Serpent cosmique

GRANDE ENQUÊTE

Sur la piste du serpent

par Jeremy Narby

Se pourrait-il que les chamanes d’Amazonie dans leurs hallucinations « voient » la double hélice (le double serpent) de l’ADN, cette molécule commune à tous les êtres vivants, et accèdent ainsi aux secrets les plus intimes de la Nature?

Jeremy Narby, docteur en anthropologie de l’Université de Stanford (États-Unis), qui vit en Suisse, a séjourné chez les Indiens Ashaninca d’Amazonie péruvienne de 1984 à 1986. Il a écrit Le serpent cosmique, l’ADN et les origines du savoir (Genève, Georg, 1995), Amazonie: l’espoir est indien (Paris, Favre, 1990) et, avec John Beauclerk et Janet Townsend, Indigenous peoples: a fielguide for development (Oxford, OXFAM, 1988). Il est actuellement responsable de projets amazoniens pour l’organisation d’entraide Nouvelle Planète, basée à 1042 Assens, en Suisse.

 Le motocarro , une espèce de pousse-pousse motorisé, file dans les rues d’Iquitos: l’air me rafraîchit le visage. Mais à chaque feu rouge, la chaleur me rattrape, et le tourbillon des autres motocarros m’assourdit.

J’ai promis à des indigènes de l’Amazonie péruvienne, Aguaruna, Shipibo, Bora, une dizaine de peuples en tout, qui suivent à Iquitos une formation destinée à leur permettre d’enseigner à la fois leur propre culture et le savoir occidental, d’aller leur parler.

Un an plus tôt, en juillet 1995, j’avais en effet évoqué devant eux une hypothèse surprenante. Je leur avais dit qu’à mon sens il existe une relation entre les serpents entrelacés que perçoivent les chamanes amazoniens dans leurs visions, et la double hélice de l’ADN aujourd’hui familière aux biologistes moléculaires.

Ils aimeraient savoir où en sont mes recherches.

Mais que puis-je leur dire?

Tandis que le motocarro fend l’air nocturne, je regarde Iquitos défiler dans le flou brûlant, avec ses vendeurs de rue, ses restaurants chinois, ses vapeurs de gas-oil.

Je me dis que le mieux est, après tout, de leur raconter l’histoire en entier, depuis le début.

Les choses avaient commencé onze ans plus tôt. Je venais d’arriver à Quirishari, dans la vallée du Pichis, en Amazonie péruvienne, dans l’intention d’étudier la manière dont les Indiens Ashaninca utilisent leurs ressources naturelles, une recherche de terrain qui devait durer deux ans et me conduire à un doctorat en anthropologie de l’Université de Stanford.

Pour me familiariser avec la vie des habitants du village, je me mis à les accompagner dans leurs activités, en forêt notamment. Au cours de ces balades sylvestres, je leur posais souvent des questions sur les plantes que nous rencontrions. Je me rendis compte très tôt qu’ils maîtrisaient un savoir botanique littéralement encyclopédique. Ils savaient tout des plantes qui accélèrent la cicatrisation, guérissent de la diarrhée, soignent le mal de dos, neutralisent le venin de tel ou tel serpent. Chaque fois que l’occasion s’en présentait, j’essayais moi-même ces remèdes, vérifiant empiriquement que ce que mes consultants indigènes disaient était exact. Inévitablement, j’en vins à leur demander comment ils avaient appris ce qu’ils savaient.

Ils me répondirent, d’une manière qui me parut fort énigmatique, que leur savoir leur venait des plantes elles-mêmes, que les chamanes, après avoir bu une mixture hallucinogène, parlaient, au sein de leurs visions, avec les essences animées ou esprits des plantes, qui sont les mêmes pour tous les êtres vivants, et en obtenaient de l’information.

Ils ajoutaient que la nature est intelligente et parle un langage visuel, non seulement au travers d’hallucinations et de rêves, mais aussi de signes concrets quotidiens. C’est ainsi, par exemple, disaient-ils, que la plante qui à la base de ses feuilles possède deux crochets blancs similaires à ceux du serpent « fer-de-lance », guérit de la morsure de ce dernier. « Regarde la forme, me disaient-ils. C’est le signe que la nature nous donne ». Comme si une même intelligence animait le buisson et le reptile.

Il va sans dire que je me refusais à prendre leurs déclarations au pied de la lettre. J’avais une formation universitaire et m’estimais capable de distinguer ce qui est réel de ce qui ne l’est pas. Ces Indiens des forêts pouvaient me dire tout ce qu’ils voulaient, ils ne réussiraient pas à me convaincre qu’ils avaient appris la botanique en dialoguant, au cours de leurs hallucinations, avec je ne sais quelle intelligence cachée dans la nature. D’ailleurs, il ne pouvait y avoir aucune information vérifiable dans les hallucinations: après tout, confondre hallucinations et réalité s’appelle psychose…

En outre, mes recherches de doctorat sur l’utilisation que les Ashaninca font de leurs ressources naturelles n’étaient pas neutres. A cette époque en effet, c’était au début des années 1980, de grands organismes internationaux comme la Banque Mondiale rêvaient de « développer » l’Amazonie péruvienne à coups de centaines de millions de dollars. A cette fin, ils tentaient d’obtenir que les territoires des collectivités indigènes de la région soient juridiquement attribués à des colons individuels, venant de la partie non-amazonienne du pays, animés d’une mentalité de « marché », dans l’espoir qu’ils se mettraient alors à , »développer la jungle », c’est-à-dire à la déboiser pour la transformer en pâturages pour le bétail. Une expropriation justifiée, affirmaient-ils, puisque les Indiens sont incapables d’utiliser rationnellement leurs ressources naturelles. Je voulais, à travers mes recherches, démontrer le contraire et avais donc le sentiment qu’en mettant en exergue l’origine prétendument hallucinatoire du savoir écologique des Ashaninca, j’affaiblirais mon argument.

Un soir, pourtant, après quatre mois de terrain, alors que je discutais avec quelques Indiens devant le maison en buvant de la bière de manioc, que je faisais l’éloge de leur savoir botanique et leur posais une fois de plus la question: « Mais comment avez-vous appris tout cela? », Ruperto me répondit: « Vous savez, frère Jeremy, si vous voulez vraiment le comprendre, vous devez boire de l’ayahuasca » -une mixture hallucinogène, qu’il compara à une « télévision de la forêt », ajoutant: « Si vous voulez, je peux vous montrer ça, à l’occasion ». La curiosité me poussa à accepter, d’autant plus volontiers d’ailleurs que Ruperto avait suivi une formation complète d’ayahuasquero et semblait connaître son sujet.

Une nuit, plusieurs semaines plus tard, nous nous sommes donc retrouvés pour boire à quelques-uns de l’ayahuasca, assis sur la plate-forme d’une maison tranquille. L’expérience qui s’en suivit ébranla ma vision de la réalité.
Pablo Amaringo
Peinture de Pablo Amaringo

J’avalai le liquide amer, et presque aussitôt fus pris de nausées. Ruperto se mit alors à chanter des mélodies d’une beauté saisissante. Des images commencèrent à inonder ma tête. Je me retrouvai entouré de serpents énormes, aux couleurs vives et fluorescentes. J’étais terrifié. Les serpents, qui paraissaient plus vrais que nature, m’expliquèrent sans mots que je n’étais qu’un être humain. Je me rendis compte qu’ils disaient profondément vrai, et que ma compréhension habituelle et rationnelle de la réalité avait des limites -à preuve l’incapacité dans laquelle je me trouvais de saisir ce que mes yeux étaient en train de voir. Je m’étais toujours considéré capable de tout comprendre, mais, là, tout à coup, l’arrogance de cette prétention me submergea. Puis je me mis à vomir des couleurs et quittai mon corps pour voler au-dessus de la Terre. Je vis également des images défiler à une vitesse ahurissante, par exemple les nervures d’une main humaine alternant avec les nervures d’une feuille végétale. Les visions défilaient sans relâche, je ne pouvais les retenir toutes. Peu après minuit, elles s’estompèrent, et je m’endormis.

Le lendemain, j’eus, pour la première fois de ma vie, le sentiment d’appartenir intégralement à la nature. J’allai me promener au bord de la rivière. La végétation scintillait au soleil. Je regardai les veines de ma main et vis qu’elles étaient aussi belles que celles d’une feuille.

L’expérience était troublante, parce qu’elle confirmait les dires des Ashaninca, à savoir qu’il est possible d’apprendre des choses dans la sphère hallucinatoire des ayahuasqueros. Et puis, qui étaient ces serpents qui semblaient si bien connaître les humains?

J’étais jeune alors et craignis que mes collègues ne me prennent point au sérieux. Je renonçai donc à creuser la question et évitai soigneusement de la mentionner dans mes recherches . Fin 1986, je regagnai la Suisse pour rédiger ma thèse; deux ans plus tard, j’obtenais le titre de docteur en anthropologie.

En 1989, je commençai à travailler pour Nouvelle Planète, une organisation non-gouvernementale qui s’efforce d’aider les populations locales sur le terrain. Je me mis à sillonner le bassin amazonien afin d’enregistrer les projets d’organisations indigènes anxieuses de démarquer et de titulariser leurs territoires, et à parcourir l’Europe afin de récolter des fonds pour les y aider. Ce travail m’occupa à plein pendant quatre années. J’étais heureux que ma formation d’anthropologue puisse être utile à ceux qui m’avaient servi de sujets d’étude. Je donnais des conférences pour expliquer qu’il est écologiquement sensé de démarquer les territoires des peuples indigènes de la forêt amazonienne, et que leurs techniques agricoles, fondées sur la polyculture et le déboisement de petites surfaces, sont parfaitement rationnelles.

Mais plus je discourais, et plus j’étais conscient de taire certaines choses, en particulier que les Indiens affirment tenir leur savoir botanique d’hallucinations provoquées par l’ingestion d’une décoction de plantes.

En juin 1992, j’assistai au Sommet de la Terre de Rio. Les gouvernements participant à cette méga-conférence sur le développement et l’environnement manifestèrent formellement leur intention de prendre en considération les peuples indigènes et leurs connaissances spécifiques. Subitement, tout le monde s’était en effet mis à parler du savoir écologique des peuples indigènes -sans que personne d’ailleurs ne mentionne jamais l’origine éventuellement hallucinatoire de ce savoir. Je me sentis donc le devoir de reprendre cette question qui, me dis-je, ne manquerait pas de surgir si, un jour, le dialogue avec les peuples indigènes se nouait vraiment. Et puis j’avais, je l’avoue, une autre motivation, personnelle: je voulais éclaircir la question de l’identité des serpents aperçus dans mes hallucinations, à Quirishari, sept ans plus tôt.

Je me lançai sur la piste du serpent de manière tout à fait délibérée cette fois-ci.

Douze mois après la conférence de Rio, je décidai même de mener une enquête suffisamment approfondie sur l’énigme du savoir hallucinatoire amazonien pour en tirer la matière d’un livre, que j’intitulai provisoirement Hallucinations écologiques. Le directeur de l’organisation qui m’emploie me donna son accord, ajoutant même: « Prends ton temps. » J’étais prêt à entamer mes recherches.

Mais par où devais-je commencer?

Ma réaction instinctive eût été de retourner en Amazonie péruvienne pour y vivre quelque temps encore avec des ayahuasqueros . Mais ma vie avait changé. Je n’étais plus un jeune anthropologue sans attache, mais un père de famille avec deux enfants en bas âge. Mon enquête allait donc devoir se centrer autour de mon bureau villageois en Suisse et de la bibliothèque universitaire la plus proche.

Je commençai par me plonger dans la littérature anthropologique sur le chamanisme. Je lus pendant des mois et pris des centaines de pages de notes catégorisées. Ce travail me fit apparaître qu’à travers l’immensité de l’Amazonie occidentale, des dizaines de peuples indigènes utilisent l’ayahuasca et affirment qu’il est la source de leur savoir botanique. Les anthropologues ont souvent signalé leurs propos, mais n’y ont jamais vu cependant que des métaphores, tant ils étaient convaincus que les Indiens ne pouvaient avoir acquis leur savoir botanique que par expérimentation aléatoire.

Or, il suffit de considérer les recettes de certaines mixtures indigènes, le curare par exemple, pour se rendre compte que pareille explication est insuffisante. On sait que ce poison, d’origine amazonienne, a révolutionné la médecine moderne, du jour où, dans les années 1940, les scientifiques ont découvert qu’il paralyse tous les muscles, y compris ceux de la respiration, et facilite donc grandement la chirurgie des organes vitaux. Il existe dans le bassin amazonien quarante sortes de curare, élaborés à partir de quelque soixante-dix espèces végétales différentes. Pour fabriquer le curare qu’utilise la médecine moderne, il faut combiner plusieurs plantes et les cuire dans de l’eau pendant soixante-douze heures, en évitant de respirer les vapeurs parfumées mais mortelles qu’elles dégagent. Le produit de cette cuisson est une pâte concentrée, active seulement par voie sous-cutanée: si on l’avale ou si on l’étale sur la peau, ses effets sont anodins. Il est difficile de comprendre comment quelqu’un aurait pu tomber sur une recette aussi compliquée en expérimentant au hasard -surtout si l’on considère qu’il existe dans la forêt amazonienne 80 000 espèces de plantes au moins.

Après avoir examiné de façon relativement détaillée les données ethnographiques, botaniques et neurologiques, j’en vins à considérer la possibilité que les chamanes amazoniens accèdent réellement à de l’information dans leurs hallucinations. S’il en était ainsi, me dis-je, l’énigme du savoir hallucinatoire se réduit à une seule question: l’information qu’ils acquièrent vient-elle de l’intérieur du cerveau (comme la science le dit des hallucinations) ou vient-elle du monde extérieur, du monde des plantes (comme ils le disent eux-mêmes)?

De l’intérieur ou de l’extérieur? Telle était la question.

Le premier jour de printemps où il fit soleil, je pris congé et partis me promener dans une réserve naturelle. En marchant, je réfléchissais à cette question devenue obsessionnelle: de l’intérieur ou de l’extérieur? Tout à coup, il me vint à l’esprit que les deux possibilités étaient peut-être vraies en même temps; que l’information pouvait venir à la fois de l’intérieur de la tête et du monde extérieur des plantes. Je ne voyais pas encore ce que cette idée pouvait bien signifier, mais elle me plaisait, car elle conciliait deux points de vue apparemment divergents.

Le lendemain, de retour dans mon bureau, je me mis à parcourir mes notes de lecture. Je venais de lire sans discontinuer pendant six mois, et il ne me restait plus qu’à classer mes notes pour pouvoir commencer à écrire mon livre. Avant de m’atteler à ce travail systématique, je décidai cependant de consacrer une journée entière à feuilleter librement les piles de papier que j’avais amassées au cours de l’automne et de l’hiver.

J’examinai mes notes sur les expériences personnelles que certains anthropologues ont faites avec de l’ayahuasca, et relus pour le plaisir le texte complet du premier compte-rendu du genre, celui de Michael Harner.

Harner raconte l’expérience qu’il a vécue en 1961 chez les Indiens Conibo de l’Amazonie péruvienne. Lorsqu’il eut ingéré de l’ayahuasca, des créatures reptiliennes géantes surgirent dans son cerveau et lui montrèrent comment elles avaient créé la vie sur Terre, insistant qu’une telle information était réservée aux mourants et aux morts. Harner vit alors des espèces de dragons arriver du cosmos et créer la vie en se cachant sous des formes multiples. « J’appris, écrit-il, que les créatures-dragons résidaient à l’intérieur de toutes les formes de vie, homme y compris ». Par un astérisque, Harner renvoie alors le lecteur à une note au bas de la page (qui, étrangement, ne paraît pas dans la traduction française originale, mais a été intégrée dans le texte publié dans ce numéro du « Temps stratégique ») qui affirme ceci: « Je dirais en rétrospective que [les créatures] étaient presque comme de l’ADN. Mais en ce temps-là, en 1961, je ne savais rien de l’ADN. ».

Je marquai une pause. Il y a effectivement de l’ADN à l’intérieur du cerveau humain, ainsi que dans le mondeextérieur des plantes, puisque la molécule de la vie qui contient l’information génétique est la même pour toutes les espèces. L’ADN peut donc être considéré comme une source d’information à la fois externe et interne -précisément ce que je cherchais à imaginer la veille, en déambulant dans la forêt.


Brin d’ADN

Harner ne fait aucune autre mention de l’ADN dans son texte. En revanche, quelques pages plus loin, il note que « dragon » et « serpent » sont synonymes, ce qui me fit penser que la double hélice ressemblait, par saforme, à deux serpents entrelacés.

C’est ainsi que je suis tombé sur l’idée qu’il existe un lien entre l’ADN et le savoir hallucinatoire.

Au début, je ne prenais pas vraiment cette idée au sérieux. Après tout, il semblait hautement improbable que des Indiens consommateurs de drogue et vivant dans des forêts profondes aient pu communiquer dans leurs hallucinations avec l’ADN. Mais aucune autre explication concernant le savoir chamanique ne me paraissait satisfaisante. Si les ayahuasqueros accédaient réellement à de l’information botanique, d’où provenait-elle? L’hypothèse de l’ADN présentait au moins l’avantage de répondre à la question.

Les jours suivants, je classai l’ensemble de mes notes et repérai plusieurs autres cas où des serpents cosmiques sont associés à la création de la vie. Mais je n’étais pas plus avancé pour autant.

A l’époque où je séjournais à Quirishari, je savais déjà que la croyance animiste selon laquelle tous les êtres vivants sont, précisément, animés par les mêmes essences avait été corroborée en 1953 par la découverte de la structure de l’ADN. J’avais appris au collège, en classe de biologie, que la molécule de la vie est la même pour toutes les espèces et que l’information génétique nécessaire à l’élaboration d’une rose, d’une bactérie ou d’un être humain est codée dans un langage universel à quatre lettres, A, C, G et T, qui désignent quatre composés chimiques formant la double hélice de l’ADN. La correspondance entre l’ADN et les essences animées perçues par les chamanes n’était pas donc pas nouvelle pour moi. Le classement de mes notes ne me révéla aucune autre correspondance intéressante.

Avant de commencer à rédiger mon livre, je tins néanmoins à vérifier en bibliothèque une dernière piste. Dans plusieurs mythes de création où j’avais trouvé des serpents cosmiques, j’avais également trouvé desjumeaux -peut-être était-ce là une correspondance avec la double hélice. Je fouillai quelques livres sur la mythologie et découvris avec surprise que le thème des jumeaux était très répandu dans les mythes de création, non seulement en Amérique du Sud, mais dans le monde entier. Ainsi, le serpent à plumes des Aztèques, Quetzalcoátl, qui symbolise l’énergie vitale sacrée, est-il un enfant jumeau du serpent cosmiqueCoatlicue -en aztèque, le mot coatl ayant le double sens de « serpent » et de « jumeau ».

Comment se faisait-il que les Aztèques parlaient également d’un serpent double, d’origine cosmique, et symbole de l’énergie vitale?

Je quittai la bibliothèque et rentrai à la maison. J’avais besoin de réfléchir. Que signifiait donc tout cela? Je partis à nouveau me promener en forêt, afin de mettre de l’ordre dans mes idées. Après avoir récapitulé les éléments que j’avais en main, je me rendis compte que j’étais dans une impasse. Ruminant sur ce blocage, je songeai tout à coup au conseil que m’avaient prodigué les Ashaninca: « Regarde la forme », m’avaient-ils dit. Le matin même, à la bibliothèque, j’avais consulté plusieurs encyclopédies à propos de l’ADN, et noté que sa forme y était le plus souvent décrite comme une échelle, ou une échelle de corde torsadée, ou un escalier en colimaçon. Le déclic eut lieu dans le quart de seconde suivante: « LES ÉCHELLES! Les échelles des chamanes « symboles de la profession » (selon Métraux), présentes dans les thèmes chamaniques du monde entier (selon Eliade)! »

Je revins précipitamment à mon bureau et entrepris de parcourir rapidement les livres de Mircea Eliade, en particulier Le chamanisme et les techniques archaïques de l’extase (1951). Selon Eliade, il existe « d’innombrables exemples » d’échelles chamaniques sur les cinq continents: ici des « échelles tournantes », là des « escaliers » ou des « cordes tressées », impliquant nécessairement une communication entre le Ciel et la Terre. Eliade cite également l’Ancien Testament, où l’on voit Jacob rêver une échelle dont le sommet atteint le ciel, par laquelle « les anges du Seigneur montent et descendent ». Eliade mentionne aussi des serpents cosmiques, en Australie cette fois.

Les correspondances que je commençais à percevoir dépassaient de loin la portée de mon enquête. Mais je ne pouvais plus m’arrêter. Je saisis les quatre tomes de l’oeuvre de Joseph Campbell consacrée à la mythologie mondiale pour voir s’il mentionnait d’autres serpents cosmiques. Un des premiers dessins que j’aperçus en ouvrant le volume intitulé Mythologie occidentale était un sceau mésopotamien datant de 2200 av. J.-C. environ, montrant le Dieu Serpent sous forme humaine avec son symbole caducée: deux serpents entrelacés en une double hélice:

Feuilletant fiévreusement le livre de Campbell, je trouvai des serpents torsadés dans la plupart des images représentant une scène sacrée. Grâce à l’index je découvris qu’il y a des serpents cosmiques créateurs de vie non seulement en Amazonie, au Mexique et en Australie -mais à Sumer, en Egypte, en Perse, dans le Pacifique, chez les Hindous, en Crète, en Grèce et en Scandinavie. Campbell écrit à propos de ce symbolisme omniprésent: »Partout où la nature est vénérée comme étant animée en elle-même, et donc divine de façon inhérente, le serpent est révéré comme son symbole ».

Je consultai aussitôt le Dictionnaire des Symboles à la rubrique « serpent » et lus: « Il joue des sexes comme de tous les contraires; il est femelle et mâle aussi, jumeau en lui-même, comme tant de grands dieux créateurs qui sont toujours, dans leur représentation première, des serpents cosmiques. […] Le serpent visible n’apparaît donc que comme une brève incarnation d’un Grand Serpent Invisible, causal et a-temporel, maître du principe vital et de toutes les forces de la nature. C’est un vieux dieu premier que nous retrouverons au départ de toutes les cosmogénèses, avant que les religions de l’esprit ne le détrônent » (les italiques figurent dans le texte original).

Face à l’énormité de ce que je croyais être en train de découvrir, ma tête se mit à tourner. Il apparaissait, en effet, que, partout dans le monde, les chamanes utilisent certaines techniques pour réduire leur conscience au niveau moléculaire et accéder ainsi à la connaissance du serpent/principe vital, alias ADN. Depuis des mois, les indices de cette découverte se trouvaient à portée de ma main, dans ma propre bibliothèque, mais je n’avais pas su les voir. D’ailleurs, personne ne semblait les avoir remarqués. Ni Eliade, ni Campbell ne mentionnent l’ADN. Est-ce parce que le savoir occidental sépare les choses pour les comprendre: d’un côté la mythologie, de l’autre la biologie, et laisse entre deux s’étendre un no man’s land?

Il était plus de 20 heures. Je n’avais rien mangé. Je sortis une bière du frigo et posai un disque de violon sur la platine. Puis je me mis à arpenter le bureau en réfléchissant à haute voix. Au bout de quelques minutes, je me rendis compte que je pourrais peut-être tester mon hypothèse selon laquelle les chamanes voient de l’information moléculaire, en examinant les peintures de Pablo Amaringo, un ayahuasquero péruvien doué d’une mémoire photographique, qui peint ses hallucinations de façon hyperréaliste.

« Pregnant by an Anaconda », peinture de Pablo Amaringo (détail)

Ces toiles sont reproduites dans un beau livre intitulé, en traduction littérale, Visions d’ayahuasca:l’iconographie religieuse d’un chamane péruvien. Je les avais souvent admirées, frappé par leur ressemblance avec mes propres visions hallucinatoires. Mais cette fois-ci, en ouvrant le livre, je restai bouche bée. Il y avait non seulement des escaliers en zigzag, des lianes entrelacées ou de serpents torsadées dans presque chaque image, mais aussi des doubles hélices, comme celle-ci:

Peinture de Pablo Amaringo (détail)

C’était ahurissant. Il y avait là, au beau milieu d’une imagerie chamanique réputée, des doubles hélices, mais personne ne semblait avoir remarqué leurs liens possibles avec la biologie moléculaire. Une correspondance aussi manifeste devait sûrement avoir déjà été remarquée, me dis-je. Et si tel n’était pas le cas, je n’étais sûrement pas la personne digne de la découvrir. Avais-je entrevu là quelque chose que j’étais censé ne pas voir? Je me rappelai que les dragons de Michael Harner l’avaient averti qu’ils lui donnaient une information réservée aux mourants et aux morts.

Subitement, une peur irrationnelle m’envahit, et je sentis le besoin urgent de partager mes idées avec quelqu’un. Je téléphonai à un vieil ami et me mis à lui débiter les correspondances que j’avais trouvées au cours de la journée: les jumeaux, les serpents cosmiques, les échelles d’Eliade, les doubles hélices de Campbell et celles d’Amaringo. Mon ami écouta patiemment, puis me suggéra de tout noter.

Je suivis son conseil. Alors que je jetais sur le papier tout ce que je venais de découvrir sur le langage de l’ADN, je me souvins du premier verset du premier chapitre de saint Jean: « Au début était le logos » -le mot, le verbe, le langage.

Cette nuit-là, j’eus de la peine à m’endormir.

Au cours des semaines qui suivirent, je fus obsédé par les serpents et par l’ADN, et me mis à voir des échelles partout: dans les parquets, dans les carrelages, dans les fenêtres à carreaux, dans les rayons des bibliothèques, dans les escaliers, dans les clôtures, dans les barrières, dans les ponts, dans les antennes, dans les pylônes électriques, dans les rails de chemin de fer, dans les claviers de piano et les frettes de guitare. Il m’apparaissait que le motif de la vie se cachait non seulement dans les feuilles et les arbres, mais dans nos symboles et nos artefacts. Mais chaque fois que j’essayais d’en parler aux gens autour de moi, en leur montrant par exemple le motif d’échelle formé par les fenêtres de la pièce où nous nous trouvions, ils regardaient d’un air incertain, comme s’ils ne voyaient pas.

Je continuai à lire des ouvrages de mythologie et de biologie moléculaire. Chaque jour apportait un nouveau lot de correspondances. J’émergeais de longues séances dans mon bureau en déclamant des phrases comme: « La duplication d’une double hélice d’ADN donne deux doubles hélices qui sont des copies exactes l’une de l’autre, c’est-à-dire des jumelles, et les peuples indigènes associent les jumeaux à la création de la vie depuis des millénaires ». Ou: « Francis Crick, le co-découvreur de la structure de l’ADN, dit que les formes de vie les plus simples sont d’une telle complexité qu’elles n’ont pu émerger sur Terre par pur hasard. C’est pourquoi il suggère que la vie à base d’ADN est d’origine extra-terrestre -tout comme les peuples indigènes affirment que le serpent est d’origine cosmique ».

Ma femme écoutait avec inquiétude ces fragments de savoir réarrangés; ils lui semblaient relever davantage de la folie que d’un bricolage inspiré.

Mais dans ma folie il y avait de la méthode. Alors que le regard rationnel tend à séparer les choses pour les comprendre, je cherchais au contraire à appliquer à la réalité une vision stéréoscopique, en lisant en parallèle des livres sur le chamanisme et sur la biologie moléculaire. Et ça marchait! Plus j’avançais, et plus je voyais clair et riche. Seul ennui, cette démarche ouvrit les vannes à des correspondances étranges ou extravagantes, dont le déluge m’emporta.

Je ne citerai que quelques exemples.

Les taoïstes chinois représentent le yin et le yang, principe vital d’origine cosmique, par l’enroulement de deux formes serpentines et complémentaires:

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Le Tai Chi, principe ultime de toute chose

Selon le biologiste moléculaire Christopher Wills, « les deux chaînes d’ADN ressemblent à deux serpents enroulés autour d’eux-mêmes dans une sorte de rituel amoureux ». En effet, l’ADN est une seule molécule constituée de deux chaînes complémentaires. C’est parce qu’il est à la fois simple et double qu’il peut être dupliqué:

Dans les traditions mythologiques, bon nombre des serpents cosmiques sont figurés comme étant à la fois simples et doubles. Voici, par exemple, le serpent cosmique des anciens Égyptiens:

Les serpents mythiques sont souvent énormes. La tête du monstre-serpent Typhon (mythologie grecque) touche les étoiles; le poisson-oiseau du taoïste Chuang-Tsu mesure « je ne sais combien de milliers de stades »; certaines représentations africaines du serpent Ouroboros le montrent faisant le tour de la terre. Mais l’ADN des cellules humaines n’est pas en reste. L’ADN d’une seule cellule aurait, si on le déroulait, deux mètres de long, soit un fil qui serait un milliard de fois plus long que large -comme si, toutes proportions gardées, votre petit doigt s’étendait de Paris à Los Angeles. Si l’on pouvait attacher tous les fils d’ADN d’un corps humain les uns aux autres, ils formerait un filament de deux cent milliards de kilomètres de long -l’équivalent de soixante-dix allers et retours entre Saturne et le Soleil.

Sur la piste du serpent, il est facile de se perdre.

Je m’y suis donc perdu, tel un astronaute hypnotisé par ce qu’il découvre à travers son hublot. Une dizaine de semaines plus tard, cependant, ma femme réussit à me convaincre qu’il était temps de redescendre et de rapporter aux autres ce que j’avais vu.

Pour revenir sur Terre, j’entrepris d’étudier la biologie moléculaire de la même manière que j’avais étudié le chamanisme: en lisant beaucoup et en prenant des notes catégorisées. Par ailleurs, je résolus qu’après tant d’années d’incrédulité systématique, j’allais prendre les chamanes au mot. Je me mis donc à explorer la biologie moléculaire avec le rationalisme comme véhicule et le chamanisme comme boussole.

Les chamanes amazoniens affirment que certaines plantes psychoactives [contenant des molécules agissant sur le cerveau humain] influencent les esprits de façon précise. Ils disent, par exemple, que le tabac donne aux esprits un « appétit quasi insatiable » pour leur « feu ». Je partis à la recherche d’une connexion analogue entre la nicotine et l’ADN d’une cellule nerveuse du cerveau humain, et trouvai que lorsqu’une molécule de nicotine s’insère dans le récepteur nicotinique d’une cellule cérébrale, elle provoque un influx d’atomes électriquement chargés qui incitent l’ADN à construire d’autres récepteurs nicotiniques. Donnez de la nicotine à l’ADN de votre cerveau, et il en redemande, aussi insatiable de tabac que le sont les esprits!

Il me fallut plusieurs semaines pour trouver, puis comprendre, les différents fragments de savoir scientifique concernant les récepteurs neurologiques et la stimulation de l’ADN par la nicotine. Mais au bout du compte, je me trouvai avec, en mains, une traduction des notions chamaniques en concepts scientifiques actuels, qui les rendait compréhensibles et démontrait leur pertinence.

Je passai une année à explorer la biologie moléculaire. Il me serait difficile de dire ici tous les points où elle recoupe le chamanisme: ces deux domaines de connaissance, qui semblaient séparés jusqu’à présent, s’emboîtent à de multiples niveaux. J’ai essayé d’en faire la démonstration détaillée dans un livre, Le serpent cosmique, l’ADN et les origines du savoir.

Peu après que j’eus fini de rédiger cet ouvrage, en juillet 1995, je fis le voyage du Pérou pour discuter des conséquences éventuelles de mes hypothèses avec les représentants de plusieurs organisations indigènes. Si elles étaient vérifiées, en effet, cela signifierait que les peuples indigènes disposent, à travers les visions de leurs chamanes, d’un savoir bio-moléculaire d’une valeur inestimable.

La première fois que j’en parlai aux étudiants indigènes de l’École pour l’éducation bilingue et interculturelle d’Iquitos, un seul d’entre eux, du fond de la salle, prit la parole: « Vous avez finalement compris, me dit-il, que ce que nous disons est vrai. Mais si vos collègues scientifiques prennent notre savoir au sérieux, qui nous garantit qu’ils agiront de manière éthique? La façon dont ils se sont comportés jusqu’à présent ne nous rassure guère, d’autant que travailler avec les esprits sans éthique est suicidaire. »

Je lui répondis que la question était bonne, mais qu’ils allaient devoir y réfléchir eux-mêmes.

C’est en effet l’une des choses que j’ai découvertes au cours de cette enquête: que nous soyons biologistes moléculaires, Indiens d’Amazonie ou anthropologues, nous avons tous tellement à apprendre, et d’abord les uns des autres.

Dix mois plus tard, je retournai à nouveau à Iquitos. Le motocarro me déposa devant le dortoir des étudiants indigènes qui m’avaient invité à faire un nouvel exposé. Je me dirigeai vers la salle de réunion, où quelque quatre-vingts jeunes hommes et jeunes femmes étaient en train de s’asseoir sur des bancs alignés devant un tableau noir. C’était un vendredi soir, la nuit était moite, les étudiants me semblaient un peu distraits.

Pour animer l’assistance, je lui demandai d’emblée si elle avait des questions. Après un long silence, quelqu’un lança: « Nous aimerions savoir si vous avez pu tester les hypothèses que vous nous avez présentées ici l’an passé ».

Promettant de ne point éluder la question, je commençai par évoquer devant les étudiants l’histoire de la vie sur Terre telle que la science la présente aujourd’hui, depuis la naissance de notre planète sous la forme d’une boule de magma, jusqu’à l’apparition à sa surface, il y a quatre milliards d’années, de la vie évolutive: des bactéries qui se sont transformées peu à peu en plantes, en poissons, en amphibiens, en reptiles, en dinosaures, en mammifères, et enfin en singes et en hominidés. Je leur dis que le cerveau des hominidés avait triplé de volume au cours des derniers quatre millions d’années: de ce que l’on sait de l’histoire de la biologie, jamais un autre organe ne s’est développé de façon aussi spectaculaire. Je leur parlai de fossiles, des techniques de datation au carbone 14, je leur expliquai que la science elle-même est un phénomène récent: la biologie n’a que deux cent ans, la technique du carbone 14 a moins de soixante ans, et le rôle de l’ADN est compris depuis moins d’un demi-siècle.

Je leur dis que la biologie est née par opposition à la religion et se fonde sur l’idée qu’il n’y a dans la nature aucune intelligence ni aucun plan. Je leur montrai des dizaines de pages de publicité de compagnies pharmaceutiques, arrachées dans des numéros récents de la revue Nature, couvertes de doubles hélices et autres références à l’ADN. Dans le monde matérialiste où je vis, leur dis-je, la biologie est un business. Elle considère les deux serpents entrelacés comme un simple produit chimique, un vulgaire « acide désoxyribonucléique ». Elle ne peut admettre que l’ADN soit animée par une conscience, sauf à contredire les présupposés fondateurs de la discipline. Jacques Monod dit que l’on ne peut envisager que la nature ait un but, , »fût-ce provisoirement ou dans un domaine limité », à moins de sortir du domaine même de la science.

Bref, leur dis-je, il faudrait, pour que mes hypothèses puissent être testées, que des biologistes moléculaires institutionnellement respectés trouvent de l’information bio-moléculaire dans les hallucinations desayahuasqueros -mais comme ces biologistes institutionnels ne peuvent admettre d’y trouver une telle information, mes hypothèses ne peuvent pour l’instant être testées!

Cette fois-ci, les questions fusèrent. Par exemple: . »Docteur, est-ce que vous pensez que dans dix mille ans nos têtes seront beaucoup plus grandes qu’aujourd’hui? ». Je répondis que je n’en savais rien, mais que tout était possible. Jusqu’à ce qu’une dernière question surgisse du fond de la salle: « Est-ce que vous êtes en train de nous dire que les scientifiques nous rattrapent? – Oui, répondis-je, exactement ».

Sur la piste du serpent, on finit par s’apercevoir que souvent les choses sont à l’envers, ou sens dessus dessous, ou les deux à la fois.

Ce texte est paru dans Le Temps stratégique No 73, décembre 1996.

 

Ce qu’ils pensent de l’hypothèse du serpent cosmique

« fondamentalement rocambolesque »
« (…) Narby fait l’hypothèse que ces hommes [les Ashaninka du Pérou] auraient une sorte de vision directe de la structure en double hélice du génome des organismes vivants et en feraient l’objet de leur croyance. Il suggère ensuite qu’il en irait ainsi un peu partout dans le monde et consolide le maillon faible de son hypothèse (comment voir l’ADN sans microscope) en faisant appel à certaines études sur l’émission de photons par l’ADN. L’histoire s’arrête là. Ce livre, fondamentalement rocambolesque, peut intéresser les lecteurs ayant le goût du risque. (…) Comprenne qui pourra. »

N.J. (Sciences humaines, No 57, janvier 1996)

« une formidable intuition »
« Il y derrière tout cela une formidable intuition, à savoir que notre conscience peut, dans certaines circonstances, entrer en contact direct avec l’élément qui est la clé de toute la vie sur terre, l’ADN. (…) Le second point qui m’a frappé dans ce travail est que l’auteur ne se départit jamais d’un regard d’épistémologue (…) et garde continuellement présente à l’esprit cette question fondamentale: comment connaissons-nous? (…) Un bel exemple de cette « nouvelle science » que j’appelle de mes voeux. »

Vahé Zartarian (Carnets de Recherche, Recherche spirituelle, Trainou, No 6)

« quelque chose de fondamental »
« Il est probable que le schéma [de Jeremy Narby] soit encore très imparfait, partiellement ou totalement erroné, il n’empêche que l’on est forcé de se demander si l’auteur n’a pas mis le doigt sur quelque chose de fondamental. Et je dis bien fondamental, car alors nous n’aurions jamais été aussi près d’aboutir à la grande synthèse, à la Connaissance. (…) De quoi travailler, réfléchir, méditer pendant des mois. A lire absolument. »

Jean-Pierre Dufaure, biologiste moléculaire, CNRS (commentaire pour la revue Les Voies de la Connaissance)

« de la bonne science »
« C’est de la bonne science, au sens où le corps tout entier est laboratoire, où les plans physique, émotionnel et mental sont reliés, où l’intellect fonctionne en global ou en total. Narby nous relate les conditions de la germination et de l’éclosion de sa thèse, dans une intrigue quasi policière, bien menée et joliment écrite. »

Jean-Pierre Garel, biologiste moléculaire, CNRS (Commentaire pour la revue Vous et votre santé, 1er octobre 1996)

« assez ingénu »
« En octobre 1994, j’ai eu la chance d’organiser le second Congrès International sur les plantes, le chamanisme et les Etats modifiés de la conscience. (…) A la lecture de ce livre, j’ai eu l’impression qu’il est assez ingénu et naïf, dans ce sens qu’il mêle biographie, citations sans liens entre elles (leur abondance révèle une bonne formation livresque) et un sentiment de culpabilité infantile dans le style de Rousseau, si fréquent depuis quelques années (« les Indiens sont les bons, les purs, les sages, alors que nous, pauvres de nous, anthropologues en particulier, sommes les pervers, les malades, les méchants »), ce qui me paraît être moins une réalité véritable qu’un problème psychologique de nos sociétés occidentales. »

Josep Ma Fericgla, Institut de Prospective Anthropologique, Barcelone.

Des voyages de l’âme et autres termes cités

Le chamanisme, de samane en langue toungouze (Sibérie), désigne un ensemble de techniques et d’expériences plurimillénaires que l’on retrouve dans diverses cultures (dans les Amériques, en Sibérie, en Scandinavie, en Europe orientale, en Asie centrale, en Afrique du Sud, en Australie arborigène). Le chamane, lui, est l’autorité spirituelle d’une communauté, qui guérit les âmes et les corps en équilibrant les forces (spirituelles, humaines, naturelles) présentes dans les différents pans de la réalité, par le biais de l’extase et du sacrifice (animal, végétal ou minéral). Voyant et thérapeute, le chamane ingère parfois des susbtances (lepeyotl au Mexique et aux Etats-Unis, l’ayahuasca en Haute-Amazonie, l’Amanita muscaria – amanite tue-mouche – en Sibérie) qui accélèrent son voyage à destination du monde non visible. En général, il se passe cependant de l’usage de ces drogues, leur préférant le tambour dont les rythmes aident l’esprit à se dépacer vers les différents niveaux de réalité non ordinaire. Le néo-chamanisme, mouvement qui a succédé à la contre-culture occidentale des années 60, s’efforce de prendre en compte la sensibilité écologique du monde moderne et son besoin de revitalisation spirituelle. Parmi ses leaders, Michael Harner, fondateur de l' »Institute for Shamanic Studies » [P.O. Box 1939, Mill Valley, Ca 94942, Etats-Unis, fax 001 415 380 84 16], dont l’ambition est de faire accéder chaque individu qui le désire aux états modifiés de la conscience.

L’ayahuasca (« liane de l’âme ») est le nom quechua donné au mélange, utilisé depuis près de 5000 ans par les peuples amazoniens, de deux plantes: la Banisteriopsis caapi – appelée communément ayahuasca – une liane des forêts de l’ouest du bassin de l’Amazone, connue sous plusieurs autres dénominations locales (caapi, dapa, mihi, kahi, natema, pindé, yajé), et un additif, en général la Psychotria viridis (chacruna en espagnol), le cawa mentionné par Michael Harner ou la Diplopterys cabrerana. L’ingestion du mélange, macéré et éventuellement bouilli, commence par provoquer des nausées et des vomissements, puis « libère l’âme du corps », permettant au sujet de découvrir, au travers d’hallucinations intenses, des pans de la réalité jusque là insoupçonnés. Les mélanges les plus puissants provoquent des visions de serpents et/ou de jaguars. L’ayahuasca a la particularité de « révéler » les propriétés des plantes (fougères, cactus, roseaux, tabac, plantes psychotropes) que l’on mélange avec elle. Les Indiens s’en servent donc comme d’une espèce de « microsocope » pour observer et répertorier les plantes de la forêt amazonienne. Les Européens ont découvert l’ayahuasca en 1851 grâce au botaniste anglais Spruce, mais ne l’ont analysée chimiquement qu’en 1969.

La « médecine des signatures » ou médecine par analogie prétend établir des concordances entre certains organes du corps ou certaines maladies, et les formes, les couleurs ou les goûts de certaines plantes. Selon Robert Turner, un botaniste anglais du XVIIe siècle, « Dieu a imprimé sur les plantes, herbes et fleurs, des hiérogyphes, en quelque sorte la signature même de leurs vertus ». En 1624, Oswald Crollius explique, dansLa Royale Chimie : « Les herbes parlent au curieux médecin par leur signature, lui descouvrant par quelque ressemblance leurs vertus intérieures, cachées sous le voile du silence de la Nature. » La pharmacopée traditionnelle recommande par exemple l’anémone hépatique (Hepatica triloba), dont les feuilles rappellent la forme du foie, pour soigner les maladies du foie; la chélidoine (Chelidonium majus), dont le suc jaune rappelle la bile, pour soigner les affections de la vésicule biliaire; la ficaire (Ficaria ranunculoides,), dont les tubercules valident l’appellation d’Herbe aux hémorroïdes , comme médicament anti-hémorroïdaire; etc. Plusieurs de ces médicaments ont été validés par la pharmacopée moderne.

L’ADN ou acide désoxyribonucléique est présent dans tout organisme vivant. Il contient l’ensemble de ses caractères héréditaires, et permet donc à ses cellules de se reproduire, de se structurer et de fonctionner. La structure moléculaire de l’ADN a la forme caractéristique d’une échelle en spirale. Pour une « visite guidée » de l’ADN, on lira, dans Le Temps stratégique No 67 de décembre 1995: « Les archéobactéries (qui vivent dans des milieux où toute vie semble impossible) seraient les ancêtres des plantes… et de l’Homme! », par W. Ford Doolittle.

Sources: Les plantes des Dieux, par Richard Evans Schultes et Albert Hofman (Paris, Berger-Levrault, 1981),Le pouvoir des plantes, par Brenda Lehane (Paris, Hachette, 1977), Les simples entre nature et société, par Pierre Lieutaghi (EPI, Mane, 1983).

Le Sommet de la Terre, conférence des Nations-Unies qui s’est tenue en juin 1992 à Rio de Janeiro pour évaluer les risques environnementaux qui pèsent sur la planète, a conduit à la signature d’une Convention sur la biodiversité qui vise à protéger les divers espèces (animales et végétales) constitutives de la vie. Le Sommet de la Terre fut également l’occasion pour les peuples indigènes de faire reconnaître leurs droits et revendications. La Déclaration de Rio insiste en particulier sur leurs droits territoriaux et le libre choix de leur développement. La Déclaration de principe concernant la forêt mentionne la prise en compte de leur intérêt et de leur avis dans toute politique forestière. Enfin, la Convention sur la biodiversité, marque la nécessité de reconnaître et rémunérer à sa juste valeur leurs connaissances expérimentales ainsi que les technologies traditionnelles auxquelles ils recourent.

Nouvelle Planète est une organisation d’entraide politiquement et confessionnellement neutre qui opère depuis une dizaine d’années dans une vingtaine de pays, en Asie, en Afrique et en Amérique du sud. Elle donne des coups de pouce à des initiatives venant de la base, soixante actuellement. Il ne s’agit pas de parrainer des projets, ce qui impliquerait une dépendance dans le temps, mais plutôt de fournir une aide ponctuelle au bon moment. L’organisation tourne actuellement sur un budget annuel de deux millions de francs. Cet argent provient des dons des 15 000 lecteurs du journal L’avenir est entre vos mains et de contributions de fondations, d’associations et de communes. Nouvelle Planète est décentralisée. C’est ainsi, par exemple, que Jeremy Narby travaille à son domicile, dans le canton de Fribourg, mais a mené à bien, de 1989 à 1995, huit projets de démarcation et de titularisation de quelque 230’000 km2 de territoires indigènes en Amazonie. [Nouvelle Planète, chemin de la Forêt, CH-1042 Assens. Tél: (021) 881 23 80 Fax: (021) 882 10 54.]

Références biographiques et bibliographiques

Trois chasseurs de mythes

Joseph Campbell (1904-1987), auteur américain, a établi les principaux archétypes de la mythologie mondiale. Son oeuvre majeure: The Masks of God, 4 volumes, 1959-67, (London, Arkana, 1991).

Mircea Eliade (1907-1986), historien roumain des religions, s’initia très tôt, en Inde, aux religions et aux systèmes de pensée orientaux, et y apprit le sanskrit. Ses études comparatives éclairent le mythe et le fait religieux à travers les voies et expériences culturelles ou historiques. Il a écrit notamment Traité d’histoire des religions (Paris, Payot, 1949), Le chamanisme et les techniques archaïques de l’extase (Paris, Payot, 1951),Images et symboles, (Paris, Gallimard, 1952), Mythes, rêves et mystères (Paris, Gallimard, 1957). Jean-François Duval en a brossé un portrait dans « Le Temps Stratégique » No 19 de l’hiver 1986-87: « Mircea Eliade, grand sourcier du sacré ».

Alfred Métraux (1902-1963), ethnologue suisse devenu américain, est considéré comme l’un des meilleurs connaisseurs des civilisations et des cultures d’Amérique du Sud et de Polynésie. Cet « ethnologue complet » a écrit, notamment, L’Ile de Pâques (Paris, Gallimard, 1941), Le vaudou haïtien (Paris, Gallimard, 1962), Les Incas (Paris, Seuil, 1967).

Trois explorateurs de l’ADN

Francis Crick (1916), physicien et biochimiste américain, a découvert, avec James Watson et Maurice Wilkins, la structure moléculaire en double hélice de l’ADN, et a partagé avec eux, en 1962, un prix Nobel de physiologie et médecine. Il est actuellement chercheur au Salk Lake Institute de La Jolla à San Diego. Ses recherches récentes portent sur la localisation de la conscience dans le cerveau humain. Son dernier livre:L’hypothèse stupéfiante. A la recherche scientifique de l’âme (Paris, Plon, 1994)

Christopher Wills, professeur de biologie moléculaire à l’université de Californie de San Diego, est connu pour ses livres de vulgarisation scientifique: La sagesse des gènes: nouvelles perspectives sur l’évolution(Paris, Flammarion, 1991), Exons, Introns and Talking Genes: The Science Behind the Human Genome Project (Oxford, Oxford University Press, 1991) et The Runaway Brain (New York, Basic Books, 1993).

Jacques Monod (1910-1976), biochimiste français, qui reçut en 1965, avec François Jacob et André Lwoff, le prix Nobel de physiologie et médecine, est connu du grand public grâce à son livre Le Hasard et la Nécessité. Essai sur la philosophie naturelle de la biologie moderne (Paris, Seuil, 1973).

Un philosophe chinois

Chuang-Tsu, Tchouang-Tseu selon la transcription française, est à la fois l’auteur et le titre d’une uvre littéraire chinoise du IVe siècle avant J.-C., qui est l’un des classiques du taoïsme [courant mystico-philosophique créé par Lao-Tseu au VIe siècle avant J.-C., dont le culte de la liberté et l’aspect spontané et intuitif sont souvent opposés aux conservatisme, moralisme et ritualisme du confucianisme, versant « officiel » de la civilisation chinoise]. L’ouvrage évoque, au travers de dialogues imaginaires et de contes pleins d’humour des voyages chamaniques de « libre errance » au sein de l’univers. On trouvera l’oeuvre complète de Tchouang-Tseu dans Philosophies taoïstes (Paris, Gallimard, 1969).

Et un chimiste qui a vu le serpent

August Kekule von Stradonitz (1829-1896), chimiste allemand, auteur d’un célèbre manuel, Lehrbuch des organische Chemie, présenta en 1866, dans un mémoire, pour représenter le benzène, son célèbre hexagone avec alternance de liaisons simples et de liaisons multiples, affirmant qu’il avait eu la vision de cet édifice moléculaire dans des états de rêverie durant lesquels il apercevait les atomes mobiles s’associer selon leurs affinités, l’anneau benzénique se refermant « comme un serpent qui se mort la queue ». Kekule faisait ainsi allusion à l’Ouroboros, serpent emblématique de l’Egypte et de la Grèce antiques, qui est représenté se mordant la queue pour signifier qu’il se dévore lui-même et renaît de lui-même sans cesse. L’Ouroboros est également un symbole gnostique et alchimique signifiant l’unité de toutes choses matérielles et spirituelles, qui jamais ne disparaissent mais changent perpétuellement de forme, dans un cycle éternel de destruction et de recréation.

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