{"id":866,"date":"2015-01-18T23:00:01","date_gmt":"2015-01-18T22:00:01","guid":{"rendered":"http:\/\/www.archipress.org\/wp\/?page_id=866"},"modified":"2015-01-23T10:15:36","modified_gmt":"2015-01-23T09:15:36","slug":"et-et-et-et-ontologie-premiere","status":"publish","type":"page","link":"https:\/\/www.archipress.org\/?page_id=866","title":{"rendered":"ET, ET, ET, ET… Ontologie premi\u00e8re"},"content":{"rendered":"
Chapitre introductif : Le rhizome<\/a> (HTML)<\/p>\n \u00ab Nous sommes fatigu\u00e9s de l’arbre. Nous ne devons plus croire aux arbres, aux racines ni aux radicelles, nous en avons trop souffert (…)Beaucoup de gens ont un arbre plant\u00e9 dans la t\u00eate, mais le cerveau lui-m\u00eame est une herbe beaucoup plus qu’un arbre. Chapitre 12 : Trait\u00e9 de nomadologie<\/a> (PDF)<\/p>\n \u00ab Le nomade se distribue dans un espace lisse, il occupe, il tient cet espace, et c’est l\u00e0 son principe territorial. Aussi est-il faux de d\u00e9finir le nomade par le mouvement. Toynbee a profond\u00e9ment raison de sugg\u00e9rer que le nomade est plut\u00f4t celui qui ne bouge pas (…) est celui qui ne part pas, ne veut pas partir, s’accroche \u00e0 cet espace lisse o\u00f9 la for\u00eat recule, o\u00f9 la steppe ou le d\u00e9sert croissent, et invente le nomadisme comme r\u00e9ponse \u00e0 ce d\u00e9fi.\u00bb<\/p>\n (Copies de travail annot\u00e9es. RB)<\/p>\n <\/a>Mille Plateaux Rhizome<\/strong><\/p>\n Avant-propos<\/strong><\/p>\n Ce livre est la suite et la fin de Capitalisme et schizophr\u00e9nie, <\/em>dont le premier tome \u00e9tait l’Anti-Oedipe.<\/em><\/p>\n Il n’est pas compos\u00e9 de chapitres, mais de \u00ab plateaux \u00bb. Nous essayons plus loin d’expliquer pourquoi (et aussi pourquoi les textes sont dat\u00e9s). Dans une certaine mesure, ces plateaux peuvent \u00eatre lus ind\u00e9pendamment les uns des autres, sauf la conclusion qui ne devrait \u00eatre lue qu’\u00e0 la fin.<\/p>\n Ont d\u00e9j\u00e0 \u00e9t\u00e9 publi\u00e9s : \u00ab Rhizome \u00bb (Ed. de Minuit, 1976) \u00ab Un seul ou plusieurs loups ? \u00bb (revue Minuit, no <\/em>5) ; \u00ab Comment se faire un Corps sans organes ? \u00bb (Minuit, no <\/em>10). Ils sont repris ici modifi\u00e9s.<\/p>\n 1. introduction: Rhizome<\/strong><\/p>\n No<\/strong>us avons \u00e9crit l’Anti-Oedipe <\/em>\u00e0 deux. Comme chacun de nous \u00e9tait plusieurs, \u00e7a faisait d\u00e9j\u00e0 beaucoup de monde. Ici nous avons utilis\u00e9 tout ce qui nous approchait, le plus proche et le plus lointain. <\/strong>Nous avons distribu\u00e9 d’habiles pseudonymes, pour rendre m\u00e9connaissables. Pourquoi avons-nous gard\u00e9 nos noms ? Par habitude, uniquement par habitude. Pour nous rendre m\u00e9connaissables \u00e0 notre tour. Pour rendre imperceptible, non pas nous-m\u00eames, mais ce qui nous fait agir, \u00e9prouver ou penser. Et puis parce qu’il est agr\u00e9able de parler comme tout le monde, et de dire le soleil se l\u00e8ve, quand tout le monde sait que c’est une mani\u00e8re de parler. Non pas en arriver au point o\u00f9 l’on ne dit plus je, mais au point o\u00f9 \u00e7a n’a plus aucune importance de dire ou de ne pas dire je. Nous ne sommes plus nous-m\u00eames. Chacun conna\u00eetra les siens. Nous avons \u00e9t\u00e9 aid\u00e9s, aspir\u00e9s, multipli\u00e9s.<\/p>\n Un livre n’a pas d’objet ni de sujet, il est fait de mati\u00e8res diversement form\u00e9es, de dates et de vitesses tr\u00e8s diff\u00e9rentes. D\u00e8s qu’on attribue le livre \u00e0 un sujet, on n\u00e9glige ce travail des mati\u00e8res, et l’ext\u00e9riorit\u00e9 de leurs relations. On fabrique un bon Dieu pour des mouvements g\u00e9ologiques. Dans un livre comme dans toute chose, il y a des lignes d’articulation ou de segmentarit\u00e9, des strates, des territorialit\u00e9s; mais aussi des lignes de fuite, des mouvements de d\u00e9territorialisation et de d\u00e9stratification. Les vitesses compar\u00e9es d’\u00e9coulement d’apr\u00e8s ces lignes entra\u00eenent des ph\u00e9nom\u00e8nes de retard relatif, de viscosit\u00e9, ou au contraire de pr\u00e9cipitation et de rupture. Tout cela, les lignes et les vitesses mesurables, constitue un agencement. <\/em>Un livre est un tel agencement, comme tel inattribuable. C’est une multiplicit\u00e9 -mais on ne sait pas encore ce que le multiple implique quand il cesse d’\u00eatre attribu\u00e9, c’est-\u00e0-dire quand il est \u00e9lev\u00e9 \u00e0 l’\u00e9tat de substantif. Un agencement machinique est tourn\u00e9 vers les strates qui en font sans doute une sorte d’organisme, ou bien une totalit\u00e9 signifiante, ou bien une d\u00e9termination attribuable \u00e0 un sujet, mais non moins vers un corps sans organes <\/em>qui ne cesse de d\u00e9faire l’organisme, de faire passer et circuler des particules asignifiantes, intensit\u00e9s pures, et de s’attribuer les sujets auxquels il ne laisse plus qu’un nom comme trace d’une intensit\u00e9. Quel est le corps sans organes d’un livre ? Il y en a plusieurs, d’apr\u00e8s la nature des lignes consid\u00e9r\u00e9es, d’apr\u00e8s leur teneur ou leur densit\u00e9 propre, d’apr\u00e8s leur possibilit\u00e9 de convergence sur un \u00abplan de consistance \u00bb qui en assure la s\u00e9lection. L\u00e0 comme ailleurs, l’essentiel, ce sont les unit\u00e9s de mesure: quantifier l’\u00e9criture. <\/em>Il n’y a pas de diff\u00e9rence entre ce dont un livre parle et la mani\u00e8re dont il est fait. Un livre n’a donc pas davantage d’objet. En tant qu’agencement, il est seulement lui-m\u00eame en connexion avec d’autres agencements, par rapport \u00e0 d’autres corps sans organes. On ne demandera jamais ce que veut dire un livre, signifi\u00e9 ou signifiant, on ne cherchera rien \u00e0 comprendre dans un livre, on se demandera avec quoi il fonctionne, en connexion de quoi il fait ou non passer des intensit\u00e9s, dans quelles multiplicit\u00e9s il introduit et m\u00e9tamorphose la sienne, avec quels corps sans organes il fait lui-m\u00eame converger le sien. Un livre n’existe que par le dehors et au-dehors. Ainsi, un livre \u00e9tant lui-m\u00eame une petite machine, dans quel rapport \u00e0 son tour mesurable cette machine litt\u00e9raire est-elle avec une machine de guerre, une machine d’amour, une machine r\u00e9volutionnaire, etc. -et avec unemachine abstraite <\/em>qui les entra\u00eene ? On nous a reproch\u00e9s d’invoquer trop souvent des litt\u00e9rateurs. Mais la seule question quand on \u00e9crit, c’est de savoir avec quelle autre machine la machine litt\u00e9raire peut \u00eatre branch\u00e9e, et doit \u00eatre branch\u00e9e pour fonctionner. Kleist et une folle machine de guerre, Kafka et une machine bureaucratique inou\u00efe… (et si l’on devenait animal ou v\u00e9g\u00e9tal par <\/em>litt\u00e9rature, ce qui ne veut certes pas dire litt\u00e9rairement ? ne serait-ce pas d’abord par la voix qu’on devient animal ?). La litt\u00e9rature est un agencement, elle n’a rien \u00e0 voir avec de l’id\u00e9ologie, il n’y a pas et il n’y a jamais eu d’id\u00e9ologie.<\/p>\n Nous ne parlons pas d’autre chose : les multiplicit\u00e9s, les lignes, strates et segmentarit\u00e9s, lignes de fuite et intensit\u00e9s, les agencements machiniques et leurs diff\u00e9rents types, les corps sans organes et leur construction, leur s\u00e9lection, le plan de consistance, les unit\u00e9s de mesure dans chaque cas. Les stratom\u00e8tres, les d\u00e9l\u00e9om\u00e8tres, les unit\u00e9s CsO de densit\u00e9, les unit\u00e9s CsO de convergence <\/em>ne forment pas seulement une quantification de l’\u00e9criture, mais d\u00e9finissent celle-ci comme \u00e9tant toujours la mesure d’autre chose. \u00c9crire n’a rien \u00e0 voir avec signifier, mais avec arpenter, cartographier, m\u00eame des contr\u00e9es \u00e0 venir.<\/p>\n Un premier type de livre, c’est le livre-racine. L’arbre est d\u00e9j\u00e0 l’image du monde, ou bien la racine est l’image de l’arbre-monde. C’est le livre classique, comme belle int\u00e9riorit\u00e9 organique, signifiante et subjective (les strates du livre). Le livre imite le monde, comme l’art, la nature : par des proc\u00e9d\u00e9s qui lui sont propres, et qui m\u00e8nent \u00e0 bien ce que la nature ne peut pas ou ne peut plus faire. La loi du livre, c’est celle de la r\u00e9flexion, le Un qui devient deux. Comment la loi du livre serait-elle dans la nature, puisqu’elle pr\u00e9side \u00e0 la division m\u00eame entre monde et livre, nature et art ? Un devient deux : chaque fois que nous rencontrons cette formule, f\u00fbt-elle \u00e9nonc\u00e9e strat\u00e9giquement par Mao, f\u00fbt-elle comprise le plus \u00abdialectiquement \u00bb du monde, nous nous trouvons devant la pens\u00e9e la plus classique et la plus r\u00e9fl\u00e9chie, la plus vieille, la plus fatigu\u00e9e. La nature n’agit pas ainsi : les racines elles-m\u00eames y sont pivotantes, \u00e0 ramification plus nombreuse, lat\u00e9rale et circulaire, non pas dichotomique. L’esprit retarde sur la nature. M\u00eame le livre comme r\u00e9alit\u00e9 naturelle est pivotant, avec son axe, et les feuilles autour. Mais le livre comme r\u00e9alit\u00e9 spirituelle, l’Arbre ou la Racine en tant qu’image, ne cesse de d\u00e9velopper la loi de l’Un qui devient deux, puis deux qui deviennent quatre… La logique binaire est la r\u00e9alit\u00e9 spirituelle de l’arbre-racine. M\u00eame une discipline aussi \u00abavanc\u00e9e \u00bb que la linguistique garde pour image de base cet arbre-racine, qui la rattache \u00e0 la r\u00e9flexion classique (ainsi Chomsky et l’arbre syntagmatique, commen\u00e7ant \u00e0 un point S pour proc\u00e9der par dichotomie). Autant dire que cette pens\u00e9e n’a jamais compris la multiplicit\u00e9 : il lui faut une forte unit\u00e9 principale suppos\u00e9e pour arriver \u00e0 deux suivant une m\u00e9thode spirituelle. Et du c\u00f4t\u00e9 de l’objet, suivant la m\u00e9thode naturelle, on peut sans doute passer directement de l’Un \u00e0 trois, quatre ou cinq, mais toujours \u00e0 condition de disposer d’une forte unit\u00e9 principale, celle du pivot qui supporte les racines secondaires. \u00c7a ne va gu\u00e8re mieux. Les relations bi-univoques entre cercles successifs ont seulement remplac\u00e9 la logique binaire de la dichotomie. La racine pivotante ne comprend pas plus la multiplicit\u00e9 que la racine dichotome. L’une op\u00e8re dans l’objet quand l’autre op\u00e8re dans le sujet. La logique binaire et les relations bi\u00ad-univoques dominent encore la psychanalyse (l’arbre du d\u00e9lire dans l’interpr\u00e9tation freudienne de Schreber), la linguistique et le structuralisme, m\u00eame l’informatique. lo<\/sup> et 2o<\/sup> Principes de connexion et d’h\u00e9t\u00e9rog\u00e9n\u00e9it\u00e9 : n’importe quel point d’un rhizome peut \u00eatre connect\u00e9 avec n’importe quel autre, et doit l’\u00eatre. C’est tr\u00e8s diff\u00e9rent de l’arbre ou de la racine qui fixent un point, un ordre. <\/strong>L’arbre linguistique \u00e0 la mani\u00e8re de Chomsky commence encore \u00e0 un point S et proc\u00e8de par dichotomie. Dans un rhizome au contraire, chaque trait ne renvoie pas n\u00e9cessairement \u00e0 un trait linguistique : des cha\u00eenons s\u00e9miotiques de toute nature y sont connect\u00e9s \u00e0 des modes d’encodage tr\u00e8s divers, cha\u00eenons biologiques, politiques, \u00e9conomiques, etc., mettant en jeu non seulement des r\u00e9gimes de signes diff\u00e9rents, mais aussi des statuts d’\u00e9tats de choses. Les agencements collectifs d’\u00e9nonciation<\/em>fonctionnent en effet directement dans les agencements machiniques, <\/em>et l’on ne peut pas \u00e9tablir de coupure radicale entre les r\u00e9gimes de signes et leurs objets. Dans la linguistique, m\u00eame quand on pr\u00e9tend s’en tenir \u00e0 l’explicite et ne rien supposer de la langue, on reste \u00e0 l’int\u00e9rieur des sph\u00e8res d’un discours qui implique encore des modes d’agencement, et des types de pouvoir sociaux particuliers. La grammaticalit\u00e9 de Chomsky, le symbole cat\u00e9goriel S qui domine toutes les phrases, est d’abord un marqueur de pouvoir avant d’\u00eatre un marqueur syntaxique : tu constitueras des phrases grammaticalement correctes, tu diviseras chaque \u00e9nonc\u00e9 en syntagme nominal et syntagme verbal (premi\u00e8re dichotomie… ) On ne reprochera pas \u00e0 de tels mod\u00e8les linguistiques d’\u00eatre trop abstraits, mais au contraire de ne pas l’\u00eatre assez, de ne pas atteindre \u00e0 la machine abstraite <\/em>qui op\u00e8re la connexion d’une langue avec des contenus s\u00e9mantiques et pragmatiques d’\u00e9nonc\u00e9s, avec des agencements collectifs d’\u00e9nonciation, avec toute une micro-politique du champ social. Un rhizome ne cesserait de connecter des cha\u00eenons s\u00e9miotiques, des organisations de pouvoir, des occurrences renvoyant aux arts, aux sciences, aux luttes sociales. Un cha\u00eenon s\u00e9miotique est comme un tubercule agglom\u00e9rant des actes tr\u00e8s divers, linguistiques, mais aussi perceptifs, mimiques, gestuels, cogitatifs : il n’y a pas de langue en soi, ni d’universalit\u00e9 du langage, mais un concours de dialectes, de patois, d’argots, de langues sp\u00e9ciales. Il n’y a pas de locuteur-auditeur id\u00e9al, pas plus que de communaut\u00e9 linguistique homog\u00e8ne. La langue est, selon une formule de Weinreich, \u00abune r\u00e9alit\u00e9 essentiellement h\u00e9t\u00e9rog\u00e8ne \u00bb. <\/strong>Il n’y a pas de langue-m\u00e8re, mais prise de pouvoir par une langue dominante dans une multiplicit\u00e9 politique. La langue se stabilise autour d’une paroisse, d’un \u00e9v\u00each\u00e9, d’une capitale. Elle fait bulbe.<\/strong> Elle \u00e9volue par tiges et flux souterrains, le long des vall\u00e9es fluviales, ou des lignes de chemins de fer, elle se d\u00e9place par taches d’huile<\/strong>1<\/sup><\/a><\/span><\/sup><\/span>. On peut toujours op\u00e9rer sur la langue des d\u00e9compositions structurales internes : ce n’est pas fondamentalement diff\u00e9rent d’une recherche de racines. Il y a toujours quelque chose de g\u00e9n\u00e9alogique dans l’arbre, ce n’est pas une m\u00e9thode populaire. Au contraire, une m\u00e9thode de type rhizome ne peut analyser le langage qu’en le d\u00e9centrant sur d’autres dimensions et d’autres registres. Une langue ne se referme jamais sur elle-m\u00eame que dans une fonction d’impuissance.<\/p>\n 3o<\/sup> Principe de multiplicit\u00e9 : c’est seulement quand le multiple est effectivement trait\u00e9 comme substantif, multiplicit\u00e9, qu’il n’a plus aucun rapport avec l’Un comme sujet ou comme objet, comme r\u00e9alit\u00e9 naturelle ou spirituelle, comme image et monde. Les multiplicit\u00e9s sont rhizomatiques, et d\u00e9noncent les pseudo\u00admultiplicit\u00e9s arborescentes. Pas d’unit\u00e9 qui serve de pivot dans l’objet, ni qui se divise dans le sujet. Pas d’unit\u00e9 ne serait-ce que pour avorter dans l’objet, et pour \u00abrevenir \u00bb dans le sujet. <\/strong>Une multiplicit\u00e9 n’a ni sujet ni objet, mais seulement des d\u00e9terminations, des grandeurs, des dimensions qui ne peuvent cro\u00eetre sans qu’elle change de nature (les lois de combinaison croissent donc avec la multiplicit\u00e9). Les fils de la marionnette, en tant que rhizome ou multiplicit\u00e9, ne renvoient pas \u00e0 la volont\u00e9 suppos\u00e9e une d’un artiste ou d’un montreur, mais \u00e0 la multiplicit\u00e9 des fibres nerveuses qui forment \u00e0 leur tour une autre marionnette suivant d’autres dimensions connect\u00e9es aux premi\u00e8res : \u00ab Les fils ou les tiges qui meuvent les marionnettes \u00adappelons-les la trame. On pourrait objecter que sa multiplicit\u00e9 <\/em>r\u00e9side dans la personne de l’acteur qui la projette dans le texte. Soit, mais ses fibres nerveuses forment \u00e0 leur tour une trame. Et elles plongent \u00e0 travers la masse grise, la grille, jusque dans l’indiff\u00e9renci\u00e9… Le jeu se rapproche de la pure activit\u00e9 des tisserands, celle que les mythes attribuent aux Parques et aux Normes 2<\/sup><\/a><\/sup>. \u00bb Un agencement est pr\u00e9cis\u00e9ment cette croissance des dimensions dans une multiplicit\u00e9 qui change n\u00e9cessairement de nature \u00e0 mesure qu’elle augmente ses connexions. Il n’y a pas de points ou de positions dans un rhizome, comme on en trouve dans une structure, un arbre, une racine. Il n’y a que des lignes. Quand Glenn Gould acc\u00e9l\u00e8re l’ex\u00e9cution d’un morceau, il n’agit pas seulement en virtuose, il transforme les points musicaux en lignes, il fait prolif\u00e9rer l’ensemble. C’est que le nombre a cess\u00e9 d’\u00eatre un concept universel qui mesure des \u00e9l\u00e9ments d’apr\u00e8s leur place dans une dimension quelconque, pour devenir lui-m\u00eame une multiplicit\u00e9 variable suivant les dimensions consid\u00e9r\u00e9es<\/strong> (primat du domaine sur un complexe de nombres attach\u00e9 \u00e0 ce domaine). Nous n’avons pas d’unit\u00e9s de mesure, mais seulement des multiplicit\u00e9s ou vari\u00e9t\u00e9s de mesure. La notion d’unit\u00e9 n’appara\u00eet jamais que lorsque se produit dans une multiplicit\u00e9 une prise de pouvoir par le signifiant, ou un proc\u00e8s correspondant de subjectivation : ainsi l’unit\u00e9-pivot qui fonde un ensemble de relations bi-univoques entre \u00e9l\u00e9ments ou points objectifs, ou bien l’Un qui se divise suivant la loi d’une logique binaire de la diff\u00e9renciation dans le sujet. Toujours l’unit\u00e9 op\u00e8re au sein d’une dimension vide suppl\u00e9mentaire \u00e0 celle du syst\u00e8me consid\u00e9r\u00e9 (surcodage). Mais justement, un rhizome ou multiplicit\u00e9 ne se laisse pas surcoder, ne dispose jamais de dimension suppl\u00e9mentaire au nombre de ses lignes, c’est-\u00e0-dire \u00e0 la multiplicit\u00e9 de nombres attach\u00e9s \u00e0 ces lignes, Toutes les multiplicit\u00e9s sont plates en tant qu’elles remplissent, occupent toutes leurs dimensions : on parlera donc d’un plan de consistance <\/em>des multiplicit\u00e9s, bien que ce \u00ab plan \u00bb soit \u00e0 dimensions croissantes suivant le nombre de connexions qui s’\u00e9tablissent sur lui. Les multiplicit\u00e9s se d\u00e9finissent par le dehors : par la ligne abstraite, ligne de fuite ou de d\u00e9territorialisation suivant laquelle elles changent de nature en se connectant avec d’autres. Le plan de consistance (grille) est le dehors de toutes les multiplicit\u00e9s. La ligne de fuite marque \u00e0 la fois la r\u00e9alit\u00e9 d’un nombre de dimensions finies que la multiplicit\u00e9 remplie effectivement ; l’impossibilit\u00e9 de toute dimension suppl\u00e9mentaire, sans que la multiplicit\u00e9 se transforme suivant cette ligne ; la possibilit\u00e9 et la n\u00e9cessit\u00e9 d’aplatir toutes ces multiplicit\u00e9s sur un m\u00eame plan de consistance ou d’ext\u00e9riorit\u00e9, quelles que soient leurs dimensions. L’id\u00e9al d’un livre serait d’\u00e9taler toute chose sur un tel plan d’ext\u00e9riorit\u00e9, sur une seule page, sur une m\u00eame plage : \u00e9v\u00e9nements v\u00e9cus, d\u00e9terminations historiques, concepts pens\u00e9s, individus, groupes et formations sociales. Kleist inventa une \u00e9criture de ce type, un encha\u00eenement bris\u00e9 d’affects avec des vitesses variables, des pr\u00e9cipitations et transformations toujours en relation avec le dehors. Anneaux ouverts. Aussi ses textes s’opposent-ils \u00e0 tous \u00e9gards au livre classique et romantique, constitu\u00e9 par l’int\u00e9riorit\u00e9 d’une substance ou d’un sujet. Le livre-machine de guerre, contre le livre-appareil d’\u00c9tat. Les multiplicit\u00e9s plates \u00e0 n dimensions <\/em>sont asignifiantes et asubjectives. Elles sont d\u00e9sign\u00e9es par des articles ind\u00e9finis, ou plut\u00f4t partitifs (c’est du <\/em>chiendent, du <\/em>rhizome … ).<\/p>\n 4o<\/sup> Principe de rupture asignifiante <\/strong>: contre les coupures trop signifiantes qui s\u00e9parent les structures, ou en traversent une. Un rhizome peut \u00eatre rompu, bris\u00e9 en un endroit quelconque, il reprend suivant telle ou telle de ses lignes et suivant d’autres lignes. On n’en finit pas avec les fourmis, parce qu’elles forment un rhizome animal dont la plus grande partie peut \u00eatre d\u00e9truite sans qu’il cesse de se reconstituer. Tout rhizome comprend des lignes de segmentarit\u00e9 d’apr\u00e8s lesquelles il est stratifi\u00e9, territorialis\u00e9, organis\u00e9, signifi\u00e9, attribu\u00e9, etc. ; mais aussi des lignes de d\u00e9territorialisation par lesquelles il fuit sans cesse.<\/strong> Il y a rupture dans le rhizome chaque fois que des lignes segmentaires explosent dans une ligne de fuite, mais la ligne de fuite fait partie du rhizome. Ces lignes ne cessent de se renvoyer les unes aux autres. C’est pourquoi on ne peut jamais se donner un dualisme ou une dichotomie, m\u00eame sous la forme rudimentaire du bon et du mauvais.<\/strong> On fait une rupture, on trace une ligne de fuite, mais on risque toujours de retrouver sur elle des organisations qui restratifient l’ensemble, des formations qui redonnent le pouvoir \u00e0 un signifiant, des attributions qui reconstituent un sujet -tout ce qu’on veut, depuis les r\u00e9surgences \u0153dipiennes jusqu’aux concr\u00e9tions fascistes. Les groupes et les individus contiennent des microfascismes qui ne demandent qu’\u00e0 cristalliser. Oui, le chiendent est aussi rhizome. Le bon et le mauvais ne peuvent \u00eatre que le produit d’une s\u00e9lection active et temporaire, \u00e0 recommencer.<\/p>\n Comment les mouvements de d\u00e9territorialisation et les proc\u00e8s de reterritorialisation ne seraient-ils pas relatifs,perp\u00e9tuellement en branchement<\/strong>, pris les uns dans les autres ? L’orchid\u00e9e se d\u00e9territorialise en formant une image, un calque de gu\u00eape ; mais la gu\u00eape se reterritorialise sur cette image. La gu\u00eape se d\u00e9territorialise pourtant, devenant elle-m\u00eame une pi\u00e8ce dans l’appareil de reproduction de l’orchid\u00e9e ; mais elle reterritorialise l’orchid\u00e9e, en en transportant le pollen. La gu\u00eape et l’orchid\u00e9e font rhizome, en tant qu’h\u00e9t\u00e9rog\u00e8nes<\/strong>, On pourrait dire que l’orchid\u00e9e imite la gu\u00eape dont elle reproduit l’image de mani\u00e8re signifiante (mimesis, mim\u00e9tisme, leurre, etc.). Mais ce n’est vrai qu’au niveau des strates -parall\u00e9lisme entre deux strates telles qu’une organisation v\u00e9g\u00e9tale sur l’une imite une organisation animale sur l’autre. En m\u00eame temps il s’agit de tout autre chose : plus du tout imitation, mais capture de code, plus-value de code, augmentation de valence, v\u00e9ritable devenir, devenir-gu\u00eape de l’orchid\u00e9e, devenir-orchid\u00e9e de la gu\u00eape, chacun de ces devenirs assurant la d\u00e9territorialisation d’un des termes et la reterritorialisation de l’autre<\/strong>, les deux devenirs s’encha\u00eenant et se relayant suivant une circulation d’intensit\u00e9s qui pousse la d\u00e9territorialisation toujours plus loin. Il n’y a pas imitation ni ressemblance, mais explosion de deux s\u00e9ries h\u00e9t\u00e9rog\u00e8nes dans la ligne de fuite compos\u00e9e d’un rhizome commun qui ne peut plus \u00eatre attribu\u00e9, ni soumis \u00e0 quoi que ce soit de signifiant. R\u00e9my Chauvin dit tr\u00e8s bien : \u00ab \u00c9volution aparall\u00e8le <\/em>de deux \u00eatres qui n’ont absolument rien \u00e0 voir l’un avec l’autre. 3<\/sup><\/a> <\/sup>\u00bb <\/sup>Plus g\u00e9n\u00e9ralement, il se peut que les sch\u00e9mas d’\u00e9volution soient amen\u00e9s \u00e0 abandonner le vieux mod\u00e8le de l’arbre et de la descendance<\/strong>. Dans certaines conditions, un virus peut se connecter \u00e0 des cellules germinales et se transmettre lui-m\u00eame comme g\u00e8ne cellulaire d’une esp\u00e8ce complexe ; bien plus, il pourrait fuir, passer dans les cellules d’une tout autre esp\u00e8ce, non sans emporter des \u00abinformations g\u00e9n\u00e9tiques \u00bb venues du premier h\u00f4te (ainsi les recherches actuelles de Benveniste et Todaro sur un virus de type C, dans sa double connexion avec l’ADN de babouin et l’ADN de certaines esp\u00e8ces de chats domestiques). Les sch\u00e9mas d’\u00e9volution ne se feraient plus seulement d’apr\u00e8s des mod\u00e8les de descendance arborescente, allant du moins diff\u00e9renci\u00e9 au plus diff\u00e9renci\u00e9, mais suivant un rhizome op\u00e9rant imm\u00e9diatement dans l’h\u00e9t\u00e9rog\u00e8ne et sautant d’une ligne d\u00e9j\u00e0 diff\u00e9renci\u00e9e \u00e0 une autre<\/strong>4<\/sup><\/a><\/sup>. L\u00e0 encore, \u00e9volution aparall\u00e8le <\/em>du babouin et du chat, o\u00f9 l’un n’est \u00e9videmment pas le mod\u00e8le de l’autre, ni l’autre la copie de l’un (un devenir-babouin dans le chat ne signifierait pas que le chat \u00abfasse \u00bb le babouin). Nous faisons rhizome avec nos virus, ou plut\u00f4t nos virus nous font faire rhizome avec d’autres b\u00eates. Comme dit Jacob, les transferts de mat\u00e9riel g\u00e9n\u00e9tique par virus ou d’autres proc\u00e9d\u00e9s, les fusions de cellules issues d’esp\u00e8ces diff\u00e9rentes, ont des r\u00e9sultats analogues \u00e0 ceux des \u00ab amours abominables ch\u00e8res \u00e0 l’Antiquit\u00e9 et au Moyen Age5<\/sup><\/a> <\/sup> \u00bb. Des communications transversales entre lignes diff\u00e9renci\u00e9es brouillent les arbres g\u00e9n\u00e9alogiques. Chercher toujours le mol\u00e9culaire, ou m\u00eame la particule submol\u00e9culaire avec laquelle nous faisons alliance. Nous \u00e9voluons et nous mourons de nos grippes polymorphes et rhizomatiques, plus que de nos maladies de descendance ou qui ont elles-m\u00eames leur descendance. Le rhizome est une antig\u00e9n\u00e9alogie<\/strong>.<\/p>\n C’est la m\u00eame chose pour le livre et le monde : le livre n’est pas image du monde, suivant une croyance enracin\u00e9e. Il fait rhizome avec le monde, il y a \u00e9volution aparall\u00e8le du livre et du monde, le livre assure la d\u00e9territorialisation du monde, mais le monde op\u00e8re une reterritorialisation du livre, qui se d\u00e9territorialise \u00e0 son tour en lui-m\u00eame dans le monde (s’il en est capable et s’il le peut). Le mim\u00e9tisme est un tr\u00e8s mauvais concept, d\u00e9pendant d’une logique binaire, pour des ph\u00e9nom\u00e8nes d’une tout autre nature<\/strong>. Le crocodile ne reproduit pas un tronc d’arbre, pas plus que le cam\u00e9l\u00e9on ne reproduit les couleurs de l’entourage. La Panth\u00e8re rose n’imite rien, elle ne reproduit rien, elle peint le monde \u00e0 sa couleur, rose sur rose, c’est son devenir-monde, de mani\u00e8re \u00e0 devenir imperceptible elle-m\u00eame, asignifiante elle-m\u00eame, faire sa rupture, sa ligne de fuite \u00e0 elle, mener jusqu’au bout son \u00ab\u00e9volution aparall\u00e8le\u00bb. Sagesse des plantes : m\u00eame quand elles sont \u00e0 racines il y a toujours un dehors o\u00f9 elles font rhizome avec quelque chose -avec le vent, avec un animal, avec l’homme (et aussi un aspect par lequel les animaux eux-m\u00eames font rhizome, et les hommes, etc.).<\/strong> \u00abL’ivresse comme une irruption triomphale de la plante en nous \u00bb Et toujours suivre le rhizome par rupture, allonger, prolonger, relayer la ligne de fuite, la faire varier, jusqu’\u00e0 produire la ligne la plus abstraite et la plus tortueuse \u00e0 n <\/em>dimensions, aux directions rompues. Conjuguer les flux d\u00e9territorialis\u00e9s. Suivre les plantes : on commencera par fixer les limites d’une premi\u00e8re ligne d’apr\u00e8s des cercles de convergence autour de singularit\u00e9s successives ; puis on voit si, \u00e0 l’int\u00e9rieur de cette ligne, de nouveaux cercles de convergence s’\u00e9tablissent avec de nouveaux points situ\u00e9s hors des limites et dans d’autres directions. Ecrire, faire rhizome, accro\u00eetre son territoire par d\u00e9territorialisation, \u00e9tendre la ligne de fuite jusqu’au point o\u00f9 elle couvre tout le plan de consistance en une machine abstraite. \u00ab D’abord va \u00e0 ta premi\u00e8re plante et l\u00e0 observe attentivement comment s’\u00e9coule l’eau de ruissellement \u00e0 partir de ce point. La pluie a d\u00fb transporter les graines au loin. Suis les rigoles que l’eau a creus\u00e9es, ainsi tu conna\u00eetras la direction de l’\u00e9coulement. Cherche alors la plante qui, dans cette direction, se trouve la plus \u00e9loign\u00e9e de la tienne. Toutes celles qui poussent entre ces deux-l\u00e0 sont \u00e0 toi. Plus tard, lorsque ces derni\u00e8res s\u00e8meront \u00e0 leur tour leurs graines, tu pourras en suivant le cours des eaux \u00e0 partir de chacune de ces plantes accro\u00eetre ton territoire 6<\/sup><\/a><\/sup>.\u00bb La musique n’a pas cess\u00e9 de faire passer ses lignes de fuite, comme autant de \u00ab multiplicit\u00e9s \u00e0 transformation \u00bb, m\u00eame en renversant ses propres codes qui la structurent ou l’arbrifient ; ce pourquoi la forme musicale, jusque dans ses ruptures et prolif\u00e9rations, est comparable \u00e0 de la mauvaise herbe, un rhizome<\/strong> 7<\/sup><\/a><\/sup>.<\/p>\n 5o<\/sup> et 6o<\/sup> Principe de cartographie et de d\u00e9calcomanie : un rhizome n’est justiciable d’aucun mod\u00e8le structural ou g\u00e9n\u00e9ratif. Il est \u00e9tranger \u00e0 toute id\u00e9e d’axe g\u00e9n\u00e9tique, comme de structure profonde.<\/strong>Un axe g\u00e9n\u00e9tique est comme une unit\u00e9 pivotale objective sur laquelle s’organisent des stades successifs ; une structure profonde est plut\u00f4t comme une suite de base d\u00e9composable en constituants imm\u00e9diats, tandis que l’unit\u00e9 du produit passe dans une autre dimension, transformationnelle et subjective. On ne sort pas ainsi du mod\u00e8le repr\u00e9sentatif de l’arbre, ou de la racine -pivotale ou fascicul\u00e9e (par exemple l’\u00abarbre\u00bb chomskien, associ\u00e9 \u00e0 la suite de base, et repr\u00e9sentant le processus de son engendrement d’apr\u00e8s une logique binaire). Variation sur la plus vieille pens\u00e9e. De l’axe g\u00e9n\u00e9tique ou de la structure profonde, nous disons qu’ils sont avant tout des principes de calque, <\/em>reproductibles \u00e0 l’infini. Toute la logique de l’arbre est une logique du calque et de la reproduction.<\/strong> Aussi bien dans la linguistique que dans la psychanalyse, elle a pour objet un inconscient lui-m\u00eame repr\u00e9sentant, cristallis\u00e9 en complexes codifi\u00e9s, r\u00e9parti sur un axe g\u00e9n\u00e9tique ou distribu\u00e9 dans une structure syntagmatique. Elle a pour but la description d’un \u00e9tat de fait, le r\u00e9\u00e9quilibrage de relations intersubjectives, ou l’exploration d’un inconscient d\u00e9j\u00e0 l\u00e0, tapi dans les recoins obscurs de la m\u00e9moire et du langage. Elle consiste \u00e0 d\u00e9calquer quelque chose qu’on se donne tout fait, \u00e0 partir d’une structure qui surcode ou d’un axe qui supporte. L’arbre articule et hi\u00e9rarchise des calques, les calques sont comme les feuilles de l’arbre,<\/strong><\/p>\n Tout autre est le rhizome, carte et non pas calque. <\/em>Faire la carte, et pas le calque. L’orchid\u00e9e ne reproduit pas le calque de la gu\u00eape, elle fait carte avec la gu\u00eape au sein d’un rhizome. Si la carte s’oppose au calque, c’est qu’elle est tout enti\u00e8re tourn\u00e9e vers une exp\u00e9rimentation en prise sur le r\u00e9el. La carte ne reproduit pas un inconscient ferm\u00e9 sur lui-m\u00eame, elle le construit. <\/strong>Elle concourt \u00e0 la connexion des champs, au d\u00e9blocage des corps sans organes, \u00e0 leur ouverture maximum sur un plan de consistance. Elle fait elle-m\u00eame partie du rhizome. La carte est ouverte, elle est connectable dans toutes ses dimensions, d\u00e9montable, renversable, susceptible de recevoir constamment des modifications<\/strong>. Elle peut \u00eatre d\u00e9chir\u00e9e, renvers\u00e9e, s’adapter \u00e0 des montages de toute nature, \u00eatre mise en chantier par un individu, un groupe, une formation sociale. On peut la dessiner sur un mur, la concevoir comme une oeuvre d’art, la construire comme une action politique ou comme une m\u00e9ditation. C’est peut-\u00eatre un des caract\u00e8res les plus importants du rhizome, d’\u00eatre toujours \u00e0 entr\u00e9es multiples <\/strong>; le terrier en ce sens est un rhizome animal, et comporte parfois une nette distinction entre la ligne de fuite comme couloir de d\u00e9placement, et les strates de r\u00e9serve ou d’habitation (cf. le rat musqu\u00e9). Une carte a des entr\u00e9es multiples, contrairement au calque qui revient toujours \u00abau m\u00eame\u00bb. Une carte est affaire de performance, tandis que le calque renvoie toujours \u00e0 une \u00abcomp\u00e9tence\u00bb pr\u00e9tendue. A l’oppos\u00e9 de la psychanalyse, de la comp\u00e9tence psychanalytique, qui rabat chaque d\u00e9sir et \u00e9nonc\u00e9 sur un axe g\u00e9n\u00e9tique ou une structure surcodante, et qui tire \u00e0 l’infini les calques monotones des stades sur cet axe ou des constituants dans cette structure, la schizo\u00adanalyse refuse toute id\u00e9e de fatalit\u00e9 d\u00e9calqu\u00e9e, quel que soit le nom qu’on lui donne, divine, anagogique, historique, \u00e9conomique, structurale, h\u00e9r\u00e9ditaire ou syntagmatique. (On voit bien comment M\u00e9lanie Klein ne comprend pas le probl\u00e8me de cartographie d’un de ses enfants patients, le petit Richard, et se contente de tirer des calques tout faits -Oedipe, le bon et le mauvais papa, la mauvaise et la bonne maman -tandis que l’enfant tente avec d\u00e9sespoir de poursuivre une performance que la psychanalyse m\u00e9conna\u00eet absolument 8<\/sup><\/a><\/sup>.) Les pulsions et objets partiels ne sont ni des stades sur l’axe g\u00e9n\u00e9tique, ni des positions dans une structure profonde, ce sont des options politiques pour des probl\u00e8mes, des entr\u00e9es et des sorties, des impasses que l’enfant vit politiquement, c’est-\u00e0-dire dans toute la force de son d\u00e9sir.<\/p>\n Est-ce que toutefois nous ne restaurons pas un simple dualisme en opposant les cartes aux calques, comme un bon et un mauvais c\u00f4t\u00e9 ?<\/strong> N’est-ce pas le propre d’une carte de pouvoir \u00eatre d\u00e9calqu\u00e9e ? N’est-ce pas le propre d’un rhizome de croiser des racines, de se confondre parfois avec elles ?Une carte ne comporte-t-elle pas des ph\u00e9nom\u00e8nes de redondance qui sont d\u00e9j\u00e0 comme ses propres calques ?<\/strong> Une multiplicit\u00e9 n’a-t-elle pas ses strates o\u00f9 s’enracinent des unifications et totalisations, des massifications, des m\u00e9canismes mim\u00e9tiques, des prises de pouvoir signifiantes, des attributions subjectives ? M\u00eame les lignes de fuite ne vont-elles pas reproduire, \u00e0 la faveur de leur divergence \u00e9ventuelle, les formations qu’elles avaient pour fonction de d\u00e9faire ou de tourner ? Mais l’inverse est vrai aussi, c’est une question de m\u00e9thode : il faut toujours reporter le calque sur la carte. <\/em>Et cette op\u00e9ration n’est pas du tout sym\u00e9trique de la pr\u00e9c\u00e9dente. Car en toute rigueur il n’est pas exact qu’un calque reproduise la carte. Il est plut\u00f4t comme une photo, une radio qui commencerait par \u00e9lire ou isoler ce qu’il a l’intention de reproduire, \u00e0 l’aide de moyens artificiels, \u00e0 l’aide de colorants ou d’autres proc\u00e9d\u00e9s de contrainte. C’est toujours l’imitant qui cr\u00e9e son mod\u00e8le, et l’attire. Le calque a d\u00e9j\u00e0 traduit la carte en image, il a d\u00e9j\u00e0 transform\u00e9 le rhizome en racines et radicelles. Il a organis\u00e9, stabilis\u00e9, neutralis\u00e9 les multiplicit\u00e9s suivant des axes de signifiance et de subjectivation qui sont les siens. Il a g\u00e9n\u00e9r\u00e9, structuralis\u00e9 le rhizome, et le calque ne reproduit d\u00e9j\u00e0 que lui-m\u00eame quand il croit reproduire autre chose. C’est pourquoi il est si dangereux. Il injecte des redondances, et les propage. Ce que le calque reproduit de la carte ou du rhizome, c’en sont seulement les impasses, les blocages, les germes de pivot ou les points de structuration.<\/strong> Voyez la psychanalyse et la linguistique : l’une n’a jamais tir\u00e9 que des calques ou des photos de l’inconscient, l’autre, des calques ou des photos du langage, avec toutes les trahisons que \u00e7a suppose (pas \u00e9tonnant que la psychanalyse ait accroch\u00e9 son sort \u00e0 celui de la linguistique). Voyez ce qui se passait d\u00e9j\u00e0 pour le petit Hans, en pure psychanalyse d’enfant : on n’a pas cess\u00e9 de lui CASSER SON RHIZOME, de lui TACHER SA CARTE, de la lui remettre \u00e0 l’endroit, de lui bloquer toute issue, jusqu’\u00e0 ce qu’il d\u00e9sire sa propre honte et sa culpabilit\u00e9, jusqu’\u00e0 ce qu’on enracine en lui la honte et la culpabilit\u00e9, PHOBIE (on lui barre le rhizome de l’immeuble, puis celui de la rue, on 1’enracine dans le lit des parents, on le radicelle sur son propre corps, on le bloque sur le professeur Freud). Freud tient compte explicitement de la cartographie du petit Hans, mais toujours et seulement pour la rabattre sur une photo de famille. Et voyez ce que fait M\u00e9lanie Klein avec les cartes g\u00e9opolitiques du petit Richard : elle en tire des photos, elle en fait des calques, prenez la pose ou suivez l’axe, stade g\u00e9n\u00e9tique ou destin structural, on cassera votre rhizome. On vous laissera vivre et parler, \u00e0 condition de vous boucher toute issue. Quand un rhizome est bouch\u00e9, arbrifi\u00e9, c’est fini, plus rien ne passe du d\u00e9sir ; car c’est toujours par rhizome que le d\u00e9sir se meut et produit. <\/strong>Chaque fois que le d\u00e9sir suit un arbre, ont lieu des retomb\u00e9es internes qui le font choir et le conduisent \u00e0 la mort ; mais le rhizome op\u00e8re sur le d\u00e9sir par pouss\u00e9es ext\u00e9rieures et productrices.<\/p>\n C’est pourquoi il est si important de tenter l’autre op\u00e9ration, inverse mais non sym\u00e9trique. Rebrancher les calques sur la carte, rapporter les racines ou les arbres \u00e0 un rhizome. \u00c9tudier l’inconscient, dans le cas du petit Hans, ce serait montrer comment il tente de constituer un rhizome, avec la maison familiale, mais aussi avec la ligne de fuite de l’immeuble, de la rue, etc. ; comment ces lignes se trouvent barr\u00e9es, l’enfant se faisant enraciner dans la famille, photographier sous le p\u00e8re, d\u00e9calquer sur le lit maternel ; puis comment l’intervention du professeur Freud assure une prise de pouvoir du signifiant comme une subjectivation des affects ; comment l’enfant ne peut plus fuir que sous forme d’un devenir-animal appr\u00e9hend\u00e9 comme honteux et coupable (le devenir-cheval du petit Hans, v\u00e9ritable option politique). Mais toujours il faudrait re-situer les impasses sur la carte, et par l\u00e0 les ouvrir sur des lignes de fuite possibles. Il en serait de m\u00eame pour une carte de groupe : montrer \u00e0 quel point du rhizome se forment des ph\u00e9nom\u00e8nes de massification, de bureaucratie, de leadership, de fascisation, etc., quelles lignes subsistent pourtant, m\u00eame souterraines, continuant \u00e0 faire obscur\u00e9ment rhizome. La m\u00e9thode Deligny : faire la carte des gestes et des mouvements d’un enfant autiste, combiner plusieurs cartes pour le m\u00eame enfant, pour plusieurs enfants 9<\/sup><\/a>… S’il est vrai que la carte ou le rhizome ont essentiellement des entr\u00e9es multiples, on consid\u00e9rera m\u00eame qu’on peut y entrer par le chemin des calques ou la voie des arbres-racines, compte tenu des pr\u00e9cautions n\u00e9cessaires (l\u00e0 encore on renoncera \u00e0 un dualisme manich\u00e9en). Par exemple, on sera souvent forc\u00e9 de tourner dans des impasses, de passer par des pouvoirs signifiants et des affections subjectives, de prendre appui sur des formations oedipiennes, parano\u00efaques ou pires encore, comme sur des territorialit\u00e9s durcies qui rendent possibles d’autres op\u00e9rations transformationnelles. Il se peut m\u00eame que la psychanalyse serve, oh malgr\u00e9 elle, de point d’appui. Dans d’autres cas au contraire, on s’appuiera directement sur une ligne de fuite permettant de faire \u00e9clater les strates, de rompre les racines et d’op\u00e9rer les connexions nouvelles. Il y a donc des agencement tr\u00e8s diff\u00e9rents cartes-calques, rhizomes-racines, avec des coefficients de d\u00e9territorialisation variables. Il existe des structures d’arbre ou de racines dans les rhizomes, mais inversement une branche d’arbre ou une division de racine peuvent se mettre \u00e0 bourgeonner en rhizome. Le rep\u00e9rage ne d\u00e9pend pas ici d’analyses th\u00e9oriques impliquant des universaux, mais d’une pragmatique qui compose les multiplicit\u00e9s ou les ensembles d’intensit\u00e9s. Au coeur d’un arbre, au creux d’une racine ou \u00e0 l’aisselle d’une branche, un nouveau rhizome peut se former. Ou bien c’est un \u00e9l\u00e9ment microscopique de l’arbre-racine, une radicelle, qui amorce la production du rhizome. La comptabilit\u00e9, la bureaucratie proc\u00e8dent par calques ; elles peuvent pourtant se mettre \u00e0 bourgeonner, \u00e0 lancer des tiges de rhizome, comme dans un roman de Kafka. Un trait intensif se met \u00e0 travailler pour son compte, une perception hallucinatoire, une synesth\u00e9sie, une mutation perverse, un jeu d’images se d\u00e9tachent, et l’h\u00e9g\u00e9monie du signifiant se trouve remise en question. Des s\u00e9miotiques gestuelles, mimiques, ludiques, etc., reprennent leur libert\u00e9 chez l’enfant, et se d\u00e9gagent du \u00abcalque\u00bb , c’est-\u00e0-dire de la comp\u00e9tence dominante de la langue de l’instituteur -un \u00e9v\u00e9nement microscopique bouleverse l’\u00e9quilibre du pouvoir local. Ainsi les arbres g\u00e9n\u00e9ratifs, construits sur le mod\u00e8le syntagmatique de Chomsky, pourraient s’ouvrir en tout sens, faire rhizome \u00e0 leur tour10<\/sup><\/a>. \u00catre rhizomorphe, c’est produire des tiges et filaments qui ont l’air de racines, ou mieux encore se connectent avec elles en p\u00e9n\u00e9trant dans le tronc, quitte \u00e0 les faire servir \u00e0 de nouveaux usages \u00e9tranges. Nous sommes fatigu\u00e9s de l’arbre. Nous ne devons plus croire aux arbres, aux racines ni aux radicelles, nous en avons trop souffert.<\/strong> Toute la culture arborescente est fond\u00e9e sur eux , de la biologie \u00e0 la linguistique. Au contraire, rien n’est beau, rien n’est amoureux, rien n’est politique, sauf les tiges souterraines et les racines a\u00e9riennes, l’adventice et le rhizome. Amsterdam, ville pas du tout enracin\u00e9e, ville-rhizome avec ses canaux-tiges, o\u00f9 l’utilit\u00e9 se connecte \u00e0 la plus grande folie, dans son rapport avec une machine de guerre commerciale.<\/p>\n La pens\u00e9e n’est pas arborescente, et le cerveau n’est pas une mati\u00e8re enracin\u00e9e ni ramifi\u00e9e. Ce qu’on appelle \u00e0 tort \u00abdendrites\u00bb n’assurent pas une connexion des neurones dans un tissu continu. La discontinuit\u00e9 des cellules, le r\u00f4le des axones, le fonctionnement des synapses, l’existence de micro-fentes synoptiques, le saut de chaque message par-dessus ces fentes, font du cerveau une multiplicit\u00e9 qui baigne, dans son plan de consistance ou dans sa glie, tout un syst\u00e8me probabiliste incertain, uncertain nervous system. <\/em>Beaucoup de gens ont un arbre plant\u00e9 dans la t\u00eate, mais le cerveau lui-m\u00eame est une herbe beaucoup plus qu’un arbre.<\/strong> \u00abL’axone et la dendrite s’enroulent l’un autour de l’autre comme le liseron autour de la ronce, avec une synapse \u00e0 chaque \u00e9pine 11<\/sup><\/a>.\u00bb C’est comme pour la m\u00e9moire… Les neurologues, les psychophysiologues, distinguent une m\u00e9moire longue et une m\u00e9moire courte (de l’ordre d’une minute). Or la diff\u00e9rence n’est pas seulement quantitative : la m\u00e9moire courte est du type rhizome, diagramme, tandis que la longue est arborescente et centralis\u00e9e (empreinte, engramme, calque ou photo). La m\u00e9moire courte n’est nullement soumise \u00e0 une loi de contigu\u00eft\u00e9 ou d’imm\u00e9diatet\u00e9 \u00e0 son objet, elle peut \u00eatre \u00e0 distance, venir ou revenir longtemps apr\u00e8s, mais toujours dans des conditions de discontinuit\u00e9, de rupture et de multiplicit\u00e9. Bien plus, les deux m\u00e9moires ne se distinguent pas comme deux modes temporels d’appr\u00e9hension de la m\u00eame chose ; ce n’est pas la m\u00eame chose, ce n’est pas le m\u00eame souvenir, ce n’est pas non plus la m\u00eame id\u00e9e qu’elles saisissent toutes deux. Splendeur d’une Id\u00e9e courte : on \u00e9crit avec la m\u00e9moire courte, donc avec des id\u00e9es courtes, m\u00eame si l’on lit et relit avec la longue m\u00e9moire des longs concepts. La m\u00e9moire courte comprend l’oubli comme processus ; elle ne se confond pas avec l’instant, mais avec le rhizome collectif, temporel et nerveux. La m\u00e9moire longue (famille, race, soci\u00e9t\u00e9 ou civilisation) d\u00e9calque et traduit, mais ce qu’elle traduit continue d’agir en elle, \u00e0 distance, \u00e0 contretemps, \u00abintempestivement\u00bb , non pas instantan\u00e9ment.<\/p>\n L’arbre ou la racine inspirent une triste image de la pens\u00e9e qui ne cesse d’imiter le multiple \u00e0 partir d’une unit\u00e9 sup\u00e9rieure, de centre ou de segment.<\/strong> En effet, si l’on consid\u00e8re l’ensemble branches-racines, le tronc joue le r\u00f4le de segment oppos\u00e9 <\/em>pour l’un des sous-ensembles parcourus de bas en haut : un tel segment sera un \u00ab dip\u00f4le de liaison \u00bb, par diff\u00e9rence avec les \u00ab dip\u00f4les-unit\u00e9s \u00bb que forment les rayons \u00e9manant d’un seul centre 12<\/sup><\/a>. Mais les liaisons peuvent elles-m\u00eames prolif\u00e9rer comme dans le syst\u00e8me radicelle, on ne sort jamais de l’Un-Deux, et des multiplicit\u00e9s seulement feintes. Les r\u00e9g\u00e9n\u00e9rations, les reproductions, les retours, les hydres et les m\u00e9duses ne nous en font pas plus sortir. Les syst\u00e8mes arborescents sont des syst\u00e8mes hi\u00e9rarchiques qui comportent des centres de signifiance et de subjectivation, des automates centraux comme des m\u00e9moires organis\u00e9es. <\/strong>C’est que les mod\u00e8les correspondants sont tels qu’un \u00e9l\u00e9ment n’y re\u00e7oit ses informations que d’une unit\u00e9 sup\u00e9rieure, et une affectation subjective, de liaisons pr\u00e9\u00e9tablies. On le voit bien dans les probl\u00e8mes actuels d’informatique et de machines \u00e9lectroniques, qui conservent encore la plus vieille pens\u00e9e dans la mesure o\u00f9 ils conf\u00e8rent le pouvoir \u00e0 une m\u00e9moire ou \u00e0 un organe central. Dans un bel article qui d\u00e9nonce \u00ab l’imagerie des arborescences de commandement \u00bb (syst\u00e8mes centr\u00e9s ou structures hi\u00e9rarchiques), Pierre Rosenstiehl et Jean Petitot remarquent :\u00ab Admettre le primat des structures hi\u00e9rarchiques revient \u00e0 privil\u00e9gier les structures arborescentes. (…) La forme arborescente admet une explication topologique.(…) Dans un syst\u00e8me hi\u00e9rarchique, un individu n’admet qu’un seul voisin actif, son sup\u00e9rieur hi\u00e9rarchique.(…) Les canaux de transmission sont pr\u00e9\u00e9tablis : l’arborescence pr\u00e9existe \u00e0 l’individu qui s’y int\u00e8gre \u00e0 une place pr\u00e9cise \u00bb (signifiance et subjectivation). Les auteurs signalent \u00e0 ce propos que, m\u00eame lorsque l’on croit atteindre \u00e0 une multiplicit\u00e9, il se peut que cette multiplicit\u00e9 soit fausse -ce que nous appelons type radicelle -parce que sa pr\u00e9sentation ou son \u00e9nonc\u00e9 d’apparence non hi\u00e9rarchique n’admettent en fait qu’une solution totalement hi\u00e9rarchique : ainsi le fameux th\u00e9or\u00e8me de l’amiti\u00e9,<\/em> \u00ab si dans une soci\u00e9t\u00e9 deux individus quelconques ont exactement un ami commun, alors il existe un individu ami de tous les autres \u00bb (comme disent Rosenstiehl et Petitot, qui est l’ami commun ? \u00ab l’ami universel de cette soci\u00e9t\u00e9 de couples, ma\u00eetre, confesseur, m\u00e9decin ? autant d’id\u00e9es qui sont \u00e9trangement \u00e9loign\u00e9es des axiomes de d\u00e9part \u00bb, l’ami du genre humain ? ou bien lephilo<\/em>sophe tel qu’il appara\u00eet dans la pens\u00e9e classique, m\u00eame si c’est l’unit\u00e9 avort\u00e9e qui ne vaut que par sa propre absence ou sa subjectivit\u00e9, disant je ne sais rien, je ne suis rien ?). Les auteurs parlent \u00e0 cet \u00e9gard de th\u00e9or\u00e8mes de dictature, Tel est bien le principe des arbres-racines, ou l’issue, la solution des radicelles, la structure du Pourvoir 13<\/sup><\/a>.<\/span><\/p>\n A ces syst\u00e8mes centr\u00e9s, les auteurs opposent des syst\u00e8mes acentr\u00e9s, r\u00e9seaux d’automates finis, o\u00f9 la communication se fait d’un voisin \u00e0 un voisin quelconque, o\u00f9 les tiges ou canaux ne pr\u00e9existent pas, o\u00f9 les individus sont tous interchangeables, se d\u00e9finissent seulement par un \u00e9tat <\/em>\u00e0 tel moment, de telle fa\u00e7on que les op\u00e9rations locales se coordonnent et que le r\u00e9sultat final global se synchronise ind\u00e9pendamment d’une instance centrale. Une transduction d’\u00e9tats intensifs remplace la topologie, et \u00ab le graphe r\u00e9glant la circulation d’information est en quelque sorte l’oppos\u00e9 du graphe hi\u00e9rarchique… Le graphe n’a aucune raison d’\u00eatre un arbre \u00bb (nous appelions carte un tel graphe). Probl\u00e8me de la machine de guerre, ou du Firing Squad : un g\u00e9n\u00e9ral est-il n\u00e9cessaire pour que n <\/em>individus arrivent en m\u00eame temps \u00e0 l’\u00e9tat feu <\/em>? La solution sans G\u00e9n\u00e9ral est trouv\u00e9e pour une multiplicit\u00e9 acentr\u00e9e comportant un nombre fini d’\u00e9tats et des signaux de vitesse correspondante, du point de vue d’un rhizome de guerre ou d’une logique de la gu\u00e9rilla, sans calque, sans copie d’un ordre central. On d\u00e9montre m\u00eame qu’une telle multiplicit\u00e9, agencement ou soci\u00e9t\u00e9 machiniques, rejette comme \u00ab intrus asocial \u00bb tout automate centralisateur, unificateur 14<\/sup><\/a> . N, d\u00e8s lors, est bien toujours n -1. Rosenstiehl et Petitot insistent sur ceci, que l’opposition centre-acentr\u00e9 vaut moins par les choses qu’elle d\u00e9signe que par les modes de calcul qu’elle applique aux choses. Des arbres peuvent correspondre au rhizome, ou inversement bourgeonner en rhizome. Et c’est vrai g\u00e9n\u00e9ralement qu’une m\u00eame chose admet les deux modes de calcul ou les deux types de r\u00e9gulation, mais non pas sans changer singuli\u00e8rement d’\u00e9tat dans un cas et dans l’autre. Soit par exemple encore la psychanalyse : non seulement dans sa th\u00e9orie, mais dans sa pratique de calcul et de traitement, elle soumet l’inconscient \u00e0 des structures arborescentes, \u00e0 des graphes hi\u00e9rarchiques, \u00e0 des m\u00e9moires r\u00e9capitulatrices, \u00e0 des organes centraux, phallus, arbre-phallus. La psychanalyse ne peut pas changer de m\u00e9thode \u00e0 cet \u00e9gard : sur une conception dictatoriale de l’inconscient, elle fonde son propre pouvoir dictatorial. La marge de man\u0153uvre de la psychanalyse est ainsi tr\u00e8s born\u00e9e. Il y a toujours un g\u00e9n\u00e9ral, un chef, dans la psychanalyse comme dans son objet <\/strong>(g\u00e9n\u00e9ral Freud). Au contraire, en traitant l’inconscient comme un syst\u00e8me acentr\u00e9, c’est-\u00e0-dire comme un r\u00e9seau machinique d’automates finis (rhizome), la schizo\u00adanalyse atteint \u00e0 un tout autre \u00e9tat de l’inconscient. Les m\u00eames remarques valent en linguistique ; Rosenstiehl et Petitot consid\u00e8rent \u00e0 juste titre la possibilit\u00e9 d’une \u00ab organisation acentr\u00e9e d’une soci\u00e9t\u00e9 de mots \u00bb. Pour les \u00e9nonc\u00e9s comme pour les d\u00e9sirs, la question n’est jamais de r\u00e9duire l’inconscient, de l’interpr\u00e9ter ni de le faire signifier suivant un arbre. La question, c’est de produire de l’inconscient, <\/em>et, avec lui, de nouveaux \u00e9nonc\u00e9s, d’autres d\u00e9sirs : le rhizome est cette production d’inconscient m\u00eame.<\/strong><\/p>\n C’est curieux, comme l’arbre a domin\u00e9 la r\u00e9alit\u00e9 occidentale et toute la pens\u00e9e occidentale, de la botanique \u00e0 la biologie, l’anatomie, mais aussi la gnos\u00e9ologie, la th\u00e9ologie, l’ontologie, toute la philosophie… : le fondement-racine, Grund, roots et fundations. <\/em>L’Occident a un rapport privil\u00e9gi\u00e9 avec la for\u00eat, et avec le d\u00e9boisement ; les champs conquis sur la for\u00eat sont peupl\u00e9s de plantes \u00e0 graines, objet d’une culture de lign\u00e9es, portant sur l’esp\u00e8ce et de type arborescent ; l’\u00e9levage \u00e0 son tour, d\u00e9ploy\u00e9 sur jach\u00e8re, s\u00e9lectionne des lign\u00e9es qui forment toute une arborescence animale. L’Orient pr\u00e9sente une autre figure : le rapport avec la steppe et le jardin (dans d’autres cas, le d\u00e9sert et l’oasis), plut\u00f4t qu’avec la for\u00eat et le champ ; une culture de tubercules qui proc\u00e8de par fragmentation de l’individu ; une mise \u00e0 l’\u00e9cart, une mise entre parenth\u00e8ses de l’\u00e9levage confin\u00e9 dans des espaces clos, ou repouss\u00e9 dans la steppe des nomades. <\/strong>Occident, agriculture d’une lign\u00e9e choisie avec beaucoup d’individus variables ; Orient, horticulture d’un petit nombre d’individus renvoyant \u00e0 une grande gamme de \u00ab clones \u00bb. N’y a-t-il pas en Orient, notamment en Oc\u00e9anie, comme un mod\u00e8le rhizomatique qui s’oppose \u00e0 tous \u00e9gards au mod\u00e8le occidental de l’arbre ? Haudricourt y voit m\u00eame une raison de l’opposition entre les morales ou les philosophies de la transcendance, ch\u00e8res \u00e0 l’Occident, celles de l’immanence en Orient : le Dieu qui s\u00e8me et qui fauche, par opposition au Dieu qui pique et d\u00e9terre (la piq\u00fbre contre la semaille 15<\/sup><\/a>). Transcendance, maladie proprement europ\u00e9enne.<\/strong> Et ce n’est pas la m\u00eame musique, la terre n’y a pas la m\u00eame musique. Et ce n’est pas du tout la m\u00eame sexualit\u00e9 : les plantes \u00e0 graines, m\u00eame r\u00e9unissant les deux sexes, soumettent la sexualit\u00e9 au mod\u00e8le de la reproduction ; le rhizome au contraire est une lib\u00e9ration de la sexualit\u00e9 non seulement par rapport \u00e0 la reproduction, mais par rapport \u00e0 la g\u00e9nitalit\u00e9. Chez nous, l’arbre s’est plant\u00e9 dans les corps, il a durci et stratifi\u00e9 m\u00eame les sexes.<\/strong> Nous avons perdu le rhizome ou l’herbe. Henry Miller : \u00ab La Chine est la mauvaise herbe dans le carr\u00e9 de choux de l’humanit\u00e9. (… ) La mauvaise herbe est la N\u00e9m\u00e9sis des efforts humains. De toutes les existences imaginaires que nous pr\u00eatons aux plantes, aux b\u00eates et aux \u00e9toiles, c’est peut-\u00eatre la mauvaise herbe qui m\u00e8ne la vie la plus sage.<\/strong> Il est vrai que l’herbe ne produit ni fleurs, ni porte-avions, ni Sermons sur la montagne. Mais en fin de compte c’est toujours l’herbe qui a le dernier mot<\/strong>. En fin de compte tout retourne \u00e0 l’\u00e9tat de Chine. C’est ce que les historiens appellent commun\u00e9ment les t\u00e9n\u00e8bres du Moyen Age. Pas d’autre issue que l’herbe. (… ) L’herbe n’existe qu’entre les grands espaces non cultiv\u00e9s. Elle comble les vides. Elle pousse entre, <\/em>et parmi les autres choses<\/strong>. La fleur est belle, le chou est utile, le pavot rend fou. Mais l’herbe est d\u00e9bordement, c’est une le\u00e7on de morale 16<\/sup><\/a>.\u00bb -De quelle Chine parle Miller, de l’ancienne, de l’actuelle, d’une imaginaire, ou bien d’une autre encore qui ferait partie d’une carte mouvante ?<\/p>\n Il faudrait faire une place \u00e0 part \u00e0 l’Am\u00e9rique. Bien s\u00fbr, elle n’est pas exempte de la domination des arbres et d’une recherche des racines. On le voit jusque dans la litt\u00e9rature, dans la qu\u00eate d’une identit\u00e9 nationale, et m\u00eame d’une ascendance ou g\u00e9n\u00e9alogie europ\u00e9ennes (K\u00e9rouac repart \u00e0 la recherche de ses anc\u00eatres). Reste que tout ce qui s’est pass\u00e9 d’important, tout ce qui se passe d’important proc\u00e8de par rhizome am\u00e9ricain : beatnik, underground, souterrains, bandes et gangs, pouss\u00e9es lat\u00e9rales successives en connexion imm\u00e9diate avec un dehors. Diff\u00e9rence du livre am\u00e9ricain avec le livre europ\u00e9en, m\u00eame quand l’am\u00e9ricain se met \u00e0 la poursuite des arbres. Diff\u00e9rence dans la conception du livre. \u00ab Feuilles d’herbe \u00bb. <\/em>Et ce ne sont pas en Am\u00e9rique les m\u00eames directions : c’est \u00e0 l’Est que se font la recherche arborescente et le retour au vieux monde. Mais l’Ouest rhizomatique, avec ses Indiens sans ascendance, sa limite toujours fuyante, ses fronti\u00e8res mouvantes et d\u00e9plac\u00e9es. Toute une \u00ab carte \u00bb am\u00e9ricaine \u00e0 l’Ouest, o\u00f9 m\u00eame les arbres font rhizome. L’Am\u00e9rique a invers\u00e9 les directions : elle a mis son orient \u00e0 l’ouest, comme si la terre \u00e9tait devenue ronde pr\u00e9cis\u00e9ment en Am\u00e9rique ; son Ouest est la frange m\u00eame de l’Est 17<\/sup><\/a>. (Ce n’est pas l’Inde, comme croyait Haudricourt, qui fait l’interm\u00e9diaire entre l’Occident et l’Orient, c’est l’Am\u00e9rique qui fait pivot et m\u00e9canisme d’inversion). La chanteuse am\u00e9ricaine Patti Smith chante la bible du dentiste am\u00e9ricain : ne cherchez pas de racine, suivez le canal…<\/p>\n N’y aurait-il pas aussi deux bureaucraties, et m\u00eame trois (et plus encore) ? La bureaucratie occidentale : son origine agraire, cadastrale, les racines et les champs, les arbres et leur r\u00f4le de fronti\u00e8res, le grand recensement de Guillaume le Conqu\u00e9rant, la f\u00e9odalit\u00e9, la politique des rois de France, asseoir l’\u00c9tat sur la propri\u00e9t\u00e9, n\u00e9gocier les terres par la guerre, les proc\u00e8s et les mariages. Les rois de France choisissent le lys, parce que c’est une plante \u00e0 racines profondes accrochant les talus. Est-ce la m\u00eame chose en Orient ? Bien s\u00fbr, c’est trop facile de pr\u00e9senter un Orient de rhizome et d’immanence ; mais l’\u00c9tat n’y agit pas d’apr\u00e8s un sch\u00e9ma d’arborescence correspondant \u00e0 des classes pr\u00e9\u00e9tablies, arbrifi\u00e9es et enracin\u00e9es ; c’est une bureaucratie de canaux, par exemple le fameux pouvoir hydraulique \u00e0 \u00ab propri\u00e9t\u00e9 faible \u00bb, o\u00f9 l’\u00c9tat engendre des classes canalisantes et canalis\u00e9es<\/strong> (cf. ce qui n’a jamais \u00e9t\u00e9 r\u00e9fut\u00e9 dans les th\u00e8ses de Wittfogel). Le despote y agit comme fleuve, et non pas comme une source qui serait encore un point, point-arbre ou racine ; il \u00e9pouse les eaux plus qu’il ne s’assied sous l’arbre ; et l’arbre de Bouddha devient lui-m\u00eame rhizome ; le fleuve de Mao et l’arbre de Louis. L\u00e0 encore l’Am\u00e9rique n’a-t-elle pas proc\u00e9d\u00e9 comme interm\u00e9diaire? Car elle agit \u00e0 la fois par exterminations, liquidations internes (non seulement les Indiens, mais les fermiers, etc.) et par pouss\u00e9es successives externes d’immigrations. Le flux du capital y produit un immense canal, une quantification de pouvoir, avec des \u00ab quanta \u00bb imm\u00e9diats o\u00f9 chacun jouit \u00e0 sa fa\u00e7on dans le passage du flux-argent (d’o\u00f9 le mythe-r\u00e9alit\u00e9 du pauvre qui devient milliardaire pour redevenir pauvre) : tout se r\u00e9unit ainsi dans l’Am\u00e9rique, \u00e0 la fois arbre et canal, racine et rhizome. Il n’y a pas de capitalisme universel et en soi, le capitalisme est au croisement de toutes sortes de formations, il est toujours par nature n\u00e9o-capitalisme, il invente pour le pire, sa face d’orient et sa face d’occident, et son remaniement des deux.<\/p>\n Nous sommes en m\u00eame temps sur une mauvaise voie, avec toutes ces distributions g\u00e9ographiques. Une impasse, tant mieux. S’il s’agit de montrer que les rhizomes ont aussi leur propre despotisme, leur propre hi\u00e9rarchie, plus durs encore, tr\u00e8s bien, car il n’y a pas de dualisme, pas de dualisme ontologique ici et l\u00e0, pas de dualisme axiologique du bon et du mauvais, pas de m\u00e9lange ou de synth\u00e8se am\u00e9ricaine. Il y a des n\u0153uds d’arborescence dans les rhizomes, des pouss\u00e9es rhizomatiques dans les racines. Bien plus, il y a des formations despotiques, d’immanence et de canalisation, propres aux rhizomes. Il y a des d\u00e9formations anarchiques dans le syst\u00e8me transcendant des arbres, racines a\u00e9riennes et tiges souterraines. Ce qui compte, c’est que l’arbre-racine et le rhizome-canal ne s’opposent pas comme deux mod\u00e8les : l’un agit comme mod\u00e8le et comme calque transcendants, m\u00eame s’il engendre ses propres fuites ; l’autre agit comme processus immanent qui renverse le mod\u00e8le et \u00e9bauche une carte, m\u00eame s’il constitue ses propres hi\u00e9rarchies, m\u00eame s’il suscite un canal despotique. Il ne s’agit pas de tel ou tel endroit sur la terre, ni de tel moment dans l’histoire, encore moins de telle ou telle cat\u00e9gorie dans l’esprit. Il s’agit du mod\u00e8le, qui ne cesse pas de s’\u00e9riger et de s’enfoncer, et du processus qui ne cesse pas de s’allonger, de se rompre et reprendre. Autre ou nouveau dualisme, non. Probl\u00e8me de l’\u00e9criture : il faut absolument des expressions anexactes pour d\u00e9signer quelque chose exactement. Et pas du tout parce qu’il faudrait passer par l\u00e0, et pas du tout parce qu’on ne pourrait proc\u00e9der que par approximations : l’anexactitude n’est nullement une approximation, c’est au contraire le passage exact de ce qui se fait. Nous n’invoquons un dualisme que pour en r\u00e9cuser un autre. Nous ne nous servons d’un dualisme de mod\u00e8les que pour atteindre \u00e0 un processus qui r\u00e9cuserait tout mod\u00e8le, Il faut \u00e0 chaque fois des correcteurs c\u00e9r\u00e9braux qui d\u00e9font les dualismes que nous n’avons pas voulu faire, par lesquels nous passons. Arriver \u00e0 la formule magique que nous cherchons tous PLURALISME = MONISME, en passant par tous les dualismes qui sont l’ennemi, mais l’ennemi tout \u00e0 fait n\u00e9cessaire, le meuble que nous ne cessons pas de d\u00e9placer.<\/p>\n R\u00e9sumons les caract\u00e8res principaux d’un rhizome : \u00e0 la diff\u00e9rence des arbres ou de leurs racines, le rhizome connecte un point quelconque avec un autre point quelconque, et chacun de ses traits ne renvoie pas n\u00e9cessairement \u00e0 des traits de m\u00eame nature, il met en jeu des r\u00e9gimes de signes tr\u00e8s diff\u00e9rents et m\u00eame des \u00e9tats de non-signes. Le rhizome ne se laisse ramener ni \u00e0 l’Un ni au Multiple. Il n’est pas l’Un qui devient deux, ni m\u00eame qui deviendrait directement trois, quatre ou cinq, etc. Il n’est pas un multiple qui d\u00e9rive de l’Un, ni auquel l’Un s’ajouterait (n + 1). Il n’est pas fait d’unit\u00e9s, mais de dimensions, ou plut\u00f4t de directions mouvantes, Il n’a pas de commencement ni de fin, mais toujours un milieu, par lequel il pousse et d\u00e9borde, Il constitue des multiplicit\u00e9s lin\u00e9aires \u00e0 n<\/em>dimensions, sans sujet ni objet, \u00e9talables sur un plan de consistance, et dont l’Un est toujours soustrait (n -1).<\/strong> Une telle multiplicit\u00e9 ne varie pas ses dimensions sans changer de nature en elle-m\u00eame et se m\u00e9tamorphoser. A l’oppos\u00e9 d’une structure qui se d\u00e9finit par un ensemble de points et de positions, de rapports binaires entre ces points et de relations biunivoque entre ces positions, le rhizome n’est fait que de lignes : lignes de segmentarit\u00e9, de stratification, comme dimensions, mais aussi ligne de fuite ou de d\u00e9territorialisation comme dimension maximale d’apr\u00e8s laquelle, en la suivant, la multiplicit\u00e9 se m\u00e9tamorphose en changeant de nature. On ne confondra pas de telles lignes, ou lin\u00e9aments, avec les lign\u00e9es de type arborescent, qui sont seulement des liaisons localisables entre points et positions. A l’oppos\u00e9 de l’arbre, le rhizome n’est pas objet de reproduction : ni reproduction externe comme l’arbre-image, ni reproduction interne comme la structure-arbre. Le rhizome est une antig\u00e9n\u00e9alogie.<\/strong> C’est une m\u00e9moire courte, ou une antim\u00e9moire. Le rhizome proc\u00e8de par variation, expansion, conqu\u00eate, capture, piq\u00fbre<\/strong>. A l’oppos\u00e9 du graphisme, du dessin ou de la photo, \u00e0 l’oppos\u00e9 des calques, le rhizome se rapporte \u00e0 une carte qui doit \u00eatre produite, construite, toujours d\u00e9montable, connectable, renversable, modifiable, \u00e0 entr\u00e9es et sorties multiples, avec ses lignes de fuite.<\/strong> Ce sont les calques qu’il faut reporter sur les cartes et non l’inverse. Contre les syst\u00e8mes centr\u00e9s (m\u00eame polycentr\u00e9s), \u00e0 communication hi\u00e9rarchique et liaisons pr\u00e9\u00e9tablies, le rhizome est un syst\u00e8me acentr\u00e9, non hi\u00e9rarchique et non signifiant, sans G\u00e9n\u00e9ral<\/strong>, sans m\u00e9moire organisatrice ou automate central, uniquement d\u00e9fini par une circulation d’\u00e9tats. Ce qui est en question dans le rhizome, c’est un rapport avec la sexualit\u00e9, mais aussi avec l’animal, avec le v\u00e9g\u00e9tal, avec le monde, avec la politique, avec le livre, avec les choses de la nature et de l’artifice, tout diff\u00e9rent du rapport arborescent : toutes sortes de \u00ab devenirs \u00bb.<\/strong><\/p>\n Un plateau est toujours au milieu, ni d\u00e9but ni fin. Un rhizome est fait de plateaux, Gregory Bateson se sert du mot \u00ab plateau \u00bb pour d\u00e9signer quelque chose de tr\u00e8s sp\u00e9cial : une r\u00e9gion continue d’intensit\u00e9s, vibrant sur elle-m\u00eame, et qui se d\u00e9veloppe en \u00e9vitant toute orientation sur un point culminant ou vers une fin ext\u00e9rieure.<\/strong> Bateson cite en exemple la culture balinaise, o\u00f9 des jeux sexuels m\u00e8re-enfant, ou bien des querelles entre hommes, passent par cette bizarre stabilisation intensive. \u00ab Une esp\u00e8ce de plateau continu d’intensit\u00e9 est substitu\u00e9 \u00e0 l’orgasme \u00bb, \u00e0 la guerre ou au point culminant. C’est un trait f\u00e2cheux de l’esprit occidental, de rapporter les expressions et les actions \u00e0 des fins ext\u00e9rieures ou transcendantes, au lieu de les estimer sur un plan d’immanence d’apr\u00e8s leur valeur en soi 18<\/sup><\/a>. Par exemple, en tant qu’un livre est fait de chapitres, il a ses points culminants, ses points de terminaison.<\/p>\n Que se passe-t-il au contraire pour un livre fait de plateaux, communiquant les uns avec les autres \u00e0 travers des micro-fentes, comme pour un cerveau ? Nous appelons \u00ab plateau \u00bb toute multiplicit\u00e9 connectable avec d’autres par tiges souterraines superficielles, de mani\u00e8re \u00e0 former et \u00e9tendre un rhizome.<\/strong>Nous \u00e9crivons ce livre comme un rhizome. Nous l’avons compos\u00e9 de plateaux. Nous lui avons donn\u00e9 une forme circulaire, mais c’\u00e9tait pour rire. Chaque matin nous nous levions, et chacun de nous se demandait quels plateaux il allait prendre, \u00e9crivant cinq lignes, ici, dix lignes ailleurs. Nous avons eu des exp\u00e9riences hallucinatoires, nous avons vu des lignes, comme des colonnes de petites fourmis, quitter un plateau pour en gagner un autre. Nous avons fait des cercles de convergence. Chaque plateau peut \u00eatre lu \u00e0 n’importe quelle place, et mis en rapport avec n’importe quel autre. Pour le multiple, il faut une m\u00e9thode qui le fasse effectivement ; nulle astuce typographique, nulle habilet\u00e9 lexicale, m\u00e9lange ou cr\u00e9ation de mots, nulle audace syntaxique ne peuvent la remplacer. Celles-ci en effet, le plus souvent, ne sont que des proc\u00e9d\u00e9s mim\u00e9tiques destin\u00e9s \u00e0 diss\u00e9miner ou disloquer une unit\u00e9 maintenue dans une autre dimension pour un livre-image. Technonarcissisme. Les cr\u00e9ations typographiques, lexicales ou syntaxiques ne sont n\u00e9cessaires que si elles cessent d’appartenir \u00e0 la forme d’expression d’une unit\u00e9 cach\u00e9e, pour devenir elles-m\u00eames une des dimensions de la multiplicit\u00e9 consid\u00e9r\u00e9e ; nous connaissons de rares r\u00e9ussites en ce genre 19<\/sup><\/a>. Nous n’avons pas su le faire pour notre compte. Nous avons seulement employ\u00e9 des mots qui, \u00e0 leur tour, fonctionnaient pour nous comme des plateaux. RHIZOMATIQUE = SCHIZO-ANALYSE = STRATO-ANALYSE = PRAGMATIQUE = MICRO-POLlTIQUE-. Ces mots sont des concepts, mais les concepts sont des lignes, c’est-\u00e0-dire des syst\u00e8mes de nombres attach\u00e9s \u00e0 telle ou telle dimension des multiplicit\u00e9s (strates, cha\u00eenes mol\u00e9culaires, lignes de fuite ou de rupture, cercles de convergence, etc.). En aucun cas nous ne pr\u00e9tendons au titre d’une science. Nous ne connaissons pas plus de scientificit\u00e9 que d’id\u00e9ologie, mais seulement des agencements.<\/strong> Et il n’y a que des agencements machiniques de d\u00e9sir, comme des agencements collectifs d’\u00e9nonciation. Pas de signifiance, et pas de subjectivation : \u00e9crire \u00e0 n <\/em>(toute \u00e9nonciation individu\u00e9e reste prisonni\u00e8re des significations dominantes, tout d\u00e9sir signifiant renvoie \u00e0 des sujets domin\u00e9s). Un agencement dans sa multiplicit\u00e9 travaille \u00e0 la fois forc\u00e9ment sur des flux s\u00e9miotiques, des flux mat\u00e9riels et des flux sociaux (ind\u00e9pendamment de la reprise qui peut en \u00eatre faite dans un corpus th\u00e9orique ou scientifique). On n’a plus une tripartition entre un champ de r\u00e9alit\u00e9, le monde, un champ de repr\u00e9sentation, le livre, et un champ de subjectivit\u00e9, l’auteur. Mais un agencement met en connexion certaines multiplicit\u00e9s prises dans chacun de ces ordres, si bien qu’un livre n’a pas sa suite dans le livre suivant, ni son objet dans le monde, ni son sujet dans un ou plusieurs auteurs. Bref, il nous semble que l’\u00e9criture ne se fera jamais assez au nom d’un dehors. Le dehors n’a pas d’image, ni de signification, ni de subjectivit\u00e9. Le livre, agencement avec le dehors, contre le livre-image du monde. Un livre-rhizome, et non plus dichotome, pivotant ou fascicul\u00e9. Ne jamais faire racine, ni en planter, bien que ce soit difficile de ne pas retomber dans ces vieux proc\u00e9d\u00e9s. \u00ab Les choses qui me viennent \u00e0 l’esprit se pr\u00e9sentent \u00e0 moi non par leur racine, mais par un point quelconque situ\u00e9 vers leur milieu. Essayez donc de les retenir, essayez donc de retenir un brin d’herbe qui ne commence \u00e0 cro\u00eetre qu’au milieu de la tige, et de vous tenir \u00e0 lui 20<\/sup><\/a>.\u00bb Pourquoi est-ce si difficile ? C’est d\u00e9j\u00e0 une question de s\u00e9miotique perceptive. Pas facile de percevoir les choses par le milieu, et non de haut en bas ou inversement, de gauche \u00e0 droite ou inversement : essayez et vous verrez que tout change. Ce n’est pas facile de voir l’herbe dans les choses et les mots (Nietzsche disait de la m\u00eame fa\u00e7on qu’un aphorisme devait \u00eatre \u00ab rumin\u00e9 \u00bb, et jamais un plateau n’est s\u00e9parable des vaches qui le peuplent, et qui sont aussi les nuages du ciel).<\/p>\n On \u00e9crit l’histoire, mais on l’a toujours \u00e9crite du point de vue des s\u00e9dentaires, et au nom d’un appareil unitaire d’\u00c9tat, au moins possible m\u00eame quand on parlait de nomades. Ce qui manque, c’est une Nomadologie<\/strong>, le contraire d’une histoire. Pourtant l\u00e0 aussi de rares et grandes r\u00e9ussites, par exemple \u00e0 propos des croisades d’enfants : le livre de Marcel Schwob qui multiplie les r\u00e9cits comme autant de plateaux aux dimensions variables. Le livre d’Andrzejewski, Les portes du Paradis, <\/em>fait d’une seule phrase ininterrompue, flux d’enfants, flux de marche avec pi\u00e9tinement, \u00e9tirement, pr\u00e9cipitation, flux s\u00e9miotique de toutes les confessions d’enfants qui viennent se d\u00e9clarer au vieux moine \u00e0 la t\u00eate du cort\u00e8ge, flux de d\u00e9sir et de sexualit\u00e9, chacun parti par amour, et plus ou moins directement men\u00e9 par le noir d\u00e9sir posthume et p\u00e9d\u00e9rastique du comte de Vend\u00f4me, avec cercles de convergence -l’important n’est pas que les flux fassent \u00ab Un ou multiple \u00bb, nous n’en sommes plus l\u00e0 : il y a un agencement collectif d’\u00e9nonciation, un agencement machinique de d\u00e9sir, l’un dans l’autre, et branch\u00e9s sur un prodigieux dehors qui fait multiplicit\u00e9 de toute mani\u00e8re. Et puis, plus r\u00e9cemment, le livre d’Armand Farrachi sur la IVe croisade, La dislocation, <\/em>o\u00f9 les phrases s’\u00e9cartent et se dispersent, ou bien se bousculent et coexistent, et les lettres, la typographie se met \u00e0 danser, \u00e0 mesure que la croisade d\u00e9lire 21<\/sup><\/a>.<\/span>Voil\u00e0 des mod\u00e8les d’\u00e9criture nomade et rhizomatique<\/strong>. L’\u00e9criture \u00e9pouse une machine de guerre et des lignes de fuite, elle abandonne les strates, les segmentarit\u00e9s, la s\u00e9dentarit\u00e9, l’appareil d’\u00c9tat. Mais pourquoi faut-il encore un mod\u00e8le ? Le livre n’est-il pas encore une \u00ab image \u00bb des croisades ? N’y a-t-il pas encore une unit\u00e9 gard\u00e9e, comme unit\u00e9 pivotante dans le cas de Schwob, comme unit\u00e9 avort\u00e9e dans le cas de Farrachi, comme unit\u00e9 du Comte mortuaire dans le cas le plus beau des Portes du Paradis ? Faut-il un nomadisme plus profond que celui des croisades, celui des vrais nomades, ou bien le nomadisme de ceux qui ne bougent m\u00eame plus et qui n’imitent plus rien ? Ils agencent seulement. Comment le livre trouvera-t-il un dehors suffisant avec lequel il puisse agencer dans l’h\u00e9t\u00e9rog\u00e8ne, plut\u00f4t qu’un monde \u00e0 reproduire ? Culturel, le livre est forc\u00e9ment un calque : calque de lui-m\u00eame d\u00e9j\u00e0, calque du livre pr\u00e9c\u00e9dent du m\u00eame auteur, calque d’autres livres quelles qu’en soient les diff\u00e9rences, d\u00e9calque interminable de concepts et de mots en place, d\u00e9calcage du monde pr\u00e9sent, pass\u00e9 ou \u00e0 venir. Mais le livre anticulturel peut encore \u00eatre travers\u00e9 d’une culture trop lourde : il en fera pourtant un usage actif d’oubli et non de m\u00e9moire, de sous-d\u00e9veloppement et non pas de progr\u00e8s \u00e0 d\u00e9velopper, de nomadisme et pas de s\u00e9dentarit\u00e9, de carte et non pas de calque. RHIZOMATIQUE = POP’ANALYSE, m\u00eame si le peuple a autre chose \u00e0 faire que de le lire, m\u00eame si les blocs de culture universitaire ou de pseudoscientificit\u00e9 restent trop p\u00e9nibles ou pesants<\/strong>. Car la science serait compl\u00e8tement folle si on la laissait faire, voyez les math\u00e9matiques, elles ne sont pas une science, mais un prodigieux argot, et nomadique. M\u00eame et surtout dans le domaine th\u00e9orique, n’importe quel \u00e9chafaudage pr\u00e9caire et pragmatique vaut mieux que le d\u00e9calque des concepts, avec leurs coupures et leurs progr\u00e8s qui ne changent rien. L’imperceptible rupture, plut\u00f4t que la coupure signifiante. Les nomades ont invent\u00e9 une machine de guerre, contre l’appareil d’\u00c9tat. Jamais l’histoire n’a compris le nomadisme, jamais le livre n’a compris le dehors. Au cours d’une longue histoire, l’\u00c9tat a \u00e9t\u00e9 le mod\u00e8le du livre et de la pens\u00e9e : le logos, le philosophe-roi, la transcendance de l’id\u00e9e, l’int\u00e9riorit\u00e9 du concept, la r\u00e9publique des esprits, le tribunal de la raison, les fonctionnaires de la pens\u00e9e, l’homme l\u00e9gislateur et sujet. Pr\u00e9tention de l’\u00c9tat \u00e0 \u00eatre l’image int\u00e9rioris\u00e9e d’un ordre du monde, et \u00e0 enraciner l’homme. Mais le rapport d’une machine de guerre avec le dehors, ce n’est pas un autre \u00ab mod\u00e8le \u00bb, c’est un agencement qui fait que la pens\u00e9e devient elle-m\u00eame nomade, le livre une pi\u00e8ce pour toutes les machines mobiles, une tige pour un rhizome (Kleist et Kafka contre Goethe).<\/p>\n \u00c9crire \u00e0 n, n-1, \u00e9crire par slogans : Faites rhizome et pas racine, ne plantez jamais ! Ne semez pas, piquez ! Ne soyez pas un ni multiple, soyez des multiplicit\u00e9s ! Faites la ligne et jamais le point ! La vitesse transforme le point en ligne <\/strong>22<\/sup><\/a> ! Soyez rapide, m\u00eame sur place ! Ligne de chance, ligne de hanche, ligne de fuite.<\/p>\n Ne suscitez pas un G\u00e9n\u00e9ral en vous ! Pas des id\u00e9es justes, juste une id\u00e9e (Godard). Ayez des id\u00e9es courtes. <\/strong>Faites des cartes, et pas des photos ni des dessins. Soyez la Panth\u00e8re rose, et que vos amours encore soient comme la gu\u00eape et l’orchid\u00e9e, le chat et le babouin. On dit du vieil homme-fleuve<\/p>\n He don’t plant tatos Don’t plant cotton Them that plants them is soon forgotten But old man river he just keeps rollin along.<\/em><\/p>\n Un rhizome ne commence et n’aboutit pas, il est toujours au milieu, entre les choses, inter-\u00eatre, intermezzo.<\/em>L’arbre est filiation, mais le rhizome est alliance, uniquement d’alliance. L’arbre impose le verbe \u00ab \u00eatre \u00bb, mais le rhizome a pour tissu la conjonction \u00ab et… et… et…\u00bb. Il y a dans cette conjonction assez de force pour secouer et d\u00e9raciner le verbe \u00eatre. <\/strong>O\u00f9 allez-vous ? d’o\u00f9 partez–vous ? o\u00f9 voulez-vous en venir ? sont des questions bien inutiles. Faire table rase, partir ou repartir \u00e0 z\u00e9ro, chercher un commencement, ou un fondement, impliquent une fausse conception du voyage et du mouvement (m\u00e9thodique, p\u00e9dagogique, initiatique, symbolique… ). Mais Kleist, Lenz ou B\u00fcchner ont une autre mani\u00e8re de voyager comme de se mouvoir, partir au milieu, par le milieu, entrer et sortir, non pas commencer ni finir 23<\/sup><\/a>. Plus encore, c’est la litt\u00e9rature am\u00e9ricaine, et d\u00e9j\u00e0 anglaise, qui ont manifest\u00e9 ce sens rhizomatique, ont su se mouvoir entre les choses, instaurer une logique du ET, renverser l’ontologie, destituer le fondement, annuler fin et commencement. Ils ont su faire une pragmatique. C’est que le milieu n’est pas du tout une moyenne, c’est au contraire l’endroit o\u00f9 les choses prennent de la vitesse. Entre <\/em>les choses ne d\u00e9signe pas une relation localisable qui va de l’une \u00e0 l’autre et r\u00e9ciproquement, mais une direction perpendiculaire, un mouvement transversal qui les emporte l’une et l’autre, ruisseau sans d\u00e9but ni fin, qui ronge ses deux rives et prend de la vitesse au milieu.<\/p>\n NOTES<\/strong><\/p>\n 1<\/a> Cf. Bertil Malmberg, <\/span>Les nouvelles tendances de la linguistique<\/em><\/span>, P.U.F., (l’exemple du dialecte castillan), pp. 97 sq.<\/span><\/p>\n 2<\/a> Ernst J\u00fcnger, <\/span>Approches drogues et ivresse<\/em><\/span>, Table ronde, p. 304, \u00a7 218.<\/span><\/p>\n 3<\/a> R\u00e9my Chauvin, in Entretiens sur la sexualit\u00e9, <\/em>Plon, p. 205.<\/p>\n 5<\/a> Fran\u00e7ois Jacob, La logique du vivant, <\/em>Gallimard, pp. 312, 333.<\/p>\nGilles Deleuze, F\u00e9lix Guattari, Schizophr\u00e9nie et capitalisme 2<\/em>, Mille Plateaux.<\/em> \u00a0\u00c9ditions de Minuit, 1980.<\/p>\n
\n(…) L’arbre impose le verbe \u00ab \u00eatre \u00bb, mais le rhizome a pour tissu la conjonction \u00ab et… et… et…\u00bb. Il y a dans cette conjonction assez de force pour secouer et d\u00e9raciner le verbe \u00eatre.\u00bb<\/p>\n
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\nGilles Deleuze, F\u00e9lix Guattari<\/span><\/strong><\/p>\n
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\nLe syst\u00e8me-radicelle, ou racine fascicul\u00e9e, est la seconde figure du livre, dont notre modernit\u00e9 se r\u00e9clame volontiers. Cette fois, la racine principale a avort\u00e9, ou se d\u00e9truit vers son extr\u00e9mit\u00e9 ; vient se greffer sur elle une multiplicit\u00e9 imm\u00e9diate et quelconque de racines secondaires qui prennent un grand d\u00e9veloppement. <\/strong>Cette fois, la r\u00e9alit\u00e9 naturelle appara\u00eet dans l’avortement de la racine principale, mais son unit\u00e9 n’en subsiste pas moins comme pass\u00e9e ou \u00e0 venir, comme possible. Et on doit se demander si la r\u00e9alit\u00e9 spirituelle et r\u00e9fl\u00e9chie ne compense pas cet \u00e9tat de choses en manifestant \u00e0 son tour l’exigence d’une unit\u00e9 secr\u00e8te encore plus compr\u00e9hensive, ou d’une totalit\u00e9 plus extensive. Soit la m\u00e9thode du cut-up <\/em>de Burroughs : le pliage d’un texte sur l’autre, constitutif de racines multiples et m\u00eame adventices (on dirait une bouture) implique une dimension suppl\u00e9mentaire \u00e0 celle des textes consid\u00e9r\u00e9s. C’est dans cette dimension suppl\u00e9mentaire du pliage que l’unit\u00e9 continue son travail spirituel. C’est en ce sens que l’\u0153uvre la plus r\u00e9solument parcellaire peut \u00eatre aussi bien pr\u00e9sent\u00e9e comme l’\u0152uvre totale ou le Grand Opus. La plupart des m\u00e9thodes modernes pour faire prolif\u00e9rer des s\u00e9ries ou pour faire cro\u00eetre une multiplicit\u00e9 valent parfaitement dans une direction par exemple lin\u00e9aire, tandis qu’une unit\u00e9 de totalisation s’affirme d’autant plus dans une autre dimension, celle d’un cercle ou d’un cycle. Chaque fois qu’une multiplicit\u00e9 se trouve prise dans une structure, sa croissance est compens\u00e9e par une r\u00e9duction des lois de combinaison. Les avorteurs de l’unit\u00e9 sont bien ici des faiseurs d’anges, doctores angelici, <\/em>puisqu’ils affirment une unit\u00e9 proprement ang\u00e9lique et sup\u00e9rieure. Les mots de Joyce, justement dits \u00ab\u00e0 racines multiples \u00bb , ne brisent effectivement l’unit\u00e9 lin\u00e9aire du mot, ou m\u00eame de la langue, qu’en posant une unit\u00e9 cyclique de la phrase, du texte ou du savoir. Les aphorismes de Nietzsche ne brisent l’unit\u00e9 lin\u00e9aire du savoir qu’en renvoyant \u00e0 l’unit\u00e9 cyclique de l’\u00e9ternel retour, pr\u00e9sent comme un non-dit dans la pens\u00e9e. Autant dire que le syst\u00e8me fascicul\u00e9 ne rompt pas vraiment avec le dualisme, avec la compl\u00e9mentarit\u00e9 d’un sujet et d’un objet, d’une r\u00e9alit\u00e9 naturelle et d’une r\u00e9alit\u00e9 spirituelle : l’unit\u00e9 ne cesse d’\u00eatre contrari\u00e9e et emp\u00each\u00e9e dans l’objet, tandis qu’un nouveau type d’unit\u00e9 triomphe dans le sujet. Le monde a perdu son pivot, le sujet ne peut m\u00eame plus faire de dichotomie, mais acc\u00e8de \u00e0 une plus haute unit\u00e9, d’ambivalence ou de surd\u00e9termination, dans une dimension toujours suppl\u00e9mentaire \u00e0 celle de son objet. Le monde est devenu chaos, mais le livre reste image du monde, chaosmos-radicelle, au lieu de cosmos-racine. \u00c9trange mystification, celle du livre d’autant plus total que fragment\u00e9. Le livre comme image du monde, de toute fa\u00e7on quelle id\u00e9e fade. En v\u00e9rit\u00e9, il ne suffit pas de dire Vive le multiple, bien que ce cri soit difficile \u00e0 pousser. Aucune habilet\u00e9 typographique, lexicale ou m\u00eame syntaxique ne suffira \u00e0 le faire entendre. Le multiple, il faut le faire, <\/em>non pas en ajoutant toujours une dimension sup\u00e9rieure, mais au contraire le plus simplement, \u00e0 force de sobri\u00e9t\u00e9, au niveau des dimensions dont on dispose, toujours n-1 (c’est seulement ainsi que l’un fait partie du multiple, en \u00e9tant toujours soustrait). Soustraire l’unique de la Multiplicit\u00e9 \u00e0 constituer ; \u00e9crire \u00e0 n -1. Un tel syst\u00e8me pourrait \u00eatre nomm\u00e9 rhizome. Un rhizome comme tige souterraine se distingue absolument des racines et radicelles. Les bulbes, les tubercules sont des rhizomes. Des plantes \u00e0 racine ou radicelle peuvent \u00eatre rhizomorphes \u00e0 de tout autres \u00e9gards : c’est une question de savoir si la botanique, dans sa sp\u00e9cificit\u00e9, n’est pas tout enti\u00e8re rhizomorphique. Des animaux m\u00eame le sont, sous leur forme de meute, les rats sont des rhizomes. Les terriers le sont, sous toutes leurs fonctions d’habitat, de provision, de d\u00e9placement, d’esquive et de rupture. Le rhizome en lui-m\u00eame a des formes tr\u00e8s diverses, depuis son extension superficielle ramifi\u00e9e en tous sens jusqu’\u00e0 ses concr\u00e9tions en bulbes et tubercules. Quand les rats se glissent les uns sous les autres. Il y a le meilleur et le pire dans le rhizome : la pomme de terre et le chiendent, la mauvaise herbe.<\/strong> Animal et plante, le chiendent, c’est le crab-grass. Nous sentons bien que nous ne convaincrons personne si nous n’\u00e9num\u00e9rons pas certains caract\u00e8res approximatifs du rhizome.<\/p>\n
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