Au pied de l’Atlas, Tamegroute abrite la mémoire du monde arabe

par Réda Benkirane [printfriendly]

Le Nouveau Quotidien, Lausanne

 

7 janvier 1997

Aux pieds de l'Atlas, Ouarzazate offre une bifurcation plein sud. En descendant la vallée du Drâa, une ville au nom mythique se trouve à mi parcours, Zagora. Une vingtaine de kilomètres au sud de celle-ci, Tamegroute est un petit village nappé de jardins cerclés d'une terre couleur argile. Là se cache un des hauts lieux du savoir de l'ancien empire chérifien. Collé à une confrérie religieuse et un centre d'études théologiques, un bâtiment récent abrite une bibliothèque immémoriale. Fondée au XVIIe siècle par le saint Ahmed Naciri, la bibliothèque de Tamegroute recueille des livres endormis depuis plusieurs siècles. Voici un ouvrage de Pythagore en arabe, 500 ans d'âge. Là trônent des exemplaires du Coran dont les plus anciens remontent au XIIIe siècle, à l'époque où l'arabe était la langue des sciences. Enluminures et calligraphie célestes sont inscrites sur des peaux de gazelle. A Tamegroute, les auteurs perses et "modernes" grecs reposent en paix; c'est grâce aux traductions arabes qu'eut lieu le transfert de savoir en Occident via l'Andalousie. Philosophie, mystique, droit et histoire du monde musulman sont également déposés en savantes compilations. De tous temps, le lettré a trouvé là le havre de paix à même d'étancher sa soif de connaissance.
 

© Jim Miller

La vallée du Drâa s'étend sur quelque 250 km d'une route étroite à peine goudronnée: elle préface, tout en verdure et terre battue, l'espace saharien. Cette voie cahoteuse qui combine le trafic entre camions Bedford, mulets et quelques véhicules tous terrains, préserve provisoirement la vallée de la ruée des charters d'Agadir. De Ouarzazate jusqu'à M'hamid, dernier oasis avant le Grand Ocre, défilent mille et une casbahs. Urbanisation en terre cuite, variété à l'horizon. Des pitons rocheux évoquant la basse Californie, des palmeraies qui suggèrent la Nubie, des hommes berbères à petite taille aux silhouettes longilignes noires, de l'arabe au berbère, le Sud commute en l'espace de quelques kilomètres, ethnies, idiomes, paysages.

 © Jim Miller

Le coude du Drâa était l'ancienne route de l'or remontant du Niger. La civilisation hispano-mauresque puise ses origines dans cette zone qui s'étire de Zagora au Tafilalet, des franges atlasiques jusqu'aux portes du désert, d'où partirent les fondateurs d'empires Almoravide et Almohade. Espace de définition des dynasties qui ont régné au Maroc jusqu'à ce jour, le Sud leur a offert en plus des princes, des savants et des lettrés religieux qui ont essaimé dans tout le pays, jusqu'à ses prolongements maghrébin et andalou. La confrérie mystique des Naciriya et sa précieuse bibliothèque témoignent de ce rôle intellectuel de premier plan.

Chez l'habitant, l'hospitalité est déployée avec honneur mais simplicité. Ce noir élégant et poète vous contera l'histoire de sa région et ne manquera pas de dénoncer les abus du caïd local. En s'enfonçant une quinzaine de kilomètres plus bas, le jeune berger ne comprend mot au dialecte marocain, son patois est du pur berbère. A Tagounite, au bas de la vallée, installés dans une ferme tout en adobe, les maîtres du lieu palabrent volontiers avec l'Étranger lui proposant gîte et couvert (thé et dattes) sous un toit haut et large tressé de roseaux peints. Les paysages tout comme les hommes témoignent de l'harmonie entre géopolitique, foi et écologie du lieu.

 © Jim Miller

 

Quelques touristes adeptes du vrai dépaysement sillonnent la vallée en véhicules tous terrains, motos, vélos et même à pied. Oubliés les chaînes touristiques industrielles d'Agadir, le harcèlement équivoque de Marrakech Platz. A Tamegroute, les manuscrits antiques enseignent aux apprentis théologiens le véritable retour aux sources; unique et solide rempart contre la tentation intégriste venue des lointains espaces urbains, souillés et bondés. La mémoire du lieu est fertile tout comme la terre humide qui la borde et dont la poterie est fort renommée. Adossée à l'enceinte du sanctuaire de la Naciriya, une femme invoque, entre pleurs et prières, son saint patron. Les gens viennent de loin pour guérir les maladies du corps et de l'âme. Ici, colère et violence n'ont pas leur place.

 

A M'hamid, là où meurt la vallée en une "plaine des gazelles", transitent les hommes bleus: chevauchant leurs montures sur les dunes lunaires, ils continuent d'ignorer superbement les frontières du Maroc et de l'Algérie. Au sud de Zagora, la quiétude est à l'infini.

 

Réda Benkirane

 

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