{"id":889,"date":"2015-01-11T23:57:46","date_gmt":"2015-01-11T22:57:46","guid":{"rendered":"http:\/\/www.archipress.org\/wp\/?page_id=889"},"modified":"2015-01-18T11:57:39","modified_gmt":"2015-01-18T10:57:39","slug":"sophie-bessis-la-derniere-frontiere","status":"publish","type":"page","link":"https:\/\/www.archipress.org\/?page_id=889","title":{"rendered":"Sophie Bessis, la derni\u00e8re fronti\u00e8re"},"content":{"rendered":"

La derni\u00e8re fronti\u00e8re, les Tiers-Mondes et la tentation de l’Occident<\/strong><\/p>\n

Sophie Bessis (J-C. Latt\u00e8s, Paris, 1983)<\/p>\n

Panorama de la probl\u00e8matique d\u00e9veloppement-Tiers-Monde pour la d\u00e9cennie 80 o\u00f9 est affirm\u00e9 ici \u00ab\u00a0les limites d’un mod\u00e8le\u00a0\u00bb.<\/p>\n

L’auteur est historienne de formation et a enseign\u00e9 quelques ann\u00e9es en Afrique. Elle a \u00e9crit l’arme alimentaire (Masp\u00e9ro, 1979), puis est devenue journaliste \u00e9conomique.<\/p>\n

 <\/p>\n

extraits significatifs
\n<\/span><\/em><\/p>\n

p. 11 ; \u00ab\u00a0Voil\u00e0 donc le spectre de la pauvret\u00e9 conjur\u00e9 gr\u00e2ce \u00e0 l’exemple de la Cor\u00e9e du Sud, du Br\u00e9sil et de leurs \u00e9pigones et, du m\u00eame coup, le bon vieux capitalisme r\u00e9nov\u00e9 par ce bain de jouvence.<\/p>\n

A moins que ces pionniers officiels de la prosp\u00e9rit\u00e9 plan\u00e9taire ne soient les derniers avatars d’un syst\u00e8me au bout de sa course et que les autres, ceux qu’on appelle les plus d\u00e9munis, ne s’essoufflent vainement \u00e0 les poursuivre, alors qu’il n’y a plus de place sur terre pour leur propre enrichissement.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 33 ; \u00ab\u00a0(…) les exportations de l’Inde sont par exemple trois fois moins importantes que celle de Hong-Kong. Tous les pays ayant un produit national brut annuel par t\u00eate de moins de 1000 francs fran\u00e7ais, soit, Chine comprise, la moiti\u00e9 de l’humanit\u00e9, ne r\u00e9alisaient en 1977 que 8 % des exportations totales du tiers-monde.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 35 ; \u00ab\u00a0En ce qui concerne l’industrialisation proprement dite, le groupe des 77, ainsi nomm\u00e9 bien qu’il regroupe en fait l’ensemble des pays en d\u00e9veloppement membres de l’O.N.U., r\u00e9clamait \u00e0 New Delhi une aide des pays d\u00e9velopp\u00e9s \u00e0 l’industrialisation du tiers monde de 600 milliards de dollars en vingt ans, soit davantage pour ce seul secteur que la totalit\u00e9 des transferts publics et priv\u00e9s dont ont b\u00e9n\u00e9fici\u00e9 les pays en d\u00e9veloppement de 1970 \u00e0 1980.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 40 ; \u00ab\u00a0En effet, outre l’encouragement aux investissements directs des firmes \u00e9trang\u00e8res, ces pays ont fait, on le sait, massivement appel aux capitaux bancaires internationaux. Le probl\u00e8me de leur dette ext\u00e9rieure est une des questions les plus d\u00e9battues depuis quelques ann\u00e9es. La corr\u00e9lation est \u00e9troite entre la liste des principaux producteurs-exportateurs de biens manufactur\u00e9s du tiers monde et celle des gros emprunteurs internationaux. En 1981, treize pays en d\u00e9veloppement totalisaient 64 % de la dette totale du tiers monde, soit 300 milliards de dollars. A eux seuls, le Br\u00e9sil, le Mexique, la Cor\u00e9e du Sud, l’Argentine et Ta\u00efwan comptaient pour le tiers du montant total de cette dette, soit plus de 150 milliards de dollars. Les autres tr\u00e8s gros emprunteurs sont des pays semi-industrialis\u00e9s -l’Inde est d\u00e9bitrice de 18 milliards de dollars, dont la moiti\u00e9 \u00e0 l’\u00e9gard des Etats-Unis et de la Banque Mondiale, l’Alg\u00e9rie de 18 milliards, l’Egypte d’une quinzaine de milliards- et les deux gros exportateurs p\u00e9troliers poss\u00e9dant un secteur industriel non n\u00e9gligeable -l’Indon\u00e9sie a une dette de 17 milliards de dollars et le V\u00e9n\u00e9zuela a vu la sienne passer de 13,2 milliards en 1980 \u00e0 18,5 milliards en 1982 pour la seule partie publique.<\/p>\n

Ces chiffres, que l’on dit d\u00e9mesur\u00e9s, semblent moins d\u00e9raisonnables d\u00e8s lors qu’on les compare \u00e0 ceux des grands Etats occidentaux : la dette ext\u00e9rieure d’une petite nation comme les Pays-Bas s’\u00e9l\u00e8ve par exemple \u00e0 50 milliards de dollars, celle de la France d\u00e9passe les 40 milliards. Quant aux Etats-Unis, le seul d\u00e9ficit de leur balance commerciale se montait \u00e0 70 milliards de dollars fin 1982. Mais il para\u00eet que ces dettes-l\u00e0 ne mettent pas en danger l’\u00e9quilibre financier mondial…\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 45 ; \u00ab\u00a0Dans la luxueuse salle du palais des congr\u00e8s \u00e0 peine achev\u00e9 pour la circonstance, Mac Namara fit donc fr\u00e9mir son auditoire en d\u00e9clarant simplement : \u00ab\u00a0Tout aussi pr\u00e9occupant est le peu d’attention accord\u00e9 par un grand nombre de ces pays au principe d’\u00e9quit\u00e9… Cette grave n\u00e9gligence n’a pas manqu\u00e9 d’entra\u00eener de fortes distorsions dans la r\u00e9partition des revenus. Ces distorsions peuvent, dans certains cas, tenir en partie \u00e0 une phase de transition dans le processus de d\u00e9veloppement. Aucune th\u00e9orie de la croissance ne saurait toutefois justifier des disparit\u00e9s aussi marqu\u00e9es que celles qui caract\u00e9risent la structure des revenus dans l’ensemble de ces pays.\u00a0\u00bb Sachant que, pour l’ex-ministre de la D\u00e9fense de Lyndon Johnson, le concept de s\u00e9curit\u00e9 internationale passe par la r\u00e9duction des tensions sociales g\u00e9n\u00e9ratrices de trop graves conflits, on aurait pu s’attendre \u00e0 ce qu’il \u00e9labore une autre \u00ab\u00a0th\u00e9orie de la croissance\u00a0\u00bb. Presque sans transition, il poursuivait, toujours au sujet des pays \u00ab\u00a0\u00e0 revenu interm\u00e9diaire\u00a0\u00bb : \u00ab\u00a0Ces pays devront encore redoubler d’efforts pour mobiliser et utiliser efficacement leur \u00e9pargne.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 49 ; \u00ab\u00a0Dans les pays nouvellement industrialis\u00e9s, la question alimentaire est beaucoup plus complexe et de nature tr\u00e8s diff\u00e9rente selon qu’on se trouve en Cor\u00e9e ou au Br\u00e9sil: C’est, paradoxalement, en Am\u00e9rique Latine qu’elle atteint les dimensions les plus alarmantes, malgr\u00e9 d’immenses potentialit\u00e9s et un ratio terres\/hommes parmi les plus \u00e9lev\u00e9s du monde.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 60 ; \u00ab\u00a0Ainsi, \u00e0 la dictature du prol\u00e9tariat qui devait \u00e0 terme engendrer la d\u00e9g\u00e9n\u00e9rescence de l’Etat – Staline lui-m\u00eame quand il s’appelait encore Djougatchvili \u00e9crivait en 1906 : \u00ab\u00a0l\u00e0 o\u00f9 les classes n’existent pas, o\u00f9 n’existent ni riches ni pauvres, l’Etat devient inutile, de m\u00eame que le pouvoir politique qui opprime les pauvres et d\u00e9fend les riches. Par cons\u00e9quent, la soci\u00e9t\u00e9 socialiste n’aura pas besoin de maintenir le pouvoir politique.\u00a0\u00bb On sait ce qu’il en advint…-, correspond aujourd’hui dans les pays capitalistes en voie d’industrialisation le m\u00eame sh\u00e9ma au contenu id\u00e9ologique diff\u00e9rent mais \u00e0 la finalit\u00e9 analogue : une dictature des classes dirigeantes est cens\u00e9e apporter le bien-\u00eatre g\u00e9n\u00e9ral par un d\u00e9veloppement dont elle s’emploie pourtant \u00e0 saper les bases.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 70 ; \u00ab\u00a0L’Inde produit beaucoup : de l’acier, de l’aluminium, des biens d’\u00e9quipement, des produits chimiques, des denr\u00e9es de consommation courante, des fus\u00e9es et des bombes atomiques. Sa communaut\u00e9 scientifique et technologique est la troisi\u00e8me du monde par le nombre apr\u00e8s celles des deux super-Grands, et d’autres chercheurs du tiers-monde viennent y chercher des techniques et des proc\u00e9d\u00e9s transposables chez eux.<\/p>\n

(…) On oublie souvent \u00e0 quel point cette destruction a \u00e9t\u00e9 radicale : \u00ab\u00a0Entre 1815 et 1832, la valeur des cotonades indiennes export\u00e9es tomba de 1,3 million de livres sterling \u00e0 moins de 100 000 livres, soit une perte des 12\/13 du commerce en seize ann\u00e9es. Au cours de la m\u00eame p\u00e9riode, la valeur des cotonnades britanniques import\u00e9es en Inde passa de 26 000 livres sterling \u00e0 400 000 livres , soit une multiplication par 16.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 95 ; \u00ab\u00a0Qui d’ailleurs, au Nord comme au Sud, pourrait nier la r\u00e9alit\u00e9 de cette fracture ? Tout y renvoie, les statistiques aussi bien que la vie quotidienne, les grands agr\u00e9gats de l’\u00e9conomie mondiale tout autant que les visions crois\u00e9es des travailleurs immigr\u00e9s peuplant les bas quartiers des m\u00e9tropoles occidentales et des assistants techniques \u00ab\u00a0expatri\u00e9s\u00a0\u00bb enseignant aux plus d\u00e9munis les bienfaits de la civilisation industrielle. En 1981, les termes de l’\u00e9change se d\u00e9t\u00e9riorent de 14,5 % : les pays du tiers-monde ach\u00e8tent de moins en moins de biens industriels avec les recettes tir\u00e9es de leurs produits de base.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 149 ; \u00ab\u00a0Encore ces ressources suivent-elles au plus pr\u00e8s les fluctuations de la conjoncture internationale, emp\u00eachant les pays qui en disposent de mettre sur pied une planification \u00e0 long terme en fonction de recettes r\u00e9guli\u00e8res. De 1970 \u00e0 1980, six pays du tiers-monde, dont cinq en Afrique noire, ont connu une croissance n\u00e9gative de leur production int\u00e9rieure brute. Treize pays ont vu leur P.I.B. augmenter de moins de 2,5 % par an, soit une croissance largement inf\u00e9rieure \u00e0 celle de la population, ce qui implique une r\u00e9gression de la production par habitant. Dans sept pays, le P.I.B. a p\u00e9niblement augment\u00e9 \u00e0 un rythme de 2,5 % \u00e0 3 % par an. Vingt-six pays du tiers-monde, aux options politiques et \u00e9conomiques tr\u00e8s diverses, situ\u00e9s surtout en Afrique mais \u00e9galement en Asie et en Am\u00e9rique, ont donc vu leur situation se d\u00e9t\u00e9riorer au cours de la d\u00e9cennie \u00e9coul\u00e9e.<\/p>\n

Si l’on prend la croissance du P.N.B. par t\u00eate comme crit\u00e8re du progr\u00e8s \u00e9conomique, la situation g\u00e9n\u00e9rale est encore plus d\u00e9plorable. De 1960 \u00e0 1980, il a connu une croissance n\u00e9gative dans dix pays, tous parmi les plus pauvres d’Asie et d’Afrique. Dans vingt-cinq Etats, sa croissance n’a pas d\u00e9pass\u00e9 2 % par an, ce qui \u00e9quivaut \u00e0 une stagnation. Dans pr\u00e8s de la moiti\u00e9 des pays du tiers-monde, les habitants n’ont donc connu aucun progr\u00e8s de leurs conditions de vie au cours des vingt derni\u00e8res ann\u00e9es. Si l’on r\u00e9f\u00e8re \u00e0 la seule production alimentaire, cette d\u00e9t\u00e9rioration est encore plus accentu\u00e9e : l’indice de la production par habitant en 1978-1980 est inf\u00e9rieur \u00e0 celui de la p\u00e9riode 1969-1971 dans cinquante-deux pays, qui sont donc tributaires de l’augmentation de leurs recettes en devises ou de la charit\u00e9 internationale, dont on sait ce qu’elle vaut, pour nourrir leur population. Le faisceau de donn\u00e9es indiquant qu’une bonne partie des pays \u00ab\u00a0en d\u00e9velopement\u00a0\u00bb s’enfonce dans la stagnation pourrait encore \u00eatre \u00e9tendu. Dans certaines r\u00e9gions du monde, la r\u00e9alit\u00e9 d\u00e9passe les projections les plus pessimistes.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 152 ; \u00ab\u00a0(…) le pr\u00e9sident Fidel Castro \u00e9voquait r\u00e9cemment pour justifier la demande de moratoire de la dette de son pays aupr\u00e8s de ses cr\u00e9anciers. Celle-ci, qui s’\u00e9l\u00e8ve en 1982 \u00e0 3,5 milliards de dollars, a \u00e9t\u00e9 contract\u00e9e en majorit\u00e9 aupr\u00e8s des institutions financi\u00e8res canadiennes, japonaises et espagnoles.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 158 ; \u00ab\u00a0Autre mod\u00e8le en crise, celui de l’Alg\u00e9rie, qui r\u00e9sume de fa\u00e7on presque exemplaire les contradictions de certains pays du tiers-monde que d’aucuns s’obstinent \u00e0 qualifier de \u00ab\u00a0non capitalistes\u00a0\u00bb. Cette notion a souvent \u00e9t\u00e9 utilis\u00e9e \u00e0 la place de l’appellation \u00ab\u00a0socialiste\u00a0\u00bb et r\u00e9v\u00e8le \u00e0 elle seule le flou conceptuel qui caract\u00e9rise les exp\u00e9riences dites de troisi\u00e8me voie.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 159 ; \u00ab\u00a0Malgr\u00e9 l’ampleur des bouleversements qui affectent depuis vingt ans la soci\u00e9t\u00e9 alg\u00e9rienne, sa classe dirigeante a fonctionn\u00e9, au moins jusqu’\u00e0 la mort de Boumedienne en 1979, sur un sens aigu de la mystification id\u00e9ologique : la \u00ab\u00a0sp\u00e9cificit\u00e9\u00a0\u00bb de l’exp\u00e9rience socialiste alg\u00e9rienne autorisait toutes les perversions. Mais une grande partie de l’\u00e9lite intellectuelle a \u00e9galement v\u00e9cu d’automystification, satisfaite qu’elle \u00e9tait de l’option r\u00e9solumment \u00ab\u00a0anti-imp\u00e9rialiste\u00a0\u00bb du r\u00e9gime et renforc\u00e9e p\u00e9riodiquement dans sa foi par des campagnes de mobilisation dont certaines, comme le d\u00e9but de la R\u00e9volution agraire, entra\u00een\u00e8rent une v\u00e9ritable adh\u00e9sion populaire ou d’autres, comme les discussions autour de la Charte nationale, permettaient de satisfaire partiellement ses aspirations \u00e0 la d\u00e9mocratie.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 161 ; \u00ab\u00a0* source : Dersa : L’Alg\u00e9rie en d\u00e9bat, luttes et d\u00e9veloppement Cedetim. Ed. Masp\u00e9ro, Paris, 1981.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 162 ; \u00ab\u00a0La r\u00e9colte c\u00e9r\u00e9ali\u00e8re s’est \u00e9lev\u00e9e en 1981 \u00e0 19 millions de quintaux, soit la m\u00eame quantit\u00e9 qu’en 1910 ! L’Alg\u00e9rie a achet\u00e9 cete ann\u00e9e-l\u00e0 \u00e0 l’\u00e9tranger 25 millions de quintaux de c\u00e9r\u00e9ales, la moiti\u00e9 de sa consommation de lait, la plus grande partie du sucre dont elle a besoin (la production nationale ne d\u00e9passe pas 25 000 tonnes), tandis que les importations de viande \u00e9taient multipli\u00e9es par 20 par rapport \u00e0 1970.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 163 ; \u00ab\u00a0Mis \u00e0 part une faible production d’engrais (112 000 tonnes en 1978) et le complexe moteurs-tracteurs de la Sonacome \u00e0 Constantine qui fonctionne \u00e0 25 % de sa capacit\u00e9 install\u00e9e, l’industrie ne s’est assign\u00e9e \u00e0 aucun niveau le but de r\u00e9pondre \u00e0 la demande de facteurs de production agricole.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 164 ; \u00ab\u00a0La d\u00e9pendance de l’Alg\u00e9rie vis-\u00e0-vis de l’Occident capitaliste est plus forte que jamais, et ses responsables se sont toujours attach\u00e9s \u00e0 donner d’eux hors du pays l’image de bons gestionnaires d’un capitalisme national pour faire apel \u00e0 l’assistance multiforme de l’Occident. D\u00e8s 1966, le F.M.I. soulignait les bonnes dispositions de l’\u00e9quipe dirigeante alg\u00e9rienne. Il \u00e9crit alors \u00e0 propos de l’Alg\u00e9rie : \u00ab\u00a0Tandis que la politique officielle du gouvernement est de poursuivre les buts de l’\u00e9conomie socialiste et de voir l’Etat avoir la haute main sur toutes les nouvelles industries importantes, on engage maintenant les meilleures soci\u00e9t\u00e9s d’\u00e9tudes \u00e9trang\u00e8res pour avoir leur avis sur les m\u00e9thodes de gestion des entreprises publiques, et on recherche activement un modus vivendi avec le capital priv\u00e9 international pour l’attirer vers l’Alg\u00e9rie.\u00a0\u00bb Les hydrocarbures constituent actuellement 97 % des exportations alg\u00e9riennes qui se dirigent dans une proportion de 94 % vers les pays capitalistes industriels. Premier client de l’Alg\u00e9rie, les Etats-Unis absorbent la moiti\u00e9 de ses ventes \u00e0 l’\u00e9tranger. La dette publique ext\u00e9rieure d\u00e9passe 15 milliards de dollards et repr\u00e9sente environ la moiti\u00e9 du produit national brut. Gros emprunteur aupr\u00e8s des march\u00e9s financiers internationaux, l’Alg\u00e9rie fait aussi largement appel aux institutions internationales comme la Banque Mondiale \u00e0 qui elle a emprunt\u00e9 plus de 900 millions de dollars entre 1975 et 1981.<\/p>\n

L’int\u00e9gration de l’Alg\u00e9rie au march\u00e9 capitaliste mondial est donc beaucoup plus \u00e9troite que ne le laisseraient supposer les r\u00e9affirmations r\u00e9guli\u00e8res du caract\u00e8re in\u00e9luctable des options socialistes. Loin de conduire \u00e0 l’ind\u00e9pendance, les choix effectu\u00e9s au milieu des ann\u00e9es 60 ont confirm\u00e9 et accentu\u00e9 l’insertion d\u00e9pendante dans l’\u00e9conomie mondiale, sans pour autant que cette d\u00e9pendance r\u00e9solve les probl\u00e8mes int\u00e9rieurs auxquels le pays est confront\u00e9. A ce niveau, et quels que soient les aspects positifs dont on puisse par ailleurs cr\u00e9diter l’exp\u00e9rience alg\u00e9rienne, l’\u00e9chec \u00e9conomique est patent.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 166 ; \u00ab\u00a0On peut expliquer la faiblesse des revenus du secteur moderne en regard des investissements \u00e9normes dont il a b\u00e9n\u00e9fici\u00e9 par trois raisons qui, sans \u00eatre exhaustives, permettent de comprendre l’\u00e9chec de la \u00ab\u00a0bataille de la production\u00a0\u00bb : Les complexes industriels, install\u00e9s \u00e0 grand renfort de \u00ab\u00a0paquets technologiques\u00a0\u00bb con\u00e7us pour un environnement totalement diff\u00e9rent, ont \u00e9t\u00e9 incapables de s’ins\u00e9rer dans un contexte socio-\u00e9conomique peu pr\u00e9par\u00e9 \u00e0 les assimiler ; mais ils sont \u00e9galement constitu\u00e9 les lieux privil\u00e9gi\u00e9s du pr\u00e9l\u00e8vement du surplus n\u00e9cessaire \u00e0 la bureaucratie pour assurer son assise sociale et sa reproduction ; le d\u00e9tournement de l’appareil productif en vue de cette finalit\u00e9 est une cause non n\u00e9gligeable de son fonctionnement d\u00e9sastreux. Car, pour assurer un tel pr\u00e9l\u00e8vement et se r\u00e9server la mainmise absolue sur l’appareil, il est n\u00e9cessaire de multiplier les contr\u00f4les administratifs et de porter \u00e0 son paroxysme la centralisation, malgr\u00e9 leurs cons\u00e9quences nuisibles pour la productivit\u00e9 du travail.<\/p>\n

D’un autre c\u00f4t\u00e9, cette classe dirigeante, partenaire du capital transnational, d\u00e9bitrice du syst\u00e8me bancaire international, en proie aux exigences d’une population dont l’insatisfaction, de moins en moins canalis\u00e9e par le discours populiste , pourrait provoquer de graves remous, est bien oblig\u00e9e de tenir compte de la rationalit\u00e9 capitaliste. Le plan 1980-1984 a fait succ\u00e9der la \u00ab\u00a0bataille de la gestion\u00a0\u00bb \u00e0 celle de la production. Il s’agit d\u00e9sormais, avant d’entreprendre de nouveaux investissements dans le secteur industriel, de faire fonctionner les entreprises existantes , c’est-\u00e0-dire, en r\u00e9alit\u00e9, de les faire passer de la sph\u00e8re bureaucratique \u00e0 la sph\u00e8re capitaliste. Mais il n’est toujours pas question d’inverser l’ordre des priorit\u00e9s et de r\u00e9duire la place pr\u00e9pond\u00e9rante de l’industrie lourde par rapport aux autres secteurs de l’\u00e9conomie. Ce retour \u00e0 une gestion plus classique de l’appareil productif constitue une preuve a contrario de la p\u00e9rennit\u00e9 du mod\u00e8le capitaliste, puisqu’il appara\u00eet une fois de plus en plus impossible de faire siens ses crit\u00e8res de croissance sans en adopter par la m\u00eame occasion les modalit\u00e9s.<\/p>\n

c’est peut-\u00eatre la mutation \u00e0 laquelle se pr\u00e9parent les responsables alg\u00e9riens en r\u00e9troc\u00e9dant progressivement au priv\u00e9 certains secteurs o\u00f9 la faillite a \u00e9t\u00e9 la plus spectaculaire, comme la gestion des circuits commerciaux, et en comptant davantage sur lui pour r\u00e9pondre \u00e0 la demande populaire de biens de consommation finale que l’Etat est incapable de satisfaire.\u00a0\u00bb<\/p>\n

* \u00ab\u00a0Dans son ouvrage sur l’\u00e9conomie de l’Alg\u00e9rie, T. Benhouria, \u00e0 qui nous empruntons beaucoup, d\u00e9veloppe le th\u00e8me de la \u00ab\u00a0sovi\u00e9tisation\u00a0\u00bb de la bureaucratie alg\u00e9rienne et rappelle que, comme en U.R.S.S., la seule rationalit\u00e9 bureaucratique r\u00e9side dans la n\u00e9cessit\u00e9 de sa reproduction. Le primat du politique sur l’\u00e9conomique explique selon lui le caract\u00e8re sous-d\u00e9velopp\u00e9 de l’industrie alg\u00e9rienne : les dirigeants des entreprises d’Etat, \u00ab\u00a0tenant leurs pouvoirs de leur position dans la hi\u00e9rarchie politique, gaspillent les ressources qui sont attribu\u00e9es \u00e0 leurs \u00e9tablissements, en d\u00e9tournent une partie \u00e0 des fins priv\u00e9es, les sanctions \u00e9conomiques du march\u00e9 ayant peu de prise sur cette cat\u00e9gorie sociale dont la fonction \u00e9conomique est \u00e9troitement d\u00e9pendante de la puissance politique de ses membres et se trouve par cons\u00e9quent secondaire\u00a0\u00bb (op.cit., p. 433)\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 168 ; \u00ab\u00a0On aurait l’air de vouloir cultiver le paradoxe si on affirmait qu’il y a, en d\u00e9finitive, moins de diff\u00e9rences qu’on ne le pense entre l’Alg\u00e9rie et… la Cor\u00e9e, le Br\u00e9sil et la… Tanzanie. A premi\u00e8re vue, tout au moins, rien ne les rapproche.<\/p>\n

(…) Tous pourtant, comme les autres pays du tiers-monde, poursuivent un m\u00eame but primordial : la croissance \u00e9conomique, avec pour corollaire un renforcement de l’int\u00e9gration au march\u00e9 mondial. Quelle que soit la nature des r\u00e9gimes politiques, tous, y compris les pays socialistes, estiment n\u00e9cessaire, \u00e0 un moment ou \u00e0 un autre de leur \u00e9volution, de faire appel au capital et \u00e0 la technologie transnationaux.<\/p>\n

(…) Dans cinquante-trois des soixante pays en d\u00e9veloppement pour lesquels la Banque Mondiale fournit des statistiques compl\u00e8tes, la part de l’agriculture dans le produit int\u00e9rieur brut a d\u00e9clin\u00e9 entre 1960 et 1980. Elle n’a augment\u00e9 qu’au Tchad, en Birmanie, en Ouganda, au S\u00e9n\u00e9gal,en Zambie et au Za\u00efre.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 169 ; \u00ab\u00a0Dans les pays o\u00f9 elle repose essentiellement sur les ressources mini\u00e8res dont l’exploitation explique la rapidit\u00e9 de leur croissance, on constate que les revenus d\u00e9gag\u00e9s de la rente mini\u00e8re n’ont pas \u00e9t\u00e9 investis dans le secteur agricole qui stagne ou r\u00e9gresse : au Niger, l’industrie (c’est-\u00e0-dire l’extraction de l’uranium) a enregistr\u00e9 une croissance de 12,6 % par an, tandis que la croissance de l’agriculture n’atteignait m\u00eame pas 0,5 %. Celle-ci demeure stationnaire au Nig\u00e9ria (0,2 % par an), alors que l’industrie, c’est-\u00e0-dire essentiellement l’exploitation des hydrocarbures, s’accroissait de 10 % par an. M\u00eame constatation pour l’Alg\u00e9rie o\u00f9 les taux de croissance respectifs de l’agriculture et de l’industrie sont de 1,6 % et 9,7 % par an.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 170 ; \u00ab\u00a0La gestion capitaliste, \u00e9tatique ou non, de la soci\u00e9t\u00e9 ne va nulle part de pair avec une r\u00e9duction durable des in\u00e9galit\u00e9s\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 171 ; \u00ab\u00a0Quand l’Inde construit un a\u00e9oroport en Arabie S\u00e9oudite, ou que le Br\u00e9sil fournit des avions militaires au Gabon, il faut se demander \u00e0 quoi vont servir les achats effectu\u00e9s par Ryad ou Libreville avant de conclure que leur provenance est le signe d’une autonomisation du Sud par rapport au Nord. Celui-ci, on l’a vu, est de moins en moins un espace g\u00e9ographiquement circonscrit, pour devenir davantage une entit\u00e9 abstraite d\u00e9signant les principaux centres de d\u00e9cision du monde capitaliste.<\/p>\n

(…) Cette force relative, les P.O.M. la doivent aux conditions optimales de rentabilit\u00e9 dans lesquelles s’est d\u00e9roul\u00e9 le processus de leur industrialisation. Ils n’ont pu parvenir \u00e0 un tel r\u00e9sultat que parce qu’ils poss\u00e8dent leur propre p\u00e9riph\u00e9rie, taillable et corv\u00e9able \u00e0 merci, et que les ressources \u00e9conomiques et humaines de celle-ci ne sont pas encore \u00e9puis\u00e9es.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 175 ; \u00ab\u00a0L’immense Za\u00efre, avec ses 2,3 millions de kilom\u00e8tres carr\u00e9s, avec son cuivre, son cobalt, son mangan\u00e8se, ses diamants, avec un sous-sol souvent qualifi\u00e9 de \u00ab\u00a0scandale g\u00e9ologique\u00a0\u00bb tant il fait penser \u00e0 la caverne d’Ali Baba, avec ses potentialit\u00e9s agricoles \u00e0 faire r\u00eaver, n’emp\u00eache pas grand monde de dormir \u00e0 Paris, Londres ou New York.<\/p>\n

(…) Quelques parachutistes restaurent promptement le contr\u00f4le de l’Occident sur une zone strat\u00e9gique \u00e0 cause de ses richesses qui ne doivent tomber ni dans la zone d’influence sovi\u00e9tique, ni aux mains d’une \u00e9quipe nationaliste qui pourrait vouloir ren\u00e9gocier dans un sens moins d\u00e9favorable au pays leur exploitation.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 178-179 ; \u00ab\u00a0Les d\u00e9cideurs \u00e9conomiques des centres capitalistes sont sans aucun doute attir\u00e9s par des pays dot\u00e9s de multiples avntages facilitant leur entreprise de red\u00e9ploiement. L’\u00e9troite corr\u00e9lation existant entre l’importance des pr\u00eats des banques occidentales, des investissements directs des transnationales et la rapidit\u00e9 des taux de croissance dans les P.O.M. prouve amplement que l’appareil bancaire et financier du monde industriel ne lance pas ses op\u00e9rations fortuitement. Pour n’en donner qu’un exemple, la First National City Bank des Etats-Unis accordait, en 1974, 45 % de ses profits de ses op\u00e9rations \u00e0 l’\u00e9tranger, dont moins de 20 % en Europe. Avec seulement 7 % de ses actifs engag\u00e9s dans le tiers-monde, elle y r\u00e9alisait pr\u00e8s de 40 % de l’ensemble de ses profits, r\u00e9partis ainsi : plus de 10 % en Asie, 10 % dans les Cara\u00efbes, 9 % en Am\u00e9rique du Sud, et le reste en Afrique et au Moyen-Orient. Depuis, les cr\u00e9ances des banques priv\u00e9es occidentales sur les pays du tiers-monde \u00e0 revenu interm\u00e9diaire n’ont cess\u00e9 d’augmenter.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 197 ; \u00ab\u00a0Ce sont encore des Br\u00e9siliens qui ont r\u00e9alis\u00e9 la route de Nouakchott-Kiffa en Mauritanie, pour un montant de 220 millions de dollars, et qui entreprennent au Mozambique une importante \u00e9tude de factibilit\u00e9 pour l’exploitation des mines de charbon, dont Brasilia se porterait ult\u00e9rieurement acqu\u00e9reur. En Alg\u00e9rie, un consortium de firmes br\u00e9siliennes participera \u00e0 la r\u00e9alisation de l’ambitieux programme de construction, en r\u00e9alisant une tranche de 100 000 logements en cinq ans dans la r\u00e9gion de Ouargla. Pour remporter le contrat, le Br\u00e9sil a ouvert \u00e0 Alger une ligne de cr\u00e9dit de 300 millions de dollars.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 201 ; * \u00ab\u00a0P. Judet, Les nouveaux pays industriels, op. cit.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 202 ; \u00ab\u00a0Il ne faut rien exag\u00e9rer, et la puissance commerciale des \u00ab\u00a0nouveaux riches\u00a0\u00bb du tiers-monde demeure bien modeste par rapport \u00e0 celle des g\u00e9ants de l’industrie mondiale. La capacit\u00e9 exportatrice des premiers dans les secteurs lourds augmente assez lentement : s’ils satisfaisaient, en 1973, 10,4 % de la demande de l’ensemble du tiers-monde en produits industriels, cette part passe \u00e0 13, 3 % seulement en 1980.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 203 ; \u00ab\u00a0En chiffres, le pouvoir de ces firmes (multinationales) est proprement exorbitant. Outre le fait que le chiffre d’affaires des plus grosses d’entre elles exc\u00e8de largement le produit national d’une bonne moiti\u00e9 des Etats repr\u00e9sent\u00e9s \u00e0 l’O.N.U., leur r\u00f4le est immense dans la production et les \u00e9changes internationaux. Ainsi, les ventes des trois cents plus grandes multinationales am\u00e9ricaines, japonaises et europ\u00e9ennes augmentent d’environ 10 % par an, soit en moyenne deux fois plus vite que le P.N.B. des pays o\u00f9 elles sont implant\u00e9es. La production des filiales des transnationales am\u00e9ricaines install\u00e9es \u00e0 l’\u00e9tranger est quatre fois plus importante que les exportations totales des Etats-Unis. En 1975, le chiffre d’affaires des firmes des pays industriels implant\u00e9es dans le tiers-monde atteignait le double de toutes les exportations du Nord vers ce m\u00eame tiers-monde.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 205 ; \u00ab\u00a0Selon la C.N.U.C.E.D., l’ensemble des \u00e9changes intragroupe et du commerce captif \u00e0 l’int\u00e9rieur des multinationales repr\u00e9sente plus de la moiti\u00e9 du commerce des produits manufactur\u00e9s des pays en d\u00e9veloppement.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 206 ; \u00ab\u00a0Pendant qu’on glose interminablement aux Nations unies de l’\u00e9laboration d’un code de conduite pour le comportement des multinationales qui n’aura, en tout \u00e9tat de cause, aucune force contraignante, on n’a jamais discut\u00e9 au sein des multiples instances du tiers-monde, non align\u00e9s ou groupe des 77, sans parler des organisations r\u00e9gionales, d’une \u00e9ventuelle harmonisation des codes des investissements, qui enl\u00e8verait aux soci\u00e9t\u00e9s multinationales un important moyen de chantage qu’elles ne se privent pas d’utiliser. Quant aux syndicats, l\u00e0 o\u00f9 ils existent, c’est-\u00e0-dire surtout dans les pays occidentaux, leurs efforts pour \u00e9laborer une strat\u00e9gie internationale capable de r\u00e9pondre \u00e0 la multinationalisation du capital n’en sont qu’\u00e0 leurs premiers balbutiements.\u00a0\u00bb<\/p>\n

r\u00e9cession des P.O.M..<\/p>\n

p. 210 ; \u00ab\u00a0Celle-ci s’est d\u00e9j\u00e0 ralentie, et l’on assiste, depuis le d\u00e9but de cette d\u00e9cennie, \u00e0 un essouflement certain de ces \u00e9conomies pourtant \u00ab\u00a0miracul\u00e9es\u00a0\u00bb. Le triomphalisme fait place partout \u00e0 l’inqui\u00e9tude ou, du moins, \u00e0 une vision moins idyllique de l’avenir. Le r\u00e9veil est \u00e0 la fois brutal pour des \u00e9conomies qui s’\u00e9taient trop vite habitu\u00e9es \u00e0 un rythme de croissance sans pr\u00e9c\u00e9dent. M\u00eame s’il reste sup\u00e9rieur \u00e0 celui des pays industriels et de la plupart des autres Etats du tiers-monde, certains ressorts de l’expansion paraissent bris\u00e9s. En Asie, la Cor\u00e9e a connu en 1980 une croissance n\u00e9gative de moins 6,5 %, doubl\u00e9e d’une inflation de l’ordre de 50 %, annulant l’effet d’augmentations salariales qui n’ont pas d\u00e9pass\u00e9 25 %, et d’une augmentation du ch\u00f4mage sans pr\u00e9c\u00e9dent : \u00e0 la fin de 1981, 6 % de la population active, soit pr\u00e8s de 900 000 personnes, \u00e9taient sans emploi.<\/p>\n

* P. Tissier : L’industrialisation dans le sous-d\u00e9veloppement .\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 211 , \u00ab\u00a0Au prix d’une r\u00e9pression accrue, Ta\u00efwan a retrouv\u00e9 en 1981 une croissance de 7,5 %, exceptionnelle en ces temps de crise. Il lui a fallu pour ce faire op\u00e9rer une douloureuse reconversion dans certaines branches industrielles pour diminuer l’importance des exportations par rapport au produit national brut.<\/p>\n

La situation des grands pays d’Am\u00e9rique est beaucoup moins enviable, et tous connaissent depuis peu un ralentissement g\u00e9n\u00e9ral de l’\u00e9conomie apr\u00e8s le cycle des ann\u00e9es fastes.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 213 ; \u00ab\u00a0D’aucuns veulent voir dans les difficult\u00e9s actuelles une simple phase de r\u00e9ajustements \u00e9conomiques, rendus n\u00e9cessaires par la trop grande rapidit\u00e9 des mutations des vingt derni\u00e8res ann\u00e9es, et par l’\u00e9volution du contexte mondial. L’Argentine ne serait alors qu’un cas malheureux, mais isol\u00e9, de r\u00e9gression, et non un exemple pr\u00e9monitoire. Ce retour du pendule suscite en tout cas des interrogations, car apr\u00e8s l’euphorie on se demande un peu partout qui des pays du tiers-monde en voie d’industrialisation surmontera la crise, en valorisant quels atouts, et dans quelles conditions.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 218-219 ; \u00ab\u00a0M\u00eame s’ils ont fait entrer le mythe de la croissance dans l’ordre du possible, les P.O.M. sont devenus du m\u00eame coup un miroir aux alouettes. En effet, si la croissance \u00e9conomique dans le cadre d’une int\u00e9gration pouss\u00e9e au syst\u00e8me central cesse gr\u00e2ce \u00e0 eux d’\u00eatre per\u00e7ue comme une chim\u00e8re, elle devient impossible pour la majeure partie du tiers-monde \u00e0 cause de leur existence m\u00eame. Car le mod\u00e8le, r\u00e9alis\u00e9 comme il l’est au Nord, ou en voie de r\u00e9alisation dans quelques lieux privil\u00e9gi\u00e9s du Sud, est d\u00e9voreur d’espaces et d’humanit\u00e9. Tout le monde souhaite, en toute logique, \u00eatre du c\u00f4t\u00e9 o\u00f9 l’on d\u00e9vore. Mais dans cet ordre implacable qui r\u00e9git notre plan\u00e8te finie, il faut bien qu’il demeure, dans quelques lieux, des espaces et des \u00eatres \u00e0 consommer.<\/p>\n

A quelques cinq si\u00e8cles d’intervalle, les caravelles de Cristophe Colomb (dont on enseigne aux descendants des Incas et des Azt\u00e8ques qu’il a d\u00e9couvert l’Am\u00e9rique!) et le vaisseau spatial Apollo avaient un but identique. Pour les aventuriers du XV\u00e8me si\u00e8cle comme pour les astronautes d’aujourd’hui, les r\u00eaves de conqu\u00eate et la soif d’appropriation accompagnaient toujours, et primaient souvent, le d\u00e9sir de savoir. Derri\u00e8re ces deux odyss\u00e9es se profile le m\u00eame besoin vital de l’Occident, de son \u00e9conomie, de sa culture, d’aller toujours plus avant, de pousser toujours plus loin ses limites, pour alimenter son fonctionnement, c’est-\u00e0-dire pour survivre. La Compagnie des Indes s’est engouffr\u00e9e dans le sillage de Vasco de Gama, et les plantations de caoutchouc souill\u00e9es de sang du roi L\u00e9opold dans celui du docteur Livingstone.<\/p>\n

(…) Une fois \u00e9puis\u00e9es les ressources les plus proches, ou les populations int\u00e9gr\u00e9es au cercle d’une relative prosp\u00e9rit\u00e9 qui d\u00e9termine l’appartenance au Centre, il faut aller ailleurs pratiquer cette \u00ab\u00a0extorsion de plus-value\u00a0\u00bb qui n’est plus possible dans le voisinage imm\u00e9diat des r\u00e9gions centrales du syst\u00e8me.<\/p>\n

(…) Alors qu’on avait oubli\u00e9 pendant longtemps leur existence, on aper\u00e7oit maintenant, de plus en plus pr\u00e8s, les limites territoriales de l’expansion.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 221 ; \u00ab\u00a0Dans l’histoire moderne, il est notoire que la conqu\u00eate, la mise en esclavage, le vol, l’assassinat, en r\u00e9sum\u00e9 la force, jouent le r\u00f4le principal…Et en effet, la force est l’accoucheuse de toute vieille soci\u00e9t\u00e9 au travail. La force est un agent \u00e9conomique…Ce fut la traite des n\u00e8gres qui jeta les fondements de la grandeur de liverpool…En somme, il fallait pour pi\u00e9destal \u00e0 l’esclavage dissimul\u00e9 des salari\u00e9s en Europe, l’esclavage sans phrase dans le Nouveau Monde. Le capital vient au monde suant le sang et la boue… Karl Marx, Le Capital<\/em><\/p>\n

Dans aucune des figures qu’il a prises \u00e0 travers le monde, le mod\u00e8le n’a pu se lib\u00e9rer de cette matrice sans \u00e9liminer du m\u00eame coup toute possibilit\u00e9 de produire du capital.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p.222 ; \u00ab\u00a0Le mouvement des enclosures en Angleterre y tient plus de place que la traite n\u00e9gri\u00e8re.<\/p>\n

(…) * Le probl\u00e8me n’est plus tant que les gens sont trop pauvres, mais qu’il y a trop de pauvres. Avec l’imp\u00e9rialisme, la production de la pauvret\u00e9 prend le pas sur la paup\u00e9risation stricto sensu.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 223 ; \u00ab\u00a0Les continents du Sud firent office d’immenses r\u00e9servoirs dont les chemins de fer , construits avec un incroyable gaspillage humain, dessinent \u00e0 la fois les voies de p\u00e9n\u00e9tration et les lignes de cr\u00eates de cette redoutable et durable saign\u00e9e. Gr\u00e2ce \u00e0 cet \u00e9ventrement, l’Occident put \u00e9galement s’assurer de solides arri\u00e8res pour \u00e9couler la masse de marchandises produites dans le cadre du nouveau processus de production.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 225 ; \u00ab\u00a0Marginalis\u00e9e \u00e0 l’extr\u00eame puisque, dans sa grande majorit\u00e9, elle ne jouit d’aucun droit civique, cette \u00e9norme r\u00e9serve de main-d’oeuvre occupant les postes les moins pay\u00e9s, a permis \u00e0 la frange sup\u00e9rieure des classes ouvri\u00e8res europ\u00e9ennes de poursuivre son ascension sociale et de se fondre progressivement, tout au moins au niveau des comportements et des modes de vie, dans la galaxie petite-bourgeoise.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 231 ; \u00ab\u00a0Tr\u00e8s vite, en effet celles-ci (les classes dirigeantes), par l’interm\u00e9diaire de leurs porte-parole internationaux, se sont \u00e9lev\u00e9es contre ce qu’elles ont consid\u00e9r\u00e9 comme une strat\u00e9gie de d\u00e9veloppement au rabais : \u00e0 l’Occident la ma\u00eetrise technologique et la mise en oeuvre de modes de croissance sophistiqu\u00e9s ; au tiers-monde l’habitat en terre battue, l’agriculture \u00e0 la houe et l’alphab\u00e9tisation en langues locales dans des huttes, ce qui interdit bien \u00e9videmment tout acc\u00e8s aux sanctuaires scientifiques et technologiques qui dessinent les contours du monde futur.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 232 ; \u00ab\u00a0La mission confi\u00e9e en 1977 par Mac Namara \u00e0 une \u00e9quipe form\u00e9e par Willy Brandt et le rapport qui en sortit en 1979, marquent l’apog\u00e9e du mouvement. Nord-Sud : un programme de survie, le titre en lui-m\u00eame est un cri d’alarme, et l’introduction reprend le th\u00e8me de la mis\u00e8re, devenu un poncif de toute \u00e9tude sur l’aide au d\u00e9veloppement.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 234 ; \u00ab\u00a0Tout a chang\u00e9 depuis que la pauvret\u00e9 \u00ab\u00a0l\u00e0-bas\u00a0\u00bb est devenue la pauvret\u00e9 partout, c’est-\u00e0-dire \u00ab\u00a0ici\u00a0\u00bb. Facteur de destabilisation, elle doit \u00eatre trait\u00e9e comme tel, et ce n’est pas un hasard si l’on emploie dans ce domaine un langage strat\u00e9gico-militaire : La pauvret\u00e9 mondiale est devenue une affaire de containment.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 235 ; \u00ab\u00a0Les d\u00e9clarations de son nouveau pr\u00e9sident illlustrent de fa\u00e7on \u00e9clatante ce revirement : \u00ab\u00a0La Banque Mondiale n’est pas charg\u00e9e de redistribuer la richesse entre les groupes de pays. Elle n’est ni le Robin des Bois de la sc\u00e8ne financi\u00e8re internationale, ni la dame patronesse des pays en d\u00e9veloppement. La Banque Mondiale a la t\u00eate froide et ne fait pas de sentiment. Elle a de la t\u00e2che qu’elle s’efforce d’accomplir une vue pragmatique et apolitique….La Banque Mondiale a pour mandat de contribuer au progr\u00e8s \u00e9conomique des pays membres en d\u00e9veloppement. Elle ne peut le faire qu’avec l’appui des gouvernements et des march\u00e9s priv\u00e9s des pays membres exportateurs de capitaux.\u00a0\u00bb\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 239 ; \u00ab\u00a0Si l’humanit\u00e9 \u00e9tait d\u00e8s aujourd’hui techniquement capable d’aller extorquer de la plus-value aux Martiens ou aux V\u00e9nusiens (\u00e0 supposer qu’il y en ait), la crise qu’elle traverse serait d\u00e9j\u00e0 aux trois quart r\u00e9solue. On y trouvereait le sol pour en extraire les richesses, et on embaucherait, pour peu que leur anatomie s’y pr\u00eate, les habitants de ces nouvelles colonies pour en faire les soutiers du progr\u00e8s \u00e9conomique continu sur la plan\u00e8te Terre.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 240 ; \u00ab\u00a0La population mondiale n’a jamais, nous dit-on, augment\u00e9 aussi vite, et toutes les statistiques montrent que cet accroissement s’acc\u00e8lera pendant encore \u00e0 peu pr\u00e8s un si\u00e8cle. L’intervalle de doublement de la population ne cesse de se r\u00e9duire. En ne consid\u00e9rant que le XX\u00e8me si\u00e8cle, il \u00e9tait de 150 ans en 1900, de 70 ans en 1970, et il sera de 35 ans en l’an 2000.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 247 ; \u00ab\u00a0si l’Indon\u00e9sie compte 75 habitants au kilom\u00e8tre carr\u00e9, Java est dramatiquement surpeupl\u00e9 alors que plusieurs \u00eeles de l’archipel sont pratiquement vides d’habitants ; mais la politique de la colonisation de ces territoires entreprise depuis une vingtaine d’ann\u00e9es par les pouvoirs publics s’est sold\u00e9e par un \u00e9chec, pour des raisons essentiellement politiques. Quant au Proche-Orient o\u00f9 la superficie cultiv\u00e9e atteint 0,39 ha\/habitant, il n’aura plus que 37 millions d’hectares de r\u00e9serves dans six-huit ans. Il faut en effet y temp\u00e9rer la faiblesse relative des densit\u00e9s moyennes par l’\u00e9tendue des superficies d\u00e9sertiques qui couvrent en son sein de vastes r\u00e9gions.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 248 ; \u00ab\u00a0Mais la gestion \u00e9tatique des mouvements migratoires, l’excessive bureaucratisation \u00e0 laquelle ils sont soumis, la d\u00e9pendance quasi totale dans laquelle se trouvent les immigrants vis-\u00e0-vis de l’Etat -qui reste propri\u00e9taire \u00e9minent de la terre, impose des contrats de culture, contr\u00f4le la distribution des intrants et la commercialisation de la production, d\u00e9courage les initiatives paysannes dans lesquelles il voit des menaces pour son autorit\u00e9- ont conduit la plupart de ces entreprises \u00e0 des \u00e9checs cuisants.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 250 ; \u00ab\u00a0Que les limites de l’oekoum\u00e8ne soient ou non irr\u00e9vocablement atteintes, il est en tous cas \u00e0 peu pr\u00e8s \u00e9vident que ce mouvement ne peut gu\u00e8re se poursuivre au rythme des vingt derni\u00e8res ann\u00e9es sans prendre des proportions qu’il engendrerait justement cette \u00ab\u00a0destabilisation\u00a0\u00bb des Etats concern\u00e9s, consid\u00e9r\u00e9e par les tenants du concept de la s\u00e9curit\u00e9 \u00ab\u00a0\u00e9largie\u00a0\u00bb comme une des plus graves menaces pesant sur la plan\u00e8te.<\/p>\n

(…) La bidonvillisation du Tiers-monde n’est pas le seul sympt\u00f4me de cette lente asphyxie du syst\u00e8me mondial que, vu sa dur\u00e9e, on n’ose plus tout \u00e0 fait appeler crise. La fulgurante avanc\u00e9e de l’autoritarisme d’Etat \u00e9rig\u00e9 en m\u00e9thode de gouvernement en constitue l’un des signes les plus visibles, r\u00e9duisant de par le monde les espaces de libert\u00e9 comme une peau de chagrin.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 252 ; \u00ab\u00a0on ne peut, disent-ils en substance, r\u00e9cuser des chiffres qui attestent de la rapidit\u00e9 de la croissance, donc du progr\u00e8s. Ce glissement s\u00e9mantique rejette toute opposition dans le champ d’une subversion aux buts inavouables, puisqu’elle s’apposerait par principe aux efforts de transformation \u00e9conomique et sociale entrepris par les r\u00e9gimes technocratico-militaires.<\/p>\n

(…) elle peut \u00e0 la rigueur en affecter les aspects contingents et se situer sur le plan de la critique technocratique, seule accept\u00e9e puisqu’elle s’inscrit dans le cadre id\u00e9ologique d\u00e9fini au sommet. Alors que, dans d’autres secteurs, les P.O.M. tentent de reproduire au plus pr\u00e8s le mod\u00e8le capitaliste historique, ils s’\u00e9loignent consid\u00e9rablement de cette matrice dans le domaine politique stricto sensu. Cette d\u00e9marcation va plus loin qu’une simple adaptation du mod\u00e8le aux r\u00e9alit\u00e9s contemporaines : elle le d\u00e9pouille d’un de ses principaux fondements id\u00e9ologiques.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 253 ; \u00ab\u00a0C’est que, pendant sa p\u00e9riode de grande expansion, \u00e0 mesure que sa mondialisation progressive en d\u00e9cuplait la force, et que les limites mises \u00e0 sa progression n’\u00e9taient pas encore palpables, le syst\u00e8me capitaliste a pu se permettre d’autoriser en son sein le d\u00e9veloppement d’un pluralisme politique pouvant aller jusqu’\u00e0 une contestation radicale de ses fondements, \u00e0 condition que celui-ci cantonne ses manifestations dans le champ \u00ab\u00a0l\u00e9gal\u00a0\u00bb. Le lib\u00e9ralisme politique s’est r\u00e9v\u00e9l\u00e9 d’autant qu’il a constitu\u00e9 une arme id\u00e9ologique de choix contre le \u00ab\u00a0camp socialiste\u00a0\u00bb, \u00e0 mesure que s’approfondissait la d\u00e9viation totalitaire de l’Union Sovi\u00e9tique.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 272 ; \u00ab\u00a0Dans ce contexte, et malgr\u00e9 les actions ponctuelles entreprises \u00e7a et l\u00e0, on comprend que le principe d’un d\u00e9veloppement endog\u00e8ne centr\u00e9 sur la recherche de l’autonomie alimentaire et de l’am\u00e9lioration du niveau de vie g\u00e9n\u00e9ral, sans aggraver les d\u00e9s\u00e9quilibres d\u00e9j\u00e0 pr\u00e9occupants, soit rel\u00e9gu\u00e9 \u00e0 l’arri\u00e8re-plan. A moins que ces r\u00e9gions marginalis\u00e9es de la plan\u00e8te ne deviennent, sous l’empire de la n\u00e9cessit\u00e9, les laboratoires d’exp\u00e9riences aux antipodes des strat\u00e9gies \u00e9labor\u00e9es par les grands pr\u00eatres de la croissance. Certains pays d’Afrique noire en particulier, dont l’int\u00e9gration \u00e0 l’\u00e9conomie mondiale est une perspective si lointaine qu’elle appara\u00eet difficilement r\u00e9alisable, sont en train de voir na\u00eetre, volens nolens<\/em>, des tentatives originales de d\u00e9veloppement autonome. La d\u00e9liquescence de leurs appareils d’Etat, l’urgence avec laquelle ils doivent pourvoir \u00e0 une s\u00e9rie de besoins qui, dans le contexte actuel, ne peuvent \u00eatre satisfaits dans le cadre de la reproduction mim\u00e9tique du mod\u00e8le, la n\u00e9cessit\u00e9 de faire face \u00e0 des \u00e9ch\u00e9ances vitales obligent certaines \u00e9lites \u00e0 ne pas s’opposer \u00e0 un \u00ab\u00a0d\u00e9veloppement paysan\u00a0\u00bb qui refleurit \u00e7a et l\u00e0 et m\u00eame parfois \u00e0 l’encourager concr\u00e8tement. C’est \u00e9galement de cette fa\u00e7on qu’on peut interpr\u00e9ter certains discours qui ne reprennent plus le langage classique sur le d\u00e9veloppement par l’industrie. Aussi assiste-t-on en maints endroits du sous-continent \u00e0 des d\u00e9buts de synth\u00e8se, sans aucune intervention \u00e9trang\u00e8re, entre une tradition encore vivace et certains apports, d\u00fbment s\u00e9lectionn\u00e9s, des techniques occidentales. Nul n’y a d\u00e9lib\u00e9rement choisi les voies d’un autre d\u00e9veloppement, en fait d’un d\u00e9velopement tout court, mais celui-ci semble s’imposer de lui-m\u00eame dans ces r\u00e9gions \u00e0 l’abandon, o\u00f9 il est la seule alternative possible \u00e0 la r\u00e9gression \u00e9conomique, sociale et culturelle. Ces quelques zones de la plan\u00e8te o\u00f9 la logique du capital n’a pas encore tout envahi seront-elles les seules \u00e0 pouvoir se sauver au moindre co\u00fbt d’un effondrement g\u00e9n\u00e9ral qui, quelque forme qu’il prenne, para\u00eet in\u00e9luctable ? Leur \u00ab\u00a0retard\u00a0\u00bb actuel constitue-t-il, dans une perspective \u00e0 long terme, une sup\u00e9riorit\u00e9 par rapport \u00e0 des nations devenues des rouages essentiels du syst\u00e8me, mais o\u00f9 le miracle risque de se transformer en cauchemar ?\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 278 ; \u00ab\u00a0En r\u00e9alit\u00e9, comme le montre l’exp\u00e9rience dynamique de l’A.S.E.A.N. et celle, avort\u00e9e, du Pacte Andin, l’objectif essentiel de ces unions r\u00e9gionales n’est pas de promouvoir en priorit\u00e9 un d\u00e9veloppement compl\u00e9mentaire et \u00e9quilibr\u00e9 de toutes leurs composantes, qui pourrait h\u00e2ter la marche vers une relative autonomie vis-\u00e0-vis du Nord ; il r\u00e9side plut\u00f4t dans la volont\u00e9 d’offrir un march\u00e9 plus vaste et des possibilit\u00e9s plus grandes aux \u00e9ventuels investisseurs \u00e9trangers tout en accroissant, gr\u00e2ce \u00e0 une strat\u00e9gie \u00e9conomique plus coh\u00e9rente et \u00e0 des assises plus solides, leurs capacit\u00e9s de n\u00e9gociation vis-\u00e0-vis du Nord, ce qui leur permet de subir progressivement des conditions moins l\u00e9onines dans leurs \u00e9changes avec celui-ci.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 279 ; \u00ab\u00a0(…) le \u00ab\u00a0tiers-monde\u00a0\u00bb est moins aujourd’hui une zone g\u00e9ographiquement homog\u00e8ne qu’uin ensemble spatialement \u00e9clat\u00e9.<\/p>\n

(…) plus qu’\u00e0 un espace, le tiers-monde s’apparente aujourd’hui \u00e0 une trilogie dont les trois \u00e9l\u00e9ments sont ces damn\u00e9s de la terre si souvent rencontr\u00e9s au long des pages qui pr\u00e9cedent : les pays les moins avanc\u00e9s, les paysanneries, les bidonvilles. C’est prise dans son ensemble que cette \u00ab\u00a0p\u00e9riph\u00e9rie\u00a0\u00bb montre les limites du syst\u00e8me et l’incapacit\u00e9 dont il fait actuellement preuve \u00e0 r\u00e9soudre les contradictions qui l’affectent le plus dangereusement.<\/p>\n

Il lui faut cependant trouver des solutions qui puissent assurer la p\u00e9rennit\u00e9 de son fonctionnement ou, \u00e0 tout le moins, une s\u00e9rie d’exp\u00e9dients lui permettant de reculer les \u00e9ch\u00e9ances.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 284 ; \u00ab\u00a0La n\u00e9cessit\u00e9 unanimement reconnue d’op\u00e9rer des transferts financiers, si minimes soient-ils, du Nord vers le Sud, l’inqui\u00e9tude manifest\u00e9e en hauts lieux sur le danger que fait courir \u00e0 l’\u00e9quilibre mondial leur diminution, la multiplication des conf\u00e9rences o\u00f9 l’on discute \u00e0 l’infini de la meilleure mani\u00e8re de r\u00e9sorber les innombrables poches de mis\u00e8re et de sous-d\u00e9veloppement montrent en tout cas que personne ne nie l’existence de ces tiers-mondes irr\u00e9ductibles. Ces paysanneries aux abois, ces m\u00e9tropoles tropicales transform\u00e9es en gigantesques cours des miracles, ces pays qui ne survivent que par le bon vouloir des imp\u00e9ratifs g\u00e9opolitiques sont autant d’affronts \u00e0 un syst\u00e8me dont les tenants proclament urbi et orbi la sup\u00e9riorit\u00e9 sur tous les plans. Mais, en reconnaissant de fa\u00e7on \u00e9clatante leur existence, et en avouant de plus en plus explicitement leur impuissance s’il s’agit de les \u00e9liminer, le monde industriel n’admet-il pas tacitement l’\u00e9puisement du mod\u00e8le dont il est porteur ? Il faut, devant ces interrogations, se garder des affirmations p\u00e9remptoires. Le capitalisme a, au cours de sa tumultueuse histoire, d\u00e9j\u00e0 surmont\u00e9 tant de crises, il s’est relev\u00e9 de tant de d\u00e9b\u00e2cles, et tant d’hommes et de femmes, prenant leurs espoirs pour une analyse objective de la r\u00e9alit\u00e9, l’ont donn\u00e9 pour moribond qu’il convient d’\u00eatre prudent.<\/p>\n

Il n’emp\u00eache que, devenu mondial, le syst\u00e8me est d\u00e9sormais confront\u00e9 \u00e0 des \u00e9quations nouvelles. Tandis que les incertitudes se multiplient sur ses marges, l’approfondissement de la crise chez lui, s’accompagnant d’une remise en question de plus en plus radicale des modalit\u00e9s classiques de la croissance, est une autre preuve, qu’il ne peut gu\u00e8re occulter plus longtemps, de ses limites. Conscient d’\u00eatre arriv\u00e9 au bout de la course,, il recherche d\u00e9sesp\u00e9rement de nouveaux espaces \u00e0 conqu\u00e9rir et \u00e0 exploiter. L’int\u00e9r\u00eat croissant accord\u00e9 aux ressources maritimes depuis une quinzaine d’ann\u00e9es et les \u00e2pres pol\u00e9miques qui ont fait rage \u00e0 ce sujet dans le cadre de la conf\u00e9rence internationale sur le droit de la mer sont, avec l’exploration de l’espace, les illustrations les plus r\u00e9centes de cette qu\u00eate. En poursuivant celle-ci envers et contre tout, il reconna\u00eet ainsi son incapacit\u00e9 \u00e0 g\u00e9rer plus \u00e9conomiquement les ressources plan\u00e9taires disponibles et la n\u00e9cessit\u00e9 vitale qui le pousse \u00e0 explorer sans fin de nouveaux mondes.<\/p>\n

Ceux-ci, on l’a vu, ne sont pas l\u00e9gion, et la lenteur des d\u00e9couvertes trouve son corollaire dans l’affolante rapidit\u00e9 avec laquelle s’exasp\u00e8rent les contradictions sur la plan\u00e8te. Le caract\u00e8re irr\u00e9ductible de la pauvret\u00e9 n’est pas la moindre d’entre elles. A la fois n\u00e9cessaire et dangereuse, elle ne peut plus aujourd’hui \u00eatre \u00e9vacu\u00e9e nulle part. Stopp\u00e9 dans son expansion, en quoi r\u00e9sida l’origine de sa toute puissance, c’est de ce tiers-monde l\u00e0 que le syst\u00e8me a peur. Au-del\u00e0 des r\u00e9ussites dites spectaculaires, il manifeste en effet par son incontournable pr\u00e9sence que le mod\u00e8le inlassablement propos\u00e9 par l’Occident \u00e0 ses terres de mission ne saurait \u00eatre partout et, en toute circonstance, dans des proportions au moins \u00e9gales \u00e0 la rapidit\u00e9 de la croissance, ces dramatiques scories. Le point de rupture n’est pas encore atteint. Mais il n’est pas s\u00fbr que, dans le marasme actuel, les strat\u00e8ges de la croissance s’av\u00e8rent capables de r\u00e9soudre un tel paradoxe. C’est dans sa solution pourtant que r\u00e9side la survie du monde dans la forme que nous lui connaissons.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 288 ; \u00ab\u00a0Les continents du tiers-monde, pour peu qu’on les embrasse d’un seul regard, font songer \u00e0 ces champs d’h\u00e9liotropes irresistiblement attir\u00e9s par la lumi\u00e8re du soleil. Non qu’il faille comparer le Nord, sous ses diff\u00e9rents avatars, \u00e0 l’astre solaire. Mais il exerce comme lui un invincible tropisme jusqu’aux marches les plus lointaines de notre plan\u00e8te.<\/p>\n

(…) L’heure des miracles semble pourtant termin\u00e9e. L’\u00e9mergence contemporaine des P.O.M. est-elle le dernier avatar de cette marche forc\u00e9e du capitalisme ? Peut-il encore \u00e9difier d’autres empires, ou a-t-il atteint l’ultime fronti\u00e8re au-del\u00e0 de laquelle nulle expansion n’est plus possible?<\/p>\n

(…) On a de plus en plus souvent l’impression que notre monde ne distingue plus, au-del\u00e0 de sa finitude dont il a pris soudainement conscience, qu’un gouffre inconnu et d’autant plus redoutable qu’il n’en saisit pas encore les contours.<\/p>\n

(…) Parvenu \u00e0 ce stade, le syst\u00e8me tel qu’on le conna\u00eet a cess\u00e9 d’\u00eatre viable, non parce qu’il est moralement inacceptable comme l’ont cru tous ceux qui se lev\u00e8rent contre son implacable domination, mais parce qu’il semble spatialement termin\u00e9.<\/p>\n

(…) d\u00e9pourvu d\u00e9sormais des soupapes de s\u00fbret\u00e9 qui ont jalonn\u00e9 son expansion, il ne peut perdurer qu’en se transformant.<\/p>\n

(…) Car ces masses desh\u00e9rit\u00e9es qui peuplent les continents du Sud, ces talons d’Achille de \u00ab\u00a0l’\u00e9quilibre\u00a0\u00bb (notre vocabulaire est riche en euph\u00e9misme) mondial ne sont pas plus porteuses d’utopies r\u00e9volutionnaires que d’autres \u00ab\u00a0moteurs\u00a0\u00bb de l’histoire, nagu\u00e8re investis de la mission de transformer le monde.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 289-290 ; \u00ab\u00a0Mais les \u00e9ternels exclus constituent, et ce n’est pas si mal, des forces qui contribuent \u00e0 tracer ces fissures l\u00e9zardant le syst\u00e8me, et qui pourraient profiter des br\u00e8ches ouvertes par la fragilit\u00e9 nouvelle du mod\u00e8le et sa difficult\u00e9 \u00e0 se r\u00e9aliser universellement pour explorer les voies de leur autonomie et d’une possible rennaissance.<\/p>\n

(…) Car si l’on veut bien jeter un dernier regard sur les pages qui pr\u00e9c\u00e9dent, on s’apercevra que ce ne sont pas seulement les in\u00e9galit\u00e9s dans la r\u00e9partition de ses fruits qui sont \u00e0 l’origine des maux de notre si\u00e8cle, mais la nature m\u00eame de cette croissance.<\/p>\n

(…) Mais un combat aujourd’hui ne peut trouver son sens que si l’on commence par s’interroger sur ce que produire veut dire, par le savoir dans quelle mesure le Progr\u00e8s peut engendrer des progr\u00e8s, par oublier la perspective du Jugement Dernier, qu’il vienne de Dieu ou de l’Histoire, pour cerner ce qui est humainement souhaitable et pour pr\u00e9parer des avenirs vivables.<\/p>\n

(…) Victoire \u00e0 la Pyrrhus sans doute, mais qui risque de s’\u00e9terniser jusqu’\u00e0 ces cataclymes que l’on n’ose pr\u00e9voir, si aucun mouvement ne se dessine pour apporter un d\u00e9menti valable \u00e0 son insupportable, et durable, sup\u00e9riorit\u00e9. Ce d\u00e9menti, c’est aujourd’hui dans la construction inlassable, et souvent sans gloire, d’autres pr\u00e9sents, et non plus dans les soleils futurs des r\u00e9volutions, qu’il devient urgent de le trouver.\u00a0\u00bb<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":"

La derni\u00e8re fronti\u00e8re, les Tiers-Mondes et la tentation de l’Occident Sophie Bessis (J-C. Latt\u00e8s, Paris, 1983) Panorama de la probl\u00e8matique d\u00e9veloppement-Tiers-Monde pour la d\u00e9cennie 80 o\u00f9 est affirm\u00e9 ici \u00ab\u00a0les limites d’un mod\u00e8le\u00a0\u00bb. L’auteur est historienne de formation et a enseign\u00e9 quelques ann\u00e9es en Afrique. Elle a \u00e9crit l’arme alimentaire \u2026 Lire plus \/ Read more<\/a><\/p>\n","protected":false},"author":1,"featured_media":1216,"parent":0,"menu_order":0,"comment_status":"closed","ping_status":"closed","template":"","meta":{"ngg_post_thumbnail":0,"footnotes":""},"class_list":["post-889","page","type-page","status-publish","has-post-thumbnail","hentry"],"_links":{"self":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/889","targetHints":{"allow":["GET"]}}],"collection":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages"}],"about":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/types\/page"}],"author":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/users\/1"}],"replies":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=%2Fwp%2Fv2%2Fcomments&post=889"}],"version-history":[{"count":1,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/889\/revisions"}],"predecessor-version":[{"id":890,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/889\/revisions\/890"}],"wp:featuredmedia":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/media\/1216"}],"wp:attachment":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=%2Fwp%2Fv2%2Fmedia&parent=889"}],"curies":[{"name":"wp","href":"https:\/\/api.w.org\/{rel}","templated":true}]}}