Le défi du développement indépendant

Le défi du développement indépendant,
les conditions de la souveraineté économique dans le Tiers-Monde

Charles-Albert Michalet, éditions Rochevignes, Paris, 1983.

« (…) Cette réflexion part de l’analyse détaillée et sans complaisance de quelques expériences concrètes de développement. Les cas de l’Algérie, de la Tanzanie et du Mexique, ainsi que celui des pays regroupés dans le Pacte Andin , pour la coopération monétaire, illustrent tous à la fois la difficulté et la nécessité de relever aujourd’hui le « défi du développement indépendant » ».

L’auteur est professeur agrégé de sciences économiques, directeur d’un centre de recherches (C.E.R.E.M.) et consultant pour l’O.C.D.E. et les Nations Unies.

 

Extraits significatifs

p. 10 ; « Ce défi du développement indépendant, aucun pays ne peut le relever en solitaire ; si la division internationale du travail révèle aujourd’hui ses limites, l’autarcie n’apparaît en aucun cas comme une solution acceptable. »

p. 13 ; « La dépendance économique apparaît comme le résultat de l’intégration inégale à l’économie mondiale par le jeu d’une division internationale qui reproduit inéxorablement la dichotomie entre pays pauvres et pays riches. »

p. 14 ; « Finalement, la condition d’un développement endogène ou autocentré passe par la mise en place, sur une base nationale ou régionale, des mécanismes internes garantissant la cohérence du processus de croissance : la réalisation d’un équilibre dynamique entre les conditions de la production des biens de consommation et celles des biens d’équipement, l’articulation entre le secteur agricole et le secteur industriel, la répartition équitable du revenu… »

p. 15 ; « La réduction de la contrainte extérieure est nécessaire quand elle bloque ou freine les modalités de régulation interne. Des mesures de « protectionnisme éducateur » à la List – qui ont assez bien réussi à l’Allemagne à la fin du XIXème siècle, qui était elle aussi confrontée à des concurrents plus industrialisés – sont, dans cette optique, concevables. »

« La prise en compte des « besoins essentiels » est considérée comme plus importante que les indices de la production industrielle. »

p. 16 ; « Au centre de cette stratégie se trouve le rôle joué par une demande existante qui émane des couches de la population à revenu élevé. Elle commande ensuite l’évolution ultérieure et les limites que présente l’industrialisation par substitution d’importations. »

p. 32 ; « Pour que le modèle des industries industrialisantes fonctionne, il faut établir une articulation entre secteur agricole et secteur industriel qui permette d’éviter d’édifier des cathédrales industrielles dans le désert et de n’avoir d’autres débouchés que ceux du marché mondial. »

p. 34 ; « La dépendance n’est plus ce qu’elle était. C’est peut-être pour n’avoir pas perçu pleinement les transformations de l’économie mondiale que les économistes les plus préoccupés par la situation dominée de la périphérie sous-développée n’ont pas encore pu définir les voies concrètes d’un développement autocentré. Le paradoxe le plus surprenant, c’est que, d’une manière plus ou moins explicite, ils sont restés prisonniers du paradigme contrre lequel ils s’insurgent : la division internationale du travail. »

p. 35 ; « D’où la revendication d’un « nouvel ordre économique international » où les exportations de produits industriels du tiers-monde vers les économies industrialisées doivent être favorisées par tous les moyens. »

« Les thèses de S. Amin et de A. Gunder Frank sont remarquables pour leur critique de l’ancienne et de la nouvelle division du travail. Leur faiblesse est de déboucher sur des positions extrêmes, dont la réalisation est problèmatique et, surtout, qui ne sont plus adaptées à la transformation de l’économie mondiale. En opposant à la spécialisation internationale la rupture avec le marché mondial, ces critiques de la spécialisation internationale restent à l’intérieur de son champ conceptuel.

Cet échec s’explique largement par une prise en compte insuffisante de toutes les dimensions de l’intégration Nord-Sud. Ils continuent, en effet, à privilégier le marché mondial et les échanges qui s’y nouent. Ils négligent d’autres dimensions qui ont pris une importance croissante durant les quinze dernières années. »

p. 36 ; « – L’internationalisation des échanges : il s’agit de la forme traditionnelle, exclusivement prise en considération par la théorie du commerce international.

– L’internationalisation de la production : elle repose sur les flux

d’investissements directs effectués par les firmes multinationales.

– L’internationalisation des circuits financiers : elle s’inscrit dans le cadre des structures mises en place par les banques transnationales : marché des eurodevises (eurocrédits, euro-obligations), places financières off-shore. »

Sur la notion de « système de l’économie mondiale », c.f. C.A. Michalet, Le capitalisme mondial, (Paris, P.U.F., 1976).

p. 37 ;  » … la hiérarchie des diverses modalités d’internationalisation qui ont été distinguées – échanges, production, finance – reflète une logique dominante d’intégration Nord-Sud. »

p. 41 ; « Les pays du Nord et du Sud, le centre et la périphérie partagent la même histoire. Ils constituent les parties inégalement développées d’un ensemble de plus en plus structuré que nous appelons l’économie mondiale, faute de mieux. Nous pensons aussi que la dynamique de l’intégration et sa logique différenciée sont d’abord impulsées par le centre développé. Cette thèse n’est pas neuve mais, contrairement à l’école de la dépendance qui a toujours défendu ce thème, il nous semble nécessaire de reconsidérer ce qu’elle présente habituellement comme le corollaire de cette conception : le blocage du développement, le développement du sous-développement. En adoptant ce point de vue, on est conduit à répéter désespérement que la seule solution pour la périphérie est la rupture radicale avec le marché mondial alors que les tenants de la thèse opposée ont beau jeu de montrer que certaines économies du tiers-monde ont réussi, avec des succès divers, une accumulation nationale, les Nouveaux Pays Industriels étant présentés comme le témoignage indéniable de ce changement. La dynamique des formes de l’interdépendance permet de reconnaître à la fois l’existence d’une accumulation à la périphérie et le maintien d’effets de domination. »

p. 43 ; « C’est dans cette perspective que le thème de « New Deal planétaire » prend tout son réalisme. Pour aller vite, disons que les pays en voie de développement constituent plus que jamais la « nouvelle frontière » d’un capitalisme essouflé : il n’est pas sans intérêt de rappeler que, les Pays les Moins Avancés mis à part, le taux de croissance des économies du tiers-monde, depuis 1973, a été supérieur à celui des économies les plus industrialisées. Ce phénomène n’est évidemment pas passé inaperçu de ces derniers. D’où l’intérêt des exportateurs, des multinationales et des banques pour les Nouveaux Pays Industriels, où les opportunités sont les plus faciles. D’où aussi la tentation des Etats-Unis, entre autres , de ne plus accorder un statut différent de celui des autres pays industriels et la volonté de les soumettre aux règles du GATT. La grande menace industrielle des NPI, c’est plutôt une grande promesse. »

p. 47 ; « L’importance accordée à l’indusrie légère dans la Charte d’Alger est vite révisée. Dès 1966, on affirme en effet que « la réalisation d’une société socialiste ne pas être fondée sur une industrie légère, industrie qui n’est pas industrialisante et qui renforce la dépendance la dépendance à l’égard de l’extérieur ». Dès lors, le principe de base du modèle d’accumulation algérien devient la mise en place d’industries industrialisantes définies comme « celles dont la fonction économique fondamentale est d’entraîner dans leur environnement, localisé et daté, un noircissement systématique de la matrice industrielle » – c’est-à-dire l’intensification des relations inter-sectorielles – « grace à la mise à la disposition de l’économie d’ensembles nouveaux de machines qui accroissent la productivité du travail et entraînent la restructuration économique et sociale de l’ensemble en même temps qu’une transformation des fonctions de comportement au sein de cet ensemble. » *

* « Ce modèle est élaboré par G. de Bernis : Les industries industrialisantes et l’intégration économique régionale, archives de l’ISEA, n. 1, T. XXI, 1968, et Les industries industrialisantes et les Options algériennes, in revue « Tiers-Monde », n. 47, juillet-septembre 1971.

p. 54 ; « Vingt ans après l’indépendance, l’Algérie présente une tout autre physionomie. Grâce à une croissance industrielle particulièrement accélérée (près de 10 % par an entre 1967 et 1980), elle a effet réussi à créer un important tissu industriel auquel ont été incorporés environ un million de nouveaux travailleurs. Outre les progrès enregistrés sur le plan de l’emploi industriel, un taux d’accumulation record (40 % environ du produit national) a permis d’accroître la production dans nombre de secteurs clés de l’économie (électricité, acier, engrais, ciment, etc. ).

Il en est de même dans le cas mexicain. Parmi les principales réussites, citons l’augmentation continue et rapide du taux global de croissance (7 % en moyenne entre 1965 et 1975), l’expansion notable du secteur industriel, dont la part dans le produit intérieur passe de 28 % en 1965 à 35 % en 1975, et la création massive d’infrastructures. »

p. 55 ; « De son côté, l’expérience algérienne ne manque pas de susciter des réserves. L’absence de démocratie, la bureaucratisation et le manque d’adhèsion populaire à la politique gouvernementale figurent parmi les plus courantes. A celle-ci, on peut ajouter l’inexistence d’une politique d’habitat, la démographie galopante, l’échec de la réinsertion des émigrants, le caractère sauvage de l’urbanisation, le coût exagéré de l’industrialisation. La priorité industrielle a conduit à une surcapacité de production qui se double parfois d’une mauvaise utilisation des installations existantes. »

p. 58 ; « Par ailleurs, la dette extérieure de l’Algérie a augmenté à un rythme rapide. Malgré la croissance spectaculaire des recettes pétrolières, le service de la dette est passé de 8 % des exportations au début des années 1970 à plus de 40 % à la fin de la décennie. La poussée de l’endettement est principalement liée à l’augmentation des importations des biens d’équipement. Mais la lourdeur croissante de coût est en partie le résultat d’une politique systématique d’emprunt, sur le marché financier international, des entreprises publiques encouragées par la Banque centrale. »

p. 68 ; « Un aspect original du cas algérien réside dans le fait que, tout en faisant du secteur industriel la clé du développement autocentré, les planificateurs ont manifesté dès le début le souci d’établir des rapports équilibrés entre l’agriculture et l’industrie. L’articulation des deux secteurs était conçue en deux phases, au cours desquelles les effets réciproques seraient de nature à stimuler la croissance de l’un et de l’autre.

Durant la première phase, la mise en place du potentiel industriel devait permettre la production de certains équipements nécessaires à l’agriculture, ainsi que celle des pesticides, des engrais, etc.

Cette orientation devait concourir, avec la redistribution des terres et la réorganisation de la production agricole, à une augmentation de la productivité des sols et des revenus des masses rurales. De leur côté, les effets industrialisants de l’industrie lourde pousseraient à la création d’une industrie de biens de consommation. Tout est ainsi préparé pour la deuxième phase. Les revenus des paysans, encore en hausse grace à une seconde vague de modernisation, vont « rencontrer » la production de l’industrie légère. Celle-ci absorbera les emplois libérés par les progrès constants de la productivité agricole.

Dans la réalité, les choses se sont passées autrement et les résultats de l’agriculture ont été très décevants. En premier, dans la répartition de l’effort d’investissement, on constate, au fur et à mesure que les plans se succèdent, une très forte diminution de la part revenant à l’agriculture. Elle passe de 16,4 % pour le premier plan (1967-1969) à 4,7 % pour le troisième (1974-1977), alors que l’on avait prévu 16,9 % et 13,2 % respectivement. En revanche, la part d’investissement revenant à l’industrie montre une tendance à la hausse, alors que les prévisions étaient à la baisse. En second lieu, l’esprit bureaucratique avec lequel ont été menées les transformations structurelles de l’agriculture a eu des effets néfastes sur le fonctionnement du secteur.

Dans l’agriculture, l’instauration de l’autogestion, qui concerne 35,3 % de la superficie agricole cultivable, semble être freinée délibérément par le pouvoir, qui redoute ses conséquences politiques. La contagion de l’autogestion, si elle est importée par d’autres domaines de l’économie, peut constituer un « danger » pour le secteur privé et pour les secteurs sous contrôle de l’Etat. La crainte des pouvoirs publics réside dans le risque de voir l’autogestion se généraliser et devenir le principe de l’organisation de l’économie. Afin d’enrayer ce processus potentiel, les autorités ont entamé, à partir de 1963-1964, un processus de récupération du contrôle et de la gestion des domaines autogérés. La gestion étatique de la terre s’est soldée par un comportement bureaucratique de la paysannerie algérienne. Les travailleurs se considèrent désormais comme salariés de l’Etat ; ils se sentent peu concernés après les résultats économiques de « leur » domaine. Ce comportement des travailleurs entraîne des effets qui vont déséquilibrer les objectifs fixés à l’agriculture : faibles rendements, autoconsommation et ventes « illégales », fuite des jeunes travailleurs vers des emplois plus rénumérateurs, situation de double emploi.

La réforme agraire n’intervient qu’avec beaucoup de retard. La Charte de la révolution agraire date en effet de novembre 1971. Le fonds des terres disponibles est constitué, d’une part par des terres communales, départementales et étatiques, d’autre part par des propriétés privées nationalisées. Les attributaires sont tenus de se regrouper en coopératives. Or, l’Etat, soit directement soit par le contrôle du crédit, des approvisionnments et éventuellement de la commercialisation, détient tous les moyens nécessaires pour orienter l’action des coopératives. On constate aujourd’hui l’existence de mauvaises conditions de travail et de vie dans les coopératives, et un fort mécontentement quant à la manière dont ont été préparées et menées les opérations d’attribution. Dans ces conditions, est apparue une attitude de renonciation de la part des bénéficiaires. Elle a entrainé une intensification de l’exode rural, qui touchait déjà le secteur autogéré.

Enfin, troisième aspect critique, on constate l’existence d’une politique de prix défavorable au secteur agricole. Les choix en matière d’indutrialisation ont induit, dans la réalité, un développement autonome de la production industrielle par rapport à l’agriculture. La planification économique algérienne a entraîné une croissance sectorielle inégale et des résultats contraires à ceux escomptés au niveau théorique du modèle d’accumulation : baisse de la productivité du travail agricole, rendements constants ou décroissants de la terre, non-satisfaction des besoins alimentaires, enfin exode rural et désintérêt des paysans pour l’agriculture.

Les implications de la dégradation de l’agriculture sur la balance commerciale du pays sont importantes à considérer du point de vue de l’indépendance économique. Entre 1966 et 1979, les importations de produits alimentaires ont été multipliées par 8,6. C’est une double hémorragie : les exportations ont baissé et il faut consommer une partie de la rente pétrolière pour nourrir une population qui ne veut plus cultiver la terre. P. Judet a pu ainsi constater que, si l’on peut facilement reconnaître la « puissance » de l’industrialisation, on s’interroge en revanche sur les conditions de réalisation de la « force d’entraînement » sur laquelle a été fondée l’hypothèse principale du « modèle d’industrialisation algérien ». Il constate que le passage d’une branche à l’autre, d’une fabrication en amont à une fabrication en aval, ne se produit que si un ensemble de conditions matérielles et immatérielles sont strictement prévues et simultanémement réalisées. Ceci n’a pas été le cas pour l’Algérie, l’effet d’entraînement étant censé s’exercer « automatiquement ». »

p. 74 ; « Aubaine ou malédiction pétrolière ?

La rente pétrolière est au coeur des expériences de l’Algérie et du Mexique. Dans l’un et l’autre cas, on a en effet cru que les hydrocarbures pouvaient fournir les moyens d’un développement plus autonome. »

p. 78-79 ; « Le cas mexicain est exceptionnel en ce sens que la manne pétrolière a surgi soudainement des profondeurs océaniques. Moins spectaculaire, l’expérience algérienne a connu elle aussi les mirages et les réalités de la rente pétrolière. La pétrolisation s’est aussi traduite par une aggravationm brutale du caractère monoexportateur de l’économie algérienne. Pratiquement, tous les postes d’exportations autres qu’énergétiques ont disparu, laissant le commerce extérieur du pays dans une situation de grande vulnérabilité vis-à-vis des fluctuations de la conjoncture internationale. Non sans paradoxe, la stratégie d’autocentrage a conduit, dans ce cas, à une situation qui évoque la dépendance typique des pays qui ont suivi un modèle d’exportations primaires.

Plus généralement, la question de la rente pétrolière pose le problème de l’utilisation par un pays en voie de développement d’une rente exceptionnelle et transitoire dont le montant peut varier sensiblement. Un tel thème mérite réflexion car l’exemple de la rente pétrolière confirme, si besoin était, la nécessité de concevoir le développement comme un processus global dans lequel l’injection directe de ressources sous forme d’un revenu extraordinaire est loin d’être une condition suffisante. Avec toutes ses particularités, l’exemple tanzanien peut lui aussi s’inscrire dans cette problèmatique générale. Les effets pervers de l’aide internationale, qui joue le rôle d’une pseudo-rente pétrolière en décourageant l’effort national et en augmentant l’aversion pour le risque, proviennent également du recours à un mécanisme providentiel. »

p. 80 ; « Avec un revenu par tête six ou sept fois supérieur à celui de la Tanzanie, la déformation de la répartition des revenus constitue en Algérie et au Mexique un problème de la plus grande vacuité. Le modèle de développement algérien, qui accorde au départ une priorité totale à l’industrie sur l’agriculture, et à l’investissement sur la consommation, implique qu’à court et moyen terme certains déséquilibres sociaux soient maintenus, voire accentués. Il est possible qu’ils soient résolus à long terme par les effets d’entraînements du processus de développement. Mais plusieurs indices suggèrent que les déséquilibres sociaux, et en particulier les inégalités concernant les revenus, ne tendent pas à se résorber mais, au contraire, deviennent structurels. L’analyse salariale met en effet en évidence une détérioration des rénumérations réelles de différentes catégories de travailleurs. Plus précisément, il en résulte l’existence d’un déséquilibre accentué entre les rémunérations des ouvriers qualifiés et de la maîtrise et celles du reste des travailleurs. Tout en constituant une contradiction par rapport au discours politique qui prône la réduction des inégalités, cette situation semble relever de la logique même du modèle des industries industrialisantes. Celles-ci sont par ailleurs amplifiées par les salaires élevés versés au personnel administratif.

La tendance à la concentration des revenus rend ainsi davantage aléatoire le passage de la phase d’industrialisation lourde à la production massive de biens de consommation courante. Une telle norme de répartition des revenus tend à déformer la demande en la concentrant sur un nombre réduit de biens de consommation durables. »

« Pour l’Algérie, les conclusions du bilan de la décennie 1967-1978 ont contribué à fixer la stratégie globale du IVème Plan de développement pour la période 1980-1984. La nécessité impérative de procéder à un recentrage de la politique économique a été admise. Ainsi, la philosophie du IVème Plan s’articule autour de deux ensembles de priorités.

Le premier fixe les priorités immédiates et urgentes en matière d’habitat, de revenus, de transferts sociaux et de besoins de consommation. Le second ensemble porte sur la nécessité d’améliorer la productivité de l’appareil de production dans les domaines suivants : agriculture, industrie, banques, transports, commerce, formation, etc. Il faut néanmoins souligner l’existence d’une contradiction entre ces priorités et la structure prévue des investissements : 38,6 % de l’enveloppe globale sont consacrés à l’industrie, seulement 6 % à l’agriculture et 6,4 % à l’infrastructure économique et sociale. Cependant, le secteur de l’habitat connaît une hausse substantielle en passant de 5 % à 15 % des investissements.

D’autre part, les efforts de restructuration de l’appareil de production consacrent effectivement une rupture marquée avec le passé, non sans danger pour l’emploi. De 1967 à 1978, la croissance annuelle de l’investissement (+ 15 %) a été deux fois plus forte que celle de la production intérieure brute (7 %). De 1980 à 1984, la production intérieure doit croître plus vite chaque année (+ 8 %) que l’investissement. Dans le Plan, on veut favoriser aussi un relèvement spectaculaire de la productivité de l’appareil de production algérien. Tâche énorme et complexe qui revient en réalité à dynamiser un immense secteur public englobant le tiers de l’agriculture, les deux tiers de l’industrie, la totalité des banques, du secteur financier, des transports (autres que routiers) et du commerce extérieur.

Cette réorganisation de l’industrie s’articule autour des principes directeurs suivants : plus grande maîtrise dans la gestion des nouvelles entreprises , surtout au niveau des coûts de production, spécialisation des activités, organisation de la distribution, transfert d’activités sur la base du regroupement des unités de production par filière technologique ou par famille de produits.

Des efforts doivent être réalisés pour promouvoir une décentralisation de la planification. Chaque département sera équipé d’une direction de la planification, avec l’institution d’un plan visant à corriger les déséquilibres conjoncturels. Afin de permettre aux communes déshéritées des départements de trouver des débouchés, le ministère de la Planification invite les autorités locales à créer des industries légères.

Enfin, il convient de noter les mesures prises en faveur du secteur privé, dans les domaines de l’hôtellerie (encourager le tourisme populaire), la médecine (ouverture autorisée de quelque cinq cents nouveaux cabinets privés), le code des investissements (réforme du code de 1966, en accordant plus de possibilités et de facilités d’importations), l’agriculture (les exploitants privés ne sont plus tenus de commercialiser leurs produits par les Coopératives Agricoles Polyvalentes Communales de Services). Il n’est pas question de toucher à l’autogestion dans l’agriculture mais, pour remédier aux réultats insatisfaisants de ce secteur, les Algériens envisagent de créer un lien plus étroit entre la terre et celui qui la cultive. Parmi les formules étudiées, un droit à hériter du capital d’exploitation serait reconnu, mais il ne serait pas étendu à elle-même.

Au total, il est évident que ces nouvelles orientations cherchent à s’attaquer à certains problèmes fondamentaux de l’économie algérienne : omniprésene du secteur public, défaillance de la planification centralisée, mauvaise gestion des sociétés nationales, faibles performances de l’agriculture. »

p. 101 ; « En s’intégrant, chaque pays cherche en effet à accélérer son rythme de croissance ; le développement de l’ensemble n’est cependant une priorité pour aucune des parties prenantes de l’accord. Plus encore, l’objectif d’un développement plus autocentré au niveau de la région suppose l’abandon de l’idée d’un développement autocentré sur une base nationale. Cette contradiction n’a pas manqué d’être exploitée par les adversaires de l’intégration. L’expérience andine démontre la difficulté de postuler une solution sous-régionale aux problèmes perçus d’abord comme étant d’origine nationale. »

p. 139 ; « L’un des enseignements majeurs de la réflexion que nous avons menée sur la problèmatique du développement autocentré, qu’il s’agisse de l’analyse des modèles stratégiques ou du bilan des expériences, c’est l’impossibilité de se référer à un modèle unique et figé. Pour éviter de faire de la coopération Nord-Sud un lit de Procuste, il est donc essentiel d’adopter une démarche qui favorise la mise en oeuvre de modalités d’action différentiées et évolutives. »

p. 140 ; »(…) quel que soit le pays -ou la région- considéré, l’analyse fait apparaître un certain nombre de variables qu’une politique axée sur l’indépendance économique doit réduire ou faire disparaître. Nous les rappelons, à dessein, pêle-mêle :

– la mauvaise articulation agriculture-industrie,

– l’urbanisation accélérée et l’exode rural,

– la dépendance technologique,

– le mimétisme dans les normes de consommation,

– l’insuffisance de la formation professionnelle,

– la taille insuffisante des marchés,

– l’absence et la faiblesse d’une planification à moyen et à long terme,

– la répartition inégale du revenu national,

– l’insuffisante diversification des exportations,

– la consommation somptuaire, la corruption, la spéculation, le bureaucratisme, les féodalités…

– la distorsion du système des prix sur des marchés non concurrentiels,

– la faiblesse des revenus agricoles,

– les polarisations régionales déséquilibrantes,

– l’inéquité et l’innéfficacité du système fiscal,

– la mauvaise gestion des grands complexes industriels,

– la faiblesse des échanges Sud-Sud,

– l’absence de structures politiques démocratiques…

(…) D’une part, elle induit une définition de l’économie autocentrée qui est construite par simple symétrie avec le « mauvais » modèle. »

p. 143 ; « (…) d’une part, une redistribution plus égalitaire du revenu national, singulièrement entre revenu agricole et revenu urbain, et, d’autre part, une priorité accordée à la constitution d’un secteur des produits intermédiaires, et surtout des biens d’équipement. »

p. 144 ; « Il exige, pour que le mouvement soit durable, une réduction sélective des importations -biens d’équipements et surtout biens de consommation durables-, la reconquête du marché intérieur et une meilleure mobilisation de l’épargne domestique, par une rénovation des circuits de financement appuyée sur une politique monétaire et des taux de change adéquats. »

p. 145 ; « Elle consiste à rechercher les bases d’une accumulation nationale .(…) La politique du développement autocentré porte en germe la rupture avec les relations verticales Nord-Sud et l’émergence de liaisons Sud-Sud ou Sud-Nord-Sud qui, par définition, sont encore largement inexplorées, aussi bien historiquement que théoriquement. L’absence de linéarité de notre approche n’exclut pas les « régressions ».

p. 146 ; « Elle pourrait avoir pour conséquence, à terme, d’introduire une division des tâches entre pays inégalement développés qui ne ressemblerait ni aux résultalts de la division internationale libérale du travail ni à la conception du nouvel ordre économique international. La voie à explorer, inédite, s’inscrirait dans la ligne d’un co-développement, exigeant, entre autres, une concertation à long terme entre les partenaires pour la mise en place d’ajustements structurels réciproques. »

p. 147 ; « l’agriculture et les besoins essentiels.

(…) – D’un côté, la faim, la malnutrition sont la cause principale de la mortalité et des déficiences physiques et mentales d’une partie importante de la population. De l’autre, le mode de consommation urbain a engendré une forte dépendance vis-à-vis de produits importés.

(…) La réduction de la dépendance alimentaire passe par une diminution de l’emprise de grandes sociétés étrangères de production et de négoce de l’agro-business multinational. »

p. 148 ; « L’orientation des choix industriels doit d’abord répondre aux besoins de l’agriculture : engrais, petit outillage, pesticides.

(…) les actions à entreprendre peuvent être regroupées en trois volets : consommation, production, distribution.

La réduction de la dépense alimentaire passe par une réorientation prioritaire des modèles de consommation urbaine. L’objectif à atteindre est de substituer la consommation de produits locaux à celle des produits importés. La modification des comportements de consommation est extrêmement délicate. Elle peut être favorisée par un certain nombre de mesures : le développement et la production locale des biens alimentaires substituables aux produits importés ; des quotas d’importations ; des taxes sur les produits importés pour lesquels existent des produits locaux substituables…

(…) Le levier le plus efficace est constitué par la politique des prix agricoles.

Enfin, elle exige un freinage de l’émigration vers les zones urbaines dans la mesure où la politique des prix agricoles est partie intégrante d’une politique des revenus. Tant que les revenus du secteur agricole sont perçus comme inférieurs à ceux que l’on peut obtenir dans le champ varié des activités urbaines, il sera difficile de fixer la population rurale »

* Le « modèle a été mis au point par les soins de l’ADECE, dans le cadre d’un contrat avec le BNEDER (Algérie) financé par la Banque Mondiale. »

p. 152 ; « L’amélioration de la situation dans les campagnes se confond largement avec celle de la couverture des besoins collectifs. Le développement autocentré cependant ne peut se limiter à cette dimension. Celui-ci ne peut être confondu avec un modèle passéiste de retour mythique à l’âge d’or des sociétés traditionnelles. Des actions complémentaires doivent donc amorcer une dynamique d’évolution. Nous nous bornerons à l’ébauche d’une politique industrielle. »

p. 153 ; « Il ne s’agit pas d’élargir les zones consacrées aux cultures d’exportation en expulsant les petits agriculteurs voués aux cultures vivrières, mais d’en accroître la rentabilité.

(…) Elles ne doivent être tournées en priorité ni vers le marché mondial ni vers l’industrie lourde. Elles doivent servir à accroître la productivité dans l’agriculture.(…) L’accroissement de la productivité doit d’abord être obtenu dans le secteur des cultures vivrières. L’utilisation de techniques appropriées (au niveau de l’équipement, des engrais, de l’irrigation) est à préconiser pour, à la fois , maintenir la population dans les campagnes et améliorer la liaison avec les villes en matière d’approvisionnement. L’impératif numéro un est de réduire rapidement le déficit alimentaire et par là d’agir directement sur les besoins essentiels.

(…) Cet objectif doit s’accompagner aussi d’un contrôle plus strict des importations de biens de consommation durables, donc d’agir sur la structure de consommation des groupes les plus privilégiés de la population. »

p. 154 ; « Le changement de la politique des prix agricoles à la production, l’introduction d’une technologie appropriée, la transformation sur place des produits primaires, le freinage des dépenses somptuaires de certaines couches sociales : grands propriétaires fonciers, intermédiaires, sociétés d’import-export, sociétés étrangères, technocratie… Sans qu’il soit nécessaire d’insister, il est évident que la perspective d’une sortie graduelle de l’extraversion ne suffira pas à réduire les résistances. »

p. 157 ; « Les chances d’un passage au modèle fordiste où production et consommation croissent harmonieusement sont problématiques. La production pour le marché local est freinée par l’étroitesse de la demande solvable qui reflète elle-même l’inégale répartition du revenu national aggravée par la coupure ville-campagne. La production pour l’exportation est frappée de plein fouet par la récession et, à plus long terme, par la mise en place dans les économies industrialisées de processus productifs automatisés qui rendront caduque la continuation d’un taylorisme périphérique. Il est donc prévisible que l’abandon des espoirs mis dans une intégration dans la division internationale, la doctrine dominante des années soixante-dix, va se généraliser durant la prochaine décennie. Le retour à des stratégies plus autocentrées va s’imposer de lui-même et, par là, rencontrer la conception d’une coopération fondée sur un développement endogène.

(…) En un mot, la répartition du revenu national doit être égalitaire. »

p. 158 ; « Il n’y a donc pas d’autres issue que la naissance d’une initiative autochtone et décentralisée. Cette dernière ne revêtira pas forcément la forme exclusive de l’entreprise privée. Il serait souhaitable au contraire qu’elle se fasse largement par le canal de coopératives de production et de distribution. Le dynamisme de ces initiatives sera largement fonction de la renaissance des campagnes et de l’amélioration du niveau de vie du paysannat. »

p. 159 ; « L’aide publique devrait être allouée de façon prioritaire au financement de la petite entreprise locale, à travers des organismes spécialisés dont il faudrait veiller à ce qu’ils ne reproduisent pas le shéma habituel des institutions bureaucratiques urbaines. »

p. 160 ; « Le secteur des biens d’équipement est le chaînon manquant de l’intégration inter-sectorielle des systèmes productifs de la plupart des pays périphériques. »

p. 161 ; « Le secteur des biens d’équipement ne peut être créé par un coup de baguette magique. Il exige, comme nous venons de le voir, des articulations avec l’amont et l’aval du système productif. Il exige aussi un potentiel technologique très élevé. Cette dernière condition a jusqu’à présent donné un avantage comparatif aux pays industrialisés, qu’ils s’efforcent d’ailleurs de préserver pour maintenir leurs exportations. Il y a peu de différences entre la vente de machines et la vente d’usines clés en main, si ce n’est le montant du contrat. La maîtrise de la fabrication des biens d’équipement constitue une autre affaire. Une position radicalement novatrice de la coopération Nord-Sud serait d’abord de faciliter ce transfert de compétence technique et de know-how et non pas de s’efforcer de sauvegarder sa détention.

Nous apercevons deux points d’application de cette problématique, dans l’industrie légère et dans l’industrie à fort contenu technologique. »

p. 164 ; « La définition en commun, le développement et la production de biens de consommation différenciés répondant à une demande oubliée dans le tintamarre des média peut intéresser à la fois les marchés du tiers-monde et certains marchés du Nord, à commencer par le marché français. La reconquête du marché intérieur au Nord comme au Sud ne devrait pas se réduire à un mimétisme au rabais. Elle doit conduire à une consommation différente. »

p. 167 ; « La philosophie du FMI peut se justifier dans la logique d’une solution à court terme de rééquilibrage de la balance des paiements. Mais l’expérience prouve que le court terme s’allonge et que la mise en place des mesures de remise en ordre simultanées de la société par des régimes politiques autoritaires. En fait, les délais d’ajustement signifient un renversement des stratégies de développement passées -quand elles existaient- et, dans tous les cas, une priorité accordée aux exportations sur la demande intérieure et la restructuration industrielle. Le rétablissement de l’équilibre extérieur, dont personne ne nie qu’il soit souhaitable (pas même les partisans d’un développement endogène) puisqu’il signifie une réduction de la contrainte extérieure, peut s’obtenir par d’autres voies que la déflation. C’est, au fond, tout le pari de la nouvelle coopération. D’autre part, dans les négociations liées au rééchelonnement de la dette, les arguments en faveur de délais de grâce suffisants et de réduction des taux font retrouver le raisonnement qui a présidé à l’allègement des réparations allemandes telles qu’elles avaient été fixées par le traité de Versailles après la Première Guerre mondiale. Une position plus hardie consisterait à plaider la thèse du pur et simple moratoire. Le transfert massif de ressources réclamé par les tenants d’un keynésianisme planétaire se trouverait réalisé d’un seul coup. La relance par le tiers-monde aurait une chance d’entrer dans les faits, mais elle pourrait être sans lendemain si les bases d’un développement autonome n’ont pas été créés. Pendant un certain temps, la manne financière servirait à acheter à l’extérieur puis, avec son épuisement, les choses reviendraient au point de départ. L’illusion pétrolière, quatre siècles après celle de l’or des Amériques, devrait mettre en garde contre les solutions trop simples. »

p. 169-170 ; « La réduction de l’intégration financière telle que nous l’avons définie pose finalement le problème d’un réamènagement du système monétaire international. L’abandon des règles de Bretton Woods n’a pas été suivi par un effort véritable de reconstruction. L’initiative privée, à travers le système eurobancaire, a en fait pris la relève des mécanismes officiels défaillants. Il est indéniable que les banques internationales ont été effiscientes dans le recyclage des capitaux Nord-Sud. Mais cette efficacité ne s’est pas accompagnée de structures garantissant la stabilité de l’ensemble. »

p. 171 ; « Le « défi du développement indépendant » n’est pas une simple formule incantatoire : plus que jamais il répond à une nécessité. »

p. 173 ; « Dans une période où les pays industrialisés attendent désespéremment le retour de la prospérité passée et où la situation des économies se détériore chaque jour davantage, il est plus urgent de tenter de mettre l’imagination au pouvoir pour sortir des conceptions périmées et inefficaces. Il est de plus en plus évident que ni le Nord ni le Sud ne peuvent s’en tirer seuls, chacun de leur côté. L’urgence des problèmes favorise peut être l’émergence de nouvelles formes de coopération. »

 

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