Revue Automates Intelligents

Propos recueillis par Jean-Paul Baquiast et Christophe Jacquemin

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Revue Automates Intelligents, No 39, 4 mars 2003
http://www.automatesintelligents.com/interviews/2003/fev/benkirane.html

Automates Intelligents (AI) : Réda Benkirane, pouvez-vous préciser l'itinéraire professionnel et/ou intellectuel qui vous a conduit à entreprendre ce livre "La complexité, vertiges et promesses" ?

Réda Benkirane (RB): Je suis un sociologue plutôt éclectique dans mes centres d'intérêt et champs d'observation. Ma singularité réside dans mon parcours professionnel qui a couvert la palette des métiers de l'information ; documentaliste, réalisateur, journaliste, éditeur et Web designer. Avant de me lancer dans cette exploration des sciences contemporaines, je n'avais pas à proprement parler de culture scientifique, si ce n'est les rudiments qu'on peut glaner jusqu'en première année universitaire de maths-physique (j'ai bifurqué ensuite pour les sciences sociales) et à la faveur de quelques lectures personnelles durant les années 80 sur la philosophie des sciences. C'est en travaillant au sein de la revue suisse Le Temps stratégique(1) à l'édition d'un dossier sur la réforme de l'enseignement supérieur que m'est venue progressivement l'idée d'entreprendre une exploration des sciences contemporaines, plus particulièrement celles qui s'occupent de problèmes typiques de la complexité. Juste avant cela, je croyais durant un certain temps que l'objet de ma recherche devait être le cyberespace, ses terrae incognitae et ses défricheurs. Puis, je réalisai qu'en fait mon sujet était à la source même du nouvel espace-temps informatique et qu'il me fallait retracer des histoires susceptibles d'expliquer l'origine de l'essor de l'informatique et son formidable couplage avec les sciences. La découverte de la pensée algorithmique, de son histoire pluri-millénaire et multiculturelle, de ses potentialités et ses limites actuelles, a été au sens propre une illumination. Mon exploration à la fois des sciences des limites et des limites des sciences peut aider à mieux comprendre le monde de l'information et de la communication où les idées circulent à la vitesse de la lumière. Mais attention ; de l'aveu même de tous les scientifiques que j'ai lus et rencontrés, il n'y a pas plus difficile à prévoir que le comportement d'une société humaine, et l'objet le plus complexe qu'il soit donné d'observer au sein de l'univers reste le cerveau humain, l'esprit qui s'en dégage.

Je suis convaincu qu'il faut lutter contre l'inculture scientifique du plus grand nombre, j'ai également le sentiment très fort que l'explosion du savoir, sa désintermédiation, font que de plus en plus l'on va apprendre et connaître en dehors des espaces jusque-là consacrés que représentent l'école et l'université. Nous allons probablement aller vers une désacralisation du savoir, en empruntant des voies d'acquisition de plus en plus informelles, autodidactes. C'est rendu possible grâce à la palette d'outils d'information et de communication dont nous disposons et surtout de la façon judicieuse dont nous pouvons apprendre à les utiliser : certes, tous les jours nous constatons que trop d'informations tuent l'information, mais toute la nouvelle pédagogie à venir va consister à développer une éthique en même temps qu'une "diététique" de l'information.

AI : Vous avez choisi la méthode de l'entretien, qui généralement débouche sur des banalités. Comment avez-vous fait pour obtenir une telle densité ?
RB : C'est vrai que tel qu'il se donne à voir dans la presse et l'édition, l'entretien est souvent réduit à une simple convention, voire à de la publicité qui ne dit pas son nom. La méthode de l'entretien en sciences sociales, quant à elle, est une voie noble de récolte d'information. Beaucoup de chercheurs privilégient la saisie directe du vécu et du perçu aux références uniquement livresques, et l'entretien accompagne toute enquête sociologique digne de ce nom ; on oppose volontiers ce terrain social vivant et bruissant de murmures, rumeurs et clameurs au travail en chambre où à la longue se dégage aussi de la "fermentation" théorique. La méthode de l'entretien a des protocoles spécifiques, elle requiert de la rigueur, de la précision, de l'humilité et une capacité de lier langue avec l'Autre. En général, chercheurs et auteurs recourent bien volontiers aux entretiens, mais ils s'appliquent ensuite, sans doute inconsciemment, à effacer les traces de ces mêmes entretiens pour présenter une démonstration plus "unifiée", un argumentaire plus personnel, une mise en forme plus conforme aux canons du style écrit. Je voulais restituer, quant à moi, les conditions réelles de ma recherche ainsi que du dialogue que j'ai instauré avec des scientifiques. Je considère le procédé narratif que j'ai utilisé comme aussi important que le contenu qu'il développe. Cette mise en forme, somme toute plus spontanée, contribue à faciliter l'approche de notions à première vue difficiles pour un lecteur néophyte. Je pensais que l'entretien, par son style ouvert et convivial, inciterait le lecteur à suivre, sans sentir réellement l'effort, le cheminement des idées.

Toutes sortes de techniques d'entretiens ont été mises au point et personnellement j'avais beaucoup travaillé sur les entretiens semi-directifs et les histoires de vie. En 1989, j'ai mené une enquête sur le terrain de six mois consacrée à la monographie d'un bidonville dans la ville de Casablanca : j'y avais notamment recueilli près de 80 histoires de vie où je m'intéressais aux changements socioculturels au sein de l'habitat précaire(2). En fait j'ai traité le milieu de scientifiques comme l'anthropologue s'occuperait d'une tribu dont il voudrait esquisser la personnalité et la dynamique profondes. Je crois que c'est une image assez parlante que d'imaginer ce panel de scientifiques comme des représentants d'une tribu particulière de "cognitaires". Dans le cas qui nous intéresse ici, il s'agissait d'approcher les membres d'une élite intellectuelle, des représentants au sommet de cette hyperclasse "manipulatrice d'abstractions". Certes traiter avec les mêmes techniques d'analyse "ghetto" et "gotha" casse un peu l'image de "mandarins" que certains peuvent se faire des scientifiques, ce qui n'est pas pour me déplaire !

Quelquefois, je suis bien volontiers Candide, et mes questions sont mues par l'ignorance – que je cultive de manière aussi saine et pure que possible pour qu'elle me guide vers l'essentiel, vers le plus significatif. D'autres fois je suis complice de mes interlocuteurs et avoue mon étonnement devant la singularité d'un concept, mon admiration devant la beauté d'une théorie. Parfois aussi je suis critique et sans complaisance quand je sens que l'idée en question souffre justement d'un esthétisme oublieux de son argumentaire démonstratif ou de ses applications pratiques, enflée par ce que les Anglo-saxons appellent le "hype", c'est-à-dire le battage médiatique qui par exemple facilite l'octroi de crédits de recherches et l'acquisition de pouvoir au sein de l'académie. Car la science n'est plus uniquement une activité de laboratoire, la communication et le marketing la travaillent, influant jusque sur le choix et la nature de ses résultats. Il est à noter que si la science reste mal connue, c'est aussi dû au fait que les scientifiques eux-mêmes peuvent involontairement contribuer à des effets de brouillage par des énoncés dont la motivation peut être plus médiatique, économique, politique que didactique.

AI : Avez-vous lu et compris, comme il semble, les principaux ouvrages des scientifiques interrogés ?
RB : Mon repérage a en effet essentiellement consisté à m'immerger dans un laps de temps très court dans une bibliographie d'ouvrages et d'articles publiés pour la plupart ces dix dernières années. La mise à jour qui s'est faite au niveau de l'information scientifique cette dernière décennie a suivi la croissance exponentielle de la connaissance qui double en quelques années seulement. Or tout chercheur, tout étudiant désireux de comprendre l'enjeu des sciences, en lisant une sélection d'ouvrages récents peut en tirer une vue globale suffisamment large et précise, une grille d'analyse susceptible de lui permettre d'interpréter tout seul les découvertes et avancées actuelles. Une culture scientifique de base est désormais à portée du citoyen. A la fin du livre, je propose à mes lecteurs une bibliographie commentée et hypertexte mais ce n'est là que la partie visible d'un corpus plus important que j'ai sondé très en détail pour préparer au mieux mon questionnement.

Ma compréhension des ouvrages des scientifiques se donne à voir, je crois, à la fois dans ses limites et sa profondeur de champ dans l'énoncé même de mes questions. En ce qui me concerne, je dis toujours à mes interlocuteurs que je peux essayer de soutenir mon effort de compréhension tant que l'on exprime la science en langage naturel ou à la rigueur au travers d'illustrations. C'est je crois une bonne indication des limites du niveau de détail que l'on peut espérer atteindre en tant que non-spécialiste.

AI : Comment avez-vous choisi les 18 scientifiques ? Qui vous a introduit auprès d'eux ? Y en a-t-il que vous auriez aimé ajouter, si vous en aviez eu la possibilité ? Auriez-vous interrogé Wolfram si son travail avait été publié à temps ?
RB : Pour faire paraître ces 18 entretiens j'ai dû en réaliser à peu près le double et, à l'exception des scientifiques français, j'ai sélectionné moi-même le panel de personnes. Ce sont les Anglo-saxons qui furent les plus faciles à identifier étant donné les études scientifiques de la complexité qu'ils ont produites depuis une dizaine d'années et qui n'ont pas été traduites et publiées en français – d'où aussi en partie la raison d'être de ces entretiens. En ce qui concerne les scientifiques français, c'est une amie, Hourya Sinaceur, directeur de recherches au CNRS et qui compte parmi les plus importants philosophes des mathématiques, qui après une courte enquête de quelques jours est revenue vers moi en suggérant une liste de noms de gens de "hautes vues" comme ils disent à Bures-sur-Yvette. Dans cette liste figuraient Ekeland, Pomeau et Derrida, leur compétence en imposait. Hourya Sinaceur, de manière feutrée mais non moins ferme, me suggérait, alors que j'en étais au stade de l'avant-projet, de choisir un panel de scientifiques au-dessus de tout soupçon, et de tout faire pour éviter ceux qui auraient de gros penchants médiatiques ou des inclinations vers une shadowmétaphysique du genre Nouvel Age. J'ai immédiatement saisi le bien-fondé de l'avertissement de Hourya Sinaceur. Bien que notre époque soit dominée par l'éphémère chatoyant et le futile, j'ai choisi de produire un objet qui dure et qui soit utile.

Je regrette de n'avoir pu rencontrer Philippe Flajolet, hyperspécialiste de la complexité et des mathématiques algorithmiques, ainsi que Pierre-Gilles de Gennes qui n'ont pu, faute de temps, s'entretenir avec moi, même si nous avons échangé des courriers électroniques où ils répondaient à certaines questions que je leur avais adressées. Voilà aussi un aspect qui m'a particulièrement frappé au cours de cette enquête dans le monde scientifique. Si vous avez une question que vous voulez éclaircir, pour peu que votre message soit cohérent et qu'il ait suffisamment de substance, le meilleur spécialiste au monde de la question prendra la peine de vous répondre, souvent dans le détail, pour vous apporter l'éclairage que vous lui demandiez.

La science est une œuvre collective, et les dix-huit récits de science que je propose au lecteur relèvent de l'incomplétude. Le physicien Stephen Wolfram aurait pu bien entendu conter une nouvelle histoire de sciences, celle que lui dictent les "glissades" et autres figures étranges de ses automates cellulaires. Dans le travail de Stephen Wolfram, je vois pointer une définition possible de la science, épurée au maximum : la science comme catalogue des motifs (patterns). La question la plus intéressante qui vient alors à l'esprit est la suivante : que fait-on avec tous les motifs qui ne peuvent être reproduits/résolus par le calcul ? Comment expliquer l'engendrement de choses, particulièrement en biologie, que l'âge de l'univers ne suffirait pas à produire uniquement par le calcul ?

Il est évident que beaucoup d'autres histoires de sciences sont possibles, et même souhaitables, que d'autres scientifiques de tous horizons ont des choses à dire sur ce sujet de la complexité que par définition on ne peut clôturer d'aucune façon.

AI : Avez-vous rencontré tous vos interlocuteurs effectivement ou les avez-vous seulement joints par mel ou téléphone?
RB : Ces entretiens dans leur grande majorité se sont déroulés en "présentiel"; j'ai rencontré la plupart de ceux que j'ai interrogés, au cours de multiples déplacements principalement à l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, au Cern de Genève, à l'Ecole normale supérieure de Paris et à l'université libre de Bruxelles. Mais pour quelques-uns toutefois, j'ai tenté l'exercice de l'entretien téléphonique – j'avais immédiatement écarté la possibilité de l'entretien par courrier électronique car sa nature asynchrone ne pouvait s'accorder au dialogue direct que je voulais engager. Il faut dire que le choix de l'entretien téléphonique était motivé par des contraintes financières ; ayant volontairement mené cette recherche sans soutien financier aucun et uniquement sur mon "spare time", je ne pouvais me permettre de multiplier des voyages outre-atlantique. En effet, comme acteur de la société civile, il me paraissait important de prouver que l'on pouvait travailler sans financement de Shell, de Synthé-Labo, ou d'une banque par exemple.

Cette expérience d'entretien téléphonique s'est avérée particulièrement réussie dans la mesure où son dispositif exigeait une concentration maximale autour de l'échange et surtout une formulation claire et précise des questions autant que des réponses. Il se trouve aussi que cette manière d'opérer est parfaitement en phase avec la manière de travailler des scientifiques. Ainsi tous les jours, les chercheurs scientifiques co-rédigent via le courrier électronique – qu'ils ont inventé à cette fin – des dizaines d'articles scientifiques avec des collègues qu'ils n'ont jamais rencontrés et auxquels ils n'ont jamais parlé.

Un des récits de sciences dont je suis le plus fier fut celui conduit avec le mathématicien Gregory Chaitin. C'est dans cette conversation téléphonique qui avait duré plus de deux heures et demi où personnellement je considère avoir atteint le cœur du sujet de la complexité, sans parler de sa dimension foncièrement épistémologique, que je me suis rendu compte que je tenais vraiment le bon bout. Greg et moi avons par la suite eu de nombreuses conversations téléphoniques. Un jour que je lui exprimais mon souhait de le rencontrer lors d'un de ses passages à Paris, il me répondit que la rencontre avait déjà eu lieu, dans les sphères intellectuelles. Rien ne me fit plus plaisir !

AI : On notera que parmi les scientifiques avec qui vous vous entretenez ne figurent aucune femme et aucun chercheur en dehors de l'Europe et de l'Amérique du nord. Que faut-il en conclure ?
RB : Absolument rien, je vous assure, c'est totalement fortuit ! En même temps je dois reconnaître que cette remarque est la critique la plus fondée que l'on puisse m'adresser et j'y ai été sensible depuis le début. Mea culpa, je n'ai pas été en mesure de refléter, dans mes dix-huit entretiens, la diversité socioculturelle de la communauté scientifique mondiale (quelque 3 millions de chercheurs). Je dirais que c'est l'équation que je n'ai pas résolue parce qu'en réalité je souhaitais représenter une sociologie des énoncés scientifiques à propos de la complexité. Je ne sais pas trop pourquoi, l'enchaînement fut tel que, c'est vrai, le panel n'est pas très "politiquement correct". Le panel ignore la question "gender". Faut-il en conclure que la science est machiste et ethnocentriste ? Je ne le crois pas.

Le premier scientifique que j'ai contacté et le seul auprès de qui j'ai essuyé un refus catégorique quant à sa participation était une femme, la philosophe des sciences et chimiste belge Isabelle Stengers, qui me semblait incontournable vu sa longue collaboration d'écriture avec Ilya Prigogine sur le thème de la complexité. Donc ce n'est tout de même pas faute d'avoir essayé. Ceci dit, j'avais travaillé à la revue Le Temps stratégique à la publication d'un article d'Agnessa Babloyantz, chimiste de l'université libre de Bruxelles et spécialiste du chaoscérébral(3). Au cours de ma recherche, je me suis également entretenu avec la philosophe des sciences Nayla Farouki et la philosophe des mathématiques Hourya Sinaceur, sans compter tout le travail accompli avec mon éditrice, Sophie Bancquart, qui mène depuis longtemps et avec talent un effort de vulgarisation scientifique, y compris auprès du jeune public.

Quant à la diversité culturelle, je dirais qu'elle est dans le regard même qui est le mien. Je suis un méditerranéen qui, ayant vécu dans plusieurs pays, se situe à la rencontre du Nord et du Sud, de l'Occident et de l'Orient, des sciences et des humanités. C'est une culture tierce née de la migration qui donne de l'acuité au regard, la capacité de se décentrer et d'entrer en intelligence avec l'Autre, autant de qualités nécessaires pour tenter l'exercice de recueillir tous ces récits de sciences.

AI : Y a-t-il des questions supplémentaires qu'aujourd'hui vous aimeriez poser aux scientifiques ?
RB : Certainement, j'ai une moisson de questions, car chaque découverte, chaque avancée majeure que Natureou Science rapportent, augmentent le champ de la connaissance et celui de l'ignorance. Pour répondre à mes questions à venir et à d'autres émanant de tous ceux qui suivent de près ces problèmes de complexité et de phénomènes non-linéaires, j'ai imaginé, depuis le tout début, la suite possible à ce livre d'entretiens ; elle consisterait à réunir la plupart de ces scientifiques interrogés ainsi que d'autres encore dans le cadre deRencontres sur la Complexité. Nous aurions là des échanges fructueux que nous pourrions décliner en multimédias sur le Réseau et ailleurs, pour créer une communauté virtuelle regroupée autour de scientifiques ayant suffisamment étudié la complexité sous les éclairages mathématique, physique et biologique. En France par exemple, j'aimerais beaucoup voir collaborer à ces Rencontres des chercheurs comme Jean-Paul Delahaye et Hervé Zwirn dont les travaux me paraissent riches d'enseignement pour les scientifiques et les philosophes.

Un aspect dont j'aimerais que les scientifiques discutent est la toute puissance de la technologie, qui se déploie peut-être même au détriment de la science. En un demi-siècle d'existence, l'informatique a vu sa puissance de calcul augmenter d'un facteur de dix milliards. Les calculs dont elle s'occupe dorénavant concernent des vérités longues et profondes inaccessibles autrement au mental humain, et des descriptions mathématiques définitivement hors de portée de la méthode du papier et du crayon. L'informatique comme science de l'information et du calcul a propulsé la connaissance dans des territoires vierges et quasi infinis qu'il s'agit autant de défricher que de déchiffrer. Ceci va dans un futur peut-être pas si lointain faire apparaître un certain nombre de dangers, car la technologie risque aussi de prendre en otage la science, la déterminer complètement pour aboutir par exemple, comme c'est de plus en plus le cas en biologie, à la maîtrise d'outils manipulant du vivant alors que du point de vue de la science et de ses ressorts profonds nous en ignorons superbement les implications et les conséquences. Nous serons interpellés par cette toute-puissance de la technologie qui ne s'accompagne pas forcément d'une compréhension des phénomènes. C'est là où la société civile, bien au fait de l'évolution des sciences, doit avoir son mot à dire et affirmer ce qui lui paraît souhaitable pour l'homme et la biosphère et ce qui ne l'est pas. La culture scientifique, de ce fait, entre dans le champ du politique, et c'est la meilleure chose qui puisse arriver. Je refuse de laisser le soin de déterminer l'évolution et l'application des sciences à des gouvernants qui pourraient se montrer tout à fait irresponsables. La société civile a son mot à dire sur le type de santé publique, l'agriculture et la gestion des urbanités qui doivent être développés pour une planète viable pour tous.

Nous sommes à cette étape de l'histoire des sciences où le progrès de l'outil technologique provoque un changement qualitatif de l'évolution de la science. Et à chaque avancée majeure, augmente l'étendue de la connaissance tout autant que l'incommensurabilité de notre ignorance. Pour décrire ce processus sans fin, où dès qu'un coin de voile est levé, une autre énigme, un problème plus profond se pose aux scientifiques, j'ai en tête cette parole de Khalil Gibran qui dit que "lorsque l'ombre s'affaiblit et s'évanouit, la lumière qui persiste devient l'ombre d'une autre lumière."

Une autre image qui dit l'immensité de ce que nous ne connaissons pas et ne comprendrons probablement jamais est celle de la personne qui cherche en pleine nuit ses clés autour d'un lampadaire, elle cherche à cet endroit seulement parce c'est uniquement là qu'il y a de la lumière. Certes, nous connaissons, mais nous ignorons énormément.

AI : A quel public destinez-vous ce livre ? Estimez-vous qu'il est facile d'accès ? Avez-vous déjà eu des retours de certains lecteurs ? Estimez-vous avoir touché les lecteurs que vous visiez ? Pensez-vous que certains lecteurs ignorants de ces questions iront grâce à vous plus loin dans l'approfondissement ?
RB : Ce livre peut fonctionner comme un plan de lecture des sciences contemporaines pour tous ceux, scientifiques et non-scientifiques, désireux de mettre à jour leur connaissance en ces domaines.

La réaction typique de certains lecteurs est la suivante : ils ont été attirés par le sujet du livre car la complexité résonne de tout ce qui agite la société dans ses fondements les plus intimes, puis pour certains, ils l'auront parcouru, en seront restés là un certain temps, mais une fois qu'ils l'auront commencé, ils se trouveront emportés par l'odyssée de la complexité et reconnaîtront rétrospectivement l'aspect fascinant du sujet et de la manière plurale dont les scientifiques en parlent. Tout l'aspect difficile au premier abord n'est plus qu'un vague souvenir. Ils auront compris l'essentiel des principes et des théories présentés dans le livre. Ce que je voulais démontrer.

De manière plus générale, je destine ce livre à un lecteur curieux et à l'esprit ouvert cherchant à renouveler son regard à une époque où les pensées uniques abondent, alors que les intégrismes de tous bords s'exacerbent et qu'au mieux les gens se confinent dans une véritable monoculture de l'esprit. Je suis extrêmement frappé de constater que jamais le monde n'a été aussi complexe, interdépendant, incontrôlable et multiculturel alors que les politiques censées le régir sont plus déterministes, linéaires et monoculturelles que jamais. Une brise fraîche et régénératrice souffle actuellement dans les vallées et les hauts plateaux du paysage scientifique, elle éclaircit son ciel où perce une lumière de grande beauté : je crois sincèrement que nous gagnerons à nous imprégner des idées montantes de la science contemporaine, elles portent en elles les germes d'un renouveau. Il ne fait pas de doute pour moi que les sciences humaines finiront bon gré mal gré par recourir aux paradigmes de la complexité. Personnellement, la science actuelle m'inspire car pour la première fois j'entrevois une raison rigoureuse nous permettant d'appréhender par des équations solidement établies les phénomènes non linaires, non déterministes, la turbulence, l'incertitude, le hasard et le risque, or tous ces phénomènes culminent dans le social et chez l'individu. J'invite les lecteurs de votre revue à méditer la vision du chimiste et philosophe belge Ilya Prigogine lorsqu'il dit que nous sommes en train d'assister à la naissance d'"une nouvelle rationalité qui n'identifie plus science et certitude, probabilité et ignorance". Tous ceux voulant explorer cette rationalité en devenir devraient être intéressés par ce livre.

AI : Quel jugement portez-vous sur l'état de compétence (awareness) des Français au regard des questions que vous abordez. Ne prenons-nous pas globalement un retard qui sera difficile à rattraper ? Comment faire pour que les scientifiques français sortent des frontières de leur discipline, que les philosophes français s'intéressent davantage aux sciences ?
RB : Je ne connais pas suffisamment la scène scientifique française pour pouvoir me prononcer à ce sujet, mais ce que je constate de manière générale c'est que les Européens ont les défauts de leur qualité, il en est bien sûr de même des Américains sur le plan de la culture scientifique. Je crois qu'une synthèse est souhaitable entre ces deux courants, qu'elle procède d'une culture tierce qui est en train de voir le jour avec justement la venue de scientifiques du monde entier et plus particulièrement d'Asie, là où probablement va se situer le centre de gravité du monde. C'est aussi cela la globalisation de la science. Je suis persuadé que les équipes de recherches multiculturelles où figurent des Indiens, des Indonésiens, des Arabes et tant d'autres dessinent une nouvelle mappemonde de la connaissance.

Il apparaît de plus en plus qu'un nouvel être collectif émerge, un nouveau sujet d'enseignement : l'Humanité. Comme dit l'écrivain espagnol Rodrigo de Zayas, "il s'agit d'enseigner l'humanité à l'humanité" ; scientifiques autant que philosophes pourraient contribuer à ce projet global qui s'adresse à l'humain du haut de toutes ses civilisations, ses traditions culturelles et spirituelles. A l'heure actuelle, certains argumentent autour de la "guerre des civilisations", théorie dont je crois avoir démontré dans deux textes(4) les origines véritables en même temps que démonté les fausses prémices à partir desquelles elle prend forme. Parce que du point de vue intellectuel, c'est plus facile à représenter, l'on oppose un hémisphère Nord, disons judéo-chrétien, riche et repu à une sous-humanité plutôt islamo-confucéenne, pauvre, sous-développée, cruelle, terrorisante et terroriste. Eh bien l'histoire des sciences m'inspire, quant à moi, des rencontres paisibles et plutôt fécondes entre civilisations. Voici un exemple de rencontre inter-civilisationnelle, peu spectaculaire, extrêmement concis mais abyssal dans les transformations qu'il a déclenchées : s'il fallait définir un langage qui approcherait l'universalité, réconciliant tous les peuples et mettant tout le monde d'accord, ce serait encore le système de numération indo-arabe et son positionnement des chiffres – que certains scientifiques n'hésitent pas à qualifier de plus grande invention scientifique de tous les temps -, premier véritable algorithme sur lequel la science moderne a pu prendre son envol. Le code numérique binaire n'est qu'une variation du système de décimal qui culturellement est une production orientale. Il faut ici rappeler qu'au cœur des ordinateurs, brillent par leur absence les mathématiques grecques et la géométrie, c'est en fait la logique des Orientaux qui triomphe ici ; celle de la Mésopotamie, de l'Inde et du Croissant fertile. De la tablette d'argile des Babyloniens aux circuits imprimés de nos microprocesseurs en passant par le calcul écrit et les chiffres arabes, il y a une filiation plurimillénaire où participent quelques civilisations majeures. Pour décrire la résolution en une séquence finie d'instruction de la plupart des problèmes, nous avons recours à l'algorithme. Or ce mot, qu'aujourd'hui nous employons tous les jours pour décrire le traitement de l'information dans l'ADN ou les microprocesseurs, tire son nom du nom du mathématicien Al Khawarizmi qui formalisa au IXe siècle la numération indo-arabe. Chaque fois que nous prononçons ce mot sophistiqué pour signifier la résolution de problèmes, nous rendons hommage à l'auteur de la première mention écrite de l'algèbre, à ce savant de la fameuse "Maison de la Sagesse" de Bagdad, ville que l'on s'apprête d'ailleurs à tapisser de bombes. Et là les technologies de l'information et des algorithmes se révèlent à double tranchant, surtout quand elles s'inscrivent dans une logique de combat entre "axes du Bien et du Mal". Les technologies de l'information peuvent servir la lutte contre l'analphabétisme et le partage du savoir mais elles peuvent tout autant guider les missiles balistiques de type Tomahawk et autres armes prétendument "intelligentes", pourtant génératrices de "dommages collatéraux".

AI : Comment former les décideurs de toutes sortes à ces approches de la complexité, qu'ils ignorent presque tous ?
RB : Nos dirigeants politiques et décideurs économiques doivent d'abord se rendre compte qu'il existe une classe de problèmes pour lesquels la prédictibilité, le contrôle ne sont que très relatifs. Pour tenter d'agir sur le monde, ils doivent paradoxalement opérer un véritable "lâcher prise" en se délestant des principes sommaires de la première cybernétique, celle de l'asservissement et du contrôle de l'homme et de la machine, pour recourir aux idées de la seconde cybernétique qui s'inspirent de la logique du vivant comme l'auto-organisation et l'émergence, ou puiser du côté de la théorie mathématico-physique du chaos et de la sensibilité aux conditions initiales.

Considérons à titre d'exemple le sujet du terrorisme international où nous sommes tous d'accord sur le grave danger qu'il représente. Rappelez-vous tout d'abord comment la guerre du Golfe de 1991 fut vendue à l'opinion publique internationale ; une guerre "courte", " high-tech", "intelligente", "chirurgicale", quasi virtuelle puisque visible uniquement par écran interposé ; or je vois les évènements du 11 septembre 2001 comme un effet-retour, une remontée d'acide, ou si vous voulez la réponse low-tech d'une poignée de Bédouins hallucinés et irréductibles à cette version bêta de la guerre de l'information.

Toutes ces questions à l'évidence sont mal perçues et pensées par les décideurs politiques. Au lieu d'être conseillés par des politologues comme Paul Wolfowitz qui est un philosophe messianique dans l'âme (ce dirigeant du Pentagone n'a jamais servi dans l'armée et n'a aucune connaissance pratique de la guerre), ils devraient s'instruire auprès de spécialistes de la science des nœuds et des liens, de mécaniciens statisticiens, d'immunologistes, d'informaticiens, etc. qui les instruiraient sur la grande métaphore du réseau qui se déploie à l'horizontale à toutes les échelles d'observation. Le 11 septembre a marqué la grande vulnérabilité de la première puissance mondiale, et en tout premier lieu le cuisant échec et la faible intelligence – c'est vraiment le moins qu'on puisse dire – des services de renseignements américains qui font orgie de moyens technologiques et dépensent des dizaines de milliards de dollars chaque année pour espionner, écouter, photographier chaque mètre carré du globe. La guerre menée contre le terrorisme est pensée comme s'il fallait combattre la gangrène alors qu'il s'agit d'un virus, certes extrêmement dangereux, mais encore faut-il agir et prévenir en conséquence. Cela demande une thérapie appropriée. L'aviation, la grosse artillerie ne servent à rien, l'amputation ne changera rien ; on confond causes et symptômes et les remèdes sont pires que les maux, provoquant des rejets massifs vu l'étendue des dégâts collatéraux qu'ils provoquent. Ce n'est pas de chirurgiens mais d'acupuncteurs dont le monde a maintenant besoin pour renforcer ses défenses immunitaires contre pareils fléaux qui vont être amenés à se multiplier au sein de l'économie et de la société en réseau.

Ces digressions que je fais à propos de politique internationale et de terrorisme, c'est justement une mise en acte de l'effort de complexité ; j'essaie de montrer qu'il est urgent de changer notre mode d'analyse basé sur la science du contrôle et de la manipulation si l'on veut pouvoir agir sur les risques qui nous menacent. Il y a des choses que nous ne pourrons jamais contrôler ni même enrayer complètement, mais nous pouvons agir sur elles de manière à les circonscrire, pour limiter leur capacité de nuisance, jusqu'à les faire progressivement se résorber.

AI : En matière universitaire, ne faudrait-il pas organiser dès maintenant, et dès le premier cycle, sinon avant, des formations permettant d'approfondir les questions de complexité systémique évoquées dans votre livre ?
RB : Il faut bien entendu organiser des formations sur les sciences et la complexité, et l'on peut introduire dès le secondaire les problèmes mathématiques d'optimisation combinatoire (comme le problème du voyageur de commerce et la conjecture des quatre couleurs), instruire sur la puissance et les limites de l'intelligence artificielle, les scénarios de modèles d'univers. Tout ce qui s'appuie sur le calcul informatique a une chance d'être plus vite assimilé par un public jeune qui est, lui, vraiment très doué pour l'informatique. J'irais même plus loin en disant que cet enseignement peut et doit se faire en dehors de l'université, avant elle, dans les petites et moyennes entreprises dont l'évolution est directement liée au Réseau mais aussi dans les associations et autres ONG de la société civile globale qui s'organisent de mieux en mieux en couplant l'humanité solidaire et dispersée grâce à la connectique informatique, de plus en plus accessible du point de vue des coûts matériels. Il s'agit de s'approprier la science qui reste quoiqu'en dise la "méta-grammaire" de la révolution de l'information. Il faut que tout un chacun en possède les rudiments de manière à être en harmonie avec son environnement aussi bien naturel qu'urbain et technologique. Aujourd'hui, pour tenter de maîtriser un tant soit peu son devenir, l'individu contemporain, la société civile n'ont d'autre alternative que d'acquérir une culture scientifique. Avec cette invasion de la science et de la technologie dans tous les pans de notre réalité, leur connaissance devient un élément central de notre culture, un enjeu de citoyenneté. Je dis que la culture scientifique sera une culture citoyenne ou ne sera pas.

Aux jeunes générations, je dirais qu'il leur faut multiplier leur compétences, s'ouvrir à divers champs d'observation, développer la curiosité, cultiver le sens du dialogue, apprendre à reconnaître et respecter l'altérité proche et lointaine, en bref admettre que la réalité a divers facettes, qu'il existe une infinité de représentations du monde liées à des histoires, des cultures et des dispositifs d'observation particuliers. Et si je trouve la science si intéressante en ce début de siècle, c'est parce qu'elle reflète cette ouverture et cette "modestie épistémologique". Il faut savoir que la science a pendant longtemps commis des péchés, qu'elle a souvent contribué à la domination de sociétés entières, que pour beaucoup de peuples, particulièrement au Sud, la science a été perçue comme une production occidentale, une culture de l'arrogance. Il n'y a pas si longtemps les sciences, et plus particulièrement l'étude de l'évolution, servaient des visions franchement racistes ; j'en veux pour preuve ce que par exemple publiait la très académique Oxford University Press sous la plume de Sir Grafton Elliot Smith, un spécialiste réputé de la théorie de l'évolution(5). Ce qui en 1923 passait pour de la haute science serait en 2003 passible de tribunal pour racisme éhonté. C'est pour cela que je dis qu'heureusement l'histoire des sciences est par nature révisionniste, seule manière de mettre à jour la connaissance en se débarrassant de ses souillures majeures. Or par ses mises à jour, l'histoire des sciences révèle en outre, maintenant que se multiplient les traductions d'œuvres jusque-là ignorées, de plus en plus l'apport des autres cultures et civilisations à l'édification des sciences. Et nous n'en sommes qu'au début de ce type de démarche qui montre comment l'histoire des sciences s'actualise constamment, car rien n'est connu ou couru d'avance.

AI : Vous-mêmes, après avoir lu et entendu tout ceci, n'envisagez-vous pas d'écrire des synthèses, pour des publics de niveaux différents, qui n'auront pas le temps ou la compétence d'approfondir l'œuvre de chacun des scientifiques interrogés ? Le lecteur sent intuitivement qu'il y a derrière toutes ces vues des choses très profondes, touchant au cœur même de l'origine et de l'évolution de l'univers, que l'on regrette de ne pas voir regroupées.
RB : Après avoir cherché à comprendre la nouvelle physique de l'information, je suis tenté d'explorer lamétaphysique de l'information. Il est clair que le paradigme de l'information se retrouve maintenant en sciences absolument partout, à l'origine de la matière, qu'elle soit inerte, vivante ou pensante, et de l'existence.

Je suis frappé de constater combien la science reflète des motifs culturels puissants comme par exemple ceux des grandes spiritualités. Comment nier que la cosmologie du Big Bang, esquissée pour la première fois par le scientifique belge (et abbé) Georges Lemaître, est un reflet de la théologie médiévale chrétienne ? Pareillement, je verrais la complexité comme renvoyant anthropologiquement à une vision "polythéiste" du monde ou les êtres pensants traitent l'information extérieure en ramenant sa nature "multiduniste" aux grands nombres et à la diversité. Et comment ne pas voir que la quête scientifique pluricentenaire d'une théorie unique pour expliquer le monde (aujourd'hui encore avec la physique des cordes) tire son origine anthropologique du monothéisme et de sa réponse extrêmement concise? Sur le monde du vide, la vacuité, je vois l'influence de la pensée indienne qui inventa le zéro mathématique, ce rien qui a eu tant d'incidence sur la science et le monde, ou encore celle du bouddhiste Nagarjuna (IIe siècle) qui décrit les qualités subtiles du vide. Or aujourd'hui on décrit les qualités quantiques du vide pour expliquer l'origine du monde, avant l'explosion primordiale "du jour sans hier". Et puis vient l'heure des grands monothéismes qui nous disent que le meilleur traitement de l'information extérieure n'est pas de ramener le pluriel au pluriel (polythéisme) ou au vide-vacuité-sunyata (bouddhisme) mais à l'Unique. Et même entre les trois monothéismes, il y a des variations qui produisent différentes épistémologies. Je ne peux m'empêcher de voir la trinité comme une manière de traduire ou réduire la pluralité à un seuil raisonnable: trois, très (beaucoup), trans (au-delà) sont étymologiquement apparentés et signifient un seuil à partir duquel l'on verse vers la multitude de l'information. Quant au motif central de l'islam, ce n'est pas la trinité (Un = 1+1+1) mais l'unicité (tawhid) qui postule une dialectique entre l'un et le multiple (Un= 1x1x1x…x1). Je suis persuadé que ces motifs dirigent souterrainement et culturellement les productions scientifiques et philosophiques les plus achevées des différentes traditions humaines et la science reflète aussi ces motifs. J'aimerais m'y plonger quelque temps pour pouvoir le démontrer.

AI : Que pensez-vous de notre revue Automates intelligents ? Suggéreriez-vous des améliorations ?
RB : Autant du point de vue de la forme que du fond, la revue Automates intelligents est une expérience très inspirante pour la vulgarisation qu'elle propose sur des sujets comme l'IA et la robotique. La revue œuvre à une culture scientifique désormais incontournable et opère un décloisonnement salutaire y compris pour les scientifiques eux-mêmes. Elle montre que les médias sur le Réseau ne concurrencent pas les autres formes de supports d'information mais les complémentent. On y trouve des revues de livres très utiles pour faire ressortir la qualité de l'information au milieu de la "quantitude" de l'édition en flux tendus et des livres aux cycles de vie de plus en plus courts. J'apprécie son ouverture, peut-être pour l'heure un peu trop timide, aux sciences humaines et je nourris l'espoir que la revue développe cette ambition comme lors de ses incursions du côté du philosophe chrétien René Girard ou encore du démographe Emmanuel Todd qui à mon avis ont proposé les énoncés les plus éclairants pour expliquer ce qui se passe depuis le 11 septembre 2001. Je souhaiterais voir plus nettement affirmée cette direction qui signalerait les œuvres innovantes dans le domaine des sciences humaines. Aux Automates intelligents qui servent et enrichissent si utilement les humanités, je dis : bon vent et longue vie !


Notes

 

1) Pour une présentation de la revue Le Temps stratégique consulter la page :http://www.archipress.org/ts/topots.htm
Un numéro de cette revue consacré à "des ordinateurs presque vivants" est également disponible en ligne (http://www.archipress.org/ts82)2) Voir Bidonville et recasement, modes de vie à karyan Ben M'sik (Casablanca), Institut Universitaire d'Études du Développement (IUED), Université de Genève, No 73, 1993, 200 pages,http://www.archipress.org/these/index.htm3) Agnessa Babloyantz, "Le cerveau de l'homme engendre du chaos…", Le Temps stratégique, No 73, Genève, Décembre 1996, http://www.archipress.org/ts/babloyantz.htm.4) – Cf. "The cultural dimension of the current crisis (on the origins of the "clash of civilizations")", Behind the News, Genève, No 13, Février 2002, http://www.wcc-coe.org/wcc/behindthenews/bulletin14.html#5b
– Cf. Jacques Berque, Quel Islam ? Postface de Réda Benkirane, Sindbad-Actes Sud, Paris, mars 2003,http://www.archipress.org/quelislam/

 

5) Voir à titre d'exemple ce qu'écrivait, il y a moins d'un siècle, le scientifique britannique Sir Grafton Elliot Smith dans ses Essays on the Evolution of Man (Oxford, Oxford University Press, 1923) où il suggérait une classification des races culminant avec la "race alpine". Cf Réda Benkirane, L'image de la prison de Wyndham, compte-rendu sur Sciences, races et (anti)racisme, @rchipress, 2000,http://www.archipress.org/press/image.htm
© Automates Intelligents 2003

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