Futurs du monde islamique
étude du futur :
nécessités, réalités et horizons*
Version
anglaise
C'est un grand honneur pour moi de me trouver
au milieu d'une telle assemblée d'hommes et de femmes
distingués qui ont tant contribué à la clarification
des problèmes que le monde islamique confronte. Notre
sujet est très stratégique pour l'avenir du monde
musulman surtout à un moment où toute la planète
est secouée par des ruptures et des mutations que ceux
qui font de la prospective prévoyaient depuis quelques
années. Je suis donc très conscient de la difficulté
de notre tâche collective et encore plus conscient de mes
limites face à la complexité du thème qui
nous concerne à cette réunion.
Cela fait vingt cinq ans que je mène des recherches dans
le domaine de la prospective. Je pense avoir participé
à plus de deux cents conférences et séminaires
internationaux traitant du futur, mais c'est la première
fois, à ma connaissance, que se tient un colloque international
exclusivement consacré à la prospective des problèmes
concernant l'Islam et aux méthodes de recherche à
envisager dans ce domaine. C'est un signe de maturité,
espérons qu'il sera suivi d'autres initiatives de ce genre
et de programmes de recherches concrets avec des moyens adéquats.
J'espère que l'origine géographique des participants
dépassera, lors des prochaines activités du Centre,
l'espace du Monde arabe qui, après tout, ne représente
que 20% des musulmans qui se trouvent aux cinq coins de la terre.
Il faut éviter tout risque d'éthnocentrisme lorsqu'il
s'agit d'Islam car il est contraire à son esprit qui ne
nie pas l'importance de la diversité -mais une diversité
qui mène à l'unité. "O vous, les constitués
en peuples et en tribus pour que vous connaissez entre vous.
le plus noble d'entre vous, auprès de Dieu, est le plus
pieux d'entre vous". (Al Hojorate : 13).
Le symposium est donc à mes yeux comme une répétition
pour d'autres rencontres beaucoup plus représentatives
des réalités et des potentialités du Monde
musulman. Évitons donc de généraliser, comme le
font consciemment les occidentaux, à l'ensemble des pays
musulmans la problématique spécifique du Monde
arabe. Ceci n'est pas une critique mais une simple réserve
quant à la validité universelle de nos propos et
conclusions éventuelles.
Mon exposé comprendra trois parties :
I. - Importance des études du futur
II. - Les réalités : a) du monde ; b) du monde
islamique
III. - Les horizons futurs du monde islamique
I. Importance des études
du futur
Permettez-moi, puisque notre sujet concerne
le futur de l'Islam de clarifier quelques concepts islamiques.
En Islam il y a une très nette distinction entre "El-ghaib"
qui est du ressort de Dieu qui seul connaît l'inconnu,
et le "mystère", d'une part, et la notion du
futur dans le sens où nous l'utilisons dans la prospective,
c'est-à-dire une projection dans le temps des conséquences
de nos actions et inactions d'aujourd'hui. Il ne s'agit ni de
prophétie ni de divinations.
Le mot "mustaqbal" (futur) ne se trouve pas dans le
Coran mais on trouve le mot "mustaqbil" un de ses dérivés
:
"Puis, voyant cela comme un nuage se diriger vers leurs
vallées, ils dirent : "Voici un nuage, il va pleuvoir".
"Au contraire ! c'est cela même que vous cherchez
à hâter : un vent, et défend, un châtiment
douloureux" (Al-Ahcâf, 24).
Le Coran est plein de références aux notions qui
ont trait à la vision et à l'avenir ("rou'iya",
"ennadra"...)
"Ho, les croyants! Craignez Dieu. Que chacun considère
ce qu'il a préparé pour demain!" (Al-Hachr-18).
"N'ont-ils pas considéré le super-royaume
des cieux et de terre et toute la chose que Dieu a créée
et que peut-être leur terme est déjà proche
? Par quel discours croiront-ils donc, après cela ?"
(Al-Aaraf-185).
"Et de ce qu'ils prévariquaient, la Parole leur tombera
dessus. Ils ne parleront donc point. N'ont-ils pas vu qu'en vérité
Nous avons désigné la nuit pour qu'ils aient repos,
et le jour pour voir ? Voilà bien là les signes,
vraiment, pour des gens qui croient! Et le jour où l'on
soufflera dans la Trompe! Puis ils seront effrayés, tous
ceux qui sont dans les cieux et tous ceux qui sont sur la terre,
-sauf qui Dieu veut! Et tous viendront à lui en s'humiliant.
Et tu verras les montagnes ! Tu les compteras pour figées,
alors qu'elles marcheront de la démarche du nuage. Fabrication
de Dieu, Lequel perfectionne toute chose. Il est bien informé,
vraiment, de ce que vous faites". (Les fourmis, 86-88).
Toutes ces Sourates lancent des appels pour profiter du présent
tout en oeuvrant avec perspicacité pour l'avenir, cet
avenir est à la fois l'au-delà et la vie ici bas.
Quant au mot "el-ghad" (demain), il est cité
cinq fois dans le Coran et l'utilisation de la forme du futur
dans les verbes y est assez fréquente :
"Que chacun considère ce qu'il a préparé
pour demain". (Al-Hachr-18).
"Envoie-le demain avec nous faire une promenade au pâturage,
et jouer, cependant que nous serons pour lui des gardiens"
(Youssouf-12).
"Et ne dis jamais, à propos d'une chose : oui, je
vais faire cela demain". (El-Kahf-23).
"Et personne sait ce qu'il s'acquerra demain, et personne
ne sait dans quelle terre il mourra" (Lucman-34).
"Demain, ils sauront qui est le grand menteur, l'insolent".
(La Lune-26).
Il y a lieu de constater qu'au moment où le premier verset,
comporte un appel clair à l'exploration du futur pour
consolider la foi du croyant et lui éviter toute surprise,
le troisième et le quatrième versets rejettent
toute forme de prophétie ou de divination.
Si l'on se penche sur les versets du Coran précités,
on comprendra qu'ils appellent à éviter de prophétiser
une image unique de l'avenir et de prétendre le connaître
d'avance. Quant au fait de projeter une multitude de conceptions
du futur, c'est ce à quoi nous sommes appelés à
oeuvrer afin de prévenir le mal et d'arriver au bien-être
auquel nous aspirons; le futur est donc pluriel et ouvert.
Je pense que l'Islam est en soi une "vision" à
la fois de ce monde et de l'autre monde. Il comporte un message
dynamique basé sur le changement (ettaghiyir) -un changement
dont l'initiative, dans les domaines politique, économique,
social et culturel, revient à l'homme qui est maître
de son devenir. Le changement est en effet une nécessité
pour un avenir meilleur et la parole de Dieu est claire à
ce sujet : "En vérité, Dieu ne change rien
en un peuple, tant qu'ils n'ont rien changé en eux-mêmes"
(Ar-ra'd-13 : verset II).
Il y a donc lieu d'éviter une autre confusion concernant
le concept de "bid'a" (hérésie) signifiant
une transformation et une violation des fondements spirituels
de l'Islam, d'une part et le changement en tant que facteur dynamique
de toute société vivante qui ne saurait se faire
sans innovation (ibda'). Toute matière vivante qui ne
change pas meurt, il en est ainsi de l'être humain et de
la société. Ceux qui craignent le changement, le
font, non pas pour des raisons de culte, mais pour des motifs
d'ordre social car ils ont des privilèges à conserver.
Ceux-ci ont toujours tendance à s'opposer au changement
en invoquant l'hérésie.
La régression du Monde islamique et tous les malheurs
qui en découlent peuvent être attribués à
ce conservatisme qui a étouffé l'innovation, l'imagination
et la créativité à partir du Xème
et XIème siècle quand des soi-disant doctes ont
"fermé" la "porte" de l'Ijtihad (recherche).
Comment rattraper ce retard ? C'est en cherchant à répondre
à une pareille question que l'on découvre toute
l'importance de l'étude du futur qui nous force à
lire les "horizons". Dieu n'a-t-il pas dit :
"Nous leur montrerons bientôt nos signes, dans l'Univers
et en eux-mêmes, jusqu'à ce qu'ils voient clairement
que ceci est la vérité. Ne suffit-il pas que ton
Seigneur soit témoin de toute chose ?" (Fuçaylat-41
: Verset 53).
Le Prophète Sidna Mohammed regardait toujours devant lui
et ne se retournait jamais en arrière. l'Islam en tant
que religion et société est avant tout un regard
porté sur l'horizon, pour les questions de ce monde et
de celles de l'au-delà. Car c'est de ces regards que dépendent
les actions pour lesquelles nous sommes responsables auprès
de nous-mêmes, de la société et de Dieu.
Toute l'action humaine sur le plan religieux et social, en Islam,
est guidée par les conséquences de cette action
à la fois sur terre et lors du jugement dernier. Elle
implique une intégration du futur dans l'acte quotidien.
Un hadith du Prophète dit : "L'Islam efface ce qui
précède", c'est-à-dire le fait qu'un
individu embrasse la religion musulmane lui donne deux particularités:
la première c'est que l'Islam lui efface tous les pêchés
précédents parce qu'il n'y a plus besoin d'y revenir
afin de s'intéresser à l'avenir. La deuxième
c'est la responsabilité que l'Islam fait assumer à
l'individu ce qui va advenir, c'est-à-dire l'encourager
à s'intéresser à son avenir et à
ses aspirations futures. Le verset coranique qui dit : "Que
chacun considère ce qu'il a préparé pour
demain" est à cet égard édifiant.
Ces remarques préliminaires ne visaient qu'à dissiper
tout malentendu et éviter toute interprétation
de l'Islam qui le rejetterait dans le fatalisme où la
personne et la société ne seraient plus maîtres
de leurs destins. Pour que nous puissions faire face aux défis
du futur, nous devrions d'abord procéder à un grand
nettoyage de nos cerveaux, comme le disait, il y a 40 ans, le
Cheikh Mohammed Belarbi El Alaoui : "Nos têtes ressemblent
à un grand dépôt d'ordures qui a besoin d'énormes
moyens de nettoyage pour devenir propre et purifié de
ces déchets".
Les études du futur représentent un phénomène
assez récent qui date de la fin de la Deuxième
Guerre Mondiale. Les premiers travaux de prospective étaient
entrepris par la Rand Corporation pour le compte du Pentagone
des années 1946. C'est pour cela que l'on trouve un lien
assez étroit entre les études stratégiques
et les études de prospective.
Ce n'est que vers la fin des années 1960 que les études
sur le futur ont pris un véritable départ. Mais
même à ce jour près des deux tiers des recherches
sur le futur sont menées soit par le secteur militaire
soit par les firmes multinationales. On retrouve ainsi le même
phénomène que celui qui prévaut dans le
domaine du financement de la recherche scientifique.
Elles ont pris un très grand essor dans les pays industrialisés,
sur les plans de la formation, de la documentation, de la recherche
et des applications concrètes. Près de 97% des
dépenses totales sur la recherche prospective s'effectuent
dans ces pays et moins de 3% dans le Tiers-Monde qui compte 80%
de la population mondiale.
La sous-estimation de l'importance stratégique du futur
est un des symptômes les plus aigus du sous-développement.
Il est toujours difficile de faire comprendre une règle
bien simple qui veut que plus un phénomène est
grave, intense et urgent, plus sa solution réelle dépend
d'une vision à long terme. Le développement commence
lorsqu'une population se donne les moyens de réfléchir
sur son futur en cherchant un consensus sur des projets de société.
Les études du futur ne constituent pas une science même
si leurs méthodologies ont recours à plusieurs
sciences exactes et sociales. Il s'agit d'étudier, avec
une démarche ouverte, en retenant des alternatives et
des choix, les diverses évolutions d'une situation donnée
et les conséquences possibles de telle ou telle décision
sur ces évolutions. C'est pourquoi on parle toujours des
futurs et non du futur. Le but essentiel est de définir
des objectifs désirables et de voir comment on peut les
rendre possibles à moyen ou long terme en agissant sur
le présent.
Lorsqu'on demanda à Einstein pourquoi il s'intéressait
au futur, sa réponse fut bien simple, "parce que
j'ai l'intention d'y passer le reste de ma vie".
Une fonction principale des études du futur a trait à
leur mission pédagogique car elles transforment les structures
mentales et contribuent à la réduction du décalage
entre la rapidité du développement technologique
et le temps nécessaire pour l'assimiler d'une façon
utile en évitant ses retombées négatives.
J'ai toujours souligné la nécessité impérieuse
de la culture et des valeurs dans le développement. Il
est évident que l'Islam en tant que force de changement
et d'innovation jouera un rôle prépondérant
dans notre évolution puisqu'il existe de nos jours un
retour volontaire aux valeurs spirituelles, particulièrement
chez les jeunes.
Il est également évident que si la jeunesse musulmane
retourne actuellement aux sources, c'est pour retrouver des valeurs
endogènes pour guider ses pas. L'avenir escompté
par le monde arabe et musulman passera nécessairement
par un renouveau de l'Islam -un Islam de recherche (Ijtihad)
et non l'Islam des imitations qui a été à
l'origine de l'effondrement de notre civilisation et qui s'est
progressivement éloignée de sa mission d'innovation
et de créativité. Si le Prophète Sidna Mohammed
et ses Compagnons n'avaient projeté l'avenir, il n'y aurait
peut-être pas actuellement 1 milliard 200 millions de musulmans
dans le monde.
II. Réalités contemporaines
A. Réalités mondiales
De nos jours, plusieurs phénomènes
caractérisent le monde dont les plus importants sont :
1. L'accélération de l'histoire -la connaissance
totale mondiale double actuellement tous les 7 ou 8 ans. Un article
scientifique est publié toutes les deux minutes quelque
part dans le monde.
2. La complexité croissante que cette accélération
engendre.
3. Le rétrécissement du temps et de l'espace.
4. La transition d'une société de production à
une société du savoir où les ressources
humaines deviennent plus importantes que les matières
premières (baisse de 25% en 1989) et où le capital
n'est plus rentable sans ressources humaines, matière
grise et innovation. Pour illustrer le principe de l'accélération
de l'histoire et la rapidité du changement et ses implications
au niveau des ressources humaines, par exemple, il suffit de
se référer à l'étude entreprise par
le Ministère de l'Enseignement de l'Espagne selon laquelle
on ne trouve pas de formation correspondante dans les institutions
post-secondaires pour la moitié des emplois dont on aura
besoin en l'An 2000.
5. Le rôle accru de la culture -il y a 22 ans, lors de
la première table ronde Nord-Sud, organisée par
la Société Internationale pour le Développement
(SID) à Rome en mai 1978, j'avais insisté sur le
fait que l'aspect le plus politique et le plus déterminant
dans les rapports Nord-Sud était d'ordre culturel car
il concernait les valeurs,
"Il faut accorder une priorité aux systèmes
de valeurs pour démontrer que la crise actuelle entre
le Nord et le Sud ne peut être surmontée par simple
adaptation. C'est une crise du système dans son ensemble.
Toute solution doit passer par une nouvelle définition
des objectifs, des fonctions et structures, et une redistribution
du pouvoir et des ressources selon une échelle de valeur
différente de celle qui a causé la crise et l'effondrement
du système actuel".
7. La croissance démographique et jeunesse de la population
au Sud, et stabilisation ou baisse de la population accompagnées
d'un vieillissement au Nord. (Dans le monde musulman 50% de la
population a moins de 16 ans et plus des deux tiers ont moins
de 30 ans).
8. Le rôle des technologies avancées : informatique,
télématique, robotique, intelligence artificielle,
sciences de l'espace, biotechnologies, nouveaux matériaux...
L'industrie dans ces secteurs consacre entre 8% et 12% de son
chiffre d'affaires à la recherche et un montant presque
égal à la formation de son personnel.
Il ne faut pas fonder l'espoir sur ce que l'on appelle le "transfert
de technologie" -on ne transfert que des produits dépassés
à des prix injustifiés. La maîtrise des technologies
est le résultat d'un travail et d'une recherche endogènes.
Ce processus là ne se vend pas et ne s'achète pas
-il s'acquiert par le savoir et la créativité.
9. Le nouveau rôle prépondérant de l'information
et de la communication -ce nouveau secteur représente
maintenant 40% de la production industrielle mondiale et plus
de 60% des emplois dans le monde industrialisé. Il y a
un énorme déséquilibre entre le Nord et
le Sud dans ce domaine car le premier contrôle près
de 85% des activités concernant ce secteur avec des conséquences
politiques, économiques, sociales et culturelles dont
on commence à peine à mesurer l'impact.
10. L'intégration économique et la constitution
de grands ensembles: aucun ensemble économique de moins
de 150 millions d'habitants ne pourra faire une entrée
digne dans le XXIème siècle (Grande Europe : 350
millions; Amérique du Nord : près de 300 millions
; Sud-Est Asiatique : 350 millions).
11. La culture dans le sens large du terme est maintenant le
point le plus stratégique dans les rapports entre les
Etats. Les problèmes que posent la communication culturelle
seront les sources possibles des conflits de l'avenir bien plus
que les questions politiques ou économiques.
12. L'équation : modernité = occidentalisation
s'est avérée fausse. L'expérience du Japon
en est la meilleure preuve. Dans un rapport publié en
1989 par le NIRA (Nippon Institute for Research Advancement)
intitulé "Ordre du jour pour le Japon des années
1990", on peut lire,
"il faut désormais voir le monde différemment,
mettre de côté le vieux préjugé d'un
ordre mondial stratifié sous l'Empire américain.
Le nouvel ordre mondial, qu'on pourrait appeler l'âge de
la diversité des civilisations repose sur la coexistence
de multiples civilisations... Si l'occidentalisation a fait progresser
le monde sur le plan matériel, la modernisation du Japon
témoigne de la distinction entre modernisation et occidentalisation".
13. L'"immatérialisation" du matériel
et la "matérialisation" de l'immatériel
: les produits industriels requièrent de moins en moins
de matières premières et de plus en plus de valeur
ajoutée sous forme de matière grise. Un exemple
de cette immatérialisation est le recours au fibre optique
qui a énormément réduit la quantité
de matière utilisée en comparaison avec le cuivre,
miniaturisation, micro-processeurs et puces électroniques.
On parle ainsi de l'immatérialisation de l'économie.
Par ailleurs, grâce au progrès dans les "nouvelles"
sciences, physique des particules, biologie moléculaire,
neurophysiologie,... la physique classique de Newton est remise
en cause parce qu'elle est essentiellement mécanique et
n'explique plus tous les phénomènes observables
au niveau de l'Univers. Toujours dans la même ligne de
pensée, on trouve que le rationalisme de Descartes peut
être un obstacle à la compréhension scientifique
de phénomènes qui échappent à la
rigidité d'un tel cadre. C'est ainsi qu'on parvient à
ne plus établir mécaniquement des frontières
entre le monde du matériel et celui de l'immatériel
dont l'appréhension scientifique se dessine dans un futur
lointain.
Pour une plus ample explication de ces nouvelles tendances on
pourra se référer à la "Déclaration
de Vancouver sur la survie au XXIème siècle"
adoptée en septembre 1989 à la suite d'un colloque
interdisciplinaire organisé par l'UNESCO. En voici des
extraits,
"Dans cette vision scientifique nouvelle, les valeurs humaines
s'élargissent en conséquences. C'est dans le contexte
des images convergentes de l'homme proposées par les progrès
récents de la science et de la culture que nous cherchons
les modèles d'un avenir qui permette à l'homme
de survivre dans la dignité et en harmonie avec son environnement...
"Ces idées modifient la conception de la place de
l'homme dans la nature et appellent une transformation radicale
des modèles de développement..."
14. Le reflux du spirituel dans toutes les régions du
monde était prévisible et même nécessaire
compte tenu des excès du matérialisme philosophique
du communisme et du matérialisme concret du capitalisme.
Ce reflux a été à la base et au coeur même
des mutations que vit l'Europe de l'Est. Il est également
la source d'importantes secousses dans les sociétés
musulmanes mais avec des populations beaucoup moins instruites
et plus susceptibles d'être exploitées à
d'autres fins assez éloignées de ce nouvel élan
universel. Cela ne pourra pas affecter à long terme une
soif pour les valeurs spirituelles à un moment où
le monde entier traverse une grande crise éthique et morale.
B. Réalités du
monde islamique
1. Une société sous-développée
Parlons d'abord des 43 États qui se considèrent
musulmans. Le seul critère dont nous disposons objectivement
est celui de l'adhésion volontaire à l'ISESCO.
Les statistiques disponibles indiquent que la population du monde
islamique s'élève à 700 millions d'habitants
avec une moyenne de 16 millions par pays. Toutefois, 22 pays
ont une population inférieure à cinq millions alors
que la moyenne des États membres de l'ONU est supérieure
à 30 millions d'où la balkanisation du monde islamique.
Plus de 300 millions de musulmans résident dans des pays
qui n'appartiennent ni à l'ISESCO, ni à l'Organisation
de la Conférence Islamique. Le monde musulman représente
plus du 1/5 de la population de la planète et du 1/3 de
celle du Tiers-Monde.
Sur le plan mondial, le monde musulman est le plus pauvre, le
moins alphabétisé, le plus dépendant sur
le plan alimentaire, dont le taux d'espérance de vie est
le plus bas, qui investit le moins dans la recherche scientifique,
qui publie le moins de livres par tête d'habitant, qui
lit le moins, dont la créativité est une des plus
faible, dont l'innovation est presque inexistante, où
la participation de la population est plus réduite, où
l'abus des libertés publiques et des droits de l'homme
est des plus flagrants, où la femme dispose de moins de
liberté, où la corruption est la plus répandue,
qui subit le plus de pertes humaines à cause de conflits
internes car il est le plus divisé, qui souffre le plus
des inégalités des rapports Nord-Sud, et qui fait
face à la plus grande campagne organisée par les
médias occidentaux contre ses valeurs culturelles et spirituelles.
C'est aussi celui qui achète le plus d'armes par tête
d'habitant et en même temps celui dont les dépôts
à l'étranger son supérieurs à sa
dette internationale. Voici toute une réalité crue
qui devrait donner à réfléchir et à
se préoccuper de l'avenir.
Comment peut-on se considérer comme musulman sur terre
si l'on n'est même pas capable de suivre la première
directive de Dieu telle qu'elle ressort du premier verset révélé
du Coran "Lis au nom de ton Seigneur..." Peut-on dire
qu'il y a une société musulmane si la majorité
de ses membres ne sont pas en mesure d'accéder eux-mêmes
directement au Livre Saint sans passer par des intermédiaires
? La grande force de l'Islam n'est-elle pas d'avoir supprimé
tout clergé en laissant l'être humain en relation
directe avec Dieu ? L'analphabétisme est-il la conséquence
de manque de moyens pour l'éradiquer ou n'est-il que le
reflet d'un manque de volonté politique ou de la crainte
de ce qu'une société musulmane instruite pourrait
apporter comme changements dans la gestion de la cité
musulmane ?
Sur 540 Prix Nobel décernés depuis 1901 -en dépit
de nos réserves sur le mode de son octroi et du choix
de ses candidats, seuls trois musulmans en ont été
récompensés (Abdus Salam, Anouar Sadate et Najib
Mahfouz), soit 0,05% du nombre total des lauréats alors
que le monde musulman compte plus de 20% de la population mondiale.
Non seulement nous ne développons pas nos ressources humaines
qui représentent aujourd'hui, et encore plus demain, le
capital principal de la société, mais nous nous
offrons même le luxe de retarder l'émancipation
de la moitié de la population musulmane, soit plus de
500 millions d'êtres humains, par une politique anti-islamique
à l'égard de la femme à laquelle la religion
a donné tous les droits. C'est un des problèmes
les plus graves et les plus urgents auquel le monde musulman
ne peut trop tarder à trouver une solution rapide et efficace.
2. Les aspects du sous-développement
La situation dans le monde musulman est
caractérisée par plusieurs aspects du sous-développement
qui se résument comme suit :
a) Absence de données économiques et socioculturelles sur le monde islamique. Il est surprenant de constater à
ce sujet que les meilleurs centres de documentation et de données
se trouvent dans les pays industrialisés dont un plus
grand nombre est financé par nos pays. Il est une autre
réalité amère qui prouve la gravité
de notre désintéressement vis-à-vis des
affaires qui nous concernent et l'intérêt que les
autres leur accordent réside dans le fait que c'est au
Vatican qu'on doit la première estimation du nombre de
musulmans dans le monde publiée au début des années
1980 à la suite d'un travail qui a mobilisé 600
personnes dans 200 pays et territoires et qui a nécessité
un travail de 10 ans.
b) L'histoire de notre récent passé est encore
colonisée, notre présent nous échappe en
grande partie, et même notre futur est déjà
hypothéqué par les études et les scénarios
des autres sur lesquels nous nous fions, lorsque nous y avons
accès, sans la moindre hésitation. Notre futur
risquerait à ce moment là de n'être qu'une
copie non-viable du passé des autres. La seule amère
réalité à l'heure actuelle est que le monde
musulman n'est pas maître de sa propre destinée
et que son indépendance reste formelle sur beaucoup de
plans. La véritable décolonisation est devant nous.
Elle prendra plusieurs décennies.
Il est une autre constatation aussi amère que les précédentes
et qui témoigne de notre absence dans la prise en main
de notre destinée, c'est qu'il y a 1087 ans, un orientaliste
anglais, W.C Blunt publiait à Londres un livre intitulé
"The future of Islam", et ce n'est que 103 ans plus
tard qu'un musulman du Pakistan, Ziauddin Sardar écrivait
"Islamic Futures" publié également à
Londres en 1985.
c) La grande crise dont souffre le monde islamique contemporain
découle de l'absence d'une vision claire sur les actions
futures des élites au pouvoir et l'inexistence d'une clairvoyance
en raison de leur ignorance de la réalité et de
ses différents courants d'une part, et de leur crainte
et leur réserve vis-à-vis de toute action engagée
par les couches de la société par peur de porter
atteinte à leurs privilèges et de restreindre leur
autorité et leur influence, d'autre part.
Il y a donc un mimétisme aveugle de tout ce qui est dicté
par l'Occident, une obéissance totale aux "conseils"
des services de renseignements étrangers et aux directives
des conseillers des pays protecteurs qu'ils soient de l'Est ou
de l'Ouest, l'absence totale de toute consultation populaire
ou d'expressions collectives sur les aspirations de la société
et l'inexistence de toute participation effective à l'élaboration
des programmes d'actions destinés à relever les
défis, réaliser les objectifs possibles et réalisables
et à édifier un État de Droit. En effet, les élites
au pouvoir ne sont préoccupés que par les mouvements
de l'opposition croyant que toute inattention serait à
l'origine de leur éloignement du pouvoir. Mais quand il
s'agit de résoudre les problèmes de leurs sociétés,
c'est alors l'improvisation totale avec des moyens de bord évitant
ainsi toute vision globale et à long terme du futur estimant
que tout changement qui pourrait intervenir sera résolu
en son temps et qu'elles seraient les premières à
l'entrevoir.
d) Le taux très élevé des analphabètes
: les taux d'analphabétisme dans le monde islamique sont
les plus élevés dans le monde et dépassent
80% dans certains pays islamiques et rares sont ceux qui y disposent
d'un taux d'analphabétisme au-dessous de 50%. A cette
situation grave s'ajoutent l'inexistence de tout programme d'alphabétisation
et l'apparition d'un nouveau genre d'analphabétisme au
sein des alphabètes à savoir les lavages de cerveau
et leur ignorance totale de tout ce qui se passe dans leur pays
et leur environnement. Il n'y aura donc aucune perspective d'un
avenir meilleur pour le monde musulman sans une lutte effective
contre l'analphabétisme qui ne demande pas plus de cinq
ans dans le cas d'une mobilisation des bonnes volontés
et le déploiement de tous les efforts pour son éradication.
Dans une situation pareille, il est normal que les taux de scolarisation,
la construction d'écoles, et d'universités, la
formation de médecins et de pharmaciens, la construction
d'hôpitaux, de bibliothèques et de maisons d'édition
soient faibles.
e) L'absence de recherche scientifique
La recherche requiert un environnement
scientifique, de solides bases éducationnelles et le droit
à la libre expression des citoyens. Ces besoins sont indispensables
pour l'innovation et la création -conditions essentielles
pour toute recherche scientifique. Le monde islamique, malheureusement,
n'accorde pas beaucoup d'intérêt à la recherche
scientifique, et investit des sommes extrêmement faibles
dans ce domaine. Ceci est vrai pour l'ensemble du Tiers-Monde.
Il en résulte une hémorragie permanente de cerveaux
créateurs attirés, d'une part, par l'importance
que l'Étranger leur accorde et les possibilités qu'il
leur offre, et rebutés, d'autre part, par des sociétés
qui bloquent tout épanouissement scientifique.
Je me permets de préciser à ce sujet, qu'il n'y
aura aucune place pour la recherche scientifique, et partant,
pour le progrès tant que les portes de l'Ijtihad (effort
de réflexion et d'innovation dans le droit musulman) ne
seront pas totalement ouvertes et qu'on n'aura pas formulé
des conceptions modernes de l'Ijtihad -conceptions qui devront
sauvegarder à l'Islam sa pure essence, et se débarrasser
des obstacles et des entraves dressées par la réaction
et qui ont enchaîné la communauté musulmane
en l'emprisonnant dans le sous-développement et en la
maintenant dans la décadence. Parallèlement à
cela, il est nécessaire qu'une véritable pluralité
politique soit instaurée et que le droit à la différence
et à la multiplicité des opinions librement exprimées
devienne une réalité tangible.
f) Une crise des valeurs socioculturelles de plus en plus aiguë
La vaste majorité de nos responsables
jouissent de peu de crédibilité. Leurs politiques
au niveau de l'économie nationale sont entachées
de népotisme, d'indifférence et de grandes carences
administratives. Le transfert de montants exorbitants à
l'étranger est devenu chose légitime que les accapareurs
utilisent pour assurer de loin, la permanence de leur influence
à l'intérieur et protéger leur avenir contre
les changements imprévus qui pourraient les surprendre.
Cette panoplie peut être complétée par le
trafic d'influence, l'injustice sociale, l'effondrement au sein
des sociétés musulmanes de l'ordre des valeurs
morales.
g) Des modèles de développement
importés inadaptés
Nos plans de développement ont pour
point de départ l'imitation aveugle de l'Occident, ainsi
que la dépendance à son égard en matière
d'assistance. Il est regrettable de constater chez les planificateurs
dans le monde musulman des conceptions de développement
qui marginalisent le rôle de la science et de la technologie.
Le développement n'est pas un programme visant seulement
à répartir le revenu et assurer les services, mais
le développement c'est surtout la science quand elle devient
culture, comme l'a si bien fait observer René Maheu, l'ancien
directeur général de l'UNESCO.
h) L'absence de l'État de Droit
et des libertés publiques
Les pays musulmans, dans leur ensemble,
sont caractérisés par la tyrannie et l'accaparement
du pouvoir. L'opinion est muselée et la personne humaine
étouffée. Comment voulez-vous disposer d'un climat
propice au développement de la recherche scientifique
nécessaire au progrès, et à l'édification
de la civilisation dans un tel environnement chargé de
répression, d'atteintes aux libertés, et d'insulte
à la dignité ? Le droit à la liberté
d'expression, d'innovation, de création, le droit à
différence et à la liberté de diffusion
des idées ne saurait être assuré que grâce
au respect des droits de l'homme et au règne de l'État
de Droit.
i) La médiocrité de la situation réservée
à la femme dont on ne reconnaît pas le droit important
et essentiel à l'édification de la société.
Ce faisant nous nous sommes condamnés à paralyser
la moitié de la société dans son droit à
l'épanouissement et nous avons ainsi commis le crime d'immobiliser
les énergies et les cerveaux de plus de 500 millions d'âmes.
Le sous-développement qui règne aujourd'hui dans
la société musulmane a, pour une grosse part, pour
origine la marginalisation du rôle de la femme. Puisque
nous parlons de l'Islam et de son avenir, nous devons préciser
qu'il est honteux que certains ignorants continuent à
véhiculer des mensonges concernant la femme et qui remontent
à une époque révolue qui fut caractérisée
par la faiblesse, l'indolence et par des luttes interminables
pour le pouvoir.
N'étant pas un spécialiste de la science islamique,
je me suis renseigné auprès de gens compétents
en la matière sur le statut de la femme en Islam. Ils
m'ont affirmé que de nombreux falsificateurs et imposteurs
ont forgé des textes de hadith que certains "doctes"
répètent jusqu'à nos jours défigurant
ainsi le vrai visage de l'Islam et faisant obstacle par ces contrefaçons
à l'avènement d'un avenir prospère de leur
société.
Parmi ces mensonges, citons celui qui conseille de consulter
les femmes, mais de ne pas faire cas de cette consultation. Les
spécialistes de la science du hadith affirment que ce
soi-disant propos attribué au prophète n'est qu'un
pur mensonge. Un autre hadith forgé pour la circonstance
et qui a été répandu par les tyrans et les
faux savants qui voulaient tenir en laisse les énergies
de la communauté musulmane prétend que la fille
du prophète a consulté son père pour savoir
ce qui conviendrait le mieux à la femme et que le prophète
aurait répondu ceci, "qu'elle ne voit aucun homme
et qu'aucun homme ne la voie!".
Il s'agit là d'un hadith fictif, forgé de toutes
pièces, comme disent les spécialistes et qui ne
saurait nullement être attribué au prophète,
surtout qu'il est en contradiction flagrante avec les textes
coraniques.
En nous référant aux ouvrages spécialisés
du hadith et aux hommes de la science de la Tradition, nous remarquerons
qu'un nombre important de femmes étaient des juristes
du droit musulman, des transmetteuses de hadith, des combattantes
de la foi ayant participé au Jihad, et assumé d'autres
fonctions aux côtés des hommes. Nous pouvons en
citer à titre d'exemple : Karima bint Ahmed de Merw, qui
pouvait réciter tout le corpus du "Sahih d'Al Boukhari"
et qui reçut pour sa connaissance par coeur de ce corpus
les louanges du commentateur de Al Boukhari, Hafidh Ibn Hajar
d'Askalon qui l'a citée dans son ouvrage "al Fath
al Bari".
Je ne voudrais pas trop insister sur ce sujet, mais je souhaiterais
cependant que les éminents savants présents ici
puissent éclairer l'assistance sur les traditions prophétiques
qui appellent à honorer la femme, à la considérer
comme l'émule de l'homme aussi bien dans les choses de
la religion que dans les rapports de la vie matérielle.
La preuve de la marginalisation de la femme, c'est sa quasi absence
dans ce colloque. Je n'ai pas arrêté d'insister
auprès des organisateurs de cette manifestation pour que
la femme y soit qualitativement et quantitativement bien représentée,
car notre sujet concerne l'avenir de l'ensemble de la communauté
islamique. La vision de l'avenir est une tradition en Islam.
Le prophète, avant sa mort, au cours du pèlerinage de l'Adieu, adressa ses conseils à la communauté
en ces termes : "Je vous recommande de traiter convenablement
les femmes". Est-il donc convenable de maintenir la femme
dans l'ignorance, de minimiser son rôle, et mieux encore,
d'essayer de l'éliminer presque totalement de la vie publique
quotidienne. De quel droit ?
J'attire l'attention des grands savants ici présents,
en proclamant tout haut qu'aucun espoir n'est possible pour les
sociétés musulmanes sans la participation positive
de la femme à qui la religion a assuré tous ses
droits. Le problème est beaucoup plus d'ordre socioculturel que religieux. Il devrait être la priorité de nos
priorités, au cas où nous voudrions sérieusement
assurer l'avenir de la communauté de l'Islam, l'épanouissement
de toutes nos énergies et l'encouragement de nos initiatives
pour la compréhension des problèmes actuels et
futurs.
Il est à souligner que la situation de la femme est encore
assez mauvaise dans l'ensemble du monde. Le statut de la femme
dans les pays sous-développés est à la fois
un indicateur est une preuve du lien intime qui existe entre
le développement économique et socioculturel,
d'une part, et la sauvegarde des droits et de la dignité
de la personne humaine, d'autre part. Au sein du Tiers-Monde
et du monde islamique, c'est le monde arabe comme je l'ai souligné
plus haut qui est le plus sous-développé dans les
domaines de l'alphabétisation, de l'enseignement et de
la recherche scientifique.
La question du statut de la femme dans la société
musulmane, et plus particulièrement dans le monde arabe,
pose des défis certains qui nécessitent des analyses
sociales sérieuses, une autocritique ferme et un "Ijtihad"
(recherche) hardi. Nous devons revenir à la source afin
de réviser, à partir d'une nouvelle lecture du
Coran, nos réflexions et en comprendre sans ambiguïté les finalités, les objectifs et les priorités qui
en découlent afin de pouvoir trouver, à court et
à moyen terme, les solutions efficaces aux problèmes
de plus en plus aigus du fait de l'accélération
de l'histoire.
Je suis convaincu que le problème de la femme dans le
monde musulman est un des plus importants que nous affrontons
à l'heure actuelle. Nous nous devons de lui trouver des
solutions rapides avec la participation des forces vives de nos
sociétés et sans poser pour cela à la femme,
l'égale de l'homme, une quelconque condition préalable.
3. Problèmes nécessitant
une solution urgente
a) Problèmes des minorités islamiques:
Il existe des minorités islamiques
qui luttent pour leur survie à l'intérieur de groupements
hégémoniques. Ce sont soit des populations qui
sont restées fermement sur place après la chute
de la civilisation islamique et la disparition du soutien de
l'Islam, soit des groupements humains ayant émigré
pour gagner leur pain quotidien lorsque l'émigration hors
des patries est devenue moins pénible pour ces minorités
que de se retrouver étrangères dans leur propre
pays.
Parmi ces minorités, citons les ouvriers ayant émigré
en Europe occidentale, les populations musulmanes des Etats asiatiques
de l'URSS, les millions de musulmans de l'Inde, de la Chine et
des Philippines. Si réellement nous aspirons à
un avenir de progrès pour le monde islamique, nous devons
réfléchir sérieusement au sort et à
l'avenir de ces minorités et oeuvrer pour les protéger
afin qu'elles puissent ne pas se fondre dans la masse de la majorité
et perdre ainsi leur identité.
b) La cause palestinienne:
Il s'agit d'une question stratégique
à l'intérieur du monde islamique. Libérer
la Palestine de l'emprise sioniste est une obligation plus que
nécessaire. Préparer nos forces sous toutes leurs
formes est inévitable, si nous voulons réellement
libérer ce territoire. Je ne pense pas que la voie dite
"diplomatique" du style "Camp David" permettra
de chasser l'occupant . Les israéliens sèment l'effroi
et pratiquent l'oppression dans les rangs du peuple de Palestine,
particulièrement à Jérusalem et sur les
"territoires occupés".
Israël a peur de l'avenir et ses dirigeants actuels semblent
avoir opté pour des solutions dures visant à priver
de leurs moyens de défense, tout Etat arabe de la région
qui pourrait remettre en question la suprématie militaire
d'Israël, tout en continuant leurs programmes d'expropriation
et d'anéantissement des Palestiniens propriétaires
légitimes de leurs terres. Israël bénéficie
d'un soutien inconditionnel de l'Occident qui rend toute solution
pacifique honorable fort difficile. Israël développe,
avec l'aide des États-Unis et d'autres pays industrialisés,
sa maîtrise des sciences atomiques et ceux de l'espace,
parallèlement à notre propre défaillance
dans ces domaines, alors que le monde islamique dispose de 45%
des réserves en uranium dans le monde et de milliers de
"cerveaux immigrés" dans ces secteurs.
III. Les perspectives
Ce qui semble caractériser l'ordre
mondial actuel, c'est le déséquilibre qui existe
entre le Nord et le Sud : moins de 20% des populations du globe
possèdent plus de 80% des richesses matérielles
qui s'y trouvent. C'est là une véritable injustice
à l'égard des faibles qui ne pourra pas durer éternellement.
En plus de cela, le modèle de développement industriel
adopté par l'Occident ne saurait à son tour se
perpétuer indépendamment de la situation du Tiers-Monde.
Le Nord sera obligé de baisser son utilisation de l'énergie
d'environ 20% au cours des 10 ou 15 prochaines années,
car sa dilapidation de l'environnement vital (sur-utilisation
de la biosphère) atteint aujourd'hui 40% et il s'agit
là de la survie même de l'Humanité et de
la Planète.
Bien que la session extraordinaire de l'Assemblée Générale
de l'ONU sur le développement ait adopté récemment
une résolution pour l'assistance au développement,
n'oublions pas que la politique de l'aide a déjà
prouvé son peu d'efficacité et son inutilité
ainsi que ses méfaits à la lumière d'une
expérience qui dure depuis plus de trente ans.
Il y a toute une série de questions qui mériteraient
un examen approfondi dans le cadre de nos préoccupations
prospectives telles que : l'hypocrisie internationale qui ne
cesse de croître et dont sont complices des instances gouvernementales
au Nord comme au Sud ; l'absence de coopération Sud-Sud
dont une des conséquences est l'augmentation de la dépendance
du Sud à l'égard du Nord ; et le rôle des
musulmans dans les études prospectives.
Je me suis contenté d'un bref exposé des défis
les plus graves auxquels la Communauté islamique devra
faire face en ce qui concerne son devenir, en présentant
à la fin de cette étude (voir annexe) des données
statistiques sur le monde islamique. La lecture de celles-ci
est véritablement édifiante et dégage, pour
celui qui voudra approfondir ce sujet, les genres de défis
et de transformations importantes dont nous subirons passivement
les conséquences si nous n'agissons pas tout de suite
pour y faire face avec sérieux.
La population du monde musulman dépasse un milliard d'êtres
humains (dans les tableaux ci-dessous nous avons utilisé
les chiffres minima). Le nombre de musulmans atteindrait entre
1.635.000.000 et 1.850.000.000 d'âmes en l'an 2020 et représenterait
ainsi plus du cinquième du total de la population mondiale.
Je souhaiterai maintenant, à la lumière de ces
données, attirer l'attention sur deux importantes questions
:
1. Le nombre des musulmans est en constante augmentation. Ceci
inquiète l'Occident et les gens du Vatican qui surveillent
de près cette évolution, car le nombre des musulmans
a dépassé celui des catholiques. Afin de prendre
conscience du poids de ce facteur démographique et comprendre
pourquoi il dérange nous nous bornerons à trois
données statistiques :
i) La population du monde musulman est égale, sinon supérieure,
à ce qu'était le total de la population mondiale
en 1830.
ii) Dans trente ans le nombre des musulmans sera égal
à ce qu'était la population mondiale totale au
début de ce siècle.
iii) Selon des statistiques de source occidentale (1) , en 1980,
les adeptes du courant spirituel judéo-chrétien
représentaient 31% et celui de l'Islam 18%. En l'an 2025,
le taux du premier passera à 25% alors que celui de l'Islam
s'élèvera à 31%. Les projections des mêmes
sources pour la fin du XXIème siècle indiquent
que le taux du courant judéo-chrétien sera de moins
de 20%, alors que celui de l'Islam atteindra plus de 40%. A ce
rythme, dans 4 ou 5 générations les musulmans représenteront
près de la moitié de la population mondiale.
2. Les taux importants du 3ème âge en Occident :
ce qui amènera l'Occident dans les 10 prochaines années,
pour combattre la vieillesse démographique, à faire
appel à un nombre croissant de migrants spécialement
parmi les esprits créatifs et innovateurs, afin de conserver
le niveau de son développement économique. Ce qui
effraie davantage encore l'Occident c'est la jeunesse du monde
musulman. Cette jeunesse est un acquis non durable qu'il faudra
savoir fructifier d'une manière positive.
IV. Conclusion
Notre crise est, avant tout, une crise
née d'une absence de vision de la part d'une classe dirigeante
qui ne sait pas faire appel aux compétences et aux pensées
éclairées dont nos pays disposent. Bon nombre de
ces élites sont marginalisées ou devenues culturellement
aliénées dans leur propre pays. Elles sont parfois
forcées de s'imposer des formes d'autocensure quand elles
ne sont pas récupérées par les gouvernements
en place.
Cette crise est également spirituelle et morale, née
de la méfiance à l'égard de certaines valeurs
contradictoires entre un ordre statique ne sachant pas comment
évoluer pour faire face aux défis nouveaux, d'une
part, et un ordre de valeurs importées et non adaptées
aux réalités de nos sociétés. C'est
peut-être ce qui explique la désorientation de nos
jeunes et ce qui nourrit leur méfiance à l'égard
de nos générations.
Il existe, en somme, chez nous, un grand vide que tentent de
combler de nombreux courants non musulmans. Citons entre autres,
cette nouvelle secte dénommée "francophonie"
actuellement prêchée dans les pays du Maghreb et
qui vise à effacer notre langue et notre culture pour
nous imposer une langue qui n'est parlée que par 4% de
la population mondiale.
Cette situation nous dicte de prendre les devants pour remédier
à notre présent et réfléchir sérieusement
à notre avenir. La nature, comme on dit, a horreur du
vide. Le même phénomène s'applique au monde
musulman de l'Est et de l'Ouest. Notre vide est celui de la connaissance,
de la science, de la créativité et de la liberté.
Les solutions résident dans la mobilisation de toutes
les valeurs islamiques dynamiques capables de combler ce vide
humain.
Mahdi Elmandjra
www.elmandjra.org
(site régulièrement mis à jour)
E-mail
Étude présentée au Symposium
sur Les futurs du Monde islamique,
Alger, 4 - 7 mai, 1990.
ASHRQ AL AWSAT, 90/06/05, London, UK; L'OPINION, 90/05/06, Rabat,
Maroc; AL MASA, 90/04/05 - 06 - 08, ALGÉRIE ACTUALITÉ, 90/05/10;
Télévision Aléerienne 05/90; AL MUSTAQBAL
AL ISLAMI, London, UK, 91/01; L'ÉVEIL, N° 0, Alger, 04/91;
AL ALAM, 91/06/09 & 91/07/12, Rabat, AL KACHKOUL, 91/07/08,
Rabat.
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