L’homme et ses trois éthiques

L’homme et ses trois éthiques

Stéphane Lupasco avec la collaboration de Solange de Mailly-Nesle et Basarab Nicolescu
(Monaco, éditions Le Rocher, 1986)

« (…) une logique binaire n’arrive pas à rendre compte de l’infinie diversité des manifestations de l’énergie dans notre monde : poussant dans leurs ultimes retranchements les postulats de la logique classique, l’oeuvre de Stéphane Lupasco nous a fait découvrir que seule une logique ternaire était capable de rendre compte de l’ensemble de la réalité. (…) L’homme et ses trois éthiques développe les concepts de la logique ternaire dans les différents domaines qui rendent compte de l’activité humaine spécifique : physique et biologique, mais également psychique, sous ses diverses formes : affectivité, art, philosophie et politique, religion… »

L’auteur est physicien théoricien au C.N.R.S.

extraits significatifs :
p. 13 ; « (…) l’énergie possède les propriétés constitutives non seulement de l’hétérogénéité et de l’homogénéité, mais aussi celles de la potentialisation et de l’actualisation. »p. 67 ; « C’est en cela que cette dialectique est conforme à la logique classique, admettant l’une comme l’autre la succession de la thèse et de l’antithèse, qui doit aboutir à la disparition des deux dans une synthèse, troisième terme de la dialectique hégélienne et marxiste. Elle s’en différencierait si elle admettait la contradiction dans une même chose, en même temps et en un même lieu.
Mais, inversement, une éthique biologique trop forte, trop exigeante, trop instinctuelle, qui s’empare de l’homme, peut le conduire à un individualisme excessif, à une sorte de carnage mental des autres hommes, de la société, à une anarchie vouée à l’hétérogénéisation de son existence quotidienne (la rechercher du plaisir égoïste et finalement cruel) aussi bien qu’aux orientations de sa destinée. Une destinée qui est alors consacrée à la lutte biologique de ce qu’on appelle le libéralisme ou capitalisme sauvage, selon lesquels ne compte plus que la réussite propre, individuelle, au détriment de tous les autres, un capitalisme à la recherche d’une diversité dans tous les domaines, de plus en plus envahissant et finalement stérilisant. Pourquoi stérilisant ? Parce qu’il s’agit d’un capitalisme qui fonctionne grâce à l’abolition progressive d’un dynamisme antagoniste d’homogénéité et une perte d’affectivité, fonction d’une contradiction qui s’affaiblit et d’une énergie par là même en dissolution. De là s’ensuivent l’ennui, le cafard, la drogue, les paradis artificiels, mais aussi la chute dans la psychose maniaco-dépressive car c’est ici une excroissance du système afférent, tandis que celle du système efférent engendre la schizophrénie (se référer aux pages consacrées à la maladie mentale.) »

p. 79 ; « On peut le dire, l’homogénéité, voilà l’ennemie ! »

p. 87 ; « On peut dire que toute âme est singulière ou elle n’est pas, et aussi que l’art se déroule et doit se dérouler dans l’âme ou il n’est pas. L’artiste est un explorateur de l’âme, un magicien du psychisme (…)

(…) L’artiste connaît les lignes, les couleurs, les formes, le musicien connaît les notes, la composition, mais lorsque l’un ou l’autre créent, c’est leur âme, leur psychisme qui jaillissent d’eux-mêmes sur la toile ou sur la partition musicale. »

p. 95 ; « Dès lors, toute matière-énergie contenant des noyaux atomiques, de ces profondeurs subtiles les plus micro-physiques jusqu’aux vastes formations astrophysiques -planète, étoiles, galaxies, amas de galaxies- on pourrait conclure qu’à la base la plus intime des choses et des êtres se trouvent et opèrent lesnoyaux atomiques comme centres neuropsychiques.

p. 103 ; « (…) La finalité est intrinsèque à l’énergie elle-même. »

p. 105 ; « (…) selon l’interprétation de Stéphane Lupasco, la contradiction est quelque chose d’inhérent dans tous les systèmes naturels. Or c’est une idée difficile à accepter car elle conçoit la contradiction comme agissant au même moment du temps . »

p. 107 ; « (…) l’interprétation de Stéphane Lupasco est l’évidence même car sinon comment peut-on comprendre autrement le fait que la particule quantique est en même temps onde et particule ? En effet, cette particule ne se conduit pas soit comme une onde ou soit comme un corpuscule tel qu’on a essayé de le dire, et tel qu’on le dit encore dans les mauvais ouvrages de vulgarisation, mais cet « objet » nouveau, cet événement quantique, est expérimentalement corpuscule et onde à la fois, il est « contradiction » ; donc, à partir de cette constatation, les fondements d’une nouvelle logique peuvent être formulés. Sinon, on transforme la physique quantique en un ensemble de « recettes » efficaces sur le plan « opératoire », mais où l’on ne voit aucune ambition de comprendre le pourquoi des choses. »

p. 108-109 ; « Vous pouvez dire qu’il y a une évolution de l’homme vers un développement de la matière psychique qui aboutit à la conscience de la conscience et à la connaissance de la connaissance.

(…) Et on peut considérer que l’évolution est une évolution qui augmente de plus en plus la matière psychique de l’homme. »

p. 114 ; « (…) un arbre est un chimiste qui sait choisir dans la terre les éléments chimiques dont il a besoin. Il y a donc, même chez le végétal, une sorte de somato-psychique et nous pouvons dire que le végétal a également une conscience et une connaissance, c’est-à-dire au fond un psychisme: »

p. 120 ; « S.L.- Je reproche, par exemple, aux hommes politiques d’ignorer complètement non seulement le psychique mais le biologique. Le socialisme est une doctrine d’homogénéisation macrophysique. Une société socialiste ou communiste est homogénéisante, je l’ai dit. Sans le savoir, Marx adopte une philosophie de l’entropie. »

p. 122 ; « B.N.- Le retour à la pensée mythique ou à la pensée traditionnelle n’exprimerait-il pas le signe ou ne serait-il pas le germe d’un autre type de société ? »

p. 123 ; « Vous dites : « La contradiction, c’est la vie. » Or dans beaucoup de textes traditionnels, on exhorte l’être à rejoindre l’univers. Il est dit à peu près qu’en intégrant l’univers on retrouve l’unité. Or, d’après votre logique, le concept d’unité n’existe pas, je voudrais que nous en parlions. Ce concept d’unité n’existe pas ?

(…) Pourquoi associez-vous l’unité à l’homogénéisation ? Pourquoi ne peut-on penser à une unité du contradictoire, une unité de l’interaction des systèmes de systèmes ? Il s’agit aussi d’une unité.
S.L.- Une unité du contradictoire, c’est très intelligent. C’est remarquable ! Le contradictoire constitue au fond une unité des forces antagonistes homogénéisantes et hétérogénéisantes.

B.N.- Je dirais même que c’est le coeur de votre pensée, car en fait vous dépassez l’opposition, la séparation et ce qui vous intéresse, c’est justement l’unité des contradictoires.

S.M.N.- (…) Ce principe d’unité peut être envisagé par votre logique, à condition que l’on comprenne qu’il s’agit d’unité des contradictoires et non pas d’unité homogénéisante. »

p. 126 ; « Est-ce que vous seriez d’accord pour dire que vous ouvrez un chemin qui se situe au coeur de la dualité entre la mystique et la glose ?

S.L.- Je suis d’accord avec cette proposition. »

p. 128 ; « Enfin, malheureusement, le monde semble marcher de plus en plus vers l’opposition et non pas vers la contradiction. C’est à ce niveau extrêmement concret que je parle de barrage. »

p. 131 ; « Dans tout dynamisme, il y a une possibilité de connaissance dans la mesure où la connaissance est précisément la potentialisation. »

p. 153 ; « (…) la contradiction n’est pas opposition la contradiction est un équilibre. »

p. p. 162-163 , « (…) je dis que l’énergie est cognitive. L’énergie connaît. Ce n’est pas mon cerveau qui connaît, c’est l’énergie qui connaît en moi. Elle est dans un état tel que l’énergie elle-même prend conscience d’elle-même. C’est ce qui explique que nous arrivons à ce que nous venons de dire. »

p. 167 ; « Toute l’éthique scientifique a été fondée, jusqu’à présent, sur la pensée du XIXème siècle qui exclut l’homme. L’homme est toujours exclu de la connaissance scientifique parce qu’il introduit l’élément subjectif, sa présence introduit l’aléatoire, l’irrationalité, or seul le principe d’objectivité intéresse cette connaissance. Mais dans cette logique de l’énergie, nous voyons apparaître une nouvelle objectivité. »

p. 169 ; « (…) un problème très grave et urgent s’impose dans ces conditions, c’est précisément le problème de la pensée mathématique, c’est-à-dire du langage mathématique. je crois et je préconise qu’il faudrait effectuer une réforme de la pensée mathématique elle-même parce qu’il est certain que dans la mesure où un physicien et un biologiste mathématisent une expérience, une expérimentation, à ce moment-là nous retombons dans la logique classique de non-contradiction des causes. Il faut donc créer des mathématiques nouvelles. »

p. 170 ; « Matila Ghyka qui, dans un livre célèbre qui s’appelle « Le nombre d’or », a montré qu’il y a une certaine correspondance entre les mathématiques, les proportions et les sentiments. »

Extraits de L’homme et ses trois éthiques par Stéphane Lupasco avec la collaboration de Solange de Mailly-Nesle et Basarab Nicolescu (Monaco, éditions du Rocher, 1986).

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