Le Tao de la Physique
Fritjof Capra (Paris, Sand, 1975)
« Les lois de la physique moderne confirment les concepts qui régissent les mystiques de l’Asie: Hindouisme, Bouddhisme, Taoïsme. »
L’auteur a également écrit Le temps du Changement et la Sagesse des Sages.
Extraits significatifs :
p. 32 ; « La connaissance et les activités rationnelles constituent certainement la majeure partie de la recherche scientifique, mais non pas le tout. La part rationnelle de la recherche serait, de fait, vaine si elle n’était pas complétée par l’intuition, qui donne aux scientifiques de nouveaux aperçus et les rend créatifs. Ces aperçus sont soudains et, d’une manière caractéristique, surviennent non pas lorsqu’on est assis à une table de travail, à résoudre des équations, mais lorsqu’on se détend dans son bain, durant une promenade en forêt, sur la plage, etc. Durant ces périodes de relaxation après une activité intellectuelle concentrée, l’intuition semble prendre la relève et peut produire l’aperçu lumineux et soudain qui procure tant de joie et de délices au chercheur. »
p. 61 ; « Lorsque Faraday produisit un courant électrique dans une bobine de cuivre en déplaçant un aimant près d’elle, puis transforma le travail mécanique de déplacement de l’aimant en énergie électrique, il amena la science et la technique à un tournant. son expérimentation fondamentale donna naissance, d’une part, à la vaste technologie de l’énergie électrique, de l’autre, à la constitution de la base de ses théories spéculatives et de celles de Maxwell, qui, par la suite, aboutirent à une théorie complète de l’électromagnétisme. »
p. 63 ; « Il dut réaliser intuitivement, même s’il ne le dit pas explicitement, que les entités fondamentales dans la théorie étaient les champs et non les modèles mécaniques. Ce fut Einstein qui reconnut clairement ce fait cinquante ans plus tard lorsqu’il affirma l’inexistence de l’éther et que les champs électromagnétiques étaient des entités physiques par eux-mêmes, qui pouvaient se propager à travers un espace vide, et dont on ne pouvait donner une explication mécanique.
Au début du XXe siècle, les physiciens se trouvèrent donc en possession de deux théories efficientes s’appliquant à des phénomènes différents : la mécanique de Newton et l’électrodynamique de Maxwell. Ainsi le modèle newtonien avait-il cessé d’être la base de toute la physique. »
p. 64 ; « …les notions d’espace et de temps absolus, de particules élémentaires solides, de phénomènes physiques de nature strictement causale, ainsi que l’idéal d’une description objective de la nature. Aucun de ces concepts ne pouvait être étendu aux nouveaux domaines où les physiciens menaient désormais leurs investigations.
(…) Einstein croyait fermement en l’harmonie inhérente à la nature et sa préoccupation la plus profonde, tout au long de sa vie scientifique, fur de trouver un fondement unitaire de la physique.
(…) Selon la théorie de la relativité, l’espace n’est pas tridimensionnel et le temps n’est pas une entité séparée. »
p. 65 ; « …la masse n’est rien d’autre qu’une forme d’énergie.
(…) La force de gravité, selon la théorie d’Einstein, a comme effet de « courber » l’espace et le temps. Cela signifie que la géométrie euclidienne courante n’est plus valable dans untel espace courbe, de même que la géométrie bidimensionnelle d’un plan ne peut être appliquée à la surface d’une sphère.
(…) Sur une sphère, cependant, ce procédé est inutilisable car les règles de la géométrie euclidienne ne valent pas pour les surfaces courbes. »
p. 67 ; « Le diamètre d’un atome est à peu près d’une centaine de millionième de centimètre. »
p. 68 ; « Ces lois (de la Physique atomique ), toutefois, ne furent pas aisées à découvrir. Elles furent découvertes dans les années 1920 par un groupe international de physiciens parmi lesquels le Danois Niels Bohr, le Français Louis de Broglie, les Autrichiens Erwin Schrödinger et Wolfgang Pauli, l’Allemand Werner Heisenberg et l’Anglais Paul Dirac. »
p. 69 ; « Les expérimentations de Rutherford montrent que les atomes, au lieu d’être durs et indestructibles, se composent de vastes étendues d’espace dans lesquelles des particules extrêmement petites se meuvent, puis la théorie quantique fit apparaître clairement que même ces particules n’ont rien à voir avec les objets solides de la physique classique. Les unités subatomiques de la matière sont des unités très abstraites qui ont un double aspect. Selon la manière dont nous les observons, elles apparaissent tantôt comme des particules et tantôt comme des ondes ; or cette double nature apparaît également dans la lumière, qui peut prendre la formes d’ondes électromagnétiques ou de particules. »
p. 70 ; « Les quanta de lumière, qui donnèrent son nom à la théorie des quanta, ont depuis été reconnus comme des particules et sont maintenant nommés photons. ce sont des particules d’une espèce spéciale, de masse nulle, se propageant toujours à la vitesse de la lumière.
L’apparente contradiction entre l’image de la particule et celle de l’onde fut résolue d’une manière totalement inattendue qui remit en question les fondements véritables de la conception mécaniste du monde -la notion de la réalité de la matière. Au niveau subatomique, la matière n’existe pas avec certitude à des places définies, mais manifeste plutôt une « tendance à exister », et les événements atomiques ne surviennent pas avec certitude, mais manifestent plutôt des « tendances à survenir ». Dans la formulation de la théorie quantique, ces tendances sont exprimées comme des probabilités et sont associées aux quantités mathématiques qui prennent la forme d’ondes.
(…) La théorie quantique révèle ainsi l’unicité de l’univers. Elle montre que nous ne pouvons décomposer le monde en ses plus petites unités existantes. »
p. 71 ; « En physique atomique, nous ne pouvons jamais parler de la nature sans, simultanément, parler de nous-mêmes. »
p. 83 ; « La similitude devient apparente dans les théories des quanta et de la relativité, et devient même plus manifeste dans les modèles « quantiques-relativistes » de physique subatomique où ces deux théories se combinent pour produire le plus frappant parallèle avec la philosophie orientale. »
p. 101-102 ; « Le sommet de la pensée bouddhiste a été atteint, selon plusieurs auteurs, par l’école Avatamsaka reposant sur le sutra du même nom. Ce sutra est considéré comme le coeur du bouddhisme Mahayana et loué par Suzuki dans les termes les plus enthousiastes :
« Quant au sutra Avatamsaka, c’est réellement le couronnement de la pensée bouddhiste, du sentiment bouddhiste et de l’expérience bouddhiste. A mon avis, aucune littérature religieuse dans le monde ne saurait jamais égaler la grandeur de la conception, la profondeur du sentiment et l’ampleur de la composition atteints dans ce sutra. C’est l’éternelle fontaine de vie d’où aucun esprit religieux ne reviendra assoiffé ou seulement à moitié satisfait. » »
p. 106 ; « En Chine, cet ouvrage est en général simplement nommé le Lao-tseu alors qu’en Occident il est connu communément comme le Tao Te King , le « Classique de la Voie et du Pouvoir », nom qui lui fut attribué ultérieurement. J’ai déjà mentionné le style paradoxal et le langage puissant et poétique de ce livre que Joseph Needham considèrent être « sans exception aucune le plus profond et le plus beau livre de la langue chinoise ».
Le second livre taoïste important est le Tchouang-tseu … »
p. 117 ; « Reconnaissant la relativité du bien et du mal, et ainsi de toutes les conventions morales, le sage taoïste ne s’efforce pas d’atteindre le bien mais tente plutôt de maintenir un équilibre dynamique entre le bien et le mal. »
p. 125-126 ; « Le Soto évite la méthode violente du Rinzaï et vise à la maturation progressive de l’étudiant Zen, « comme la brise printanière qui caresse la fleur l’aide à s’ouvrir. » Il préconise la « tranquille posture assise » et la pratique du travail quotidien comme deux formes de méditation.
Les écoles Soto et Rinzaï attachent toutes deux la plus grande importance au zazen , ou méditation assise, pratiqué dans les temples Zen chaque jour pendant plusieurs heures. la posture correcte et la respiration impliquées par cette forme de méditation sont les premières choses que l’étudiant du Zen doit apprendre.
(…) Comme le dit un poème Zen :
Assis paisiblement, sans rien faire,
le printemps vient, et l’herbe croît d’elle-même.
(…) le petit livre d’Eugen Herrigel, le Zen dans l’art chevaleresque du tir à l’arc . »
p. 134 ; « Cette réalité est nommée Brahman dans l’hindouisme, Dharmakana dans le bouddhisme, Tao dans le taoïsme. Parce qu’elle transcende tous les concepts et les catégories, les bouddhistes l’appellent aussi Tathata, ou « réalité telle qu’elle est » :
Ce que l’âme désigne comme réalité telle qu’elle est, c’est l’unité de toutes choses, le Grand Tout . »
p. 141 ; « »On est conduit à la nouvelle notion d’une totalité continue infirmant l’idée classique de déconstruction du monde en parties existant séparément et indépendamment (…) Nous avons inversé la notion traditionnelle selon laquelle les « parties élémentaires » du monde en constituent la réalité fondamentale, et les divers systèmes sont seulement des figures et des combinaisons particulières et contingentes de ces parties. Nous dirons plutôt que l’interconnexion quantique de l’univers dans son ensemble est la réalité fondamentale et que les parties fonctionnant de façon relativement interdépendante sont simplement des formes particulières et fortuites à l’intérieur de cet ensemble. » »
p. 145 ; « Selon Tchouang-tseu : « La relation avec le corps et ses élément disparaît. Les organes des sens sont laissés de côté. Ainsi, quittant la forme matérielle et disant adieu à mon savoir, je deviens uni à l’omniprésent. Cela je l’appelle s’asseoir pour oublier tout. »
Bien entendu, la physique moderne fonctionne dans un cadre très différent, elle ne peut aller aussi loin dans l’expérience de l’unité de toutes choses. Mais, avec la théorie atomique, elle a accompli un grand pas vers la vision du monde des mystiques orientaux. La théorie quantique a aboli la notion d’objets séparés et introduit la notion de participant pour remplacer celle d’observateur ; il est désormais nécessaire d’inclure la conscience humaine dans sa description du monde.
On en est venu à percevoir le monde comme un tissu de relations mentales et physiques, dont les éléments sont définissables seulement dans leur rapport à l’ensemble. »
p. 149 ; « »Ce qui fait apparaître tantôt l’obscurité, tantôt la lumière, est le Tao. » »
p. 151 ; « Les physiciens modernes, par conséquent, devraient pouvoir pénétrer le sens des enseignements centraux de l’Orient en les rapprochant des expériences dans leur propre champ. un nombre peu élevé, mais croissant, de jeunes physiciens a même trouvé une telle approche de la spiritualité orientale extrêmement précieuse et stimulante. »
p 152 ; « …l’énergie et la matière ne sont que différents aspects d’un même phénomène. »
p. 157 ; « Force et matière, particules et ondes, mouvement et repos, existence et non-existence. Voici quelques-uns des concepts opposés ou contradictoires qui sont dépassés en physique moderne. »
p. 163 ; « Niels Bohr était bien conscient du parallélisme entre son concept de complémentarité et la pensée chinoise. Lorsqu’il visita la Chine en 1937, à un moment où son interprétation de la théorie quantique était déjà complètement élaborée, il fut profondément impressionné par l’ancestrale idée chinoise de pôle opposés et dès lors, il porta un vif intérêt à la culture extrême-orientale. Dix ans plus tard, Bohr fut fait chevalier en récompense de ses éminentes réalisations scientifiques et ses importantes contributions à la vie culturelle danoise ; et, lorsqu’il eut à choisir une arme pour son blason, son choix se porta sur le symbole chinois de T’ai-Chi représentant la relation complémentaire des archétypes opposés yin et yang . En choisissant ce symbole pour son blason avec la devise Contraria sunt complementa (« Les opposés sont complémentaires »), Niels Bohr reconnaissait la profonde harmonie entre l’ancienne sagesse extrême-orientale et la science moderne occidentale. »
p. 165 ; « La physique moderne a confirmé de façon spectaculaire l’une des idées de base de la spiritualité extrême-orientale : tous les concepts que nous employons pour décrire la nature sont limités, ce ne sont pas des caractéristiques de la réalité comme nous avons tendance à le croire, mais des créations de l’esprit, parties de la carte et non du territoire. Toutes les fois que nous élargissons le domaine de notre expérience, les limitations de notre pensée rationnelle deviennent évidentes et nous devons modifier, voire abandonner, certaines de nos conceptions. »
p. 166 ; « On dit que la porte de l’Académie de Platon à Athènes portait l’inscription : « Que nul n’entre ici s’il n’est géomètre. »
(…) De là l’adage platonicien : « Dieu est géomètre » »
p. 167 ; « Selon les mots d’Henri Margenau :
« La révélation centrale de la théorie de la relativité est que la géométrie est une construction de l’esprit. C’est seulement lorsqu’on accepte cette découverte que l’esprit peut se sentir libre de toucher aux sacro-saintes notions d’espace et de temps, pour étudier le champ des possibilités dont il dispose pour les définir et choisir la formulation qui s’accorde à l’observation. »
(…) Les commentaires de Joseph Needham sur l’astronomie chinoise sont à cet égard très intéressants :
« Les astronomes chinois n’éprouvaient pas le besoin de recourir à des formes géométriques. Les organismes composant l’organisme universel suivaient le Tao, chacun conformément à sa propre nature, et leurs mouvements pouvaient être étudiés sous la forme essentiellement « non représentative » de l’algèbre. Les Chinois étaient donc exempts de cette obsession des astronomes européens, du cercle comme la plus parfaite figure, et ne firent pas l’expérience du carcan médiéval des sphères cristallines. » »
p. 173 ; « Il faut à la lumière huit minutes pour se propager du Soleil à la Terre, et donc nous voyons le Soleil, à tout instant, tel qu’il était huit minutes auparavant. De même, nous voyons la plus proche étoile telle qu’elle existait quatre ans auparavant, et, avec nos puissants télescopes, nous pouvons voir des galaxies telles qu’elles étaient il y a des millions d’années. »
p. 174-175 ; Le « paradoxe des jumeaux » ; « Ce qui est vrai des longueurs l’est également des intervalles de temps. Eux aussi dépendent du système de référence mais, contrairement aux distances spatiales, ils deviennent plus longs lorsque la vitesse relative à l’observateur augmente. Cela veut dire que des aiguilles de montres en mouvement tournent plus lentement, le temps ralentit. Ces horloges peuvent être de types variés : pendules mécaniques, électroniques, ou le battement d’un coeur humain. Si de deux jumeaux l’un effectuait un rapide aller et retour dans l’espace, il serait plus jeune que son frère lorsqu’il reviendrait, parce que tous ses « mécanismes » (organiques), son rythme cardiaque, son flux sanguin, ses ondes cérébrales, etc. auraient ralenti durant le voyage, du point de vue de l’homme sur Terre. Le voyageur lui-même, bien-entendu, n’aurait rien remarqué d’inhabituel, mais, à son retour, il aurait soudain réalisé que son frère jumeau était maintenant beaucoup plus âgé. Ce « paradoxe des jumeaux » est peut-être le plus célèbre de la physique moderne. Il a provoqué des discussions animées dans les journaux scientifiques, dont quelques-unes se poursuivent encore ; c’est une preuve éloquente du fait que la réalité décrite par la théorie de la relativité ne peut être saisie par notre compréhension ordinaire. »
p. 196 ; « L’aspect dynamique de la matière apparaît comme une conséquence de la nature ondulatoire des particules subatomiques et s’avère même encore plus essentiel dans la théorie de la relativité, comme nous le verrons, où l’unification de l’espace et du temps implique que l’existence de la matière ne peut être distinguée de son activité. »
p. 198 ; « …la matière n’est donc jamais inerte, mais toujours en état de mouvement. »
p. 209 ; « »Tandis que la philosophie européenne cherchait la réalité dans la substance, écrit Joseph Needham, la philosophie chinoise la cherchait dans la relation. »
(…) Nous connaissons aujourd’hui plus de deux cents particules, la plupart d’entre elles étant créées artificiellement par des processus de collision et ne durant qu’un temps extrêmement bref; bien moins d’un millionième de seconde! »
p. 211 ; « Dans ces « théories du champ quantique », la distinction entre les particules et l’espace les entourant perd sa netteté originaire et le vide est reconnu en tant que quantité dynamique d’une importance souveraine. »
p. 214 ; « …la distinction classique entre les particules solides et l’espace les entourant est totalement dépassée. »
p. 215 ; « Néanmoins, l’intuition sous-jacente à l’interprétation que donne le physicien du monde subatomique, en fonction du champ quantique, est très analogue à celle du mystique oriental qui interprète son expérience du monde en fonction d’une réalité sous-jacente ultime. A la suite de l’émergence du concept de champ, les physiciens ont essayé d’unifier les divers champs en un champ fondamental unique qui incorporerait tous les phénomènes physiques. Einstein, en particulier, consacra les dernières années de sa vie à chercher un tel champ unique. Le Brahman des hindous comme le Dharmakana des bouddhistes et le Tao des taoïstes peuvent être considérés, peut-être, comme le champ unifié suprême d’où proviennent non seulement tous les phénomènes étudiés en physique, mais aussi tous les autres phénomènes. »
p. 216 ; « * Kuan-tzu , trad. W. A. Rickett, XIII, 36 : une oeuvre sociophilosophique vase attribuée traditionnellement au célèbre homme d’État Kuan Chung, du VIIe siècle av. J.-C. mais plus vraisemblablement une oeuvre hétéroclite écrite aux alentours du IIIe siècle av. J.-C- et reflétant diverses écoles philosophiques. »
p. 218 ; « »L’univers physique chinois aux époque ancienne et médiévale était un ensemble parfaitement continu : le Ch’i condensé en matière palpable n’était pas des particules, mais des objets individuels agissant et réagissant avec tous les autres objets dans le monde, ondulant ou vibrant, dépendant, en dernier ressort, de l’alternance rythmique des deux forces fondamentales, le yin et le yang . Les, objets individuels, donc, possédaient leur rythme intrinsèque. Et ceux-ci étaient intégrés dans le schème général de l’harmonie du monde. »
p. 225 ; « »Toutes les choses en rotation, dit Tchang Tsai se référant au ciel, ont une force spontanée et ainsi leur mouvement ne leur est pas imposé de l’extérieur ». »
p. 227 ; « Quand on sait que le Grand Vide est plein de Ch’i,
On sait que le Néant n’existe pas . »
p. 291 ; « La philosophie du bootstrap marque le rejet décisif de la conception mécaniste du monde en physique moderne. L’univers de Newton était construit à partir d’un ensemble d’entités de base possédant certaines propriétés fondamentales, créées par Dieu et par conséquent non justiciables d’une analyse plus approfondie. D’une façon ou d’une autre, cette notion était implicite dans toutes les théories de la science naturelle jusqu’à ce que l’hypothèse du bootstrap énonçât explicitement que le monde ne peut être compris comme un assemblage d’entités inalalysables. Dans la nouvelle vision du monde, l’univers est conçu comme un tissu dynamique d’événements interconnectés. Aucune des propriétés d’une partie quelconque de ce tissu n’est fondamentale ; elles découlent toutes des propriétés des autres parties, et la cohérence générale de leurs interactions détermine la structure du tissu entier. »
p. 292 ; « Selon Thomas d’Aquin : « Il est une certaine loi éternelle, à savoir la raison, existant dans l’esprit de Dieu et gouvernant l’univers entier*. »
(…) Les physiciens en sont arrivés à constater que toutes leurs théories des phénomènes naturels, y compris les « lois » qu’ils décrivent, sont des créations de l’esprit humain…
(…) Ainsi, on peut expliquer de multiples phénomènes en fonction de quelques-uns, et, par conséquent, comprendre divers aspects de la nature d’une façon approximative sans avoir à les comprendre tous à la fois. Telle est la méthode scientifique ; toutes les théories et tous les modèles scientifiques sont des approximations de la vraie nature des choses…
* Cité par J. Needham, Science and Civilisation in China (Science et Civilisation en Chine) , vol. II, p. 538. »
p. 294-295 ; « Au sens large, l’idée du bootstrap, bien que fascinante et commode, n’est pas scientifique. la science, comme nous le savons, exige un langage fondé sur quelque structure incontestée. Sémantiquement, donc, une tentative d’expliquer tous les concepts peut difficilement être dite « scientifique ». »
« Dans la vision chinoise du monde, la coopération harmonieuse de tous les êtres provient non des ordres d’une autorité supérieure extérieure à eux, mais du fait qu’ils sont tous les éléments d’une hiérarchie d’ensembles formant une structure cosmique, et obéissant aux exigences internes de leur propre nature. »
Selon Needham, les Chinois ne possédaient même pas de mot correspondant à l’idée occidentale de « loi de la nature ». Le terme qui s’en approche le plus est li , que le philosophe néo-confucéen Chu Hsi décrit comme les « innombrables motifs semblables à des veines à l’intérieur du Tao ».
Needham traduit li par « principe d’organisation »… »
p. 297 ; « Selon Sri Aurobindo : « Pour l’intelligence supérieure rien n’est vraiment fini ; elle s’appuie sur le sentiment du tout est dans tout et réciproquement. » »
p. 312 ; « Je crois que la vision du monde impliquée par la physique moderne est incompatible avec notre société actuelle, qui ne reflète aucunement l’interdépendance harmonieuse que nous observons dans la nature. Afin de réaliser un tel état d’équilibre dynamique, une structure économique et sociale radicalement différente sera nécessaire : une révolution culturelle au vrai sens du mot. La survie de notre civilisation entière dépend peut-être de notre possibilité de réaliser une telle transformation. Cela dépendra, en dernière instance, de notre capacité à adopter quelques-unes des attitudes yin de la spiritualité orientale ; à faire l’expérience de la totalité de la nature, et de l’art de vivre en harmonie avec elle. »
p. 313 ; « …lorsque les physiciens se rendirent compte que l’univers pourrait, en fait, être interconnecté d’une manière plus subtile qu’on l’avait jusque-là pensé. Le nouveau genre d’interconnexion apparu récemment, renforce non seulement les similitudes entre les conceptions des physiciens et celles des mystiques, mais ouvre également la possibilité mystérieuse de relier la physique subatomique à la psychologie de Jung et, peut-être même, à la parapsychologie. Cela éclaire d’une manière nouvelle le rôle fondamental de la probabilité dans la physique des quanta. »
Extraits de Le Tao de la physique par Fritjof Capra (Paris, Sand, 1975).