par Réda Benkirane
mars 2008, No 418
De récents sondages confirment que près des deux tiers des Américains croient que le récit biblique est la description correcte de l’engendrement du monde (en six ou sept jours, il y a quatre mille ou six mille ans, c’est selon) et que toutes les espèces vivantes ont vu le jour « soudainement » et « complètement formées » : Le créationnisme dit « évangélique » ou « scientifique » a bel et bien triomphé dans ce pays.
Qu’en est-il pour l’islam ?
Or, l’importation en islam du créationnisme évangélique et de sa vision fixiste constitue une aberration mentale et une involution dans l’histoire intellectuelle contemporaine. Tout d’abord, soulignons que l’évolution biologique ne crée pas d’impasse métaphysique particulière aux musulmans. S’il y a un problème d’opposition théologique entre création et évolution dans le christianisme c’est que « Dieu créa l’homme à son image » (Genèse 1, 26-27). Or cette divinisation de l’homme n’a pas d’équivalent en islam. Le Créateur y reste incommensurable, inconnaissable, quand « Il n’engendre pas et n’est pas engendré » et que « Nul n’est égal à Lui.» (Coran : 112, 1-4).
En islam, Dieu paraît certes abstrait pour l’homme mais il reste « plus près de lui que sa veine jugulaire » (C. 50, 16) quand il est « le premier et le dernier, l’apparent et le caché » (C. 58, 3). L’omniprésence et l’omnipotence divines déterminent la création cosmique en un phénomène récurrent indéfini qui nourrit un flux constant de nouveauté en structures et créatures. La notion théologique de renouvellement de la création (tajdid al-khalq) est ici spécifique de la tradition islamique. C’est parce que « tout ce qui est sur terre est périssable » que le processus de création est en fait une re-création permanente (« Chaque jour, Il est à la tâche », C. 55, 29) .Création divine et évolution biologique ne s’excluent donc pas l’une l’autre.
Par ailleurs, on trouve chez divers penseurs islamiques médiévaux une vision naturaliste teintée d’évolutionnisme. Ainsi le zoologiste Al Jahiz (776-868) dans son Livre des Animaux dresse une anthologie animalière où est évoquée une évolution articulée selon trois mécanismes principaux (la lutte pour l’existence, la transformation d’espèces vivantes, l’influence de l’environnement naturel) marquant l’unité de la nature et les rapports entre divers groupes d’êtres vivants. Cette même pensée naturaliste décrivant une évolution globale impliquant le minéral, le végétal et l’animal se retrouvera entre autres chez le philosophe et historien iranien Ibn Miskawayh (930-1030) et surtout au Xe siècle dans l’encyclopédie philosophique et religieuse des Frères de la Pureté (Épîtres des Frères de la Pureté). L’idée principale de cette pensée médiévale est que les groupes d’êtres parcourent dans l’engendrement de leurs formes définitives une évolution qui va du simple au complexe, passant par les quatre éléments (feu, terre, air, eau), les quatre natures (chaud, froid, sec, humide) et leurs combinaisons poursuivent encore la différenciation en règnes minéral, végétal et animal et précisent indéfiniment la spéciation du vivant.
Dans sa description naturaliste, l’historien maghrébin Ibn Khaldoun (1338-1405) recourt aux notions d’ordre, de structure, de plan, de « rapports entre les êtres et des permutations réciproques », de « progrès graduel de la Création » et de « continuum des êtres vivants » et écrit sereinement, quelque cinq siècles avant Darwin, que « le plan humain est atteint à partir du monde des singes (qirada) » ou encore que « le premier niveau humain vient après le monde des singes ».
Derrière la fausse science et la religion de pacotille d’un Harun Yahya, il y a des moyens financiers considérables et une détermination à militer contre l’enseignement de la biologie de l’évolution qui doit nous alerter.
Réda Benkirane