{"id":824,"date":"2015-01-08T23:29:35","date_gmt":"2015-01-08T22:29:35","guid":{"rendered":"http:\/\/www.archipress.org\/wp\/?page_id=824"},"modified":"2015-01-21T15:05:03","modified_gmt":"2015-01-21T14:05:03","slug":"inevitable-le-match-occident-reste-du-monde","status":"publish","type":"page","link":"https:\/\/www.archipress.org\/?page_id=824","title":{"rendered":"In\u00e9vitable, le match Occident-reste du monde"},"content":{"rendered":"

In\u00e9vitable, le match Occident-reste du monde<\/h3>\n

Par Samuel Huntington\u00a0<\/strong><\/p>\n

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Samuel Huntington<\/em> est professeur \u00e0 l’Universit\u00e9 de Harvard, o\u00f9 il dirige le John M. Olin Institute for Strategic Studies. Il est le fondateur et l’un des directeurs de la revue \u00ab\u00a0Foreign Policy\u00a0\u00bb. Ce texte, autoris\u00e9 par l’auteur, est adapt\u00e9 de son ouvrage: Le choc des civilisations<\/em> (Paris, Odile Jacob, 1997).<\/span><\/span><\/div>\n
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\"LeL’histoire des hommes, c’est l’histoire des civilisations, depuis les anciennes civilisations sum\u00e9rienne et \u00e9gyptienne jusqu’aux civilisations chr\u00e9tienne et musulmane, en passant par les diff\u00e9rentes formes des civilisations chinoise et hindoue.<\/p>\n

On distingue g\u00e9n\u00e9ralement la \u00ab\u00a0civilisation\u00a0\u00bb au singulier des \u00ab\u00a0civilisations\u00a0\u00bb au pluriel. L’id\u00e9e de civilisation au singulier a \u00e9t\u00e9 introduite au XVIIIe si\u00e8cle par les penseurs fran\u00e7ais, qui l’opposaient au concept de \u00ab\u00a0barbarie\u00a0\u00bb. Selon eux, la soci\u00e9t\u00e9 civilis\u00e9e diff\u00e8re de la soci\u00e9t\u00e9 primitive parce ce qu’elle repose sur des institutions, se d\u00e9veloppe dans des villes, et se fonde sur un degr\u00e9 plus ou moins grand d’\u00e9ducation. Dans cette perspective, \u00eatre civilis\u00e9 serait donc bien, et ne pas l’\u00eatre serait mal. Les Europ\u00e9ens ont d\u00e9ploy\u00e9 durant tout le XIXe si\u00e8cle une \u00e9nergie intellectuelle, diplomatique et politique consid\u00e9rable pour concevoir des crit\u00e8res leur permettant de dire quelles soci\u00e9t\u00e9s non occidentales sont assez \u00ab\u00a0civilis\u00e9es\u00a0\u00bb pour \u00eatre accept\u00e9es comme membres du syst\u00e8me international, lequel \u00e9tait alors domin\u00e9 par eux.<\/p>\n

En m\u00eame temps, on se mit \u00e0 parler aussi de civilisations au pluriel, ce qui impliquait de \u00ab\u00a0renoncer \u00e0 d\u00e9finir la civilisation comme un id\u00e9al ou plut\u00f4t comme l’id\u00e9al\u00a0\u00bb et donc de rompre avec l’id\u00e9e qu’il n’existe qu’une seule norme de civilisation, \u00ab\u00a0restreinte \u00e0 un petit nombre de peuples ou de groupes constituant l’\u00e9lite <\/em>de l’humanit\u00e9\u00a0\u00bb, selon la formule de Braudel. Dans cette perspective, il y aurait donc plusieurs civilisations, toutes civilis\u00e9es \u00e0 leur fa\u00e7on.<\/p>\n

Dans son sens pluriel, la civilisation repr\u00e9sente l’entit\u00e9 culturelle la plus large que l’on puisse envisager. Le niveau le plus vaste auquel un individu ou une collectivit\u00e9 puisse s’dentifier. Les civilisations sont les plus vastes \u00ab\u00a0nous\u00a0\u00bb, qui s’opposent \u00e0 tous les autres \u00ab\u00a0eux\u00a0\u00bb<\/p>\n

Val\u00e9ry dit que les civilisations sont \u00ab\u00a0mortelles\u00a0\u00bb. C’est vrai. Il n’emp\u00eache qu’elles sont \u00ab\u00a0des r\u00e9alit\u00e9s d’une extr\u00eame longue dur\u00e9e\u00a0\u00bb. Leur \u00ab\u00a0essence unique et particuli\u00e8re\u00a0\u00bb r\u00e9side dans leur \u00ab\u00a0continuit\u00e9 historique\u00a0\u00bb. Les empires naissent et meurent, les gouvernements vont et viennent, mais les civilisations restent et \u00ab\u00a0survivent aux al\u00e9as politiques, sociaux, \u00e9conomiques et m\u00eame id\u00e9ologiques\u00a0\u00bb. (Toutes citations de Braudel). \u00ab\u00a0Les syst\u00e8mes politiques, conclut Bozeman, ne sont que des exp\u00e9dients transitoires \u00e0 la surface des civilisations.\u00a0\u00bb Preuve en est que les civilisations majeures du XXe si\u00e8cle existent toutes depuis plus d’un mill\u00e9naire ou sont, comme en Am\u00e9rique latine, le produit direct d’autres civilisations ancestrales.<\/p>\n

Si les civilisations durent, elles \u00e9voluent aussi, naissent, fusionnent, se divisent, et se perdent parfois dans les sables du temps. Pour Quigley, les civilisations connaissent sept phases: le m\u00e9lange, la gestation, l’expansion, le conflit, la domination universelle, le d\u00e9clin, et enfin l’invasion par des tiers. Pour Toynbee, une civilisation s’\u00e9panouit lorsqu’elle r\u00e9pond \u00e0 des d\u00e9fis et entre alors dans une p\u00e9riode de croissance qui implique le contr\u00f4le accru de son environnement par une minorit\u00e9 cr\u00e9ative; suit alors une \u00e9poque de troubles, qui fait \u00e9merger un \u00c9tat universel; lequel finit par se d\u00e9sint\u00e9grer.<\/p>\n

Mais quelles sont les relations des civilisations entre elles?<\/p>\n

Pendant plus de trois mille ans, leurs contacts ont \u00e9t\u00e9, \u00e0 quelques exceptions pr\u00e8s, inexistants, restreints, ou alors intermittents et intenses. Les civilisations se trouvaient en effet s\u00e9par\u00e9es par le temps: \u00e0 une m\u00eame \u00e9poque il n’en existait qu’un petit nombre. Et par l’espace: jusqu’en 1500, les civilisations andine et m\u00e9so-am\u00e9ricaine n’ont eu aucun contact avec d’autres civilisations, et m\u00eame pas entre elles; les civilisations antiques des vall\u00e9es du Nil, du Tigre et de l’Euphrate, de l’Indus et du fleuve Jaune, n’ont pas davantage interagi. Certes des contacts se sont parfois nou\u00e9s entre civilisations de l’est de la M\u00e9diterran\u00e9e, du sud- ouest de l’Asie et de l’Afrique du Nord; mais les communications et les \u00e9changes commerciaux restaient limit\u00e9s par les distances \u00e0 franchir et le manque de moyens de transport ad\u00e9quats. M\u00eame si le commerce maritime se pratiquait en M\u00e9diterran\u00e9e et dans l’oc\u00e9an Indien, \u00ab\u00a0les grandes civilisations du monde d’avant 1500 apr\u00e8s J.-C. \u00e9taient bien davantage li\u00e9es entre elles pour autant qu’elles le fussent par les chevaux parcourant la steppe, que par les vaisseaux traversant les oc\u00e9ans\u00a0\u00bb (Toynbee). Les id\u00e9es et les technologies pouvaient passer ainsi d’une civilisation \u00e0 l’autre, mais il y fallait souvent des si\u00e8cles.<\/p>\n

En fait, les contacts les plus spectaculaires entre civilisations se sont produits lorsque des peuples appartenant \u00e0 l’une d’elles ont conquis et \u00e9limin\u00e9 des peuples appartenant \u00e0 une autre. Ces contacts \u00e9taient violents, brefs et intermittents: ainsi, \u00e0 partir du VIIe si\u00e8cle apr\u00e8s J.-C., entre l’islam et l’Occident, et entre l’islam et l’Inde.<\/p>\n

La plupart des interactions commerciales, culturelles et militaires ont cependant eu lieu \u00e0 l’int\u00e9rieur m\u00eame de chaque civilisation. L’Inde et la Chine ont sans doute \u00e9t\u00e9 envahies et soumises par les Huns et les Mongols, mais leurs civilisations ont \u00e9galement connu de longs \u00ab\u00a0\u00e9tats de guerre\u00a0\u00bb internes. Les Grecs se sont battus entre eux et ont fait du commerce entre eux bien plus souvent qu’ils ne l’ont fait avec les Perses ou d’autres non-Grecs.<\/p>\n

La chr\u00e9tient\u00e9 occidentale, elle, n’a \u00e9merg\u00e9 comme civilisation distincte qu’aux VIIIe et IXe si\u00e8cles, son niveau stagnant pendant plusieurs centaines d’ann\u00e9es loin derri\u00e8re celui d’autres civilisations. La richesse, l’extension g\u00e9ographique, la puissance militaire, la production artistique, litt\u00e9raire et scientifique de la Chine des dynasties T’ang, Sung et Ming, de l’islam du VIIIe au XIIe si\u00e8cles, de la Byzance du VIIIe au XIe si\u00e8cles, surpassaient de loin celles de l’Europe.<\/p>\n

Entre le XIe et le XIIIe si\u00e8cle, cependant, la culture europ\u00e9enne a commenc\u00e9 \u00e0 se d\u00e9velopper par \u00ab\u00a0emprunts syst\u00e9matiques aux cultures musulmane et byzantine, et adaptation de cet h\u00e9ritage au contexte particulier et aux besoins de l’Occident\u00a0\u00bb. Pendant la m\u00eame p\u00e9riode, la Hongrie, la Pologne, la Scandinavie et la c\u00f4te baltique se sont converties au christianisme et ont adopt\u00e9 le droit romain. Les fronti\u00e8res orientales de l’Occident, ainsi fix\u00e9es, n’ont plus gu\u00e8re connu de changements par la suite.<\/p>\n

Aux XIIe et XIIIe si\u00e8cles, les Occidentaux ont \u00e9tendu par la force leur mainmise sur l’Espagne et acquis une h\u00e9g\u00e9monie de fait en M\u00e9diterran\u00e9e. La mont\u00e9e en puissance de la Turquie a certes \u00e9branl\u00e9 \u00ab\u00a0le premier empire europ\u00e9en\u00a0\u00bb (McNeill), mais en 1500, la renaissance de la culture europ\u00e9enne jetait les bases d’une nouvelle politique mondiale.<\/p>\n

En effet, aux rencontres multidirectionnelles intermittentes ou limit\u00e9es entre civilisations, succ\u00e9da l’influence soutenue, puissante et unidirectionnelle de l’Occident sur les autres civilisations. La fin du XVe si\u00e8cle vit se produire la reconqu\u00eate compl\u00e8te de la p\u00e9ninsule ib\u00e9rique reprise aux Maures, les d\u00e9buts de la p\u00e9n\u00e9tration portugaise en Asie et espagnole aux Am\u00e9riques. Durant les deux cent cinquante ans qui suivirent, l’h\u00e9misph\u00e8re occidental tout entier et une partie importante de l’Asie se trouv\u00e8rent domin\u00e9s par l’Europe.<\/p>\n

Certes, \u00e0 la fin du XVIIIe si\u00e8cle, lorsque les \u00c9tats-Unis d’abord, puis Ha\u00efti, et enfin une bonne partie de l’Am\u00e9rique latine, se r\u00e9volt\u00e8rent contre la domination de l’Europe, puis s’en lib\u00e9r\u00e8rent, la mainmise du Vieux-Continent r\u00e9gressa quelque peu. Mais pendant la derni\u00e8re partie du XIXe si\u00e8cle, la renaissance de son imp\u00e9rialisme permit \u00e0 l’Europe d’\u00e9tendre sa tutelle sur la quasi-totalit\u00e9 de l’Afrique, de consolider sa mainmise sur le sous-continent indien et d’autres parties de l’Asie, puis, au d\u00e9but du XXe si\u00e8cle, de soumettre \u00e0 son pouvoir direct ou indirect tout le Moyen-Orient, Turquie except\u00e9e. Alors qu’en 1800, les Europ\u00e9ens et les anciennes colonies europ\u00e9ennes d’Am\u00e9rique dominaient 35 % de la surface du globe, elles en dominaient 67 % en 1878 et 84 % en 1914. Ce pourcentage s’accrut encore dans les ann\u00e9es 1920, lorsque la Grande-Bretagne, la France et l’Italie se partag\u00e8rent les d\u00e9pouilles de l’empire turc.<\/p>\n

Au cours du XXe si\u00e8cle, l’expansion europ\u00e9enne avait donc \u00e9limin\u00e9 de facto<\/em> les civilisations andine et m\u00e9so-am\u00e9ricaine, soumis les civilisations indienne, musulmane et africaine, et marqu\u00e9 de son influence la civilisation chinoise. Seules les civilisations russe, japonaise et \u00e9thiopienne, gouvern\u00e9es par des autorit\u00e9s imp\u00e9riales centralis\u00e9es, avaient r\u00e9sist\u00e9 \u00e0 ses assauts et pr\u00e9serv\u00e9 une certaine ind\u00e9pendance.<\/p>\n

C’est dire que, pendant quatre cents ans, les relations entre civilisations se sont donc r\u00e9sum\u00e9es \u00e0 un processus de subordination des autres soci\u00e9t\u00e9s \u00e0 l’Occident.<\/p>\n

Cette longue pr\u00e9dominance de la civilisation occidentale est la cons\u00e9quence, notamment, des structures sociales et des relations de classes qui se sont d\u00e9velopp\u00e9es en son sein; \u00e0 la mani\u00e8re dont le pouvoir y a \u00e9t\u00e9 peu ou prou partag\u00e9 entre nobles et monarques, entre clerg\u00e9 et la\u00efcs; \u00e0 la mont\u00e9e des villes et du commerce; au sentiment croissant de conscience nationale qui s’y fit jour; au d\u00e9veloppement des bureaucraties \u00e9tatiques.<\/p>\n

Mais le moteur premier de l’expansion occidentale fut technologique. Les Europ\u00e9ens ont invent\u00e9 en effet la navigation transoc\u00e9anique et fait atteindre \u00e0 leur puissance militaire un niveau jusque l\u00e0 in\u00e9gal\u00e9, gr\u00e2ce \u00e0 quoi ils \u00e9tablirent, entre 1500 et 1750, le premier v\u00e9ritable empire mondial, appuy\u00e9 sur la sup\u00e9riorit\u00e9 de leur organisation, de leur discipline, de leurs troupes, de leurs armes, de leurs moyens de transport, de leur logistique et de leur soins m\u00e9dicaux.<\/p>\n

Ainsi l’Occident a-t-il vaincu le monde non parce que ses id\u00e9es, ses valeurs, sa religion \u00e9taient sup\u00e9rieures \u00e0 celles des autres civilisations, mais parce qu’il sut mieux qu’elles utiliser la violence organis\u00e9e. Les Occidentaux l’oublient souvent. Les non-Occidentaux jamais.<\/p>\n

Au XXe si\u00e8cle, cependant, \u00ab\u00a0l’expansion de l’Occident\u00a0\u00bb s’est arr\u00eat\u00e9e. \u00ab\u00a0La r\u00e9volte contre l’Occident\u00a0\u00bb a commenc\u00e9, dont la puissance relative s’est mise \u00e0 d\u00e9cliner par \u00e0-coups. A telle enseigne qu’aujourd’hui, la carte du monde aujourd’hui n’a plus grand chose \u00e0 voir avec celle de 1920. Certes, l’Occident continue \u00e0 avoir sur les autres civilisations une forte influence, mais plut\u00f4t que d’agir sur elles, de plus en plus il se contente de r\u00e9agir \u00e0 la mani\u00e8re dont elles \u00e9voluent. Les soci\u00e9t\u00e9s non occidentales ne sont plus des marionnettes dont l’Occident tirait seul les fils, mais d\u00e9terminent d\u00e9sormais leur propre histoire et celle de l’Occident!<\/p>\n

On peut donner aujourd’hui de la puissance relative de l’Occident deux images.<\/p>\n

La premi\u00e8re met en \u00e9vidence le triomphe presque total de l’Occident: ne fa\u00e7onne-t-il point le monde, depuis la d\u00e9sint\u00e9gration de l’Union sovi\u00e9tique, en fonction des objectifs, des priorit\u00e9s et des int\u00e9r\u00eats des principales nations qui le composent avec l’assistance occasionnelle du Japon? Les \u00c9tats-Unis, d\u00e9sormais la seule superpuissance, ne d\u00e9terminent-ils point avec la Grande-Bretagne et la France les grandes orientations politiques et militaires de la plan\u00e8te, et avec l’Allemagne et le Japon ses grandes orientations \u00e9conomiques? C’est bien la preuve qu’aujourd’hui la civilisation occidentale est la seule capable d’influer sur la politique, l’\u00e9conomie et la s\u00e9curit\u00e9 de toutes les autres civilisations ou r\u00e9gions du monde.<\/p>\n

Comme le dit bien Barnett: les nations occidentales poss\u00e8dent aujourd’hui et animent le syst\u00e8me bancaire international; contr\u00f4lent les monnaies fortes; repr\u00e9sentent les principaux pays consommateurs; produisent la majorit\u00e9 des produits finis; dominent le march\u00e9 international des capitaux; exercent une autorit\u00e9 morale consid\u00e9rable; contr\u00f4lent les voies maritimes; conduisent les recherches techniques les plus avanc\u00e9es; dominent la transmission du savoir technique de pointe; dominent l’acc\u00e8s \u00e0 l’espace; dominent l’industrie a\u00e9ronautique; dominent les communications internationales; dominent le secteur des armements sophistiqu\u00e9s.<\/p>\n

La seconde image est en revanche d’un Occident d\u00e9clinant, dont l’influence relative sur la politique, l’\u00e9conomie et et l’\u00e9quilibre militaire mondiaux ne cesse de se r\u00e9duire. Sa victoire dans la Guerre froide, loin d’annoncer son triomphe, annonce son \u00e9puisement. Ses probl\u00e8mes internes le minent: la faible croissance de son \u00e9conomie, la stagnation de sa d\u00e9mographie, son ch\u00f4mage, ses d\u00e9ficits budg\u00e9taires, la corruption de ses affaires, la faiblesse de son taux d’\u00e9pargne et, en maints pays, aux \u00c9tats-Unis notamment, la d\u00e9sint\u00e9gration sociale, la drogue, la criminalit\u00e9.<\/p>\n

Selon cette seconde image, la puissance \u00e9conomique se d\u00e9place vers l’Extr\u00eame-Orient, dont l’influence politique et la puissance militaire vont croissant. L’Inde est en passe de d\u00e9coller. L’hostilit\u00e9 du monde musulman va croissant envers l’Occident, dont les soci\u00e9t\u00e9s non occidentales n’acceptent plus comme jadis les diktats et les sermons. Peu \u00e0 peu, l’Occident perd sa confiance en soi et sa volont\u00e9 de dominer.<\/p>\n

Laquelle de ces deux images est conforme \u00e0 la r\u00e9alit\u00e9? L’une et l’autre, bien s\u00fbr. L’Occident, aujourd’hui dominant, restera num\u00e9ro un mondial pendant le XXIe si\u00e8cle. Des changements graduels, inexorables et fondamentaux se produisent qui modifient cependant l’\u00e9quilibre entre les civilisations, et la puissance relative de l’Occident continuera \u00e0 d\u00e9cliner. Sa pr\u00e9pond\u00e9rance finira par dispara\u00eetre, et ce jour-l\u00e0 son ancienne influence ira \u00e0 d’autres civilisations et \u00e0 leurs \u00c9tats phares.<\/p>\n

Dans ce monde qui na\u00eet, les relations entre \u00c9tats et groupes appartenant \u00e0 diff\u00e9rentes civilisations ne seront gu\u00e8re \u00e9troites. Certaines seront m\u00eame carr\u00e9ment antagonistes. Au niveau r\u00e9gional, entre l’islam et ses voisins orthodoxes, hindous, africains et chr\u00e9tiens d’Occident. Au niveau plan\u00e9taire, entre l’Occident et le reste du monde. Les chocs les plus dangereux risquent de venir de l’interaction entre l’arrogance occidentale, l’intol\u00e9rance islamique et l’affirmation de soi chinoise<\/p>\n

Le probl\u00e8me central des relations entre l’Occident et le reste tient d\u00e9sormais \u00e0 la discordance croissante entre les efforts missionnaires de l’Occident pour promouvoir une culture occidentale universelle, et son aptitude d\u00e9clinante \u00e0 le faire. L’Occident a cru voir dans la chute du communisme la preuve que son id\u00e9ologie d\u00e9mocrate lib\u00e9rale a valeur universelle. Il entend donc que les non-Occidentaux l’adoptent, avec tout ce qu’elle comporte de d\u00e9mocratie, de libre-\u00e9change, de s\u00e9paration des pouvoirs, de droits de l’homme, d’individualisme et d’\u00c9tat de droit.<\/p>\n

Or, dans les faits, la culture occidentale perd de son attrait \u00e0 mesure que les civilisations non-occidentales accroissent leur puissance et prennent confiance dans leurs cultures indig\u00e8nes. Certes, au sein des civilisations non-occidentales, des minorit\u00e9s embrassent les valeurs occidentales et les d\u00e9fendent, mais l’attitude g\u00e9n\u00e9rale de ces civilisations est plut\u00f4t de scepticisme et de rejet. L\u00e0 o\u00f9 l’Occident voit des valeurs universelles, les autres civilisations voient volontiers de l’imp\u00e9rialisme occidental.<\/p>\n

L’Occident s’efforce bien s\u00fbr de maintenir sa position aujourd’hui encore dominante dans le monde. Il le fait en pr\u00e9sentant ses int\u00e9r\u00eats comme ceux de la \u00ab\u00a0communaut\u00e9 mondiale\u00a0\u00bb. En s’effor\u00e7ant d’int\u00e9grer les \u00e9conomies non occidentales dans un syst\u00e8me \u00e9conomique mondial domin\u00e9 par lui. En s’effor\u00e7ant d’imposer aux autres nations les politiques \u00e9conomiques qui lui conviennent \u00e0 lui, par le biais du Fonds Mon\u00e9taire International et d’autres institutions \u00e9conomiques internationales.<\/p>\n

Les non-Occidentaux ont cependant beau jeu de montrer combien les Occidentaux, malgr\u00e9 les principes d’universalit\u00e9 qu’ils \u00e9voquent sans cesse, pratiquent l’hypocrisie, le double langage, les exceptions qui les arrangent. Les Occidentaux d\u00e9fendent la d\u00e9mocratie sauf si elle porte au pouvoir des fondamentalistes islamistes. Ils pr\u00eachent la non-prolif\u00e9ration nucl\u00e9aire pour l’Iran et l’Irak mais pas pour Isra\u00ebl. Ils disent que le libre-\u00e9change est l’\u00e9lixir qui garantit la croissance \u00e9conomique sauf pour l’agriculture. Ils exigent de la Chine qu’elle respecte les droits de l’homme mais pas de l’Arabie Saoudite. Ils partent en guerre lorsque le Kowe\u00eft riche en p\u00e9trole est agress\u00e9 mais laissent sans d\u00e9fense les Bosniaques qui n’ont pas de p\u00e9trole.<\/p>\n

L’affrontement est programm\u00e9.
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\u00a9 \u00c9DITIONS ODILE JACOB 1997.<\/span><\/p>\n

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ADDENDA<\/strong><\/p>\n

Deux ans avant Samuel Huntington<\/strong><\/p>\n

Mahdi Elmandjra annon\u00e7ait la \u00ab\u00a0Premi\u00e8re guerre civilisationnelle\u00a0\u00bb…<\/p>\n

En ao\u00fbt 1991, Mahdi Elmandjra<\/a>, professeur d’\u00e9conomie \u00e0 l’universit\u00e9 de Rabat (Maroc), \u00e9crivait, dans son ouvrage en arabe intitul\u00e9 Premi\u00e8re guerre civilisationnelle<\/em>: \u00ab\u00a0la guerre du Golfe n’est que le premier \u00e9pisode d’un conflit Nord-Sud [qui sera] domin\u00e9 dor\u00e9navant par des consid\u00e9rations d’ordre essentiellement culturel\u00a0\u00bb. Pour lui, si la p\u00e9riode coloniale a \u00e9t\u00e9 caract\u00e9ris\u00e9e par des enjeux d’ordre \u00e9conomique, la p\u00e9riode n\u00e9ocoloniale par des enjeux d’ordre politique, le post-colonialisme sera d\u00e9termin\u00e9 par des enjeux culturels, d’o\u00f9 le risque de \u00ab\u00a0guerres civilisationnelles\u00a0\u00bb.<\/p>\n

Mahdi Elmandjra stigmatise \u00e9galement, dans son ouvrage, \u00ab\u00a0les trois grandes peurs de l’Occident\u00a0\u00bb: \u00ab\u00a0la peur de la d\u00e9mographie\u00a0\u00bb, \u00ab\u00a0la peur de l’Islam\u00a0\u00bb et \u00ab\u00a0la peur de l’Asie\u00a0\u00bb, \u00ab\u00a0menaces\u00a0\u00bb qui figurent en bonne place dans l’article d\u00e9tonnant de Samuel Huntington, The Clash of civilizations<\/em> , publi\u00e9 en \u00e9t\u00e9 1993 par la revue \u00ab\u00a0Foreign Affairs\u00a0\u00bb. L’\u00e9conomiste marocain pr\u00e9f\u00e8re cependant au \u00ab\u00a0clash\u00a0\u00bb des civilisations, la diversit\u00e9 culturelle. Affirmant que l’exp\u00e9rience historique du Japon \u00ab\u00a0montre \u00e0 l’\u00e9vidence que modernisation ne veut pas dire occidentalisation\u00a0\u00bb, Mahdi Elmandjra cite Atsushi Shimokoube, pr\u00e9sident de l’Institut Nippon pour l’Avancement de la Recherche (NIRA), pour qui le \u00ab\u00a0nouvel ordre mondial pourrait \u00eatre (…) l’\u00e2ge de la coexistence des civilisations multiples\u00a0\u00bb.<\/p>\n

Sources: <\/em>\u00ab\u00a0La Crise du Golfe, pr\u00e9lude \u00e0 l’affrontement Nord-Sud\u00a0\u00bb, par Mahdi Elmandjra, in:<\/em> \u00ab\u00a0Futuribles\u00a0\u00bb, Paris, octobre 1990, et Premi\u00e8re guerre civilisationnelle<\/em>, texte disponible sur la homepage internet <\/a>du m\u00eame auteur.<\/span><\/p>\n

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Poursuivre la confrontation des id\u00e9es<\/strong><\/p>\n

Premi\u00e8re guerre civilisationnelle<\/strong>, par Mahdi Elmandjra<\/a>. Casablanca, Toubkal, 1992.<\/p>\n

Jihad vs. McWorld. How Globalism and Tribalism Are Re-Shaping the World<\/strong>, par Benjamin R. Barber. New York, Ballantine, 1996.<\/p>\n

The Islamic Threat : Myth or Reality<\/strong>, par John L. Esposito. New York, Oxford University Press, 1992.<\/p>\n

\u00ab\u00a0Conflit entre civilisations ou enrichement mutuel?\u00a0\u00bb <\/strong>par Sato Seizaburo. In: <\/em>\u00ab\u00a0Cahiers du Japon\u00a0\u00bb, Tokyo, No 75, printemps 1998.<\/p>\n

\u00ab\u00a0Asia: Skepticism About Optimism\u00a0\u00bb<\/strong>, par Barry Buzan et Gerald Segal. In:<\/em> \u00ab\u00a0National Interest\u00a0\u00bb, No 39, printemps 1995.
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\nCultural Forces in World Politics<\/strong>, par Ali al-Amin Mazrui. Londres, James Currey, 1990.<\/p>\n

Ethnic Conflict in World Politics<\/strong>, par Ted Robert Gurr et Barbara Harff. Boulder, Westview Press, 1994.<\/p>\n

Ethnic and Religious Conflict: Emerging Threat to U.S. Security<\/strong>, par Richard H. Shultz, Jr. et William J. Olson. Washington, D.C., National Strategy Information Center.<\/p>\n

The Challenge of Ethnic Conflict to National and International Order in the 1990’s: Geographic Perspective<\/strong>, ouvrage collectif publi\u00e9 par la Central Intelligence Agency (CIA). Washington, D.C., Central Intelligence Agency, RTT 95-10039, octobre 1995.<\/span><\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":"

In\u00e9vitable, le match Occident-reste du monde Par Samuel Huntington\u00a0 Samuel Huntington est professeur \u00e0 l’Universit\u00e9 de Harvard, o\u00f9 il dirige le John M. Olin Institute for Strategic Studies. Il est le fondateur et l’un des directeurs de la revue \u00ab\u00a0Foreign Policy\u00a0\u00bb. Ce texte, autoris\u00e9 par l’auteur, est adapt\u00e9 de son \u2026 Lire plus \/ Read more<\/a><\/p>\n","protected":false},"author":1,"featured_media":810,"parent":809,"menu_order":0,"comment_status":"closed","ping_status":"closed","template":"","meta":{"ngg_post_thumbnail":0},"_links":{"self":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/824"}],"collection":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages"}],"about":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/types\/page"}],"author":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/users\/1"}],"replies":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=%2Fwp%2Fv2%2Fcomments&post=824"}],"version-history":[{"count":1,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/824\/revisions"}],"predecessor-version":[{"id":825,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/824\/revisions\/825"}],"up":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/809"}],"wp:featuredmedia":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/media\/810"}],"wp:attachment":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=%2Fwp%2Fv2%2Fmedia&parent=824"}],"curies":[{"name":"wp","href":"https:\/\/api.w.org\/{rel}","templated":true}]}}