La force ne fait pas le vainqueur

par Réda Benkirane

24 heures, Lausanne, CH

12 août 2006

RÉFLEXION
«L’Etat d’Israël est prisonnier d’un cercle vicieux entre sa puissance militaire et son impuissance politique, que symbolise à sa manière le mur de séparation édifié
en Cisjordanie»
Les experts militaires israéliens avaient prévenu: la réponse de Tsahal «écraserait» les miliciens du Hezbollah «d’une manière dont ils n’ont pas idée». Après un mois de guerre, il reste difficile d’avoir une idée précise de la stratégie militaire et des buts de guerre poursuivis.

Par la démesure des attaques israéliennes qui ont touché le sud comme le nord du Liban, la résistance armée du Hezbollah – qui est aussi un mouvement profondément engagé au niveau social, économique et culturel auprès des chiites libanais (40% de la population) – a gagné une légitimité militaire et politique au Liban et dans tout le monde arabo-musulman au-delà même de toutes ses espérances.

Avant son déraillement, le processus de paix d’Oslo (1993-2000) avait été prometteur puisqu’il avait notamment consacré la reconnaissance du droit à l’existence d’Israël par les Etats arabes. La violence a eu raison de ce processus et elle est maintes fois survenue de là où on ne l’attendait pas, comme autant de points de bifurcation. Le premier attentat-suicide du Hamas palestinien trouve son origine dans l’attaque d’un sioniste religieux, disciple du rabbin Meir Kahane, qui tua en 1994 une trentaine de musulmans en prière et blessa une centaine d’autres. L’artisan du processus d’Oslo, le premier ministre Itkzak Rabin, fut abattu à bout portant en 1995 non par un islamiste palestinien ou libanais mais par un nationaliste religieux juif. Après sept années de négociations intenses avec les dirigeants israéliens et américains, Yasser Arafat, Prix Nobel de la Paix, connut une mort tragique au bout de trois années de captivité imposée par Ariel Sharon dans la muqata’a de Ramallah.

L’actuel ministre de la défense, Amir Peretz, membre du mouvement La Paix maintenant (mouvement né en refus de la guerre menée par Israël au Liban en 1982), ne croit à un règlement pacifique du conflit avec les Palestiniens qu’une fois qu’il aura démontré sa capacité à faire la guerre à Gaza et au Liban, même si celle-ci décime actuellement plus d’enfants que d’hommes armés.
L’Etat d’Israël est prisonnier d’un cercle vicieux entre sa puissance militaire et son impuissance politique, que symbolise à sa manière le mur de séparation édifié en Cisjordanie. Se voulant une terre d’accueil pour les juifs persécutés du monde entier, il demeure pour eux, malgré sa force sans équivalent dans la région, le lieu du plus grand danger. Plus l’Etat renforce sa puissance technologique, militaire, son arsenal y compris nucléaire, avec le soutien indéfectible de la part des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne, plus sa société a peur, se sent fragile et ne résiste pas à la tentation de se percevoir comme la victime d’un environnement hostile et étranger – «La villa au milieu de la jungle» selon l’expression d’Ehud Barak. Ce couplage explosif – mais contre-productif – qui allie en boucle négative puissance et impuissance explique le passage à l’acte, brutal et total, qui frappe durement et en premier les civils palestiniens et aujourd’hui libanais.

La solution à ce cul-de-sac existentiel n’a pas de réponse militaire mais relève d’une équation politique qui, sur le plan du rapport à Soi, contribuerait à une psychologie de la libération tout en reconnaissant à l’Autre palestinien, une fois pour toutes, ses droits à l’indépendance et à la souveraineté.

Quelle étrange situation que ce soit aux opinions publiques mondiales de rappeler la sagesse des prophètes d’Israël qui, à l’instar de Samuel, affirme que «ce n’est pas la force qui fait le vainqueur».

Réda Benkirane

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