Trois questions sur les «printemps arabes»

 Le Courrier, 30 novembre 2011



Trois questions à Réda Benkirane

 

Les «printemps arabes» sont ­difficiles à déchiffrer. Les mêmes forces sociales sont-elles à l’œuvre dans tous les pays concernés?

Il y a des éléments communs. Les révolutions arabes ont renversé trois dictateurs, plus un quatrième au Yémen. On a eu le scénario du pire en Libye – où l’intervention de l’OTAN a terni le soulèvement – et le meilleur en Tunisie. A côté, il y a le Maroc, où l’on ne réclame pas la tête du roi. D’une part, car sa légitimité se fonde dans une dynastie vieille de quatre siècles. D’autre part, car il a concédé des réformes qui semblent à la mesure d’une contestation sociale, certes importante, mais pas aussi massive et radicale qu’en Egypte ou en Tunisie. Les Marocains – les jeunes en ­particulier – aspirent à ce que l’on passe d’une monarchie théocratique à une mo­narchie démocratique, où le roi règne mais ne gouverne pas. Cela dit, tous les ingrédients pour une révolte sont présents, avec un indice de développement social très faible, qui contraste avec la bonne image du régime, ses accointances avec les people, la vitrine touristique, etc.

Au-delà des différences, ce qui est  en jeu, est-ce le rapport de l’individu au pouvoir?
C’est la sécularisation, la désacralisation du pouvoir. Y compris chez la majorité des religieux, qui prennent l’islam comme cadre de référence, mais pas comme une fin en soi. Ce qui se passe est l’événement le plus im­portant depuis quatorze siècles – depuis la mort du Prophète, qui n’a pas dicté de testament politique. L’histoire ensuite n’a été qu’une succession de coups de force et de luttes tribales, où le religieux a été instrumen­talisé. Aujourd’hui, l’affranchissement est général: les révoltes arabes ne se définissent pas par rapport à l’Occident ni à Israël, mais à leurs préoccupations sociales propres. Il n’y a pas non plus d’idéologie «panarabe», juste une mise en réseau des expériences.

Quel rôle jouent les artistes dans ces bouleversements?
On constate que l’intelligentsia, en partie disqualifiée par ses liens avec les pouvoirs, n’est pas en première ligne. On aurait pu s’attendre à voir des icônes s’imposer. Or non, ce sont des figures nouvelles qui ­émergent de la base: au Maroc, le rappeur subversif Lhaqed, emprisonné; en Egypte,  la jeune Aliaa Magda el-Mahdy, qui s’est dénudée sur son blog au péril de sa vie, et qui l’a présenté comme une performance contre l’obscurantisme. On est face à de nouveaux modes de production d’art, plus rhizomatiques, qui sont dans l’action. C’est leur force et aussi leur faiblesse. Il faut maintenant que les intellectuels participent à ce mouvement pour produire, inventer et conceptualiser.

Propos recueillis par Roderic Mounir

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