{"id":881,"date":"2015-01-11T23:48:42","date_gmt":"2015-01-11T22:48:42","guid":{"rendered":"http:\/\/www.archipress.org\/wp\/?page_id=881"},"modified":"2015-01-17T13:12:12","modified_gmt":"2015-01-17T12:12:12","slug":"francois-partant-la-fin-du-developpement","status":"publish","type":"page","link":"https:\/\/www.archipress.org\/?page_id=881","title":{"rendered":"Fran\u00e7ois Partant. La fin du d\u00e9veloppement"},"content":{"rendered":"

La fin du d\u00e9veloppement. Naissance d’une alternative?<\/h3>\n

Fran\u00e7ois Partant, La D\u00e9couverte-Masp\u00e9ro, Paris, 1982.<\/p>\n

\"\u00ab\u00a0(…) le \u00ab\u00a0d\u00e9veloppement\u00a0\u00bb des soci\u00e9t\u00e9s industrialis\u00e9es, qu’une conception ethnocentriste de l’histoire am\u00e8ne \u00e0 assimiler abusivement \u00e0 celui de l’humanit\u00e9 enti\u00e8re, est en train de prendre fin. Le \u00ab\u00a0sc\u00e9nario\u00a0\u00bb le plus vraisemblable aboutit \u00e0 un chaos social g\u00e9n\u00e9ralis\u00e9, qui mettrait tragiquement fin \u00e0 la civilisation dont l’Europe a \u00e9t\u00e9 le foyer initial. Mais un autre sc\u00e9nario demeure possible : une alternative peut encore na\u00eetre de sa d\u00e9composition, \u00e0 la condition que la fraction de la population mondiale marginalis\u00e9e par l’\u00e9volution technico-\u00e9conomique (fraction majoritaire et croissante) parvienne \u00e0 s’organiser pour la mettre en forme.\u00a0\u00bb<\/p>\n

A la fin du livre, l’auteur fait une critique interessante du livre \u00ab\u00a0Le d\u00e9fi mondial\u00a0\u00bb de J.J. Servan Chreiber.<\/p>\n

L’auteur est \u00e9conomiste de formation, et a \u00e9t\u00e9 banquier jusqu’en 1968. Il est l’auteur \u00e9galement de La guerilla \u00e9conomique<\/em>, Que la crise s’aggrave<\/em>, Le p\u00e9dalo ivre <\/em>…<\/p>\n

extraits significatifs<\/em><\/p>\n

p. 5 ; \u00ab\u00a0M\u00eame certains de nos penseurs qui, hier, attendaient plut\u00f4t la r\u00e9volution du prol\u00e9tariat pour que s’instaure leur id\u00e9al social (il est vrai que leur attente s’est r\u00e9v\u00e9l\u00e9e vaine), comptent d\u00e9sormais davantage sur celle que va r\u00e9aliser le microprocesseur. Ainsi, avec un identique optimisme, des intellectuels de toutes tendances \u00e9voquent-ils l’avenir qui se pr\u00e9pare, gr\u00e2ce aux travaux de chercheurs et de techniciens concentr\u00e9s en quelques points du globe.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 6 ; \u00ab\u00a0C’est n\u00e9anmoins sensiblement dans les m\u00eames termes, que les uns et les autres d\u00e9crivent ce que va devenir la soci\u00e9t\u00e9, volontiers qualifi\u00e9e de postindustrielle (bien qu’il soit peu satisfaisant, remarque Jacques Ellul*, de la d\u00e9finir par ce qu’elle n’est plus)…<\/p>\n

* Le syst\u00e8me technicien<\/em>, par Jacques Ellul (Calmann-L\u00e9vy ed.)<\/span><\/p>\n

p. 7-8 ; \u00ab\u00a0Mais il n’est plus possible de toucher \u00e0 la division en classes qu’a impos\u00e9e notre mode production (l’int\u00e9gration \u00e9conomique, on le verra, interdit \u00e0 la nation industrialis\u00e9e de songer \u00e0 de v\u00e9ritables r\u00e9formes sociales), ni \u00e0 la division du monde en Etats-nations dont les uns dont industrialis\u00e9s et les autres sous-d\u00e9velopp\u00e9s, car cette organisation conditionne l’accumulation capitalistique qui s’effectue au profit des premiers, leur donnant les moyens de financer des progr\u00e8s dont le co\u00fbt ne cesse de cro\u00eetre. On ne voit pas comment de nouveaux progr\u00e8s pourraient apporter une solution au probl\u00e8me le plus urgent \u00e0 r\u00e9soudre : faute de quoi l’humanit\u00e9 demeurera dechir\u00e9e, avec des moyens techniques d’une croissante efficacit\u00e9 pour s’autod\u00e9truire.<\/span><\/p>\n

Critique du progr\u00e8s et de sa g\u00e9n\u00e8se<\/span><\/p>\n

Depuis la r\u00e9volution industrielle, notre mode de production a suscit\u00e9 d’innombrables critiques qui ne portaient jamais, jusqu’ici, sur l’\u00e9volution \u00e9conomique et technique que favorisait l’industrie. Au d\u00e9part la critique fut d’ordre social ou sociopolitique. Par exemple, le marxisme a condamn\u00e9 l’injustice des rapports de production, mais non l’accumulation n\u00e9cessaire au d\u00e9veloppement des forces productives, ni les technologies qui contribuent \u00e0 ce d\u00e9veloppement.<\/p>\n

(…) Ce n’est gu\u00e8re que depuis vingt-cinq ans qu’un courant de pens\u00e9e, n\u00e9 au Etats-Unis, a commenc\u00e9 \u00e0 mettre en doute le caract\u00e8re b\u00e9n\u00e9fique de l’\u00e9volution technico-\u00e9conomique, en soulignant ses aspects n\u00e9gatifs et en s’interrogeant sur la valeur sociale des progr\u00e8s accomplis. Il a \u00e9t\u00e9 fortement marqu\u00e9 par Ivan Illich*, qui s’est employ\u00e9 \u00e0 d\u00e9mythifier les institutions et r\u00e9alisations dont nous sommes le plus fiers, celles qui sont les plus repr\u00e9sentatives de notre d\u00e9veloppement, tels les syst\u00e8mes d’enseignement, de sant\u00e9, de transport… Bien que demeurant encore marginal, il s’est consid\u00e9rablement renforc\u00e9 avec la mont\u00e9e du mouvement \u00e9cologiste.<\/p>\n

*Ivan Illich : La soci\u00e9t\u00e9 sans \u00e9cole, La N\u00e9m\u00e9sis m\u00e9dicale, Energie et \u00e9quit\u00e9, La convivialit\u00e9, Le Ch\u00f4mage cr\u00e9ateur, Le Travail fant\u00f4me<\/em> (Editions du Seuil<\/span>).<\/span><\/p>\n

p. 9 ; \u00ab\u00a0Devant cette donn\u00e9e, que les \u00e9conomistes lib\u00e9raux n\u00e9gligent, les marxistes ont une attitude pour le moins ambigu\u00e8. S’ils cherchent parfois \u00e0 expliquer le m\u00e9canisme de ces transferts et \u00e0 \u00e9valuer leur importance, leur conclusion reste en forme d’interrogation. Car ils s’interdients d’en d\u00e9noncer les r\u00e9sultats, tels qu’ils s’observent au fa\u00eete de la hi\u00e9rarchie internationale. En effet, lib\u00e9raux et marxistes sont sur ce point d’accord : les progr\u00e8s scientifiques et technologiques que le capitalisme a permis dans les pays industrialis\u00e9s constituent au total un apport positif. Ce sont, dsisent-ils volontiers, des acquis de l’humanit\u00e9. M\u00eame les partis qui pr\u00e9tendent, au moins en France, vouloir rompre avec le capitalisme (id\u00e9e-force, il est vrai, parfaitement creuse dans un pays comme la France), entendent bien pr\u00e9server la construction technico-\u00e9conomique \u00e9labor\u00e9e par le Capital -ce qui \u00f4te d’ailleurs beaucoup de cr\u00e9dibilit\u00e9 \u00e0 leurs philippiques contre ce dernier.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 10 ; \u00ab\u00a0(…) les pays capitalistes industrialis\u00e9s utlisent un territoire consid\u00e9rablement plus vaste que celui que leur reconna\u00eet le droit international.<\/p>\n

(…) Mais cette soci\u00e9t\u00e9 n’est pas plus repr\u00e9sentative du monde capitaliste que M. Rockfeller ne l’est des Etats-Unis d’Am\u00e9rique. Ce monde forme un tout h\u00e9t\u00e9rog\u00e8ne et indissociable de pays industrialis\u00e9s et de pays sous-d\u00e9velopp\u00e9s dont les \u00e9conomies sont largement compl\u00e9mentaires.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 11 ; \u00ab\u00a0Car il y a fort longtemps que les Occidentaux confondent l’\u00e9volution de leur soci\u00e9t\u00e9 avec celle de l’humanit\u00e9 enti\u00e8re, alors qu’ils ont fauss\u00e9, comme on le verra au chapitre suivant, les conditions et possibilit\u00e9s d’\u00e9volution de toutes les soci\u00e9t\u00e9s.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 12 ; \u00ab\u00a0\u00a0\u00bbOn ne peut s’oppposer au progr\u00e8s\u00a0\u00bb, affirme la sagesse populaire. On ne peut en effet s’opposer au Capital et \u00e0 l’Etat qui les financent et qui les mettent en oeuvre. Seuls, ces deux pouvoirs peuvent financer la recherche, donc l’orienter. Eux seuls sont habilit\u00e9s \u00e0 choisir, parmi tous les progr\u00e8s possibles, ceux qui sont en d\u00e9finitive adopt\u00e9s. Le progr\u00e8s n’est donc jamais neutre. Il sert in\u00e9vitablement les ambitions respectives du pouvoir politique et du pouvoir \u00e9conomique, la volont\u00e9 de puissance de l’un et d’accumuler de l’autre.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 13 ; \u00ab\u00a0Soit dit en passant, l’am\u00e9ricanisation spocio-culturelle de l’Europe qui en r\u00e9sulte -et que d’aucuns d\u00e9plorent- \u00e9tait un ph\u00e9nom\u00e8ne in\u00e9luctable. Comme est in\u00e9luctable l’uniformisation du monde (donc son appauvrissement culturel) d\u00e8s lors que toutes les soci\u00e9t\u00e9s s’emploient a produire la m\u00eame chose, \u00e0 partir des m\u00eames mati\u00e8res premi\u00e8res, \u00e0 l’aide des m\u00eames moyens techniques, ce qui les am\u00e8ne \u00e0 travailler dans des conditions semblables, \u00e0 consommer la m\u00eame chose, \u00e0 vivre enfin sensiblement de la m\u00eame mani\u00e8re \u00e0 niveau de d\u00e9veloppement comparable.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 14 ; \u00ab\u00a0Au plan \u00e9conomique, le pays industrialis\u00e9 ne jouit plus de la moindre autonomie, sa d\u00e9pendance \u00e0 l’\u00e9gard du monde ext\u00e9rieur \u00e9tant, paradoxalement, d’autant plus grande que son niveau de d\u00e9veloppement technico-\u00e9conomique est plus \u00e9lev\u00e9. Non seulement il doit toujours importer pour pouvoir produire (notamment des mati\u00e8res premi\u00e8res) et exporter une fraction souvent importante de sa production (en particulier pour amortir les lourds investissemnts qu’impliquent les technologies modernes), mais son niveau de d\u00e9veloppement d\u00e9pend pour une bonne part de ses activit\u00e9s ext\u00e9rieures et de ses investissements \u00e0 l’\u00e9tranger.<\/p>\n

(…) Rien de ce qu’il poss\u00e8de n’est d\u00e9finitivement acquis. Ainsi ne peut-il conserver ce qu’il a qu’en s’employant \u00e0 acqu\u00e9rir davantage. Et il ne peut demeurer ce pays \u00ab\u00a0d\u00e9velopp\u00e9\u00a0\u00bb qu’il est devenu qu’en se transformant.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 15 ; \u00ab\u00a0Et il est vrai qu’elle favorise l’innovation (qui pourrait cependant r\u00e9sulter d’un autre effort que celui que chacun fait et doit faire pour l’emporter sur autrui!). Mais elle est \u00e0 l’origine m\u00eame de la dynamique du syst\u00e8me \u00e9conomique mondial. Or, une dynamique concurrentielle est, par essence, non ma\u00eetrisable, de sorte que l’\u00e9volution technico-\u00e9conomique qu’elle favorise ne l’est pas davantage <\/em>.<\/p>\n

(…) On peut donc cpmprendre que de nopmbreuses personnalit\u00e9s, comme par exemple Aurelio Peccei, Pr\u00e9sident du Club de Rome, multiplient les mises en garde et les appels \u00e0 la raison. Mais \u00e0 qui s’adressent ces appels ? A la raison de qui, de quel \u00ab\u00a0homo sapiens\u00a0\u00bb abstrait ? Les hommes r\u00e9els n’ont aucune possibilit\u00e9 de r\u00e9agir, pas plus que les soci\u00e9t\u00e9s qu’ils forment ensemble. Et les pouvoirs ne sont plus ce qu’ils \u00e9taient il y a quelques d\u00e9cennies.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 16-17 ; \u00ab\u00a0Arr\u00eater cette \u00e9volution, il ne saurait au demeurant en \u00eatre question. C’est, bien au contraire, \u00e0 l’acc\u00e9l\u00e9rer que nous devons nous employer.<\/p>\n

(…) L’organisation politique et sociale du monde peut \u00eatre qualifi\u00e9e de primitive, tant est primitif le syst\u00e8me de valeurs dont elle proc\u00e8de, tantz sont primitifs les comportements individuels et nationaux qu’elle favorise. Mais il n’existe aucune possibilit\u00e9 de la transformer, aucune force sociale capable de le faire, aucun sh\u00e9ma politique permettant d’y songer. Seule l’\u00e9volution \u00e9conomique, en affaiblissan tous ceux qui b\u00e9n\u00e9ficient aujourd’hui de rapports de domination, cr\u00e9era peut-\u00eatre le contexte favorable \u00e0 sa transformation : un r\u00e9\u00e9quilibrage \u00ab\u00a0par le bas\u00a0\u00bb.<\/p>\n

(…) D’o\u00f9 qu’il \u00e9mane, le discours politique est donc optimiste : un jour ou l’autre, nous \u00e9mergerons de la crise. C’ewst en cela que le terme de crise est trompeur. Il \u00e9voque une id\u00e9e de situation provisoire, de d\u00e9r\u00e8glement passager ou d’un chamgement dans le r\u00e9gime d’accumulation. Or, les difficult\u00e9s socio-\u00e9conomiques que nous connaissons ne peuvent aller qu’en s’amplifiant. Il ne s’agit donc pas \u00e0 proprement parler d’une crise, mais bien plut\u00f4t d’un processus de d\u00e9composition qui affecte toutes les soci\u00e9t\u00e9s, celles des pays industrialis\u00e9s comme celles du tiers-monde.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 18 , \u00ab\u00a0Le d\u00e9veloppement, cet ensemble de facteurs dynamiques d’ordre \u00e9conomique, technique, social, politique et culturel, dont l’interrelation donne au syst\u00e8me sa coh\u00e9rence, n’est pas du tout ce que nous avons cru qu’il \u00e9tait : la finalit\u00e9 m\u00eame de l’\u00e9volution humaine. Limit\u00e9 dans l’espace, il l’est aussi n\u00e9cessairement dans le temps. Il n’aura \u00e9t\u00e9 que l’aventure d’une petite fraction de l’humanit\u00e9, poursuivant un but beaucoup trop \u00e9troit par des moyens tr\u00e8s g\u00e9n\u00e9ralement condamnables. Mais il est en outre le prduit tr\u00e8s sp\u00e9cifique de la civilisation dont l’Europe a \u00e9t\u00e9 le foyer initial, comme d’ailleurs le moyen de l’expansion de cette civilisation dans le monde. Sa fin ne peut donc \u00eatre que la fin de cette derni\u00e8re, avec les deux formes d’organisation socio-politique qu’elle a engendr\u00e9es : le capitalisme et le socialisme.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 19 ; \u00ab\u00a0Un chaos social g\u00e9n\u00e9ralis\u00e9 est, h\u00e9las ! l’hypoth\u00e8se la plus probable. Mais le chaos ne saurait durer \u00e9ternellement. T\u00f4t ou tard, les soci\u00e9t\u00e9s se recomposeront sur de nouvelles bases.<\/p>\n

(…) En admettant que l’humanit\u00e9 ait un avenir, il est exclu que les Etats-nations en aient un.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 21-22 -23; \u00ab\u00a0C’\u00e9tait d\u00e9j\u00e0 avec la conviction d’\u00eatre porteurs de la civilisation, qualifi\u00e9e d’universelle parce qu’ayant vocation \u00e0 la devenir (conviction f\u00e2cheusement entretenue par un christianisme messianique), que les Europ\u00e9ens partirent \u00e0 la conqu\u00eate du monde, qu’ils se livr\u00e8rent \u00e0 des g\u00e9nocides et \u00e0 d’effroyables destructions*, qu’ils an\u00e9antirent des civilisations parfois plus ancienes et plus raffin\u00e9es que la leur, qu’ils impos\u00e8rent enfin leur tutelle \u00e0 d’innombrables peuples vaincus. Ils justifi\u00e8rent leur domination brutale en affirmant apporter \u00e0 ces peuples les bienfaits de la civilisation (et le salut \u00e9ternel).<\/p>\n

Sans doute, au cours des si\u00e8cles, beaucoup de peuples se sont comport\u00e9s de la sorte, bien qu’\u00e0 une \u00e9chelle moindre. Les relations entre soci\u00e9t\u00e9s humaines ont toujours \u00e9t\u00e9 plus ou moins gravement conflictuelles. Destructions et massacres jalonnent l’Histoire. Et c’est presque toujours la force qui a fond\u00e9 le droit. Mais les Occidentaux us\u00e8rent d’un syst\u00e8me de l\u00e9gitimation qui demeure aujourd’hui vivace (puisqu’il justifie le d\u00e9velopement, c’est-\u00e0-dire la position internationale qu’ils ont acquise) et dont il faut chercher l’origine dans l’id\u00e9ologie qui leur est propre, dans cette id\u00e9ologie occidentale qui sous-tend aussi bien le capitalisme que le socialisme<\/p>\n

(…) Tout le monde sait cela : l’Occidental est anthropocentriste. Ses religions le prouvent assez.<\/p>\n

(…) Associ\u00e9 \u00e0 une conception prom\u00e9th\u00e9enne du progr\u00e8s, cet anthropocentrisme explique l’irrespect fondamental de l’Occidental \u00e0 l’\u00e9gard du monde physique et des autres esp\u00e8ces vivantes, irrespect contre lequel s’insurgent aujourd’hui les \u00e9cologistes.<\/p>\n

* Voir en particulier Les Veines ouvertes de l’Am\u00e9rique latine, par Eduardo Galeano (Plon \u00e9d.).<\/span><\/p>\n

Dans la mesure o\u00f9 il \u00e9limine beaucoup de contraintes et de scrupules, cet iirespect a incontestablement contribu\u00e9 aux succ\u00e8s historiques de l’Occident. Il a enfin \u00e9t\u00e9, en quelque sorte, th\u00e9oris\u00e9 par la science \u00e9conomique, notamment aujourd’hui par l’\u00e9cole n\u00e9o-lib\u00e9rale, qui r\u00e9duit l’homme \u00e0 sa seule dimension \u00e9conomique et qui exclut de son champ d’analyse toutes les donn\u00e9es, ilest vrai, souvent difficilement quantifiables, qui sont ext\u00e9rieures \u00e0 la sph\u00e8re de l’\u00e9conomie marchande*. A en croire l’\u00e9conomiste, les hommes peuvent ind\u00e9finitivement transformer le monde pour assurer la croissance de la production. L’univers n’est donc qu’un actif potentiel qui sera t\u00f4t ou tard \u00e9valuable en dollars..<\/span><\/p>\n

(…) Ce crit\u00e8re du progr\u00e8s scientifique et technique n’est peut-\u00eatre pas lui-m\u00eame tr\u00e8s scientifique, mais il a un m\u00e9rite : il fonde la sup\u00e9riorit\u00e9 de la soci\u00e9t\u00e9 occidentale.<\/p>\n

*Sur ce sujet, voir l’\u00e9tude critique de Ren\u00e9 Passet L’\u00e9conomique et le vivant<\/em>, (Payot \u00e9d.).<\/span><\/p>\n

p. 25 ; \u00ab\u00a0C’est alors qu’apparurent les termes de sous-d\u00e9veloppement et de d\u00e9veleopppement, puis que naquirent les institutions (ou que d’autres se reconvertirent, par exemple la BIRD en Banque mondiale) destin\u00e9es \u00e0 fournir une assistance aux Etats de ces r\u00e9gions qui devenaient le tiers-monde.<\/span><\/p>\n

(…) Et les sauvages d’hier \u00e9tant les sous-d\u00e9velopp\u00e9s d’aujourd’hui, ceux qui, hier les civilisaient, aujourd’hui les d\u00e9veloppent.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 26-27 ; \u00ab\u00a0Le capitalisme et le socialisme entretiennent tous deux l’id\u00e9e que le progr\u00e8s social ne peut r\u00e9sulter que d’un accroissement de la richesse d’une soci\u00e9t\u00e9. Cette id\u00e9e est fausse. Elle ne semble exacte que dans une soci\u00e9t\u00e9 capitaliste ou socialiste \u00ab\u00a0d\u00e9velopp\u00e9e\u00a0\u00bb, o\u00f9 les individus sont compl\u00e8tement socialis\u00e9s, pris en charge de leur naissance \u00e0 leur mort par les pouvoirs qui s’exercent sur eux. Dans la soci\u00e9t\u00e9 occidentale, l’individu a parfois subi \u00e0 contrecoeur cette prise en charge, par exemple lorsqu’il a perdu son statut de travailleur ind\u00e9pendant pour acqu\u00e9rir celui de salari\u00e9 du Capital. Mais il l’a aussi bien souvent revendiqu\u00e9e, en particulier lorsqu’il a demand\u00e9 \u00e0 l’Etat le b\u00e9n\u00e9fice de certains services initialement r\u00e9serv\u00e9s \u00e0 la classe dominante (enseignemenmt, sant\u00e9, etc.) ou une s\u00e9curit\u00e9 que son statut socio-\u00e9conomique ne lui assurait plus dans un cadre social et familial transform\u00e9. Cette prise en charge a \u00e9t\u00e9 pr\u00e9sent\u00e9e jusqu’ici comme un progr\u00e8s social, par toutes les organisations politiques et syndicales, qui \u00e0 la fois expriment et suscitent les aspirations de la soci\u00e9t\u00e9. Et l’on peut en effet y voir un progr\u00e8s, dans la mesure o\u00f9 l’individu aurait d\u00e9sormais bien du mal \u00e0 vivre, sans le travail que donne le Capital et sans les quelques services que lui fournit l’Etat. Mais l’on pourrait parfaitement concevoir une autre organisation politique, \u00e9conomique et sociale, gr\u00e2ce \u00e0 laquelle les individus n’auraient plus\u00e0 attendre du pouvoir ce qu’ils peuvent faire par eux-m\u00eames. C’est d’ailleurs l\u00e0 un des enseignements d’Ivan Illich, qui a suscit\u00e9 une utile r\u00e9flexion sur l’autonomie individuelle.<\/p>\n

(…) En d\u00e9finitive, le d\u00e9veloppement est un projet inspir\u00e9 par les m\u00eames id\u00e9es que la conqu\u00eate et la domination coloniales. Il r\u00e9pond d’ailleurs aux m\u00eames int\u00e9r\u00eats et a les m\u00eames cons\u00e9quences que l’exploitation coloniale. Il n’est qu’une fantastique entreprise de mystification (pour employer l’expression par laquelle Christian Harzo qualifie l’oeuvre civilisatrice du colonisateur), mais qui a cette particularit\u00e9 d’abuser les mystificateurs eux-m\u00eames.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 28 ; \u00ab\u00a0Le d\u00e9veloppement ne peut \u00eatre que la r\u00e9alisation progressive d’un double potentiel : d’une part, le potentiel que repr\u00e9sente toute collectivit\u00e9 humaine et tous les individus qui la composent, d’autre part, celui que constitue le milieu physique dans lequel se trouve cette collectivit\u00e9, un milieu qu’elle utilise pour assurer son existence et pr\u00e9parer celle des g\u00e9n\u00e9rations \u00e0 venir.<\/p>\n

(…) Ces soci\u00e9t\u00e9s posent mille questions aux ethnologues, qui s’emploieront \u00e0 les classer en fonctions de crit\u00e8res qui risquent d’\u00eatre toujours subjectifs et trop souvent en oubliant qu’elles sont le produit d’involutions, les restes de soci\u00e9t\u00e9s en voie de disparition. Mais elles avaient en commun cette autonomie \u00e9conomique, que devrait revendiquer toute entit\u00e9 socio-politique ind\u00e9pendante et soucieuse de pr\u00e9server ses raisons de vivre :elles ma\u00eetrisaient les conditions de leur propre reproduction sociale, <\/em>donc celles de leur d\u00e9veloppement v\u00e9ritable.<\/p>\n

Or, la p\u00e9riode coloniale a radicalement modifi\u00e9 les donn\u00e9es de l’\u00e9volution de l’ensemble des soci\u00e9t\u00e9s. En assurant leur domination militaro-politique sur le reste du monde, quelques nations ont pu promouvoir leur d\u00e9veloppement \u00e9conomique, en utilisant le potentiel que repr\u00e9sente le milieu physique des soci\u00e9t\u00e9s domin\u00e9es. Elles provoquaient par l\u00e0-m\u00eame le sous-d\u00e9veloppement des r\u00e9gions dont elles pr\u00e9levaient les ressources, ainsi que la r\u00e9gression technologique des populations qui ne pouvaient plus, ni d\u00e9finir leurs besoins en fonctions de leur culture, ni choisir les moyens techniques de les satisfaire. Car le sous-d\u00e9veloppement r\u00e9sulte de la fonction assign\u00e9e \u00e0 ces populations par les pays dominants : livrer de l’\u00e9nergie, des mati\u00e8res premi\u00e8res et certains produits agricoles, en \u00e9change de produits \u00e9labor\u00e9s et de services, y compris les produits et services qui leur permettent de produire et d’exporter ce qu’elles doivent livrer. Et cette fonction essentielle, qui rend les \u00e9conomies industrialis\u00e9es et sous-d\u00e9velop\u00e9es compl\u00e9mentaires, le tiers-monde la conserve dans le cadre actuel de l’\u00e9conomie mondiale.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 31 ; \u00ab\u00a0Dans le cadre du syst\u00e8me socio-politique et \u00e9conomique mondial, tel qu’il existe aujourd’hui, le d\u00e9veloppement technico-\u00e9conomique du tiers-monde est impossible. Il est mat\u00e9riellement et financi\u00e8rement impossible. Et tout ce qui est tent\u00e9 pour le promouvoir aboutit \u00e0 des r\u00e9sultats socialement inacceptables. Enfin, s’il \u00e9tait effectivement possible (c’est-\u00e0-dire si le tiers-monde produisait et consommait autant que les pays dits d\u00e9velopp\u00e9s), il provoquerait la destruction quasi imm\u00e9diate de la biosph\u00e8re, donc celle de l’esp\u00e8ce humaine.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 33 ; \u00ab\u00a0Aucun doute n’est possible : quand les ressources naturelles du Gabon seront \u00e9puis\u00e9es, les Gabonais seront un des peuples les plus pauvres du monde. Et les villes construites pour la minorit\u00e9, nationale et \u00e9trang\u00e8re, qui aura v\u00e9cu fastueusement \u00e0 la faveur du \u00ab\u00a0d\u00e9veloppement\u00a0\u00bb du Gabon, seront plus que probablement reconquises par la for\u00eat tropicale.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 35 ; \u00ab\u00a0Le comportement des pionniers du Far West am\u00e9ricain (\u00e0 mettre en parall\u00e8le avec celui des Indiens) est \u00e0 cet \u00e9gard tr\u00e8s caract\u00e9ristique : le territoire n’a plus pour fonction de faire vivre la soci\u00e9t\u00e9 qui l’occupe, mais d’enrichir ceux qui le poss\u00e8dent.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 36 ; \u00ab\u00a0Les experts en d\u00e9veloppement, qui esp\u00e8rent relever le niveau de vie<\/p>\n

des peuples appauvris (bien-s\u00fbr, sans que soit modifi\u00e9 le syst\u00e8me d’\u00e9change qui assure la prosp\u00e9rit\u00e9 des uns au prix de la mis\u00e8re des autres), croient-ils vraiment que le Rwandais pourra, un jour, vivre comme l’Am\u00e9ricainmoyen<\/em> qui consomme 1100 fois plus d’\u00e9nergie que lui ?<\/p>\n

(…) ce n’est plus la croissance qu’il faut d\u00e9noncer, mais les r\u00e9sultats apparemment positifs de la croissance pass\u00e9e <\/em>.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 37 ; \u00ab\u00a0Ces pays (les pays industrialis\u00e9s<\/em>) vivent tr\u00e8s largement au-dessus des moyens dont l’humanit\u00e9 dispose pour vivre et, a fortiori<\/em>, pour progresser. Le probl\u00e8me ne devrait donc pas \u00eatre de construire le tiers-monde \u00e0 leur image, mais de les faire reconstruire eux-m\u00eames sur de nouvelles bases<\/em> .<\/p>\n

(…) La formule \u00ab\u00a0apr\u00e8s nous le d\u00e9luge\u00a0\u00bb est am\u00e9lior\u00e9e par une note optimiste : nos enfants sauront certainement construire l’arche.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 38 ; \u00ab\u00a0Nous avons le sentiment qu’ayant les mmes besoins fondamentaux, ces peuples doivent avoir aussi les m\u00eames produits et services pour les satisfaire ( et la m\u00eame \u00e9cole, le m\u00eame h\u00f4pital, les m\u00eames moyens de transport, etc.), donc les instruments de production correspondants. Notre sentiment va dans le sens des int\u00e9r\u00eats des minorit\u00e9s dirigeantes.<\/p>\n

Prenons l’exemple de l’usine textile. Avec dix ouvriers, elle peut remplacer mille artisans. Sa production pr\u00e9sente de nombreux avantages sur la production artisanale : elle est moins ch\u00e8re, plus r\u00e9guli\u00e8re, et les ouvriers gagnent peut-\u00eatre un peu plus que ne gagnaient les artisans. Mais elle permet surtout de concentrer la valeur que cr\u00e9e le travail entre les mains de son propri\u00e9taire, valeur qui \u00e9tait auparavant r\u00e9partie entre mille personnes.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 39 ; \u00ab\u00a0Voil\u00e0 qui suffirait \u00e0 expliquer pourquoi les minorit\u00e9s privil\u00e9gi\u00e9es du tiers-monde sont si avides de \u00ab\u00a0progr\u00e8s\u00a0\u00bb, pourquoi elles placent le transfert de technologies au centre de leurs revendications : gr\u00e2ce \u00e0 ces transferts, elles accaparent les ressources financi\u00e8res que d\u00e9gagent les activit\u00e9s productives<\/em>.<\/p>\n

(…) Robert Linhart constate que si le Br\u00e9sil, au prix d’un endettement formidable (voir plus loin), enrichit une minorit\u00e9 nationale et les investisseurs \u00e9trangers, en d\u00e9finitive, \u00ab\u00a0il produit la faim<\/em>\u00ab\u00a0. Et il conclut que, d’une mani\u00e8re g\u00e9n\u00e9rale, plus les \u00e9conomies du tiers monde s’ouvrent sur le march\u00e9 mondial, plus la masse des populations s’enfoncentr dans le d\u00e9nuement<\/em>.<\/p>\n

* Le sucre et la faim<\/em>, par Robert (Linhart (Editions de Minuit).\u00a0\u00bb<\/span><\/p>\n

p. 40-41 ; \u00ab\u00a0De m\u00eame qu’on longtemps cru au miracle br\u00e9silien, on a parl\u00e9 du mod\u00e8le indien, pour s’apercevoir aujourd’hui qu’on meurt toujours autant dansles rues de Calcutta et que la famine s\u00e9vit dans les campagnes apr\u00e8s la \u00ab\u00a0r\u00e9volution verte\u00a0\u00bb. On ourrait encore citer l’Iran d’hier ou l’Alg\u00e9rie d’aujourd’hui. La proportion de chomeurs sans ressource, de gens affam\u00e9s ou mal nourris, est certainement aussi \u00e9lev\u00e9e en Alg\u00e9rie, dont l’industrialisation est particuli\u00e8rement ambitieuse, qu’au Rwanda qui est un des pays les plus pauvres du monde (pour \u00e9viter l’expression grotesque de \u00ab\u00a0moins avanc\u00e9\u00a0\u00bb).<\/span><\/p>\n

(…) C’est pourquoi le \u00ab\u00a0dialogue Nord-Sud\u00a0\u00bb demeure possible. Sur la sc\u00e8ne internationale, les hommes qui parlent au nom du tiers monde ne sont nullement repr\u00e9sentatifs des peuples qu’ils dirigent et dont les int\u00e9r\u00eats r\u00e9els, vitaux, ne sont jamais prius en compte. En revanche, ils sont bien oblig\u00e9s de trouver un modus vivendi avec les dirigeants des pays industrialis\u00e9s. La preuve en est que toutes les conf\u00e9rences Nord-Sud, apr\u00e8s des d\u00e9bats parfois houleux, se terminent immanquablement sur des motions \u00ab\u00a0ch\u00e8vre-chou\u00a0\u00bb, mais jamais sur une rupture.<\/p>\n

Dans le tiers monde, l’Etat est une structure dew pouvoir ab\u00e9rrante, car c’est sur lui que s’articule le syst\u00e8me d’\u00e9change qui provoque le sous-d\u00e9veloppement. C’est lui qui interdit que sopit red\u00e9finie la notion de d\u00e9veloppement. Mais le droit international, \u00e9labor\u00e9 par les puissances dominantes, autorise-t-il une autre forme de gestion sociale ?\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 42 ; \u00ab\u00a0Le d\u00e9veloppement, une faillite financi\u00e8re<\/span><\/p>\n

Projet absurde, irr\u00e9aliste, d\u00e9mentiel si l’on prend en compte les probl\u00e8mes \u00e9cologiques, le d\u00e9veloppement a ainsi des cons\u00e9quences sociales inacceptaables. Seule constatation rassurante : il est financi\u00e8rement impossible. Si l’on met \u00e0 part les pays producteurs de p\u00e9trole, le tiers monde est incapable de payer ce qu’il importe avec la seule valeur r\u00e9siduelle de ses exportations.<\/p>\n

(…) C’est \u00e0 cette \u00e9poque qu’on commen\u00e7a \u00e0 parler de \u00ab\u00a0nouvel ordre \u00e9conomique international\u00a0\u00bb, de \u00ab\u00a0plan Marshall pour l’Afrique\u00a0\u00bb et autre \u00ab\u00a0trilogue\u00a0\u00bb. Comme il arrive souvent (surtout en France sous la V\u00e8me r\u00e9publique), les mots et les formules des gouvernants sont moins destin\u00e9s \u00e0 qualifier une politique qu’\u00e0 donner l’illusion qu’ils en ont une.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 43 ; \u00ab\u00a0Le robot, qui supprime des emplois en aval du processus de production industriel (et la quasi-totalit\u00e9 des installations industrielles du tiers monde ne se situent qu’en aval de ce processus), comme l’informatique en supprime dans le secteur des services, rendrait encore plus \u00e9troit le march\u00e9 int\u00e9rieur du pays sous-d\u00e9velopp\u00e9 en y aggravant le ch\u00f4mage. Non seulement il n’am\u00e9liorerait pas au profit de ce pays les conditions d’\u00e9change, mais il rendrait son insolvabilit\u00e9 tout \u00e0 fait insurmontable.<\/p>\n

(…) En fait, en \u00e9liminant le \u00ab\u00a0travail-vivant\u00a0\u00bb de la production, le robot va \u00f4ter au tiers monde le seul avantage qui \u00e9tait le sien dans la comp\u00e9tition internationale : celui d’avoir une main-d’oeuvre abondante et bon march\u00e9. Etr loin d’am\u00e9liorer sa position relative, il va avoir un effet aussi d\u00e9vastateur qu’une guerre sur son appareil productif.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 45 , \u00ab\u00a0Sans doute, ni le F.M.I. ni les Etats pr\u00eateurs ne se font beaucoup d’illusions sur le sort de leurs cr\u00e9ances. Mais pr\u00e8s de la moiti\u00e9 des cr\u00e9dits au tiers monde insolvable a \u00e9t\u00e9 consentie par des banques qui disposaient d’une masse \u00e9norme de dollars inconvertibles. En contrepartie des d\u00e9p\u00f4ts qu’elles doivent \u00e0 leurs clients, ces banques ont un actif constitu\u00e9 de trop de cr\u00e9ances irrecouvrables. C’est tout le syst\u00e8me bancaire occidental qui se trouve de ce fait en situation de faillite virtuelle, une situation qu’aggravent encore les cr\u00e9dits en constante augmentation accord\u00e9s aux pays du camp socialiste. La faillite pourra \u00eatre diff\u00e9r\u00e9e aussi longtemps que les pays p\u00e9troliers n’auront pas l’emploi de leurs ressources financi\u00e8res. Mais le jour o\u00f9 ils proc\u00e8deront \u00e0 des retraits arrivera n\u00e9cessairement, ne serait-ce que parce que l’\u00e9conomie de ces pays n’est jamais autodynamique, qu’elle implique des importations, alors que le p\u00e9trole leur assurera des recttes d\u00e9croissantes \u00e0 l’exportation. Et, entre temps, la masse des cr\u00e9dits banacires au tiers monde aura sans doute encore beaucoup augment\u00e9.<\/p>\n

Il suffirait que quelques grandes banques vacillent pour que les faillites se d\u00e9clenchent en cha\u00eene.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 47-48 ; \u00ab\u00a0La th\u00e9orie des avantages comparatifs vise \u00e0 d\u00e9montrer que l’\u00e9change, avec les sp\u00e9cialisations qu’il provoque, b\u00e9n\u00e9ficie \u00e0 tous les co-\u00e9changistes.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 49 ; \u00ab\u00a0A ce propos, il faut rappeler que le premier \u00ab\u00a0choc p\u00e9trolier\u00a0\u00bb de 1973 ne fit que ramener le prix du p\u00e9trole \u00e0 son niveau de 1952. Ce n’\u00e9tait qu’un rattrapage.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 50 ; \u00ab\u00a0Le pays qui exporte du coton et qui importe des tissus en coton a une sp\u00e9cialisation d\u00e9favorable. Mais celui qui exporte un minerai vend une ressource qui ne se renouvelle pas. Or, notre syst\u00e8me \u00e9conomique n’\u00e9tablit aucune diff\u00e9rence entre ces deux types de mati\u00e8re premi\u00e8re.<\/p>\n

(…) On ne peut manquer de songer au point de vue, si typiquement \u00e9conomiste, du chancelier Helmut Schmidt : \u00ab\u00a0Les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain, et ces investissements sont les emplois d’apr\u00e8s-demain.\u00a0\u00bb Les profits d’aujourd’hui ne seraient-ils pas plut\u00f4t d\u00e9duits des investissements de demain ?\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 51 ; \u00ab\u00a0Enfin, les \u00e9changes internationaux favorisent des sp\u00e9cialisations, qui sont loin d’\u00eatre \u00e9galement profitables \u00e0 tous les pays. Ils ont entra\u00een\u00e9 une r\u00e9partition tr\u00e8s in\u00e9galitaire des activit\u00e9s productives dans le monde.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 52 ; \u00ab\u00a0Aujourd’hui, les sp\u00e9cialisations ne peuvent \u00eatre absolues, car l’int\u00e9gration \u00e9conomique n’est pas compl\u00e8te.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 53 ; \u00ab\u00a0Le terme d'\u00a0\u00bbinternational\u00a0\u00bb qui qualifie l’\u00e9change est trompeur. Celui-ci ne se pratique pas entre nations, qui seraient elles m\u00eames des blocs monolithiques constitu\u00e9s d’individus aux int\u00e9r\u00eats communs. Il est plut\u00f4t transnational et met en rapport des individus ou des groupes sociaux dont les int\u00e9r\u00eats sont s\u00e9cifiques et, parfois, \u00e0 l’oppos\u00e9 de ceux de la nation \u00e0 laquelle ils appartiennent. C’est une aspect de la r\u00e9alit\u00e9 qu’ont n\u00e9glig\u00e9 les successeurs de Ricardo, lorsqu’ils se sont employ\u00e9s \u00e0 pr\u00e9ciser les conditions dans lesquelles l’\u00e9change r\u00e9alise un \u00ab\u00a0optimum \u00e9conomique\u00a0\u00bb.<\/p>\n

(…) Quand Jean-Bedel Bokassa faisait exporter tout ce qui est exportable au Centrafrique, pour importer des armes pour sa garde pr\u00e9torienne et de la vaisselle d’or pour son palais, on ne voit pas tr\u00e8s bien quel optimum \u00e9conomique r\u00e9alisait l’\u00e9change.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 55 ; \u00ab\u00a0Les experts ind\u00e9pendants des gouvernements d\u00e9noncent \u00e0 juste titre ce scandale : les pays o\u00f9 s\u00e9vit la faim exportent de quoi nourrir nos porcs *!<\/p>\n

(…) De plus, les structures internes des pays sous-d\u00e9velopp\u00e9s sont aussi responsables de la faim que l’extraversion de l’agriculture. La production c\u00e9r\u00e9ali\u00e8re peut devenir exc\u00e9dentaire en Inde, sans que diminue le nombre d’affam\u00e9s. Bien au cntraire, puisque l’augmentation des rendem,ents y est obtenue par l’\u00e9limination des petits paysans, de sorte qu’augmente le nombre de ceux qui ne peuvent acheter de quoi se nourrir.<\/p>\n

* Voir en particulier Les Sillons de la faim<\/em>, par Jacques Berthelot et Fran\u00e7ois de Ravignan (L’Harmattan Editeur). Il s’agit d’un recueil de textes, r\u00e9dig\u00e9s par des experts ind\u00e9pendants des gouvernements qui ont organis\u00e9 en 1980, au moment o\u00f9 se r\u00e9unissait l’assembl\u00e9e g\u00e9n\u00e9rale de la F.A.O., une \u00ab\u00a0contre-conf\u00e9rence\u00a0\u00bb \u00e0 l’issue de laquelle a \u00e9t\u00e9 constitu\u00e9 le Groupe et la D\u00e9claration de Rome.<\/span>\u00ab\u00a0<\/span><\/p>\n

p. 56-57 ; \u00ab\u00a0Ce n’est pas la production agricole qui devrait devenir autonome par rapport au march\u00e9 mondial :c’est une soci\u00e9t\u00e9 <\/em>.<\/p>\n

(…) Est-ce l’\u00e9change, en lui-m\u00eame, qui est critiquable ? S\u00fbrment non ! Il est inhg\u00e9rent \u00e0 toute vie sociale, donc \u00e0 celle de l’individu. L’\u00e9change \u00e9conomique existe toujours, m\u00eame au sein de la famille o\u00f9 il n’est pas m\u00e9diatis\u00e9 par la monnaie. Il r\u00e9sulte d’une division du travail, elle-m\u00eame in\u00e9vitable. Tel qu’il se pratique aujourd’hui, non seulement \u00e0 l’int\u00e9rieur de chaque pays , mais \u00e0 l’\u00e9chelle mondiale, il est \u00e0 condamner pour trois raisons essentielles<\/p>\n

La premi\u00e8re, est qu’il fait valoir une notion de \u00ab\u00a0valeur\u00a0\u00bb plus que discutable : une valeur marchande qui est partout la m\u00eame, alors qu’elle est ou devrait \u00eatre diff\u00e9rente selon la culture et les besoins sp\u00e9cifiques de chaque soci\u00e9t\u00e9.<\/p>\n

Autre raison qui condamne l’\u00e9change : il ne tient pas compte de l’in\u00e9gale productivit\u00e9 du travail des co\u00e9changistes, qui ont pourtant tous deux besoin de ce que l’autre produit (puisque, pr\u00e9cis\u00e9ment, ils proc\u00e8dent \u00e0 un \u00e9change). Celuio dont le travail est le plus productif (qu’il s’agisse d’un individu, d’une entreprise, d’un secteur d’activit\u00e9 ou d’une nation) s’enrichit par l’\u00e9change au d\u00e9triment de l’autre (c’est-\u00e0-dire \u00ab\u00a0l’exploite\u00a0\u00bb), s’il ne r\u00e9duit pas le prix des produits qu’il a \u00e0 vendre, afin de partager avec son partenaire le gain de productivit\u00e9 qu’il a r\u00e9alis\u00e9 par rapport \u00e0 lui. Or, dans l’\u00e9tat actuel des choses, il ne le fait que dans le cas exceptionnel o\u00f9 la concurrence l’y oblige l’y oblige. Le gain de productivit\u00e9 b\u00e9n\u00e9ficie \u00e0 celui qui l’a r\u00e9alis\u00e9. Il sert \u00e0 accro\u00ectre le profit, le salaire, l’imp\u00f4t, \u00e0 r\u00e9duire le temps de travail, etc. Par exemple, la haute productivit\u00e9 du travail industriel permet de diminuer la dur\u00e9e du travail individuel dans ce secteur d’activit\u00e9, plus qu’\u00e0 r\u00e9duire le prix des produits industriels qu’ach\u00e8te le paysan dont le travail est moins productif. Le paysan va devoir travailler davantage que l’ouvrier. Il en va de m\u00eame au plan international. Pour acqu\u00e9rir un produit industriel qui a n\u00e9cessit\u00e9 une heure de travail, le pays sous-d\u00e9velopp\u00e9 devra fournir sept heures de travail*.<\/p>\n

Enfin l’\u00e9change provoque des sp\u00e9cialisations fond\u00e9es sur des donn\u00e9es \u00e9conomiques et financi\u00e8res. Outre que ces sp\u00e9cialisations sont parfois tr\u00e8s peu favorables, elles ne devraient pas \u00eatre ind\u00e9pendantes de ce que chaque soci\u00e9t\u00e9 souhaite produire. C’est la signification du travail qui s’en trouve compl\u00e8tement d\u00e9natur\u00e9e.<\/p>\n

D’une fa\u00e7on g\u00e9n\u00e9rale, l’\u00e9change n’a pas ou ne devrait pas avoir cette seule dimension \u00e9conomique que le syst\u00e8me lui reconna\u00eet. Les relations qu’il cr\u00e9e entre individus, groupes sociaux et soci\u00e9t\u00e9s, par l’interm\u00e9diaire de biens et de services produits, ont une importance qui d\u00e9passe leur simple r\u00e9sultat mon\u00e9taire. Elles sont une fa\u00e7on de vivre ensemble <\/em>. Or, l’\u00e9change, tel qu’il se pratique aujourd’hui, ne peut que refl\u00e9ter et accentuer l’injustice des rapports sociaux et internationaux, aggraver les contradictions d’int\u00e9r\u00eats que ces rapports \u00ab\u00a0organisent\u00a0\u00bb, priver enfin de toute valeure sociale et culturelle les activit\u00e9s \u00e9conomiques des hommes..<\/p>\n

Jusqu’ici, la critique du syst\u00e8me capitaliste a port\u00e9 davantage sur les conditions de production que sur les conditions d’\u00e9change.\u00a0\u00bb<\/p>\n

58 ; \u00ab\u00a0Ce n’est donc pas l’\u00e9change qui est \u00e0 condamner, pas plus que l’\u00e9chelle \u00e0 laquelle il se pratique aujourd’hui. C’est le cadre socio-politique dans lequel il est pratiqu\u00e9. C’est l’organisation politique et sociale de tous les pays et celle du monde.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 61 ; \u00ab\u00a0Le concept d’\u00e9conomie nationale tend \u00e0 ne traduire qu’une fiction statistique, si bien que l’ind\u00e9pendance nationale tend elle-m\u00eame \u00e0 ne plus \u00eatre q’une fiction juridique. Comment en est-on arriv\u00e9 l\u00e0 ?\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 62 ; \u00ab\u00a0La marge de manoeuvre du pouvoir \u00e9conomique est ainsi tr\u00e8s restreinte. Et elle diminue \u00e0 mesure que s’\u00e9largit le champ de la concurrence, que progresse, en devenant plus complexe, le mode de production \u00ab\u00a0int\u00e9gr\u00e9\u00a0\u00bb, que se multiplient les sp\u00e9cialisations et les interd\u00e9pendances que celles-ci provoquent…\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 64 ; \u00ab\u00a0En effet, le champ du politique et celui de l’\u00e9conomie ne co\u00efncident plus du tout. Le premier demeure national, alors que le second est devenu international <\/em>.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 65 ; \u00ab\u00a0La th\u00e9orie \u00e9conomique devient alors apolog\u00e9tique. Et l’\u00e9cole lib\u00e9rale ne pr\u00e9sente pas seulement comme in\u00e9luctable, mais comme hautement souhaitement le monde qui est en train de prendre forme : un monde r\u00e9gi par les seules lois \u00e9conomiques (qui toutes visent \u00e0 assurer le jeu de la loi du profit, celui-ci assurant l’indispensable reproduction du capital), mais sans aucun projet politique ; un monde peupl\u00e9 de travailleurs-consommateurs, mais sans aucun projet politique ; un monde culturellement unifi\u00e9, mais avec une culture standardis\u00e9e produite pour une consommation de masse ; un monde encore divis\u00e9 en nations, mais o\u00f9 toutes les activit\u00e9s productives sont \u00e0 la fois d\u00e9nationalis\u00e9es et interconnect\u00e9es par un inextricable r\u00e9seau d’entreprises qui organisent la production et les \u00e9changes \u00e0 l’\u00e9chelle mondiale, le fait que ces entreprises soient nationales, \u00e9trang\u00e8res ou multinationales n’ayant plus aucune importance.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 66 ; \u00ab\u00a0Si l’\u00e9volution \u00e9conomique et technique a eu des cons\u00e9quences consid\u00e9rables au plan politique et social, elle n’a rien chang\u00e9 de fondamental \u00e0 l’organisation socio-politique du monde. Au contraire, toutes les soci\u00e9t\u00e9s sont aujourd’hui organis\u00e9es en Etats-nations, comme le sont les peuples occidentaux depuis le XIX\u00e8me si\u00e8cle. C’est d\u00e9j\u00e0 l\u00e0 une raison qui peut expliquer que la pens\u00e9e politique, qui ne peut gu\u00e8re proc\u00e9der que d’une analyse critique de la r\u00e9alit\u00e9, ne se soit pratiquement pas renouvel\u00e9e depuis plus d’un si\u00e8cle alors que cette r\u00e9alit\u00e9 se transformait prodigieusement, surtout au cours des derni\u00e8res d\u00e9cennies. Le cadre juridique et institutionnel de chaque soci\u00e9t\u00e9 peut faire croire qu’il est possible et raisonnable de vivre sur \u00e0 peu pr\u00e8s le m\u00eame stock d’id\u00e9es politiques que nos grands-p\u00e8res. Cette impression est \u00e9videmment entretenue par les partis politiques , puisqu’ils ne sont eux-m\u00eames que dews structures nationales, dont l’objectif est d’exercer le pouvoir \u00e0 une \u00e9chelle nationale.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 67 ; \u00ab\u00a0En \u00e9tendant son r\u00e9seau \u00e0 une \u00e9chelle quasi plan\u00e9taire, le Capital n’a pas seulement compliqu\u00e9 la tr\u00e8s sh\u00e9matique division en classes du monde<\/p>\n

capitaliste. Il a commenc\u00e9 \u00e0 disloquer les nations. Car les liens qui rendent ces derni\u00e8res interd\u00e9pendantes, sont nou\u00e9s entre producteurs et consommateurs dont l’emploi et le genre de vie d\u00e9pendent de moins en moins de la nation qui est la leur.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 68 ; \u00ab\u00a0Cette dislocation des nations, dans le cadre d’un syst\u00e8me o\u00f9 production et consommation sont identiquement d\u00e9nationalis\u00e9es, est un aspect de la d\u00e9composition sociale dont il sera question ult\u00e9rieurement. La base mat\u00e9rielle du sentiment nationaliste est en train de s’effondrer.<\/p>\n

Nationalisme et socialisme<\/span><\/p>\n

Il est curieux de constater que le sentiment nationaliste est, \u00e0 tout prendre, un peu plus fond\u00e9 dans les pays socialistes, qui devraient th\u00e9oriquement le combattre au nom de \u00ab\u00a0l’internationalisme prol\u00e9tarien\u00a0\u00bb (si l’expression recouvrait une r\u00e9alit\u00e9) mais o\u00f9 il est sogneusement cultiv\u00e9, que dans les pays capitalistes industrialis\u00e9s o\u00f9 les difficult\u00e9s socio-\u00e9conomiques actuelles l’exacerbent bien inutilement.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 69 ; \u00ab\u00a0En revanche, dans le monde capitaliste, la dissociation des deux pouvoirs a permis au Capital d’\u00e9voluer en suivant sa seule logique, en fonction de son seul crit\u00e8re, sans avoir \u00e0 tenir compte des crit\u00e8res politiques et sociaux qui orientent en principe la politique nationale des Etats. Si bien que le Capital est en train de r\u00e9aliser ce qui devrait \u00eatre un objectif du socialisme et que; paradoxalement, celui-ci interdit \u00e0 cause du \u00ab\u00a0collectivisme\u00a0\u00bb appliqu\u00e9 dans un cadre socio-politique classique, celui dew l’Etat-Nation : l’unification du monde au plan \u00e9conomique.<\/p>\n

Il est vrai que cette diff\u00e9rence entre les deux blocs antagonistes tendra \u00e0 dispara\u00eetre. Le Capital finira bien par \u00e9tendre son \u00ab\u00a0action civilisatzrice\u00a0\u00bb jusque dans les pays o\u00f9 le socialisme la freine. Sa dynamique concurrrentielle est en effet plus efficace que la planification, de sorte qu’il a donn\u00e9 une avance technologique aux pays capitalistes industrialis\u00e9s.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 72-73 ; \u00ab\u00a0D’ores et d\u00e9j\u00e0, plus aucune nation ne jouit de cette autonomie \u00e9conomique sans laquelle l’ind\u00e9pendance politique est un leurre : aucune ne ma\u00eetrise les conditions de sa propre reproduction <\/em>.<\/p>\n

A vrai dire, cette donn\u00e9e n’est que tr\u00e8s relativement nouvelle. Depuis fort longtemps, ces p\u00f4les d’accumulation capitalistique que sont les pays industrialis\u00e9s utilisaient, comme source d’approvisionnements et comme d\u00e9bouch\u00e9, les r\u00e9gions qu’ils contr\u00f4laient politiquementz, de sorte que leur d\u00e9veloppement n’\u00e9tait qu’en apparence autonome et endog\u00e8ne. La situation dans laquelle ils se trouvent aujourd’hui est l’aboutissement normal de l’\u00e9volution initi\u00e9e par leurs actions pass\u00e9es. Ils ont fini par perdre eux-m\u00eames cette autonomie dont ils avaient priv\u00e9 les soci\u00e9t\u00e9s domin\u00e9es. Et ils n’ont plus aucune chance de la recouvrer. Le progr\u00e8s leur interdit d’y songer. Car les formidables investissements qu’impliquent les technologies modernes ne peuvent \u00eatre amortis que si le monde entier sert de d\u00e9bouch\u00e9 aux productions qu’elles assurent. Qu’un pays soit oblig\u00e9 d’acheter ces productions ou de les vendre, il se trouve dans les deux cas en position de d\u00e9pendance. Dans les deux cas, cette d\u00e9pendance d\u00e9termine sa politique.<\/p>\n

A cet \u00e9gard, les auteurs qui pr\u00e9tendent qu’un pays est d’autant plus ind\u00e9pendant que son niveau technologique est plus \u00e9lev\u00e9 (par exemple A. Emmanuel*), font une curieuse confusion entre ind\u00e9pendance et position dominante.<\/p>\n

(…) * Technologies appropri\u00e9es ou technologies sous-d\u00e9velopp\u00e9es ?<\/em>, par A. Emmanuel (Presses Universitaires de France)<\/span>\u00ab\u00a0<\/span><\/p>\n

p. 74 ; \u00ab\u00a0Si un pays exporte davantage, il exporte ses difficult\u00e9s : les autres pays verront leur ch\u00f4mage augmenter, leur balance commerciale se d\u00e9grader et leur monnaie se d\u00e9pr\u00e9cier.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 75 ; \u00ab\u00a0L’offensive du capital japonais risque donc de se terminer en d\u00e9b\u00e2cle g\u00e9n\u00e9rale.<\/p>\n

(…) Il existe d\u00e9sormais une contradiction extr\u00eamement inqui\u00e9tante entre gestion \u00e0 court terme et politique \u00e0 long terme.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 76 ; \u00ab\u00a0Une \u00e9tude approfondie et exhaustive des cons\u00e9quences de l’int\u00e9gration \u00e9conomique n\u00e9cessiterait plusieurs ouvrages. Parmi ces cons\u00e9quences, une encore doit \u00eatre ici mentionn\u00e9e : l’inad\u00e9quation de nos sh\u00e9mas politiques \u00e0 la r\u00e9alit\u00e9 contemporaine.<\/p>\n

(…) C’est l\u00e0 une illustration du conte de l’apprenti sorcier. La volont\u00e9 de puissance et la soif de richesse ont amen\u00e9 quelques hommes, quelques soci\u00e9t\u00e9s, \u00e0 utiliser l’Outil, qui pouvait avoir une toute autre fonction, comme moyen d’assouvir cette double ambition contre d’autres hommes, contre d’autres soci\u00e9t\u00e9s. Jusqu’au jour o\u00f9 la comp\u00e9tition entre eux pour toujours plus de richesse et plus de pouvoir a, en fait, lib\u00e9r\u00e9 l’Outil, qui d\u00e9sormais poursuit cette oeuvre insane. C’est lui maintenant qui fait l’histoire. Et l’\u00e9volution technique est devenue une fatalit\u00e9.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 78 ; \u00ab\u00a0* On trouvera des informations int\u00e9ressantes sur le travail au Japon dans le livre de Kamata Satoshi : Japon, l’envers du miracle, livre pr\u00e9fac\u00e9 par Francis Ginsbourger et publi\u00e9 aux Editions Maspero.<\/span>\u00ab\u00a0<\/span><\/p>\n

p. 81 ; \u00ab\u00a0le paysannat a diminu\u00e9 d’une mani\u00e8re drastique (il diminuera encore en France, o\u00f9 il repr\u00e9sente environ 8 % de la population active, contre moins de 3 % aux Etats-Unis) et le nombre des travailleurs de l’industrie n’augmente plus ou baisse selon les pays. c’est le secteur tertiaire et celui des services qui est devenu le principal pourvoyeur d’emplois, surtout si l’on y inclut les activit\u00e9s relevant de ce secteur qui sont exerc\u00e9es par l’Etat. De ces diff\u00e9rentes tendances, il semble raisonnable de tirer la conclusion suivante : si les progr\u00e8s dans les techniques de production, en am\u00e9liorant la productivit\u00e9 du travail, r\u00e9duisent les emplois dans les deux secteurs qui produisent des biens mat\u00e9riels (essentiellement agriculture et industrie), le ch\u00f4mage pourra \u00eatre r\u00e9sorb\u00e9 gr\u00e2ce au d\u00e9veloppement de nouvelles activit\u00e9s de services. Cette conclusion est erron\u00e9e. L’accroissement des effectifs dans le tertiaire corrrespond \u00e0 une \u00e9volution mqui est d’ores et d\u00e9j\u00e0 termin\u00e9e, alors que leur r\u00e9duction dans les autres secteurs se poursuivra.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 82 ; \u00ab\u00a0Toujours dans le m\u00eame temps, un nombre consid\u00e9rable d’activit\u00e9s sociales et culturelles sont devenues marchandes, sources de profit et cr\u00e9atrices d’emplois (dans les domaines des sports, de sloisirs, du tourisme, etc.). Il existre d’ailleurs tr\u00e8s souvent une relation dialectique entre l’extension de la sph\u00e8re capitaliste et l’apparition de nouveaux progr\u00e8s, qu’il s’agisse de progr\u00e8s techniques ou de progr\u00e8s-innovations. par exemple, l’individu acteur, sujet actif de son propre plaisir, devient spectateur, consommateur de distractions, avec la naissance et la prolif\u00e9ration des moyens techniques qui lui offrent des sons et des images.<\/p>\n

(…) Enfin, l’am\u00e9lioration de la productivit\u00e9 du travail^gr\u00e2ce \u00e0 l’Outil (ou principalement gr\u00e2ce \u00e0 lui) et l’extension de la sph\u00e8re capitaliste au plan interne (ainsi qu’au plan international, comme on le verra plus loin) ont tr\u00e8s naturellement b\u00e9n\u00e9fici\u00e9 au deux pouvoirs qui s’exercent sur la soci\u00e9t\u00e9, le Capital et l’Etat se renfor\u00e7ant en d\u00e9veloppent leur bureaucratie : les gestionnaires du pouvoir capitaliste et du pouvoir \u00e9tatique ont prolif\u00e9r\u00e9.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 83 ; \u00ab\u00a0L’extension du champ interne<\/em> du Capital est aujourd’hui termin\u00e9e dans les pays industrialis\u00e9s : la production autonome a disparu. Toutes les activit\u00e9s productives qui pouvaient devenir marchandes le sont devenues. Tous les besoins individuels et collectifs sont satisfaits par le Capital (ou par l’Etat) puisque sa production est cens\u00e9e les satisfaire. D\u00e9sormais, le progr\u00e8s technique qui am\u00e9liore la productivit\u00e9 du travail provoque le ch\u00f4mage, car il r\u00e9duit, non pas encore la masse salariale globale, mais le nombre de travailleurs : la fraction de la population qui est solvable, gr\u00e2ce \u00e0 sa fonction productive, tend \u00e0 diminuer. Et il est \u00e9vident que la robotique va puissamment accentuer cette tendance, que ne peuvent plus combattre les progr\u00e8s-innovations.<\/p>\n

En effet, les espoirs que font na\u00eetre ceux-ci, en particulier les multiples applications de l’informatique, reposent sur une illusion. L’\u00e9volution \u00e9conomique et technique n’a jamais fait na\u00eetre de nouveaux besoins. Elle a seulement permis de satisfaire autrement, par de sproduits et services nouveaux, des besoins individuels et collectifs qui demeurent pour l’essentiel les m\u00eames . besoin de se nourrir, de se v\u00eatir, de se d\u00e9placer, de communiquer, etc.<\/p>\n

Il n’y a pas cr\u00e9ation d’activit\u00e9, mais transformation d’une activit\u00e9 productive.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 84 ; \u00ab\u00a0En effet, ce n’est pas seulement, comme le dit Aurelio Peccei, parce que la terre est une plan\u00e8te aux dimensions finies, qu’une croissance \u00e9conomique ind\u00e9finie est impossible. C’est aussi parce que l’homme est lui-m\u00eame un \u00eatre fini. Sa capacit\u00e9 \u00e0 consommer a des limites, tr\u00e8s particuli\u00e8rement des limites temporelles. Il peut accumuler de plus en plus de biens, \u00e0 la condition que ceux-ci ne soient pas p\u00e9rissables, mais il ne peut pas en consommer de plus en plus, de m\u00eame qu’il ne peut pas consommer de plus en plus de services. De ce point de vue, l’informatique dans la vie quotidienne et au foyer risque fort de se transformer en gadget, comme la calculatrice de poche pour laquelle la firme am\u00e9ricaine Texas Instrument a cr\u00e9e des jeux de soci\u00e9t\u00e9. L’individu lira sur un \u00e9cran ce qu’il aurait cherch\u00e9 dans un annuaire. Il jouera avec son ordinateur, au lieu de se livrer \u00e0 d’autres distractions n\u00e9cessitant d’autres objets. Enfin, reli\u00e9 \u00e0 des banques de donn\u00e9es internationales, il disposera de beaucoup plus d’informations qu’il ne pourra en assimiler. En cela, le nouveau progr\u00e8s sera un peu semblable \u00e0 celui de l’automobile, dont la vitesse augmente au-del\u00e0 de celle qui est autoris\u00e9e et m\u00eame praticable sur la route.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 85 ; \u00a0\u00bb Depuis longtemps d\u00e9j\u00e0 la machine cr\u00e9ait des ch\u00f4meurs. Le ph\u00e9nom\u00e8ne nouveau est qu’elle en cr\u00e9e dans les pays industrialis\u00e9s eux-m\u00eames.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 86 ; \u00ab\u00a0Les recettes contre le ch\u00f4mage<\/span><\/p>\n

Devant la mont\u00e9e du ch\u00f4mage, la r\u00e9action la plus g\u00e9n\u00e9rale est de chercher comment cr\u00e9er des emplois. Elle est aussi logique que stupide. Parce qu’il est indispensable \u00e0 la survie individuelle, le travail devient un objectif saocial ind\u00e9pendant de l’utilit\u00e9 de la production qu’il assure ! Il serait une fin en soi. Lui qui fut pendant des si\u00e8cles pr\u00e9sent\u00e9 comme une dure n\u00e9cessit\u00e9 impos\u00e9e aux hommes, seule l’\u00e9lite socio-politique en \u00e9tant dispens\u00e9e (l’aristocrate, puis le rentier de la soci\u00e9t\u00e9 bourgeoise), voil\u00e0 qu’il est aujourd’hui per\u00e7u comme un \u00ab\u00a0droit\u00a0\u00bb pour tous !<\/p>\n

(…) Le comportement des travailleurs est d’ailleurs plein d’enseignements. Hier, leur vie \u00e9tait insupportable \u00e0 cause de l’usine. Aujourd’hui, la vie n’est plus possible parce que l’usine ferme. Ils protestent et exigent la r\u00e9ouverture de leur usine. Et peu importe ce que produit l’usine ! Il est vrai que, vivant au jour le jour, ils ont bien des excuses \u00e0 ne consid\u00e9rer que leur int\u00e9r\u00eat imm\u00e9diat. Mais il est grave que les partis et les syndicats qui les encadrent les encouragent \u00e0 ne pas voir plus loin que la d\u00e9fense de l’emploi.\u00a0\u00bb<\/p>\n

La Belgique illustre aussi le danger que peut pr\u00e9senter la r\u00e9duction du temps de travail, puisque celui-ci \u00e9tait limit\u00e9 \u00e0 35 heures par semaine et que le taux de ch\u00f4mage y est un des plus \u00e9lv\u00e9 du monde occidental.<\/p>\n

La revendication des 35 heures ne pourrait \u00eatre satisfaite que si tous les pays industrialis\u00e9s en comp\u00e9tition se mettaient d’accord pour la satisfaire, en tenant compte de ce que sont aujourd’hui leurs conditions g\u00e9n\u00e9rales de production. Un tel accord para\u00eet plus qu’improbable. Si en France la r\u00e9duction de la dur\u00e9e du travail (point de vue d\u00e9fendu par le patronat, et que les syndicats de travailleurs commencent \u00e0 admettre). Malheureusement, sauf le cas o\u00f9 l’am\u00e9lioration de la productivit\u00e9 du travail peut \u00eatre obtenue par une meilleure utilisation des \u00e9quipements (travail en continu, acc\u00e9l\u00e9ration des cadences, etc.), elle l’est par recours \u00e0 des progr\u00e8s techniques qui r\u00e9duisent les emplois, de sorte que les travailleurs seraient moins nombreux \u00e0 b\u00e9n\u00e9ficier de la mesure. Enfin, si le salaire est r\u00e9duit en m\u00eame temps que la dur\u00e9e de travail (ce qui correspond bien \u00e0 ce \u00ab\u00a0partage du travail\u00a0\u00bb dont on parle tant), la baisse g\u00e9n\u00e9rale du niveau de vie des salari\u00e9s aura une incidence sur la production : la consommation portera davantage sur des produits peu chers, mais qui ne sont pas chers parce qu’ils n\u00e9cessitent peu de \u00ab\u00a0travail-vivant\u00a0\u00bb. De cette mani\u00e8re encore l’emploi serait compromis.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 90 ; \u00ab\u00a0Il va enfin consid\u00e9rablement accentuer un ph\u00e9nom\u00e8ne qu’on observe depuis plusieurs ann\u00e9es d\u00e9j\u00e0 : les moyens de production, de plus en plus performants d’un point de vue technique, sont aussi de plus en plus dificiles \u00e0 rentabiliser. Ils am\u00e9liorent la productivit\u00e9 du travail, mais leur productivit\u00e9 financi\u00e8re est d\u00e9croissante. La robotisation de la production risque donc fort de tourner \u00e0 la banqueroute.<\/p>\n

Le robot, qui, techniquement, peut se reproduire lui-m\u00eame, aura bien du mal \u00e0 s’amortir financi\u00e8rement, puisqu’il r\u00e9duit le nombre des consommateurs en les condamnant au ch\u00f4mage.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 91-92 ; \u00ab\u00a0D’ores et d\u00e9j\u00e0, les biens et services destin\u00e9s \u00e0 r\u00e9pondre aux besoins individuels et collectifs ont souvent une f\u00e2cheuse incidence sur la formation des individus, sur leur \u00e9panouissement (on sait par exemple l’effet nocif de la t\u00e9l\u00e9vision sur la capacit\u00e9 des enfants \u00e0 appr\u00e9hender le r\u00e9el), sur la qualit\u00e9 de la vie, sur l’environnement, enfin sur les rapports sociaux. Qu’il s’agisse de l’automobile, des appareils m\u00e9nagers ou des moyens audio-visuels, tous ces progr\u00e8s ont contribu\u00e9 \u00e0 r\u00e9duire ces rapports et parfois \u00e0 les rendre plus agressifs : l’individu se replie sur lui-m\u00eame ou au sein d’un groupe social \u00e9troit et trop homog\u00e8ne, dans un cadre qui s’organise pour \u00eatre isol\u00e9 du monde r\u00e9el. La t\u00e9l\u00e9matique ne peut qu’accentuer cette tendance au repliement, \u00e0 l’\u00e9miettement de la soci\u00e9t\u00e9, \u00e0 la disparition de v\u00e9ritables relations interpersonnelles… Bref ! Le rapport \u00e0 autrui sera de plus en plus gravement m\u00e9diatis\u00e9 par la machine.<\/p>\n

(…) Or, cette construction devient aussi de plus en plus vuln\u00e9rable. Reli\u00e9s au monde ext\u00e9rieur par une quantit\u00e9 de m\u00e9dia, les individus forment une soci\u00e9t\u00e9, dont l’existence et l’organisation active d\u00e9pendent de centres de plus en plus puissants et de moins en moins nombreux. Avec les applications de la t\u00e9l\u00e9matique, ils vont d\u00e9pendre de ces centres, non plus seulement en tant que consommateurs, mais aussi parfois en tant que producteurs travaillant sous les ordres d’un terminal d’ordinateur. Que les centres s’arr\u00eatent de fonctionner, et c’est la soci\u00e9t\u00e9 enti\u00e8re qui se d\u00e9sorganise. Ce n’est donc pas la seule centrale nucl\u00e9aire qui nous condamne \u00e0 l’Etat policier. C’est le syst\u00e8me technicien que l’\u00e9volution du mode de production ne cesse de rendre plus complexe et plus vuln\u00e9rable au \u00ab\u00a0sabotage\u00a0\u00bb. Et c’est aussi l’\u00e9volution sociale. Incapable d’enrayer la mont\u00e9e du ch\u00f4mage, l’Etat ne pourra faire face \u00e0 ce chancre qui ronge le corps social qu’en combattant ses effets. Il est donc certain quze dans tous les pays occidentaux, derri\u00e8re les institutions qui permettent le jeu d’une d\u00e9mocratie formelle, s’instaurera peu \u00e0 peu ce qu’Ingmar Granstedt appelle excelemment un \u00ab\u00a0fascisme d’impuissance\u00a0\u00bb.<\/p>\n

(…) Mais jusqu’\u00e0 quand la soci\u00e9t\u00e9 elle-m\u00eame supportera-t-elle un discours d\u00e9menti par la r\u00e9alit\u00e9 qu’elle vit ?\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 94 ; \u00ab\u00a0Aujourd’hui, la situation financi\u00e8re de pays comme l’Indon\u00e9sie, l’Alg\u00e9rie, le Nig\u00e9ria ou le Mexique, prouve que le p\u00e9trole n’est pas une assurance contre l’insolvabilit\u00e9.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 95 ; \u00ab\u00a0Car toutes les productions ne peuvent \u00eatre robotis\u00e9es, notamment pas la plupart des productions agricoles. Il est probable que l’\u00e9volution des prix relatifs, qui a \u00e9t\u00e9 tr\u00e8s d\u00e9favorable \u00e0 l’agriculture europ\u00e9enne depuis une vingtaine d’ann\u00e9es, avec une baisse du revenu agricole depuis l’arr\u00eat de la croissance, provoquera l’\u00e9limination d’un grand nombre d’agriculteurs et peut-\u00eatre le d\u00e9port vers le tiers monde de certaines productions agricoles.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 96 ; \u00ab\u00a0A cet \u00e9gard, la politique du pr\u00e9sident Reagan est exemplaire. Imposant aux Etats-Unis un effort d’armement consid\u00e9rable, il se r\u00e9signe a accepter un d\u00e9ficit record du budget f\u00e9d\u00e9ral, que des coupes sombres dans les d\u00e9penses sociales ne peuvent suffisamment alll\u00e9ger. Le Tr\u00e9sor se trouve alors oblig\u00e9 d’emprunter sur le march\u00e9 financier. Ses emprunts provoquent une hausse des taux d’int\u00e9r\u00eat, qui attirent les capitaux internationaux et maintiennent le cours du dollar au plus haut, mais qui \u00e9tranglent l’\u00e9conomie am\u00e9ricaine tout autant que les \u00e9conomies europ\u00e9ennes. Pourtant, les v\u00e9ritables dificult\u00e9s \u00e9conomiques et sociales n’appara\u00eetront que demain : lorsque la r\u00e9cession s’accel\u00e8rera avec l’abandon progressif des projets militaires.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 97 ; \u00ab\u00a0Un autre mode de production est-il concevable ? Pour que l’\u00e9conomie ob\u00e9isse \u00e0 une autre logique que celle de l’accumulation -une accumulation qui conduit aujourd’hui le syst\u00e8me \u00e0 sa perte- il faudrait que s’\u00e9tablissent d’autres rapports sociaux et d’autres rapports entre soci\u00e9t\u00e9s.Ce pr\u00e9alable \u00e9tant lev\u00e9, il faudrait que chaque soci\u00e9t\u00e9 adopte des normes de production en fonction de ses probl\u00e8mes sp\u00e9cifiques (co\u00fbt plus ou moins \u00e9lev\u00e9 de la reproduction sociale selon le mode de vie, volume in\u00e9gal de la production n\u00e9cessaire selon les milieux physiques, etc.), toutes les soci\u00e9t\u00e9s pouvantz entreprendre des productions en commun et redresser, par l’\u00e9chamge, les in\u00e9galit\u00e9s r\u00e9sultant de la r\u00e9partition des ressources dans le monde. Il n’y aurait plus de d\u00e9veloppement. Celui des forces productives ne tendrait plus qu’\u00e0 am\u00e9liorer les conditions de travail dans la limite pos\u00e9e par la force de travail \u00e0 employer. Il ne favoriserait plus une accumulation capitalistique ind\u00e9finie, en vue de favoriser ce d\u00e9veloppement lui-m\u00eame ind\u00e9finiment.<\/p>\n

(…) Car la caract\u00e9ristique essentiell du syst\u00e8me qui est en train de sombrer, aura beaucoup moins \u00e9t\u00e9 de produire de plus en plus de richesse que de la drainer et de la concentrer.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 100 ; \u00ab\u00a0Vu de Rome, l’Empire romain devait para\u00eetre une fabuleuse construction (un peu moins satisfaisante pour l’esprit, vu des provinces conquises). Il succomba pourtant sous les coups des barbares (qui n’en \u00e9taient qu’aux yeux des Romains).<\/p>\n

(…) Ils se born\u00e8rent donc (les Etats-Unis <\/em>), d’abord \u00e0 encourager l’\u00e9clatement des empires coloniaux (au nom de la libert\u00e9 des peuples) qui ouvrit la totalit\u00e9 du tiers monde \u00e0 leurs entreprises, puis \u00e0 d\u00e9gager des \u00ab\u00a0rounds\u00a0\u00bb dans le cadre du G.A.T.T., afin de favoriser le libre-\u00e9change et, par cons\u00e9quent, l’extension du champ de la concurrence, celle-ci devant jouer principalement \u00e0 leur profit. Ce faisant, ils cr\u00e9aient le contexte qui permit au Capital d’oeuvrer en toute libert\u00e9 \u00e0 l’\u00e9chelle mondiale et de s’internationaliser. Ainsi sont-ils les p\u00e8res fondateurs d’un empire de type nouveau : un empire \u00e9conomique.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 101 ; \u00ab\u00a0Mieux vaut la fin de la civilisation occiedentale et du syst\u00e8me technicien qu’elle a produit, plut\u00f4t que la fin de l’esp\u00e8ce humaine \u00e0 laquelle elle conduit.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 102 ; \u00ab\u00a0La politique industrielle dite d’import-substitution (production sur place de ce qui \u00e9tait auparavant import\u00e9), qui \u00e9tait la cons\u00e9quencew d’une colonisation des habitudes de consommation, s’ach\u00e8vera en banqueroute.<\/p>\n

La relative autarcie \u00e0 laquelle ces pays sont oblig\u00e9s est la condition premi\u00e8re d’un d\u00e9veloppement endog\u00e8ne et autocentr\u00e9, donc original, puisque correspondant \u00e0 la diversit\u00e9 des cultures et des milieux physiques. Une condition n\u00e9cessaire,mais non suffisante. Les soci\u00e9t\u00e9s concern\u00e9es devront encore transformer leur organisation socio-politique, parfois aussi retrouver leurs limites, qui sont tr\u00e8s rarement (jamais en Afrique) celles que maintiennent les pouvoirs d’Etat et qui ont \u00e9t\u00e9 ent\u00e9rin\u00e9es par des accords internationaux.<\/p>\n

(…) Cette anarchie pourrait \u00eatre \u00e9vit\u00e9e ou sa dur\u00e9e limit\u00e9e, si les forces d’opposition aux r\u00e9gimes en place, au lieu de poser le probl\u00e8me de leur pays en termes de \u00ab\u00a0pouvoir national\u00a0\u00bb, tentaient d’organiser des enclaves socio-\u00e9conomiques autonomes, semblables \u00e0 celles qui finiront peut-\u00eatre par prendre forme dans les pays capitalistes industrialis\u00e9s.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 103 ; \u00ab\u00a0En Afrique, des exp\u00e9riences semblables se multiplient. Celles que cite H. Desroches sont tout \u00e0 fait passionnantes, en particulier parce qu’elles sont tent\u00e9es par des Africains sans le moindre concours ext\u00e9rieur. Par exemple, celle de ces travailleurs s\u00e9n\u00e9galais de la r\u00e9gion parisienne, qui ont constitu\u00e9 un fonds d’\u00e9pargne (\u00ab\u00a0la marmite\u00a0\u00bb), gr\u00e2ce auquel dont ils sont issus. Ce fonds permet en outre d’accorder une bourse \u00e0 un \u00e9tudiant, choisi par les villageois en fonction de ses qualit\u00e9s morales. L’\u00e9tudiant, qui vient \u00e0 Paris pour apprendre ce qui servira plus tard dans les villages, est pris en charge par ses compatriotes smicards, mais doit faire pour eux la cuisine (ils n’ont pas eux-m\u00eames le temps de la faire) et s’engage \u00e0 participer, le soir, \u00e0 des cours d’alphab\u00e9tisation dans le foyer des travailleurs immigr\u00e9s. Il pas de meilleur exemple de ce que peut \u00eatre le \u00ab\u00a0d\u00e9veloppement\u00a0\u00bb en Afrique.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 104 ; \u00ab\u00a0La r\u00e9volution iranienne est l’illustration la plus marquante de ce rejet du d\u00e9veloppement au nom de la sp\u00e9cificit\u00e9 culturelle d’un peuple. Le Chah avait opt\u00e9 pour la modernit\u00e9. Il avait fait le pari de transformer l’Iran et sa soci\u00e9t\u00e9 sous la pression des exigences d’une \u00e9conomie capitaliste industrialis\u00e9e, afin de construire un pays en tous points semblable \u00e0 un pays occidental. Il a perdu ce pari (ce qui ne signifie \u00e9videmment pas que les religieux gagneront le leur).\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 105 ; \u00ab\u00a0A noter que les Eglises chr\u00e9tiennes, qui oeuvr\u00e8rent longtemps en vue de cette assimilation, travaillent aujourd’hui le plus souvent en sens contraire. Elles n’en sont pas encore \u00e0 mettre en cause le d\u00e9veloppement, mais elles critiquent l’organisation socio-politique que celui-ci implique et favorise, et elles d\u00e9noncent les cons\u00e9quences qu’il a pour la majorit\u00e9 des populations. Enfin, si elles ne proposent pas une rupture avec le mod\u00e8le dominant, elles encouragent les soci\u00e9t\u00e9s dans leurs qu\u00eates d’identit\u00e9, qui les am\u00e8nera t\u00f4t ou tard \u00e0 r\u00e9cuser le type de d\u00e9veloppement actuellement mis en oeuvre. D’autant plus s\u00fbrement que ce dernier bute sur des impossibilit\u00e9s concr\u00e8tes.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 108 ; \u00ab\u00a0Mais les pays capitalistes industrialis\u00e9s ne sont pas mieux lotis. Ils sont, eux aussi, affect\u00e9s par une d\u00e9composition sociale qui suit plusieurs axes : progression du ch\u00f4mage et de la pauvret\u00e9, mont\u00e9e tr\u00e8s rapide de la d\u00e9linquance, affaiblissement du fait national qui peut aller jusqu’\u00e0 l’\u00e9clatement des nations, enfin d\u00e9veloppement d’une contestation id\u00e9ologique, qui s’accompagne d’une t\u00e2tonnante r\u00e9organisation d’une fraction de la soci\u00e9t\u00e9.<\/p>\n

Le ch\u00f4mage est et deviendra de plus en plus un puissant facteur de d\u00e9composition sociale, non seulement du fait de son importance, mais aussi parce qu’il frappe toutes les classes sociales, y compris la bourgeoisie.<\/p>\n

(…) Le ch\u00f4mage des intellectuels progresse comme celui des manuels.<\/p>\n

(…) L’Universit\u00e9, qui a pour charge de produire des \u00e9lites, donc des minorit\u00e9s privil\u00e9gi\u00e9es, y est devenue un des principaux centres de l’agitation socio-politique, du jour o\u00f9 elle a commenc\u00e9 \u00e0 former des ch\u00f4meurs dipl\u00f4m\u00e9s.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 109 ; \u00ab\u00a0La mont\u00e9e du ch\u00f4mage est quelque peu frein\u00e9e par le d\u00e9veloppement du travail \u00e0 temps partiel, int\u00e9rimaire et pr\u00e9caire. C’est alors la pauvret\u00e9 qui progresse.<\/p>\n

(…) La contradiction entre progr\u00e8s technique et progr\u00e8s social, qui a toujours \u00e9t\u00e9 \u00e9vidente dans le tiers monde, commence \u00e0 appara\u00eetre aussi dans les pays industrialis\u00e9s.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 110 ; \u00ab\u00a0L’urbanisation rapide et anarchique a d\u00e9shumanis\u00e9 la rue, le quartier, la ville elle-m\u00eame, tandis qu’un nouveau type d’habitat (en partie imputable \u00e0 la circulation automobile) rend impossible l’autodiscipline des citadins *. La violence est glorifi\u00e9e d’une mani\u00e8re aussi constante qu’insidieuse, du seul fait que la loi du plus fort l’est aussi, puisque tous les rapports interpersonnels et sociaux, en tous domaines, ne sont que des rapports de comp\u00e9tition, donc des rapports de forces.<\/p>\n

(…) Le refus social se manifeste aussi par des r\u00e9actions individuelles non violentes, qui vont de l’absent\u00e9isme dans le travail \u00e0 des troubles psychiques, en passant par l’usage de droqgues. Il repr\u00e9sente un des symptomes les plsu \u00e9vidents de la d\u00e9composition sociale des pays capitalistes industrialis\u00e9s.<\/p>\n

(…) De quelque mani\u00e8re qu’il exprime, le refus social traduit un changement des comportements individuels qui peut avoir, \u00e0 terme, une incidence sur l’\u00e9conomie, aussi grave que l’extension du ch\u00f4mage et de la pauvret\u00e9.<\/p>\n

* Voir Le temps qu’on nous vole<\/em>, par Jean Robert (Editions du Seuil)<\/span>\u00ab\u00a0<\/span><\/p>\n

p. 111 ; \u00ab\u00a0Tandis qu’on assiste, dans les deux Am\u00e9riques, \u00e0 la r\u00e9surgence encore timide des revendications indiennes (timides, mais peut-\u00eatre beaucoup plus \u00ab\u00a0r\u00e9volutionnaires\u00a0\u00bb que celles des Noirs aux Etats-Unis), les minorit\u00e9s anciennement incorpor\u00e9es de force aux nations europ\u00e9ennes s’opposent aux majorit\u00e9s avec une vigueur toute nouvelle.<\/p>\n

Jean Chesneaux a fait l’historique de cesa dissidences que constituent ces minorit\u00e9s en Europe. Il rappelle que celles-ci eurent surtout, au d\u00e9part, le souci de pr\u00e9server leur langue et un patrimoine culturel. Elles apparaissent alors comme pass\u00e9istes, car l’assimilation culturelle et linguistique semblait \u00eatre, \u00e0 la fois la condition et l’in\u00e9vitable r\u00e9sultat du progr\u00e8s \u00e9conomique et technique, qui lui-m\u00eame passait (et passe encore !) pour conditionnerle progr\u00e8s social. L’uniformisation des normes et des conditions de production, du mod\u00e8le de consommation et du genre de vie, condamnait les singularit\u00e9s collectives et les cultures r\u00e9gionales.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 112 ; \u00ab\u00a0Car la soci\u00e9t\u00e9 r\u00e9gionale n’est pas plus homog\u00e8ne que ne l’est la nation. Elle est divis\u00e9e en classes et par des contradictions d’int\u00e9r\u00eats, ses divisions justifiant des rapports de domination qui, au plan national, culminent au niveau d l’Etat. Ind\u00e9pendante, elle serait donc amen\u00e9e \u00e0 reconstituer un syst\u00e8me de pouvoir semblable \u00e0 celui auquel la nation est soumise. Et c’est d’ailleurs bien l’ambition des notables r\u00e9gionaux ind\u00e9pendantistes (notables au sens large, car le leader r\u00e9volutionnaire a vocation \u00e0 en devenir un). Puis le haut de la hi\u00e9rarchie sociopolitique se trouverait dans la m\u00eame position que les \u00e9lites dirigeantes du tiers monde, c’est-\u00e0-dire devant la n\u00e9cessit\u00e9 d’importer, donc d’exporter, donc de maintenir la r\u00e9gion dans le cadre g\u00e9n\u00e9ral de l’\u00e9conomie mondiale et d’en accepter les contraintes.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 114 ; \u00ab\u00a0Il n’est pas certain que ce soit en fouillant dans leur histoire que les minorit\u00e9s r\u00e9gionales trouveront de nouvelles raisons d’exister collectivement. Ce sera aussi et peut-\u00eatre surtout en se mettant \u00e0 l’\u00e9coute de ces forces sociales nouvelles (nouvelles dans la meusre o\u00f9 elles ne se situent pas par rapport aux clivages traditionnels de la soci\u00e9t\u00e9) qui sapent les fondements id\u00e9ologiques des nations occidentales.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 116 ; \u00ab\u00a0Ainsi sont n\u00e9es une multitude d’associations contestataires, que certains regroupent sous le terme g\u00e9n\u00e9rique de Mouvement, en y englobant, il est vrai, certaines luttes sociales plus traditionnelles, mais \u00e0 l’initiative de \u00ab\u00a0la base\u00a0\u00bb et irrespectueuses des strat\u00e9gies politiques ou syndicales. Le Mouvement est le produit d’une multitude de comportements nouveaux, en compl\u00e8te opposition avec l’immobilisme intellectuel des partis et des syndicats qui, parce qu’ils se bornent \u00e0 d\u00e9fendre des \u00ab\u00a0int\u00e9r\u00eats de classe\u00a0\u00bb (ou nationaux) au sein du syst\u00e8me, finissent toujours par se plier \u00e0 sa logique.<\/p>\n

Le m\u00e9rite du Mouvement est de mettre en lumi\u00e8re lews v\u00e9ritables enjeux de notre \u00e9poque (des enjeux fondamentaux et non pas \u00e9v\u00e8nementiels), quzi sont tr\u00e8s rarement ceux dont les classes politiques nationales se pr\u00e9occupent, et que leur participation \u00e0 la gestion du syst\u00e8me les oblige d’ailleurs \u00e0 n\u00e9gliger. Mais il n’est encore qu’une n\u00e9buleuse, constitu\u00e9e d’\u00e9l\u00e9ments h\u00e9t\u00e9rog\u00e8nes dont les contributions peuvent devenir contradictoires.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 117 , \u00ab\u00a0Ce qui fait la force des mouvements contestataires fait aussi leur faiblesse : l’impr\u00e9cision de leurs objectifs r\u00e9els. Pour que cette impr\u00e9cision cesse, il suffirait sans doute que chacun d’eux ait \u00e0 se prononcer sur les objectifs que poursuivent les autres. Car si chacun choisit un angle d’attaque particulier, tous s’en prennent au m\u00eame syst\u00e8me.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 118 ; \u00ab\u00a0Pris comme un tout, le Mouvement n’en traduit pas moins un consid\u00e9rable changement d’attitude \u00e0 l’\u00e9gard des 9nstitutions et du jeu politique. il \u00e9largit le d\u00e9bat social, en s’attaquant \u00e0 des probl\u00e8mes qui sont, en fait, parfaitement insolubles. En cela d\u00e9j\u00e0, il peut \u00e9branler l’id\u00e9ologie qui assure la coh\u00e9sion de la soci\u00e9t\u00e9 : m\u00eame par ses \u00e9checs (dans ses luttes contre l’implantation de centrales nucl\u00e9aires, contre le surarmement, etc.), il d\u00e9montre que, pour pr\u00e9server le syst\u00e8me et les situations ou avantages acquis, nous sommes tenus d’accepter l’innacceptable.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 120 ; \u00ab\u00a0Dans la m\u00eame \u00e9tude, C. Castoriadis souligne que le poids de l’Arm\u00e9e est tr\u00e8s sup\u00e9rieur \u00e0 celui du Parti dans la soci\u00e9t\u00e9 sovi\u00e9tique. Avec d’ailleurs cette cons\u00e9quence que l’\u00e9conomie est \u00ab\u00a0duale\u00a0\u00bb : seules les industries d’armement (et d’exploration spatiale) se d\u00e9veloppent dans de bonnes conditions, toutes les autres activit\u00e9s productives accusant des faiblesses plus ou moins graves. Le \u00ab\u00a0lobby militaro-industriel\u00a0\u00bb serait ainsi beaucoup plus redoutable en U.R.S.S. qu’en Occident.<\/p>\n

(…) Outre que l’influence des partis communistes est globalement insignifiante, une Europe comministe poserait plus de probl\u00e8mes que la Chine \u00e0 la \u00ab\u00a0Patrie di socialisme\u00a0\u00bb.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 121 ; \u00ab\u00a0On peut au contraire penser que les similitudes entre les deux syst\u00e8mes industriels, ainsi que les liens qui se sont \u00e9tablis entre eux et qui ne cessent de se d\u00e9velopper, favoriseront un certain parall\u00e9lisme dans l’\u00e9volution des deux blocs politico-militaires antagonistes. Aussi, on ne retiendra ici que l’hypoth\u00e8se la plus optimiste : la d\u00e9composition socio-politique du bloc sovi\u00e9tique lui-m\u00eame.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 126 ; \u00ab\u00a0Le plan \u00e0 \u00e9laborer n’est pas de \u00ab\u00a0d\u00e9veloppement\u00a0\u00bb, mais de survie . <\/em>L’objectif n’est pas de permettre \u00e0 la population de vivre comme l’Europ\u00e9en moyen, mais mieux qu’un ch\u00f4meur ou qu’un paysan ruin\u00e9. Son niveau de vie ne d\u00e9pendrait d’ailleurs pas seulement de son importance num\u00e9rique, de la diversit\u00e9 des ressources locales, de la diversification des activit\u00e9s et du niveau des techniques de production mises en oeuvre. Il d\u00e9pendrait aussi, pour une part consid\u00e9rable, de son organisation \u00e9conomique et sociale. Il serait d’autant plus \u00e9lev\u00e9 que celle-ci serait plus d\u00e9mocratique.<\/p>\n

En effea\u00e7ant la distinction entre d\u00e9cideurs et ex\u00e9cutants, l’autogestion \u00e9conomique et sociale \u00e9vite les pr\u00e9l\u00e8vements effectu\u00e9s sur le travail productif pour assurer l’existence de la \u00ab\u00a0classe\u00a0\u00bb des gestionnaires (gestionnaires des deux pouvoirs, capitaliste et \u00e9tatique), ainsi que pour mettre l’Etat en mesure d’offrir \u00e0 la collectivit\u00e9 des services qu’elle pourrait fort bien s’assurer \u00e0 elle-m\u00eame par la coop\u00e9ration volontaire. Elle \u00e9limine en outre un nombre tr\u00e8s important d’activit\u00e9s productives, soit parce qu’elles sont sans valeur sociale, soit parce qu’elles n’ont pas \u00e0 \u00eatre marchandes, soit parce qu’elles sont favoris\u00e9es ou impos\u00e9es par une hi\u00e9rarchie socio-\u00e9conomique qui va se trouver \u00e9cras\u00e9e.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 127-128 ; \u00ab\u00a0Un plan de survie pr\u00e9suppose donc une soci\u00e9t\u00e9 homog\u00e8ne. Dans certains cas, celle-ci le deviendra, car la crise peut homog\u00e9n\u00e9iser les situations en ramenant tout le monde au m\u00eame niveau de d\u00e9nuement.<\/p>\n

(…) Les exp\u00e9riences \u00e0 caract\u00e8re \u00e9conomique sont pour la plupart tent\u00e9es soit par des travailleurs dont l’instrument de production est tomb\u00e9 en faillite (Lip \u00e9tant en France l’exemple le plus connu), soit par des individus qui cr\u00e9ent une entreprise en instaurant entre eux de nouveaux rapports de production, sans hi\u00e9rarchie, sans salariat de type classique ni sp\u00e9cialisation trop pouss\u00e9e des travailleurs. L?entreprise a g\u00e9n\u00e9ralement un statut de type coop\u00e9ratif (coop\u00e9rative de production ouvri\u00e8re) et se baptise parfois \u00ab\u00a0\u00e9co-entreprise\u00a0\u00bb pour affirmer ses pr\u00e9occupations \u00e9cologiques.<\/p>\n

(…) Pourtant, il arrive que certaines initiatives soient inspir\u00e9es par un souci d’autonomie par rapport au syst\u00e8me. C’est le cas par exemple de celles de n\u00e9o-ruraux qui vivent pratiquement en autosubsistance, ou celles encore de quelques \u00e9co-entreprises qui \u00e9changent entre elles une partie de leur production.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 129 ; \u00ab\u00a0Que ces exp\u00e9riences soient politiquement ambigu\u00e8, cela ne fait aucun doute. C’est d’ailleurs bien parce qu’elles sont sans port\u00e9e politique apparente et qu’elles peuvent, au moins dans une faible mesure, r\u00e9duire les tensions sociales et le chiffre du ch\u00f4mage, que les gouvernements, notamment en Allemagne f\u00e9d\u00e9rale et en France, apr\u00e8s les vaoir combattues, les laissent vivre et se d\u00e9velopper, parfois m\u00eame les favorisent en les subventionnant.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 134 ; \u00ab\u00a0Pour l’heure, la plupart des individus qui se lancent dans des exp\u00e9riences alternatives cherchent \u00e0 satisfaire leurs seules aspirations (\u00e0 la convivialit\u00e9, \u00e0 un plus grand respect de l’\u00e9cosyst\u00e8me, etc.). Ce sont parfois d’anciens militants marxistes, qui, ne croyant plus \u00e0 la r\u00e9volution et \u00e0 la soci\u00e9t\u00e9 meilleure qu’ils en attendaient, ont d\u00e9cid\u00e9 de vivre d\u00e8s maintenant leur id\u00e9al social. En se marginalisant, ils ne pr\u00e9tendent pas accomplir un acte politique. Certains, il est vrai, pensent que cet acte a valeur d’exemple : ils estiment que tout le monde pourrait opter pour ce genre de vie qu’ils ont choisi. Mais ils ne se dotent pas d’une strat\u00e9gie pour provoquer cette \u00e9tonnante mutation des comportements. Ils se bornent \u00e0 attendre le miracle.<\/p>\n

La d\u00e9marche des alternatifs n’est pas g\u00e9n\u00e9ralisable. Mais elle n’en a pas moins une port\u00e9e politique, qui peut sous certaines conditions devenir d\u00e9cisive. On peut m\u00eame penser que ces d\u00e9marches convergentes, qui se font jour dans tous les pays industrialis\u00e9s, sont l’amorce d’un mouvement historique (comme le fut par exemple celui des peuples coloniaux luttant pour leur lib\u00e9ration), dont l’ampleur d\u00e9pendra de la conscience qu’il aura de lui-m\u00eame et de son r\u00f4le.<\/p>\n

La mani\u00e8re de vivre des alternatifs permet, sinon pr\u00e9suppose, une meilleure adap\u00e8tation de la production \u00e0 chaque milieu particulier.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 135 ; \u00ab\u00a0Aisni, bien que s’employant \u00e0 ne r\u00e9soudre que leurs probl\u00e8mes personnels, les alternatifs cr\u00e9ent un contexte qui, s’il se g\u00e9n\u00e9ralisait, placerait les peuples du tiers monde en meilleure position pour r\u00e9soudre les leurs. Donc leurs initiatives ont d\u00e9j\u00e0 une port\u00e9e politique au moins virtuelle.<\/p>\n

(…) De ce point de vue, on peut accepter la formule d\u00e9sabus\u00e9e d’Andr\u00e9 Gorz : \u00ab\u00a0la soci\u00e9t\u00e9 ne sera jamais bonne par son organisation.\u00a0\u00bb\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 136 ; \u00ab\u00a0La soci\u00e9t\u00e9 que pr\u00e9figurent les exp\u00e9riences alternatives n’est pas nationale, au sens habituel du terme, ni m\u00eame r\u00e9gionale.<\/p>\n

(…) Elle sera caract\u00e9ris\u00e9e par ce nouveau rapport \u00e0 autrui, mais \u00e0 un autrui qui se trouve ppartout o\u00f9 existe une soci\u00e9t\u00e9 porteuse de la m\u00eame id\u00e9ologie. On peut donc tr\u00e8s bien concevoir que deux entit\u00e9s socio-\u00e9conomiques autonomes par rapport au syst\u00e8me, l’une par exemple situ\u00e9e en Europe et l’autre en Afrique, fusionnent en une seule entit\u00e9 politique, si la fusion est une condition n\u00e9cessaire \u00e0 la r\u00e9alisation de leurs projets respectifs.<\/p>\n

Une telle perspective para\u00eet invraisemblable -aussi invraisemblable que l’\u00e9tait au d\u00e9but de ce si\u00e8cle celle d’une Europe \u00e9conomique. Il faut pourtant bien l’envisager comme une possibilit\u00e9 \u00e0 long terme, si l’on veut \u00e9viter que les probl\u00e8mes auxquels les nations industrialis\u00e9es vont \u00eatre confront\u00e9es soient \u00e0 jamais insolubles, c’est-\u00e0-dire que ces nations soient condamn\u00e9es \u00e0 payer ind\u00e9finiment le prix de leurs ambitions et de leurs exc\u00e8s historiques.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 137-138 ; \u00ab\u00a0L’autonomie \u00e9conomique est l’objectif imm\u00e9diat qu’ils devraient s’assigner. Elle implique la rupture des \u00e9changes, tels qu’ils se prastiquent aujourd’hui, au sein de chaque pays et \u00e0 l’\u00e9chelle mondiale.<\/p>\n

(…) L’autonomie \u00e9conomique n’est donc pas une fin en soi. Elle est le seul moyen, la seule opportunit\u00e9 qui soit offerte par le syst\u00e8me lui-m\u00eame, du fait des cons\u00e9quences sociales de son \u00e9volution (de la marginalisation d’une partie de la soci\u00e9t\u00e9), de reconstruire progressievement le monde comme il faudrait qu’il le soit pour devenir, peut-\u00eatre, un peu plus juste, un peu moins d\u00e9chir\u00e9 par des contradictions d’int\u00e9r\u00eats : de bas en haut.<\/p>\n

Les moyens d’agir<\/span><\/p>\n

Les exp\u00e9riences alternatives pourront se tranformer en un syst\u00e8me alternatif, si elles prolif\u00e8rent en se coordonnant, c’est-\u00e0-dire si elles d\u00e9veloppent des activit\u00e9s suffisamment diversifi\u00e9es pour que les nouvelles entit\u00e9s sociales puissent se d\u00e9tacher progressivement du sy<st\u00e8me dominant, jusqu’\u00e0 la rupture compl\u00e8te qui ferait d’elles des entit\u00e9s socio-politiques. Elles n’y parviendront que si elles se dotent d’un organe capable \u00e0 la fois d’assurer la coh\u00e9rence des initiatives et de programmere celles qui doivent \u00eatre prises.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 139 ; \u00ab\u00a0Elle est condamnable, parce qu’elle encourage ou impose ce rapport \u00e0 autrui, qui est \u00e0 l’oppos\u00e9 de celui que l’individu devrait naturellement avoir. Un rapport agressif qui n’est pas du tout, quoiqu’on en dise, inh\u00e9rent \u00e0 la nature humaine, pour cette excellente raison qu’il n’existe pas de nature humaine.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 140 ; \u00ab\u00a0Se posera un probl\u00e8me de resources. Jusqu’ici, il est g\u00e9n\u00e9ralement mal abord\u00e9 par les alternatifs, quand ils cr\u00e9ent un organiosme de financement pour faciliter les entreprises. Outre qu’ils pr\u00e9voient pour cet organisme un mode de fonctionnement qui lui interdit d’\u00eatre l’instrument d’une d\u00e9mocratie \u00e9conomique, ils adaptent leur programme d’intervention aux ressources dont ils disposent. Ils devraient, \u00e0 l’inverse, \u00e9tablir leur plan de tr\u00e9sorerie en fonction de leurs projets d’investissements, puis chercher les ressources n\u00e9cessaires, dont l’origine d\u00e9pend pr\u00e9cis\u00e9ment de la nature des projets.<\/p>\n

(…) Il faut en effet que les majorit\u00e9s comprennent et approuvent les objectifs des minorit\u00e9s marginales ou marginalis\u00e9es.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 141 ; \u00ab\u00a0Pour qui n’a rien ou presque, renoncer \u00e0 avoir ne constitue pas un lourd sacrifice. En revanche, participer \u00e0 une oeuvre collective qui d\u00e9borde toutes les fronti\u00e8res traditionnelles, c’est acqu\u00e9rir ce que personne ou presque n’a d\u00e9sormais : une raison sociale de vivre.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 142 ; \u00ab\u00a0Rappelons cependant que, dans le contexte social contemporain, le recours \u00e0 la violence est \u00e0 proscrire. Tout au plus celle-ci peut-elle \u00eatre retenue, \u00e0 titre exceptionnel, comme moyen tactique d’atteindre un but ponctuel, dans le cadre g\u00e9n\u00e9ral d’une strat\u00e9gie non violente.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 143-144 ; \u00ab\u00a0L’Etat devra se rendre \u00e0 l’\u00e9vidence : du seul fait que le champ \u00e9conomiqe est devenu mondial, il n’est plus possible de cantonner dans le tiers monde la fraction de la population marginalis\u00e9e par l’\u00e9volution technico-\u00e9conomique. Elle existe partout. Elle est r\u00e9partie dans tous les pays. Elle augmente partout, tandis que se r\u00e9duit la base sociale de l’\u00e9conomie dite moderne.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 145 ; \u00ab\u00a0Il ne s’agit plus de pr\u00e9parer un avenir meilleur, mais de vivre autrement le pr\u00e9sent. La d\u00e9marche des alternatifs est conforme \u00e0 cette probl\u00e8matique. Ils ne se pr\u00e9occupent pas plus de d\u00e9veloppement que les pygm\u00e9es d’Afrique \u00e9quatoriale. Mais ils ne peuvent pas se retrancher dans leur microcosme. Leur exp\u00e9rience ne survivra que si elle s’\u00e9tend. De plus, la mani\u00e8re de vivre le pr\u00e9sent peut fort bien d\u00e9terminer l’avenir. C’est donc \u00e0 pr\u00e9ciser cet avenir qu’ils doivent s’employer, afin de s’assurer que leurs actions pr\u00e9sentes le pr\u00e9parent et ne le compromettent pas.<\/p>\n

(…) D’une fa\u00e7on g\u00e9n\u00e9rale, les exp\u00e9riences \u00ab\u00a0\u00e0 la base\u00a0\u00bb qui se d\u00e9veloppent dans diverses directions (surtout dans le domaine des \u00e9nergies douces et d\u00e9centralis\u00e9es) peuvent parfaitement faciliter cette d\u00e9sarticulation<\/em>de l’\u00e9conomie, que les id\u00e9ologues du lib\u00e9ralisme redoutent beaucoup trop pour oser l’envisager.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 146 ; \u00ab\u00a0Pour que l’approfondissement des difficult\u00e9s \u00e9conomiques et sociales favorise une transformation tr\u00e8s progressive de la soci\u00e9t\u00e9, en m\u00eame temps que l’\u00e9laboration d’une nouvelle construction \u00e9conomique et technique, il faut que les alternatifs sachent quel avenir ils entendent pr\u00e9parer par leur initiatives actuelles, et comment cet avenir, qu’ils forgent pour eux-m\u00eames, \u00ab\u00a0s’articule\u00a0\u00bb avec celui des majorit\u00e9s. Il faut qu’ils se dotent d’un projet politique.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 147 ; \u00ab\u00a0La plupart des alternatifs r\u00e9cusent les sh\u00e9mas politiques. Ils s’efforcent d’\u00e9tablir entre eux des rapports \u00e9quitables, mais s’interdisent de d\u00e9finir la jsutice sociale et de chercher les moyens de l’instaurer. Ils sont trop critiques \u00e0 l’\u00e9gard de ces avant-gardes qui veulent imposer leur id\u00e9al social aux autres, pour se pr\u00e9senter eux-m\u00eames comme une avant-garde.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 148 ; \u00ab\u00a0Devant cette r\u00e9alit\u00e9 qu’ils refusent et qui ne g\u00e9n\u00e8rent pas de r\u00e9volution, trop de militants s’engagent dans la voie de la violence, notamment dans un terrorisem qui est cens\u00e9 accentuer les contradictions entreclasses sociales antagonistes (ou pr\u00e9sum\u00e9es telles) jusqu’\u00e0 les rendre enfin explosives.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 149 ; \u00ab\u00a0Ainsi, les ambitions nationales ne sont en fait que la projection, au plan mondial, de celles que nourrit \u00e0 titre individuel \u00ab\u00a0le bourgeois\u00a0\u00bb au sein de la soci\u00e9t\u00e9 lib\u00e9rale. Or, si le socialisme condamne la volont\u00e9 individuelle de puissance et d’enrichissement ou, tout au moins, s’il cherche \u00e0 en limiter les effets, il l’encourage lorsqu’elle est colective. A cet \u00e9gard, on peut aujourd’hui constater \u00e0 quel point le discours d’un gouvernement socialiste sur \u00ab\u00a0la pr\u00e9sence de la France dans le monde\u00a0\u00bb ressemble \u00e0 celui de la droite la plus \u00e9litiste.<\/p>\n

Si la France \u00e9tait un pays id\u00e9alement d\u00e9mocratique, donc respectueux des valeurs qui fondent la d\u00e9mocratie, elle ne constituerait pas avec d’autres pays europ\u00e9ens une entit\u00e9 \u00e9conomique, \u00e9ventuellement politique et militaire, capable de rivaliser avec les deux super grands. Elle tenterait de rem\u00e9dier aux cons\u00e9quences de ses entreprises pass\u00e9es. Elle chercherait \u00e0 s’associer \u00e0 des pays du Maghreb et d’Afrique Noire dont les \u00e9conomies sont devenues \u00e0 son initiative compl\u00e9mentaires de la sienne, afin de former une zone politique prot\u00e9g\u00e9e, ausein de laquelle des groupes sociaux h\u00e9t\u00e9rog\u00e8nes pourraient s’organiser en fonction de leurs choix culturels sans que l’\u00e9ventuel enrichissement des uns s’effectue au d\u00e9triment des autres.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 150 ; \u00ab\u00a0Par nos choix, nous affirmons que les individus n’ont pas la m\u00eame valeur selon le lieu o\u00f9 ils naissent (au Nord ou au Sud) et aussi selon la place qu’ils occupent au sein de leur soci\u00e9t\u00e9.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 152 ; \u00ab\u00a0Utopie que tout cela ? Sana aucun doute ! Pourtant, il para\u00eet invraisemblable que l’humanit\u00e9, si toutefois elle a un avenir (ce dont on peut, il est vrai, raisonnablement douter) demeure organis\u00e9e durablement comme elle l’est aujourd’hui.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 153 ; \u00ab\u00a0Prisonni\u00e8res du syst\u00e8me qu’elles ont \u00e9labor\u00e9, victimes de sa dynamique, les nations industrielles ne peuvent reconsid\u00e9rer les principes qui fondent leur organisation, transformer leurs rapports sociaux, moins encore leurs relations avec le tiers monde. Mais la soci\u00e9t\u00e9 virtuelle que forment les alternatifs peut, quant \u00e0 elle, poursuivre l’Utopie. ELle se trouve en effet dans une situation historique exceptionelle : elle n’h\u00e9rite aucune structure, aucune institution. Elle peut d\u00e9finir ses fins, avant de s’organiser en cons\u00e9quence. Elle doit alors le faire.<\/p>\n

(…) Parmi ces droits, celui de s’organiser librement devrait \u00eatre reconnu \u00e0 toute collectivit\u00e9, aussi r\u00e9duite soit-elle, car une soci\u00e9t\u00e9 qui ne cherche pas \u00e0 accro\u00eetre sa puisssance peut se limiter au groupe qui partage les m\u00eames choix culturels.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 154-155 ; \u00ab\u00a0Dans le domaine \u00e9conomique, comme dans tous ceux o\u00f9 les pulsions des individus et des groupes sociaux doivent \u00eatre endigu\u00e9es dans un sens acceptable pour la collectivit\u00e9 plus ou moins large qu’ils forment (collectivit\u00e9 qui est aujourd’hui mondiale au plan \u00e9conomique), il faudrait inventer des \u00ab\u00a0lois\u00a0\u00bb, analogues \u00e0 celles qui ont \u00e9t\u00e9 \u00e9bauch\u00e9es plus haut \u00e0 propos des \u00e9changes (et qui sont \u00e9videmment \u00e0 am\u00e9liorer). La recherche de ces lois implique une analyse critique exhaustive des \u00e9conomies industrielles, capitalistes et socialistes. Il faut comparer ce qui est \u00e0 ce qui devrait \u00eatre. De cette comparaison se d\u00e9duira la marge d’erreurs et d’aberrations qui n’a cess\u00e9 de s’\u00e9largir, tout particuli\u00e8rement depuis la r\u00e9volution industrielle, seuil qui n’aurait certainement pas d\u00fb \u00eatre franchi sans pr\u00e9cautions de tous ordres.<\/p>\n

(…) Lorsque les aristocrates fran\u00e7ais, \u00e0 la fin du XVIII\u00e8me si\u00e8cle, durent renoncer \u00e0 leurs privil\u00e8ges, il ne s’ensuivit aucune r\u00e9gression pour la France qu’ils incarnaient jusque l\u00e0. Ils furent simplement ramen\u00e9s (en principe) au m\u00eame niveau que les autres citoyens. Lorsque les nations industrialis\u00e9es, qui incarnent aujourd’hui \u00ab\u00a0la civilisation\u00a0\u00bb (puisqu’elles sont \u00e0 la fois auteurs et b\u00e9n\u00e9ficiaires de tous les progr\u00e8s scientifiques et techniques qui caract\u00e9risent d\u00e9sormais celle-ci), devront renoncer \u00e0 leur train de vie collectif, il n’en r\u00e9sultera pas davantage de r\u00e9gression pour l’humanit\u00e9. Elles seront, de la m\u00eame mani\u00e8re que l’aristocratie d’autrefois, d\u00e9class\u00e9es dans la hi\u00e9rarchie internationale qu’elles ont elles-m\u00eames instaur\u00e9e. Leur affaissement n’est \u00e0 consid\u00e9rer que comme la condition d’un nouveau d\u00e9part, sur d’autres bases socio-politiques et dans une autre direction.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 156 ; \u00ab\u00a0Car le progr\u00e8s v\u00e9ritable n’est pas dans la connaissance et dans la ma\u00eetrise des techniques. Il est politique. Il est dans l’aptitude des hommes \u00e0 se gouverner, individuellement et collectivement, en mettant leurs connaissances et les techniques au service de cet art de vivre ensemble.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p.159 ; \u00ab\u00a0Car le Chah d’Iran n’est pas le seul \u00e0 qui le p\u00e9trole soit mont\u00e9 \u00e0 la t\u00eate. L’Arabie saoudite et les Emirats du Golfe se sont vus affubl\u00e9s d’un fastueux d\u00e9cor \u00e9conomique, qui a destructur\u00e9 leurs populations et qui s’effondrera quand seront \u00e9puis\u00e9s les gisements p\u00e9troliers.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 167 ; \u00ab\u00a0Ce n’\u00e9tait pas tant par g\u00e9n\u00e9rosit\u00e9 que les Etats-Unis sont venus en aide \u00e0 l’Europe d\u00e9vast\u00e9e par la guerre, que pour des raisons politiques et, surtout, pour \u00e9viter une crise : leur appareil de production, hypertrophi\u00e9 par l’effort de guerre, devait \u00e0 la fois se reconvertir et trouver des d\u00e9bouch\u00e9s ext\u00e9rieurs. La reconstruction de l’Europe et du Japon lui assura une fort utile p\u00e9riode de transition, tout en offrant au capital am\u00e9ricain une possibilit\u00e9 de s’introduire en force sur le vieux continent, o\u00f9 il se d\u00e9veloppa d’autant plus ais\u00e9ment que ce fut par recours \u00e0 des cr\u00e9dits europ\u00e9ens.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 168 ; \u00ab\u00a0En effet, une Afrique d\u00e9velopp\u00e9e, au sens qu’on donne aujourd’hui \u00e0 ce mot, disposerait de toutes les activit\u00e9s productives qui sont encore concentr\u00e9es dans les pays industrialis\u00e9s. Qu’il s’agisse de biens d’investissement ou de biens de consommation, l’ensemble des processus de production se d\u00e9rouleraient sur son territoire. Par cons\u00e9quent, elle serait en mesure de valoriser ses ressources naturelles. Les \u00e9conomies occidentales qui les utilisent et pour lesquelles elles sont une indispensable \u00ab\u00a0base de travail\u00a0\u00bb seraient oblig\u00e9es, apr\u00e8s une p\u00e9riode d’euphorie \u00e0 cr\u00e9dit, \u00e0 une reconversion dont l’ampleur est difficile \u00e0 imaginer.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 169 ; \u00ab\u00a0La fameuse formule \u00ab\u00a0ce qui est bon pour General Motors est bon pour l’Am\u00e9rique\u00a0\u00bb est aujourd’hui devenue \u00ab\u00a0ce qui est bon pour Toyota est bon pour l’humanit\u00e9\u00a0\u00bb.\u00a0\u00bb<\/p>\n

p. 181 ; \u00ab\u00a0Pour l’heure, on ne peut chercher de solution qu’\u00e0 des probl\u00e8mes restreints et pr\u00e9cis, ceux qui se posent \u00e0 des individus et \u00e0 des groupes sociaux isol\u00e9s, au sein d’une soci\u00e9t\u00e9 qui n’a pas encore pris conscience de vivre la fin d’un monde.\u00a0\u00bb<\/p>\n

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La fin du d\u00e9veloppement. Naissance d’une alternative? Fran\u00e7ois Partant, La D\u00e9couverte-Masp\u00e9ro, Paris, 1982. \u00ab\u00a0(…) le \u00ab\u00a0d\u00e9veloppement\u00a0\u00bb des soci\u00e9t\u00e9s industrialis\u00e9es, qu’une conception ethnocentriste de l’histoire am\u00e8ne \u00e0 assimiler abusivement \u00e0 celui de l’humanit\u00e9 enti\u00e8re, est en train de prendre fin. Le \u00ab\u00a0sc\u00e9nario\u00a0\u00bb le plus vraisemblable aboutit \u00e0 un chaos social g\u00e9n\u00e9ralis\u00e9, \u2026 Lire plus \/ Read more<\/a><\/p>\n","protected":false},"author":1,"featured_media":882,"parent":0,"menu_order":0,"comment_status":"closed","ping_status":"closed","template":"","meta":{"ngg_post_thumbnail":0,"footnotes":""},"class_list":["post-881","page","type-page","status-publish","has-post-thumbnail","hentry"],"_links":{"self":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/881","targetHints":{"allow":["GET"]}}],"collection":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages"}],"about":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/types\/page"}],"author":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/users\/1"}],"replies":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=%2Fwp%2Fv2%2Fcomments&post=881"}],"version-history":[{"count":1,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/881\/revisions"}],"predecessor-version":[{"id":883,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/881\/revisions\/883"}],"wp:featuredmedia":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/media\/882"}],"wp:attachment":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=%2Fwp%2Fv2%2Fmedia&parent=881"}],"curies":[{"name":"wp","href":"https:\/\/api.w.org\/{rel}","templated":true}]}}