{"id":826,"date":"2015-01-08T23:37:10","date_gmt":"2015-01-08T22:37:10","guid":{"rendered":"http:\/\/www.archipress.org\/wp\/?page_id=826"},"modified":"2015-01-21T15:05:10","modified_gmt":"2015-01-21T14:05:10","slug":"la-longue-linepuisable-duree-des-civilisations","status":"publish","type":"page","link":"https:\/\/www.archipress.org\/?page_id=826","title":{"rendered":"La longue, l’in\u00e9puisable dur\u00e9e des civilisations"},"content":{"rendered":"
Un texte classique de Fernand Braudel<\/strong><\/p>\n Fernand Braudel<\/em>… Ce texte est extrait de l’article de Fernand Braudel \u00ab\u00a0Histoire des Civilisations: le pass\u00e9 explique le pr\u00e9sent\u00a0\u00bb publi\u00e9 en 1959 dans L’encyclop\u00e9die fran\u00e7aise<\/em> et repris en 1997 dans Les Ambitions de l’Histoire<\/em> (Paris, \u00c9ditions de Fallois, 1997).<\/p>\n R\u00e9alit\u00e9s de longue, d’in\u00e9puisable dur\u00e9e, les civilisations, sans fin r\u00e9adapt\u00e9es \u00e0 leur destin, d\u00e9passent donc en long\u00e9vit\u00e9 toutes les autres r\u00e9alit\u00e9s collectives; elles leur survivent. De m\u00eame que, dans l’espace, elles transgressent les limites des soci\u00e9t\u00e9s pr\u00e9cises (qui baignent ainsi dans un monde r\u00e9guli\u00e8rement plus vaste qu’elles-m\u00eames et en re\u00e7oivent, sans toujours en \u00eatre conscientes, une impulsion, des impulsions particuli\u00e8res), de m\u00eame s’affirme dans le temps, \u00e0 leur b\u00e9n\u00e9fice, un d\u00e9passement que Toynbee a bien not\u00e9 et qui leur transmet d’\u00e9tranges h\u00e9ritages, incompr\u00e9hensibles pour qui se contente d’observer, de conna\u00eetre \u00ab\u00a0le pr\u00e9sent\u00a0\u00bb au sens le plus \u00e9troit. Autrement dit, les civilisations survivent aux bouleversements politiques, sociaux, \u00e9conomiques, m\u00eame id\u00e9ologiques que, d’ailleurs, elles commandent insidieusement, puissamment parfois. La R\u00e9volution fran\u00e7aise n’est pas une coupure totale dans le destin de la civilisation fran\u00e7aise, ni la R\u00e9volution de 1917 dans celui de la civilisation russe, que certains intitulent, pour l’\u00e9largir encore, la civilisation orthodoxe orientale.<\/p>\n Je ne crois pas davantage, pour les civilisations s’entend, \u00e0 des ruptures ou \u00e0 des catastrophes sociales qui seraient irr\u00e9m\u00e9diables. Donc, ne disons pas trop vite, ou trop cat\u00e9goriquement, comme Charles Seignobos le soutenait un jour (1938) dans une discussion amicale avec l’auteur de ces lignes, qu’il n’y a pas de civilisation fran\u00e7aise sans une bourgeoisie, ce que Jean Cocteau traduit \u00e0 sa fa\u00e7on: \u00ab\u00a0La bourgeoisie est la plus grande souche de France… Il y a une maison, une lampe, une soupe, du feu, du vin, des pipes, derri\u00e8re toute oeuvre importante de chez nous.\u00a0\u00bb Et cependant, comme les autres, la civilisation fran\u00e7aise peut, \u00e0 la rigueur, changer de support social, ou s’en cr\u00e9er un nouveau. En perdant telle bourgeoisie, elle peut m\u00eame en voir pousser une autre. Tout au plus changerait-elle, \u00e0 cette \u00e9preuve, de couleur par rapport \u00e0 elle-m\u00eame, mais elle conserverait presque toutes ses nuances ou originalit\u00e9s par rapport \u00e0 d’autres civilisations; elle persisterait, en somme, dans la plupart de ses \u00ab\u00a0vertus\u00a0\u00bb et de ses \u00ab\u00a0erreurs\u00a0\u00bb. Du moins, je l’imagine…<\/p>\n Aussi bien, pour qui pr\u00e9tend \u00e0 l’intelligence du monde actuel, \u00e0 plus forte raison pour qui pr\u00e9tend y ins\u00e9rer une action, c’est une t\u00e2che \u00ab\u00a0payante\u00a0\u00bb que de savoir discerner, sur la carte du monde, les civilisations aujourd’hui en place, en fixer les limites, en d\u00e9terminer les centres et p\u00e9riph\u00e9ries, les provinces et l’air qu’on y respire, les \u00ab\u00a0formes\u00a0\u00bb particuli\u00e8res et g\u00e9n\u00e9rales qui y vivent et s’y associent. Sinon, que de d\u00e9sastres ou de b\u00e9vues en perspective! Dans cinquante, dans cent ans, voire dans deux ou trois si\u00e8cles, ces civilisations seront encore, selon toute vraisemblance, \u00e0 peu pr\u00e8s \u00e0 la m\u00eame place sur la carte du monde, que les hasards de l’Histoire les aient, ou non, favoris\u00e9es, toutes choses \u00e9gales d’ailleurs, comme dit la sagesse des \u00e9conomistes, et sauf \u00e9videmment si l’humanit\u00e9, entre-temps, ne s’est pas suicid\u00e9e, comme malheureusement elle en a, d\u00e8s aujourd’hui, les moyens.<\/p>\n Ainsi notre premier geste est de croire \u00e0 l’h\u00e9t\u00e9rog\u00e9n\u00e9it\u00e9, \u00e0 la diversit\u00e9 des civilisations du monde, \u00e0 la permanence, \u00e0 la survie de leurs personnages, ce qui revient \u00e0 placer au premier rang de l’actuel cette \u00e9tude de r\u00e9flexes acquis, d’attitudes sans grande souplesse, d’habitudes fermes, de go\u00fbts profonds qu’explique seule une histoire lente, ancienne, peu consciente (tels ces ant\u00e9c\u00e9dents que la psychanalyse place au plus profond des comportements de l’adulte). Il faudrait qu’on nous y int\u00e9resse d\u00e8s l’\u00e9cole, mais chaque peuple prend trop de plaisir \u00e0 se consid\u00e9rer dans son propre miroir, \u00e0 l’exclusion des autres. En v\u00e9rit\u00e9, cette connaissance pr\u00e9cieuse reste assez peu commune. Elle obligerait \u00e0 consid\u00e9rer en dehors de la propagande, valable seulement, et encore, \u00e0 court terme tous les graves probl\u00e8mes des relations culturelles, cette n\u00e9cessit\u00e9 de trouver, de civilisation \u00e0 civilisation, des langages acceptables qui respectent et favorisent des positions diff\u00e9rentes, peu r\u00e9ductibles les unes aux autres.<\/p>\n Et pourtant, tous les observateurs, tous les voyageurs, enthousiastes ou maussades, nous disent l’uniformisation grandissante du monde. D\u00e9p\u00eachons-nous de voyager avant que la terre n’ait partout le m\u00eame visage! En apparence, il n’y a rien \u00e0 r\u00e9pondre \u00e0 ces arguments. Hier, le monde abondait en pittoresque, en nuances; aujourd’hui toutes les villes, tous les peuples se ressemblent d’une certaine mani\u00e8re: Rio de Janeiro est envahi depuis plus de vingt ans par les gratte-ciel; Moscou fait penser \u00e0 Chicago; partout des avions, des camions, des autos, des voies ferr\u00e9es, des usines; les costumes locaux disparaissent, les uns apr\u00e8s les autres…<\/p>\n Cependant, n’est-ce pas commettre, au-del\u00e0 d’\u00e9videntes constatations, une s\u00e9rie d’erreurs assez graves? Le monde d’hier avait d\u00e9j\u00e0 ses uniformit\u00e9s; la technique et c’est elle dont on voit partout le visage et la marque n’est assur\u00e9ment qu’un \u00e9l\u00e9ment de la vie des hommes, et surtout, ne risquons-nous pas, une fois de plus, de confondre la et les civilisations ?<\/p>\n La terre ne cesse de se r\u00e9tr\u00e9cir et, plus que jamais, voil\u00e0 les hommes \u00ab\u00a0sous un m\u00eame toit\u00a0\u00bb (Toynbee), oblig\u00e9s de vivre ensemble, les uns sur les autres. A ces rapprochements, ils doivent de partager des biens, des outils, peut-\u00eatre m\u00eame certains pr\u00e9jug\u00e9s communs. Le progr\u00e8s technique a multipli\u00e9 les moyens au service des hommes. Partout la civilisation offre ses services, ses stocks, ses marchandises diverses. Elle les offre sans toujours les donner. Si nous avions sous les yeux une carte des r\u00e9partitions des grosses usines, des hauts fourneaux, des centrales \u00e9lectriques, demain des usines atomiques, ou encore une carte de la consommation dans le monde des produits modernes essentiels, nous n’aurions pas de peine \u00e0 constater que ces richesses et que ces outils sont tr\u00e8s in\u00e9galement r\u00e9partis entre les diff\u00e9rentes r\u00e9gions de la terre. Il y a, ici, les pays industrialis\u00e9s, et l\u00e0, les sous-d\u00e9velopp\u00e9s qui essaient de changer leur sort avec plus ou moins d’efficacit\u00e9. La civilisation ne se distribue pas \u00e9galement. Elle a r\u00e9pandu des possibilit\u00e9s, des promesses, elle suscite des convoitises, des ambitions. En v\u00e9rit\u00e9, une course s’est instaur\u00e9e, elle aura ses vainqueurs, ses \u00e9l\u00e8ves moyens, ses perdants. En ouvrant l’\u00e9ventail des possibilit\u00e9s humaines, le progr\u00e8s a ainsi \u00e9largi la gamme des diff\u00e9rences. Tout le peloton se regrouperait si le progr\u00e8s faisait halte: ce n’est pas l’impression qu’il donne. Seules, en fait, les civilisations et les \u00e9conomies comp\u00e9titives sont dans la course.<\/p>\n Bref, s’il y a, effectivement, une inflation de la<\/em> civilisation, il serait pu\u00e9ril de la voir, au-del\u00e0 de son triomphe, \u00e9liminant les civilisations diverses, ces vrais personnages, toujours en place et dou\u00e9s de longue vie. Ce sont eux qui, \u00e0 propos de progr\u00e8s, engagent la course, portent sur leurs \u00e9paules l’effort \u00e0 accomplir, lui donnent, ou ne lui donnent pas un sens. Aucune civilisation ne dit non \u00e0 l’ensemble de ces biens nouveaux, mais chacune lui donne une signification particuli\u00e8re. Les gratte-ciel de Moscou ne sont pas les buildings de Chicago. Les fourneaux de fortune et les hauts fourneaux de la Chine populaire ne sont pas, malgr\u00e9 des ressemblances, les hauts fourneaux de notre Lorraine ou ceux du Br\u00e9sil de Minas Gerais ou de Volta Redonda. Il y a le contexte humain, social, politique, voire mystique. L’outil, c’est beaucoup, mais l’ouvrier, c’est beaucoup aussi, et l’ouvrage, et le coeur que l’on y met, ou que l’on n’y met pas. Il faudrait \u00eatre aveugle pour ne pas sentir le poids de cette transformation massive du monde, mais ce n’est pas une transformation omnipr\u00e9sente et, l\u00e0 o\u00f9 elle s’accomplit, c’est sous des formes, avec une ampleur et une r\u00e9sonance humaine rarement semblables. Autant dire que la technique n’est pas tout, ce qu’un vieux pays comme la France sait, trop bien sans doute. Le triomphe de la civilisation au singulier, ce n’est pas le d\u00e9sastre des pluriels. Pluriels et singulier dialoguent, s’ajoutent et aussi se distinguent, parfois \u00e0 l’oeil nu, presque sans qu’il soit besoin d’\u00eatre attentif. Sur les routes interminables et vides du Sud alg\u00e9rien, entre Laghouat et Gharda\u00efa, j’ai gard\u00e9 le souvenir de ce chauffeur arabe qui, aux heures prescrites, bloquant son autocar, abandonnait ses passagers \u00e0 leurs pens\u00e9es et accomplissait, \u00e0 quelques m\u00e8tres d’eux, ses pri\u00e8res rituelles…<\/p>\n Ces images, et d’autres, ne valent pas comme une d\u00e9monstration. Mais la vie est volontiers contradictoire: le monde est violemment pouss\u00e9 vers l’unit\u00e9; en m\u00eame temps, il reste fondamentalement divis\u00e9. Ainsi en \u00e9tait-il hier d\u00e9j\u00e0: unit\u00e9 et h\u00e9t\u00e9rog\u00e9n\u00e9it\u00e9 cohabitaient vaille que vaille. Pour renverser le probl\u00e8me un instant, signalons cette unit\u00e9 de jadis que tant d’observateurs nient aussi cat\u00e9goriquement qu’ils affirment l’unit\u00e9 d’aujourd’hui. Ils pensent qu’hier le monde \u00e9tait divis\u00e9 contre lui-m\u00eame par l’immensit\u00e9 et la difficult\u00e9 des distances: montagnes, d\u00e9serts, \u00e9tendues oc\u00e9aniques, \u00e9charpes foresti\u00e8res constituaient autant de barri\u00e8res r\u00e9elles. Dans cet univers cloisonn\u00e9, la civilisation \u00e9tait forc\u00e9ment diversit\u00e9. Sans doute. Mais l’historien qui se retourne vers ces \u00e2ges r\u00e9volus, s’il \u00e9tend ses regards au monde entier, n’en per\u00e7oit pas moins des ressemblances \u00e9tonnantes, des rythmes tr\u00e8s analogues \u00e0 des milliers de lieues de distance. La Chine des Ming, si cruellement ouverte aux guerres d’Asie, est plus proche de la France des Valois, assur\u00e9ment, que la Chine de Mao Ts\u00e9toung ne l’est de la France de la Ve R\u00e9publique. N’oublions pas d’ailleurs que m\u00eame \u00e0 cette \u00e9poque, les techniques voyagent. Les exemples seraient innombrables.<\/p>\n Mais l\u00e0 n’est pas le grand ouvrier de l’uniformit\u00e9. L’homme, en v\u00e9rit\u00e9, reste toujours prisonnier d’une limite, dont il ne s’\u00e9vade gu\u00e8re. Cette limite, variable dans le temps, elle est sensiblement la m\u00eame, d’un bout \u00e0 l’autre de la terre, et c’est elle qui marque de son sceau uniforme toutes les exp\u00e9riences humaines, quelle que soit l’\u00e9poque consid\u00e9r\u00e9e. Au Moyen Age, au XVIe si\u00e8cle encore, la m\u00e9diocrit\u00e9 des techniques, des outils, des machines, la raret\u00e9 des animaux domestiques ram\u00e8nent toute activit\u00e9 \u00e0 l’homme lui-m\u00eame, \u00e0 ses forces, \u00e0 son travail; or, l’homme, lui aussi, partout, est rare, fragile, de vie ch\u00e9tive et courte. Toutes les activit\u00e9s, toutes les civilisations s’\u00e9ploient ainsi dans un domaine \u00e9troit de possibilit\u00e9s. Ces contraintes enveloppent toute aventure, la restreignent \u00e0 l’avance, lui donnent, en profondeur, un air de parent\u00e9 \u00e0 travers espace et temps, car le temps fut lent \u00e0 d\u00e9placer ces bornes.<\/p>\n Justement, la r\u00e9volution, le bouleversement essentiel du temps pr\u00e9sent, c’est l’\u00e9clatement de ces \u00ab\u00a0enveloppes\u00a0\u00bb anciennes, de ces contraintes multiples. A ce bouleversement, rien n’\u00e9chappe. C’est la nouvelle civilisation, et elle met \u00e0 l’\u00e9preuve toutes les civilisations.<\/p>\n Mais entendons-nous sur cette expression: le temps pr\u00e9sent. Ne le jugeons pas, ce pr\u00e9sent, \u00e0 l’\u00e9chelle de nos vies individuelles, comme ces tranches journali\u00e8res, si minces, insignifiantes, translucides, que repr\u00e9sentent nos existences personnelles. A l’\u00e9chelle des civilisations et m\u00eame de toutes les constructions collectives, c’est d’autres mesures qu’il faut se servir, pour les comprendre ou les saisir. Le pr\u00e9sent de la civilisation d’aujourd’hui est cette \u00e9norme masse de temps dont l’aube se marquerait avec le XVIIIe si\u00e8cle et dont la nuit n’est pas encore proche. Vers 1750, le monde, avec ses multiples civilisations, s’est engag\u00e9 dans une s\u00e9rie de bouleversements, de catastrophes en cha\u00eene (elles ne sont pas l’apanage de la seule civilisation occidentale). Nous y sommes encore, aujourd’hui.<\/p>\n Cette r\u00e9volution, ces troubles r\u00e9p\u00e9t\u00e9s, repris, ce n’est pas seulement la r\u00e9volution industrielle, c’est aussi une r\u00e9volution scientifique (mais qui ne touche qu’aux sciences objectives, d’o\u00f9 un monde boiteux tant que les sciences de l’homme n’auront pas trouv\u00e9 leur vrai chemin d’efficacit\u00e9), une r\u00e9volution biologique enfin, aux causes multiples, mais au r\u00e9sultat \u00e9vident, toujours le m\u00eame: une inondation humaine comme la plan\u00e8te n’en a jamais vue. Bient\u00f4t trois milliards d’humains: ils \u00e9taient \u00e0 peine 300 millions en 1400.<\/p>\n Si l’on ose parler de mouvement de l’Histoire, ce sera, ou jamais, \u00e0 propos de ces mar\u00e9es conjugu\u00e9es, omnipr\u00e9sentes. La puissance mat\u00e9rielle de l’homme soul\u00e8ve le monde, soul\u00e8ve l’homme, l’arrache \u00e0 lui- m\u00eame, le pousse vers une vie in\u00e9dite. Un historien habitu\u00e9 \u00e0 une \u00e9poque relativement proche le XVIe si\u00e8cle par exemple a le sentiment, d\u00e8s le XVIIIe, d’aborder une plan\u00e8te nouvelle. Justement, les voyages a\u00e9riens de l’actualit\u00e9 nous ont habitu\u00e9s \u00e0 l’id\u00e9e fausse de limites infranchissables que l’on franchit un beau jour: la limite de la vitesse du son, la limite d’un magn\u00e9tisme terrestre qui envelopperait la Terre \u00e0 8 000 km de distance. De telles limites, peupl\u00e9es de monstres, coup\u00e8rent hier, \u00e0 la fin du XVe si\u00e8cle, l’espace \u00e0 conqu\u00e9rir de l’Atlantique… Or, tout se passe comme si l’humanit\u00e9, sans s’en rendre compte toujours, avait franchi du XVIIIe si\u00e8cle \u00e0 nos jours une de ces zones difficiles, une de ces barri\u00e8res qui d’ailleurs se dressent encore devant elle, dans telle ou telle partie du monde. Ceylan vient seulement de conna\u00eetre, avec les merveilles de la m\u00e9decine, la r\u00e9volution biologique qui bouleverse le monde, en somme la prolongation miraculeuse de la vie. Mais la chute du taux de natalit\u00e9, qui accompagne g\u00e9n\u00e9ralement cette r\u00e9volution, n’a pas encore touch\u00e9 l’\u00eele, o\u00f9 ce taux reste tr\u00e8s haut, naturel, \u00e0 son maximum… Ce ph\u00e9nom\u00e8ne se retrouve dans maints pays, telle l’Alg\u00e9rie. Aujourd’hui seulement, la Chine conna\u00eet sa v\u00e9ritable entr\u00e9e, massive, dans la vie industrielle. La France s’y enfonce \u00e0 corps perdu.<\/p>\n Est-il besoin de dire que ce temps nouveau rompt avec les vieux cycles et les traditionnelles habitudes de l’homme? Si je m’\u00e9l\u00e8ve si fortement contre les id\u00e9es de Spengler ou de Toynbee, c’est qu’elles ram\u00e8nent obstin\u00e9ment l’humanit\u00e9 \u00e0 ses heures anciennes, p\u00e9rim\u00e9es, au d\u00e9j\u00e0 vu. Pour accepter que les civilisations d’aujourd’hui r\u00e9p\u00e8tent le cycle de celle des Incas, ou de telle autre, il faut avoir admis, au pr\u00e9alable, que ni la technique, ni l’\u00e9conomie, ni la d\u00e9mographie n’ont grand-chose \u00e0 voir avec les civilisations.<\/p>\n En fait, l’homme change d’allure. La civilisation, les civilisations, toutes nos activit\u00e9s, les mat\u00e9rielles, les spirituelles, les intellectuelles, en sont affect\u00e9es. Qui peut pr\u00e9voir ce que seront demain le travail de l’homme et son \u00e9trange compagnon, le loisir de l’homme? Ce que sera sa religion, prise entre la tradition, l’id\u00e9ologie, la raison ? Qui peut pr\u00e9voir ce que deviendront, au-del\u00e0 des formules actuelles, les explications de la science objective de demain, ou le visage que prendront les sciences humaines, dans l’enfance encore, aujourd’hui ?<\/p>\n Dans le large pr\u00e9sent encore en devenir, une \u00e9norme \u00ab\u00a0diffusion\u00a0\u00bb est donc \u00e0 l’oeuvre. Elle ne brouille pas seulement le jeu ancien et calme des civilisations les unes par rapport aux autres; elle brouille le jeu de chacune par rapport \u00e0 elle-m\u00eame. Cette diffusion, nous l’appelons encore, dans notre orgueil d’Occidentaux, le rayonnement de notre civilisation sur le reste du monde. A peine peut-on excepter de ce rayonnement, \u00e0 dire d’expert, les indig\u00e8nes du centre de la Nouvelle-Guin\u00e9e, ou ceux de l’Est himalayen. Mais cette diffusion en cha\u00eene, si l’Occident en a \u00e9t\u00e9 l’animateur, lui \u00e9chappe d\u00e9sormais, de toute \u00e9vidence. Ces r\u00e9volutions existent maintenant en dehors de nous. Elles sont la vague qui grossit d\u00e9mesur\u00e9ment la civilisation de base du monde. Le temps pr\u00e9sent, c’est avant tout cette inflation de la civilisation et, semble-t-il, la revanche, dont le terme ne s’aper\u00e7oit pas, du singulier sur le pluriel.<\/p>\n Semble-t-il. Car je l’ai d\u00e9j\u00e0 dit cette nouvelle contrainte ou cette nouvelle lib\u00e9ration, en tout cas cette nouvelle source de conflits et cette n\u00e9cessit\u00e9 d’adaptations, si elles frappent le monde tout entier, y provoquent des mouvements tr\u00e8s divers. On imagine sans peine les bouleversements que la brusque irruption de la technique et de toutes les acc\u00e9l\u00e9rations qu’elle entra\u00eene peut faire na\u00eetre dans le jeu interne de chaque civilisation, \u00e0 l’int\u00e9rieur de ses propres limites, mat\u00e9rielles ou spirituelles. Mais ce jeu n’est pas clair, il varie avec chaque civilisation, et chacune, vis-\u00e0-vis de lui, sans le vouloir, du fait de r\u00e9alit\u00e9s tr\u00e8s anciennes et r\u00e9sistantes parce qu’elles sont sa structure m\u00eame, chacune se trouve plac\u00e9e dans une position particuli\u00e8re. C’est du conflit ou de l’accord entre attitudes anciennes et n\u00e9cessit\u00e9s nouvelles, que chaque peuple fait journellement son destin, son \u00ab\u00a0actualit\u00e9\u00a0\u00bb.<\/p>\n Quelles civilisations apprivoiseront, domestiqueront, humaniseront la machine et aussi ces techniques sociales dont parlait Karl Mannheim dans le pronostic lucide et sage, un peu triste, qu’il risquait en 1943, ces techniques sociales que n\u00e9cessite et provoque le gouvernement des masses mais qui, dangereusement, augmentent le pouvoir de l’homme sur l’homme? Ces techniques seront-elles au service de minorit\u00e9s, de technocrates, ou au service de tous et donc de la libert\u00e9? Une lutte f\u00e9roce, aveugle, est engag\u00e9e sous divers noms, selon divers fronts, entre les civilisations et la civilisation. Il s’agit de dompter, de canaliser celle-ci, de lui imposer un humanisme neuf. Dans cette lutte d’une ampleur nouvelle il ne s’agit plus de remplacer d’un coup de pouce une aristocratie par une bourgeoisie, ou une bourgeoisie ancienne par une presque neuve, ou bien des peuples insupportables par un Empire sage et morose, ou bien une religion qui se d\u00e9fendra toujours par une id\u00e9ologie universelle , dans cette lutte sans pr\u00e9c\u00e9dent, bien des structures culturelles peuvent craquer, et toutes \u00e0 la fois. Le trouble a gagn\u00e9 les grandes profondeurs et toutes les civilisations, les tr\u00e8s vieilles ou plut\u00f4t les tr\u00e8s glorieuses, avec pignon sur les grandes avenues de l’Histoire, les plus modestes \u00e9galement.<\/p>\n De ce point de vue, le spectacle actuel le plus excitant pour l’esprit est sans doute celui des cultures \u00ab\u00a0en transit\u00a0\u00bb de l’immense Afrique noire, entre le nouvel oc\u00e9an Atlantique, le vieil oc\u00e9an Indien, le tr\u00e8s vieux Sahara et, vers le Sud, les masses primitives de la for\u00eat \u00e9quatoriale. Cette Afrique noire a sans doute, pour tout ramener une fois de plus \u00e0 la diffusion, rat\u00e9 ses rapports anciens avec l’\u00c9gypte et avec la M\u00e9diterran\u00e9e. Vers l’oc\u00e9an Indien se dressent de hautes montagnes. Quant \u00e0 l’Atlantique, il a \u00e9t\u00e9 longtemps vide et il a fallu, apr\u00e8s le XVe si\u00e8cle, que l’immense Afrique bascul\u00e2t vers lui pour accueillir ses dons et ses m\u00e9faits. Mais aujourd’hui, il y a quelque chose de chang\u00e9 dans l’Afrique noire: c’est, tout \u00e0 la fois, l’intrusion des machines, la mise en place d’enseignements, la pouss\u00e9e de vraies villes, une moisson d’efforts pass\u00e9s et pr\u00e9sents, une occidentalisation qui a fait largement br\u00e8che, bien qu’elle n’ait certes pas p\u00e9n\u00e9tr\u00e9 jusqu’aux moelles: les ethnographes amoureux de l’Afrique noire, comme Marcel Griaule, le savent bien. Mais l’Afrique noire est devenue consciente d’elle-m\u00eame, de sa conduite, de ses possibilit\u00e9s. Dans quelles conditions ce passage s’op\u00e8re-t-il, au prix de quelles souffrances, avec quelles joies aussi, vous le sauriez en vous y rendant. Au fait, si j’avais \u00e0 chercher une meilleure compr\u00e9hension de ces difficiles \u00e9volutions culturelles, au lieu de prendre comme champ de bataille les derniers jours de Byzance, je partirais vers l’Afrique noire. Avec enthousiasme.<\/p>\n E n v\u00e9rit\u00e9, aurions-nous aujourd’hui besoin d’un nouveau, d’un troisi\u00e8me mot, en dehors de culture et de civilisation dont, les uns ou les autres, nous ne voulons plus faire une \u00e9chelle des valeurs? En ce milieu du XXe si\u00e8cle, nous avons insidieusement besoin, comme le XVIIIe si\u00e8cle \u00e0 sa mi-course, d’un mot nouveau pour conjurer p\u00e9rils et catastrophes possibles, dire nos espoirs tenaces. Georges Friedmann, et il n’est pas le seul, nous propose celui d’humanisme moderne. L’homme, la civilisation, doivent surmonter la sommation de la machine, m\u00eame de la machinerie l’automation qui risque de condamner l’homme aux loisirs forc\u00e9s. Un humanisme, c’est une fa\u00e7on d’esp\u00e9rer, de vouloir que les hommes soient fraternels les uns \u00e0 l’\u00e9gard des autres et que les civilisations, chacune pour son compte, et toutes ensemble, se sauvent et nous sauvent. C’est accepter, c’est souhaiter que les portes du pr\u00e9sent s’ouvrent largement sur l’avenir, au-del\u00e0 des faillites, des d\u00e9clins, des catastrophes que pr\u00e9disent d’\u00e9tranges proph\u00e8tes (les proph\u00e8tes rel\u00e8vent tous de la litt\u00e9rature noire). Le pr\u00e9sent ne saurait \u00eatre cette ligne d’arr\u00eat que tous les si\u00e8cles, lourds d’\u00e9ternelles trag\u00e9dies, voient devant eux comme un obstacle, mais que l’esp\u00e9rance des hommes ne cesse, depuis qu’il y a des hommes, de franchir.<\/p>\n \u00a9 Le Temps strat\u00e9gique, No 82, Gen\u00e8ve, juillet-ao\u00fbt 1998<\/p>\n <\/p>\n <\/p>\n ADDENDA<\/strong><\/p>\n Sur Braudel<\/strong><\/p>\n \u00ab\u00a0Son premier m\u00e9rite, c’est qu’il a vraiment compris qu’au vingti\u00e8me si\u00e8cle, il fallait faire une histoire au-del\u00e0 de l’hexagone, au-del\u00e0 des probl\u00e8mes fran\u00e7ais, qu’il fallait absolument percevoir les probl\u00e8mes europ\u00e9ens et, pour reprendre une expression qui n’existait pas encore quand il a \u00e9crit La M\u00e9diterran\u00e9e<\/em>, les probl\u00e8mes du tiers monde, et m\u00eame avoir une vision plan\u00e9taire.<\/p>\n Sa vision mondiale de l’Histoire<\/strong><\/p>\n Je crois que son grand m\u00e9rite a \u00e9t\u00e9 de comprendre qu’il y avait une \u00e9volution irr\u00e9pressible, que personne ne pouvait contenir, pour sortir de cette esp\u00e8ce d’europ\u00e9o-centrisme qui avait fonctionn\u00e9 \u00e0 plein au XIXe si\u00e8cle et \u00e0 l’\u00e9poque coloniale, et encore pendant la premi\u00e8re moiti\u00e9 du XXe si\u00e8cle, et qu’il fallait d\u00e9sormais avoir vraiment une vision mondiale de l’histoire.<\/p>\n Son histoire \u00e0 plusieurs temps<\/strong><\/p>\n Son second m\u00e9rite (…) a \u00e9t\u00e9 de mettre en relation les \u00e9v\u00e9nements historiques et les \u00e9v\u00e9nements \u00e0 plus longue dur\u00e9e, disons les \u00e9v\u00e9nements anthropologiques, et ainsi de concevoir qu’il y a plusieurs temps dans l’histoire. Il y a un temps court, celui des \u00e9v\u00e9nements; cela ne correspond d’ailleurs pas du tout \u00e0 sa pens\u00e9e de dire qu’il a rejet\u00e9 l’\u00e9v\u00e9nement, mais il a toujours consid\u00e9r\u00e9 qu’il fallait \u00eatre capable d’aller plus loin que les \u00e9v\u00e9nements, de comprendre ce qui les provoquait, m\u00eame quand il s’agissait d’\u00e9v\u00e9nements aussi dramatiques que la R\u00e9volution fran\u00e7aise par exemple. Et puis il y a ce qu’il a appel\u00e9 la longue dur\u00e9e et cela a \u00e9t\u00e9 une id\u00e9e tr\u00e8s importante (…)<\/p>\n Sa mise en sc\u00e8ne du social<\/strong><\/p>\n D’une fa\u00e7on plus g\u00e9n\u00e9rale, il a introduit non seulement l’histoire sociale mais le r\u00f4le des soci\u00e9t\u00e9s dans l’histoire \u00e9conomique. On avait tendance \u00e0 compartimenter les choses, avec, disons, une histoire des \u00e9v\u00e9nements, des gouvernements et des chancelleries; une histoire plus sociale et une histoire \u00e9conomique, celle-ci tendant \u00e0 \u00eatre en quelque sorte autonome par rapport aux autres, m\u00eame si on essayait d’en tirer des enseignements pour les deux autres. Je crois que Braudel a beaucoup veill\u00e9 \u00e0 introduire les changements sociaux, les modifications des soci\u00e9t\u00e9s, dans l’histoire \u00e9conomique.\u00a0\u00bb<\/p>\n Pierre Daix, in: \u00ab\u00a0Regards\u00a0\u00bb, Paris, No 7, novembre 1995, \u00e0 propos du livre qu’il venait d’\u00e9crire: Braudel <\/em>(Paris, Flammarion, 1995).<\/p>\n <\/p>\n Ibn Khaldoun, pr\u00e9curseur m\u00e9di\u00e9val de l’histoire des civilisations<\/strong><\/p>\n \u00ab\u00a0V\u00e9rifier les faits Dans la Muqadimma<\/em>, introduction en trois volumes de son Kitab al-‘Ibar<\/em> (Histoire des Arabes, des Persans et des Berb\u00e8res), Ibn Khaldoun \u00e9crit: \u00ab\u00a0J’ai suivi un plan original pour \u00e9crire l’Histoire et choisi une voie qui surprendra le lecteur, une marche et un syst\u00e8me tout \u00e0 fait \u00e0 moi (…) en traitant de ce qui est relatif aux civilisations et \u00e0 l’\u00e9tablissement des villes\u00a0\u00bb. Il est conscient que sa d\u00e9marche novatrice qui rompt avec l’interpr\u00e9tation religieuse de l’histoire: \u00ab\u00a0Les discours dans lesquels nous allons traiter de cette mati\u00e8re formeront une science nouvelle (…) C’est une science sui generis<\/em> car elle a d’abord un objet sp\u00e9cial: la civilisation et la soci\u00e9t\u00e9 humaine, puis elle traite de plusieurs questions qui servent \u00e0 expliquer successivement les faits qui se rattachent \u00e0 l’essence m\u00eame de la soci\u00e9t\u00e9. Tel est le caract\u00e8re de toutes les sciences, tant celles qui s’appuient sur l’autorit\u00e9 que celles qui sont fond\u00e9es sur la raison.\u00a0\u00bb Tout au long de son oeuvre, il souligne la discipline \u00e0 laquelle doivent s’astreindre ceux qui exercent le m\u00e9tier d’historien: l’examen et la v\u00e9rification des faits, l’investigation attentive des causes qui les ont produits, la connaissance profonde de la mani\u00e8re dont les \u00e9v\u00e9nements se sont pass\u00e9s et dont ils ont pris naissance.\u00a0\u00bb<\/p>\n \u00ab\u00a0Les empires Ibn Khaldoun n’a le loisir d’\u00e9tudier que le monde arabo-musulman (l’Andalousie, le Maghreb, le Machreq). C’est donc dans ce cadre limit\u00e9 qu’il \u00e9labore sa th\u00e9orie cyclique des civilisations rurales ou b\u00e9douines (‘umran badawi)<\/em> et urbaines (‘umran hadari<\/em>). Pour lui, les civilisations sont port\u00e9es par des tribus qui fondent dynasties et empires.\u00a0\u00bb Les empires ainsi que les hommes ont leur vie propre (…) Ils grandissent, ils arrivent \u00e0 l’\u00e2ge de maturit\u00e9, puis ils commencent \u00e0 d\u00e9cliner (…) En g\u00e9n\u00e9ral, la dur\u00e9e de vie [des empires] (…) ne d\u00e9passe pas trois g\u00e9n\u00e9rations (120 ans environ).\u00a0\u00bb<\/p>\n Ibn Khaldoun, conseiller aupr\u00e8s de deux sultans maghr\u00e9bins, grand juge (cadi<\/em>) au Caire, put observer de l’int\u00e9rieur l’\u00e9mergence du pouvoir politique et sa confrontation \u00e0 la dur\u00e9e historique. Ibn Khaldoun est consid\u00e9r\u00e9 comme l’un des fondateurs de la sociologie politique.<\/p>\n Sources: Discours sur l’histoire universelle <\/em>(Al Muqadimma), par Ibn Khaldoun, traduit de l’arabe par Vincent Monteil (Paris\/Arles, Sindbad\/Actes Sud, 3e \u00e9dition, 1997) et Ibn Khaldoun: naissance de l’histoire, pass\u00e9 du tiers monde<\/em>, par Yves Lacoste (Paris, Fran\u00e7ois Maspero, 1978, r\u00e9\u00e9dit\u00e9 chez La D\u00e9couverte, 1998).<\/p>\n <\/p>\n De quelques noms cit\u00e9s<\/strong><\/p>\n Georges Friedmann<\/strong> (1902-1977), philosophe fran\u00e7ais, est surtout connu pour ses travaux de sociologue du travail. Consid\u00e9r\u00e9 comme un des plus importants r\u00e9novateurs fran\u00e7ais des sciences sociales de l’apr\u00e8s-guerre, il eut recours aux outils d’analyse marxistes pour observer les grands bouleversements \u00e0 l’oeuvre dans la soci\u00e9t\u00e9 industrielle. Il est l’auteur de nombreux ouvrages dont Trait\u00e9 de sociologie du travail (coauteur avec Pierre Naville, Paris, A. Colin, 1961-1962), Humanisme du travail et humanit\u00e9s (Paris, A. Colin, 1950), O\u00f9 va le travail humain? (Paris, Gallimard, 1970).<\/p>\n Le bon vieux temps du Dakar-Djibouti<\/strong><\/p>\n Marcel Griaule <\/strong>(1898-1956), ethnologue fran\u00e7ais, fut engag\u00e9 dans de nombreuses recherches de terrain couvrant notamment l’Abyssinie, le Soudan fran\u00e7ais et le Tchad. Il fut \u00e9galement \u00e0 la t\u00eate de la mission ethnographique Dakar-Djibouti (1931-1933) et titulaire en 1942 de la premi\u00e8re chaire d’ethnologie \u00e0 la Sorbonne. Auteur de nombreux ouvrages sur la m\u00e9thode ethnographique, il s’est particuli\u00e8rement int\u00e9ress\u00e9 \u00e0 l’ethnie Dogon (Mali).<\/p>\n Charles Seignobos<\/strong> (1854-1942) historien fran\u00e7ais, auteur en particulier d’une Histoire politique de l’Europe contemporaine<\/em> (1897). Consid\u00e9rant que \u00ab\u00a0tout ce qui n’est pas prouv\u00e9 doit rester provisoirement douteux\u00a0\u00bb, Seignobos fut partisan d’une histoire superficielle et \u00e9v\u00e9nementielle. Cette vision \u00ab\u00a0positiviste\u00a0\u00bb rencontra de vives contestations aupr\u00e8s d’une nouvelle g\u00e9n\u00e9ration d’historiens pour qui la n\u00e9cessit\u00e9 d’approfondir les ph\u00e9nom\u00e8nes devait permettre une compr\u00e9hension plus globale de l’histoire.<\/p>\n \u00ab\u00a0Une culture na\u00eet au moment o\u00f9 une grande \u00e2me se r\u00e9veille\u00a0\u00bb<\/strong><\/p>\n Oswald<\/strong> Spengler<\/strong>, (1880-1936), philosophe allemand, est l’auteur du c\u00e9l\u00e8bre D\u00e9clin de l’Occident<\/em> (1916-1920), ouvrage qui eut un \u00e9cho \u00e0 la mesure de l’effondrement de l’empire allemand. Spengler expose dans son ouvrage une philosophie pessimiste de l’histoire, en opposition \u00e0 l’id\u00e9ologie de progr\u00e8s dominant \u00e0 l’\u00e9poque. Selon lui, l’Occident serait entr\u00e9 d\u00e8s les d\u00e9buts du XXe si\u00e8cle dans sa phase de d\u00e9clin. Au-del\u00e0, Spengler propose une th\u00e9orie g\u00e9n\u00e9rale et cyclique des huit principales civilisations et des innombrables cultures du monde. Pour lui, il n’existe pas de sens g\u00e9n\u00e9ral de l’histoire: juste des successions de cycles similaires au cycle biologique. Pour lui, les unit\u00e9s de base de l’histoire sont les cultures dont il dit qu’elles sont de v\u00e9ritables organismes vivants: \u00ab\u00a0Une culture na\u00eet au moment o\u00f9 une grande \u00e2me se r\u00e9veille, se d\u00e9tache de l’\u00e9tat psychique primaire d’\u00e9ternelle enfance humaine, forme issue de l’informe, limite et caducit\u00e9 sorties de l’infini et de la dur\u00e9e. Elle cro\u00eet sur le sol d’un paysage exactement d\u00e9limitable, auquel elle reste li\u00e9e comme la plante. Une culture meurt quand l’\u00e2me a r\u00e9alis\u00e9 la somme enti\u00e8re de ses possibilit\u00e9s, sous la forme de peuples, de langues, de doctrines religieuses, d’arts, d’\u00c9tats, de sciences, et qu’elle retourne ainsi \u00e0 l’\u00e9tat psychique primaire.\u00a0\u00bb Le nazisme tenta de r\u00e9cup\u00e9rer les conceptions philosophiques de Spengler, puis finit par les critiquer.<\/p>\n De l’action civilisatrice des \u00ab\u00a0minorit\u00e9s cr\u00e9atrices\u00a0\u00bb<\/strong><\/p>\n Arnold Toynbee <\/strong>(1889-1975), historien britannique, est l’auteur d’une somme monumentale, Study of History <\/em>(\u00c9tude de l’histoire), publi\u00e9e en douze volumes entre 1934 et 1961. D\u00e9nombrant 26 civilisations, il d\u00e9veloppe une conception cyclique de leur \u00e9volution. Pour lui, les civilisations naissent de l’action de \u00ab\u00a0minorit\u00e9s cr\u00e9atrices\u00a0\u00bb et passent toutes par des \u00e9tapes de croissance, de rupture (breakdown<\/em>) puis de d\u00e9sint\u00e9gration. Son oeuvre t\u00e9moigne d’une vision non-europ\u00e9ocentrique de l’histoire.<\/p>\n Paul Val\u00e9ry <\/strong>(1871-1945), \u00e9crivain fran\u00e7ais proche du po\u00e8te Mallarm\u00e9, entr\u00e9 en 1925 \u00e0 l’Acad\u00e9mie fran\u00e7aise, est l’auteur d’une phrase c\u00e9l\u00e8bre sur le destin des civilisations : \u00ab\u00a0Nous autres civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles\u00a0\u00bb (Vari\u00e9t\u00e9 I, La crise de l’esprit,<\/em> p. 1. Paris, Gallimard, 1978).<\/p>\n<\/div>\n Pour une histoire des civilisations<\/strong><\/p>\n Grammaire des civilisations,<\/strong> par Fernand Braudel. Paris, Arthaud, 1987.<\/p>\n L’Histoire, un essai d’interpr\u00e9tation,<\/strong> par Arnold Toynbee (version abr\u00e9g\u00e9e de A Study of History<\/em> traduit de l’anglais par Elisabeth Julia). Paris, Gallimard, 1951.<\/p>\n Le D\u00e9clin de l’Occident, <\/strong>par Oswald Spengler (traduit de l’allemand par M. Tazerout). Paris, 2 volumes, Gallimard, 1931-1933.<\/p>\n Culture and History, prolegomena to the comparative study of civilizations,<\/strong> par Philip Bagby. Westport, Conn., Greenwood Press, 1976.<\/p>\n Grandeur et d\u00e9cadence des civilisations,<\/strong> par Shepard Bancroft Clough. Paris, Payot, 1954.<\/p>\n<\/div>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":" La longue, l’in\u00e9puisable dur\u00e9e des civilisations Un texte classique de Fernand Braudel Fernand Braudel… Ce texte est extrait de l’article de Fernand Braudel \u00ab\u00a0Histoire des Civilisations: le pass\u00e9 explique le pr\u00e9sent\u00a0\u00bb publi\u00e9 en 1959 dans L’encyclop\u00e9die fran\u00e7aise et repris en 1997 dans Les Ambitions de l’Histoire (Paris, \u00c9ditions de Fallois, \u2026 Lire plus \/ Read more<\/a><\/p>\n","protected":false},"author":1,"featured_media":810,"parent":809,"menu_order":0,"comment_status":"closed","ping_status":"closed","template":"","meta":{"ngg_post_thumbnail":0,"footnotes":""},"class_list":["post-826","page","type-page","status-publish","has-post-thumbnail","hentry"],"_links":{"self":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/826","targetHints":{"allow":["GET"]}}],"collection":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages"}],"about":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/types\/page"}],"author":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/users\/1"}],"replies":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=%2Fwp%2Fv2%2Fcomments&post=826"}],"version-history":[{"count":1,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/826\/revisions"}],"predecessor-version":[{"id":827,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/826\/revisions\/827"}],"up":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/809"}],"wp:featuredmedia":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/media\/810"}],"wp:attachment":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=%2Fwp%2Fv2%2Fmedia&parent=826"}],"curies":[{"name":"wp","href":"https:\/\/api.w.org\/{rel}","templated":true}]}}Ce que l’historien des civilisations peut affirmer, mieux qu’aucun autre, c’est que les civilisations sont des r\u00e9alit\u00e9s de tr\u00e8s longue dur\u00e9e. Elles ne sont pas \u00ab\u00a0mortelles \u00ab\u00a0, \u00e0 l’\u00e9chelle de notre vie individuelle surtout, malgr\u00e9 la phrase trop c\u00e9l\u00e8bre de Paul Val\u00e9ry. Je veux dire que les accidents mortels, s’ils existent et ils existent, bien entendu, et peuvent disloquer leurs constellations fondamentales les frappent infiniment moins souvent qu’on ne le pense. Dans bien des cas, il ne s’agit que de mises en sommeil. D’ordinaire, ne sont p\u00e9rissables que leurs fleurs les plus exquises, leurs r\u00e9ussites les plus rares, mais les racines profondes subsistent au-del\u00e0 de bien des ruptures, de bien des hivers.<\/p>\n
\ninvestiguer les causes\u00a0\u00bb<\/strong><\/p>\n
\ndurent environ 120 ans\u00a0\u00bb<\/strong><\/p>\n