civilisation occidentale, et nous allons sans doute en ressentir le choc dans tous les aspects de notre vie. »

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