par Réda Benkirane
Janvier 2009, No 426
Le krach boursier et ses conséquences pour l’heure incalculables pourraient suggérer que l’âge d’or du capitalisme financier touche à sa fin et que nous entamons dorénavant sa phase d’obsolescence. Automatisés et démultipliés par l’infotechnologie, les marchés financiers, auraient ainsi fini par être soumis à une colossale « destruction créatrice ».
On peut poser la question de savoir si la « main invisible » entrevue par Adam Smith n’émane pas d’un avatar providentiel, d’une divinité du commerce et de l’argent. En un laps de temps foudroyant, l’ultralibéralisme est en effet devenu la première religion de la planète. Sa vulgate officielle présente l’économie comme une science exacte, dotée de « lois » (que personne ne comprend) et sa logique marchande comme un acide qui dissout toutes les autres formes d’économie. Elle a imposé le capitalisme comme un processus (im)matériel totipotent qui imprime désormais son empreinte biosphérique et fait de l’individu-citoyen un être-de-croyance gouverné tel un automate à pulsions ou un être-prêt-à-consommer. L’individu tant loué par les disciples de l’Ecole de Chicago est en réalité sommé de se soumettre aux impératifs du marché, écrasé par un déterminisme encore plus impitoyable que celui du dieu biblique. Cette foi aveugle dans le dogme (« les marchés ont toujours raison », « l’économie ne ment pas ») a été mise en pièce par une bulle immobilière qui s’est transformée en crise du crédit. Qui « croit » encore que l’auto-régulation du marché est seule à même de « transcender » ses propres contradictions et apories ?
Dans son aspect constructif et créatif et n’en déplaise aux prêtres – désormais défroqués – de Wall Street, la chute actuelle du capitalisme financier permet un salutaire sursaut laïc. Désanctifier les marchés revient aujourd’hui à re-réguler les échanges commerciaux et financiers, à tenter d’imposer des limites conceptuelles mais aussi psychologiques à la marchandisation du monde.
La raison économique pas plus que « l’esprit » du capitalisme du 21ème siècle ne relèvent d’une ontologie divine ou encore d’une théologie calviniste. La raison économique peut générer des mécanismes d’auto-organisation par la dynamique interne d’un très grand nombre d’agents. Mais parce qu’elle sécrète intrinsèquement du hasard et de l’incertitude, cette raison peut tout autant basculer dans le non-équilibre pour des causes inhérentes à la nature même – non linéaire – des marchés. Du fait que la globalisation économique a rendu les marchés hautement interdépendants, et ceux-ci étant sujets à des boucles rétroactives (cercles vicieux et vertueux), la dérégulation les expose de manière plus accrue aux situations de risque critique. La prédiction et la prospective sont à horizon très limité, seule la post-diction rétrospective est envisageable. D’où la nécessité d’instaurer des garde-fous.
De cet abyssal collapse financier, nous entrevoyons la fin du fondamentalisme du marché et du culte irrationnel du libre-échange, du laissez-faire et de la privatisation à tout va. Le processus weberien de rationalisation croissante des sociétés modernes se poursuit donc : le message profond de l’économie et de la finance du 21esiècle confirme que nous n’en finissons pas de sortir de la religion, et que nous allons de désenchantement en désenvoûtement.