La révolution qui vient

De l’infosphère à l’hyper-histoire: anatomie d’une révolution à venir

par Réda Benkirane


Lectures, Le Temps, 6 janvier 2015

Dans «The Fourth Revolution», le philosophe Luciano Floridi décrit comment le numérique transforme profondément le monde réel

Luciano Floridi, The Fourth Revolution, Oxford University Press, 272 p.

The 4th RevolutionLa révolution numérique ne marque pas seulement la formation d’une nouvelle couche infosphérique au sein de la biosphère: elle va radicalement transformer notre environnement physique ainsi que les sociétés et les objets matériels qui s’y déploient. Telle est la thèse de The Fourth Revolution qui décrit finement la connexion généralisée d’ores et déjà à l’œuvre.

L’auteur, philosophe de l’information, définit la nouvelle révolution comme la capacité de l’humanité à s’auto-connaître, succédant à la révolution copernicienne (où l’homme n’est plus au centre du cosmos), à la darwinienne (où il n’est plus le centre de l’univers biologique) et à la freudienne (où sa conscience n’est qu’un îlot au sein de l’inconscient). Cette quatrième révolution survient alors que l’humanité franchit une nouvelle étape de son rapport à l’information: après la préhistoire (des sociétés sans écriture), l’histoire, voici le temps de l’hyper-histoire où le sociétal n’est pas seulement relié aux technologies de l’information et de la communication (TIC), mais où il en dépend désormais de manière cruciale. De moyens de stockage et de transmission, ces technologies ont évolué, au cours de milliers d’années, pour devenir des moyens de traitement de l’information.

Le tiers de l’humanité est d’ores et déjà en ligne, disposant d’une puissance de calcul colossale et bon marché. Avec plus de puissance informatique dans une voiture actuelle que dans toute la fusée Apollo de 1969, nous évoluons désormais au sein d’océans de données (Big Data) et de l’Internet des objets (25 milliards d’appareils connectés en 2015). Mais ces technologies de rupture posent des problèmes nouveaux, comme par exemple le fait que leur mémoire est oublieuse, car moins stable que celle de l’univers analogique. Le paradoxe de l’hyper-histoire est que l’on produit désormais plus de données que de mémoire de stockage. Selon l’auteur, si l’histoire témoigne de tout ce que les hommes ont cherché à préserver, l’hyper-histoire se soucie de tout ce qu’il faut effacer, quand la moitié des données numériques produites est pollution (et qu’on ne sait pas encore identifier précisément cette masse putréfiée de l’infosphère).

L’auteur esquisse avec prescience tout ce qui se joue avec les technologies de Soi – où la télédiffusion de soi-même, les flots continus d’externalisation de la conscience et l’interaction numérique façonnent nos représentations identitaires, ignorant la distinction entre «l’ici» analogique et le «là-bas» numérique, privilégiant désormais le sentiment d’appartenance virtuelle à celui de possession matérielle. Mais surtout, l’auteur montre comment la quatrième révolution démultiplie le nombre et la puissance d’agents multisystèmes capables de traiter les questions globales: il prévient ainsi des bouleversements qui affectent des entités et des réalités directement liées à l’Etat, aux partis politiques et à la citoyenneté.

Réda Benkirane

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