{"id":792,"date":"2015-01-08T13:20:47","date_gmt":"2015-01-08T12:20:47","guid":{"rendered":"http:\/\/www.archipress.org\/wp\/?page_id=792"},"modified":"2015-01-08T21:31:14","modified_gmt":"2015-01-08T20:31:14","slug":"strategie","status":"publish","type":"page","link":"https:\/\/www.archipress.org\/?page_id=792","title":{"rendered":"Strat\u00e9gie"},"content":{"rendered":"
INTERPR\u00c9TATIONS<\/p>\n
…gr\u00e2ce au \u00ab\u00a0tablier des pouvoirs\u00a0\u00bb<\/strong><\/p>\n Par Pierre-Fr\u00e9d\u00e9ric Teni\u00e8re-Buchot<\/em><\/p>\n Les jeux des pouvoirs sont vils? Peut-\u00eatre. Mais ils existent. Ils nous occupent m\u00eame une bonne partie de notre temps: dans la vie publique, dans l’entreprise, \u00e0 l’arm\u00e9e, dans la famille, dans nos amours… Alors autant essayer d’en comprendre les m\u00e9canismes. L’auteur vous y invite, de mani\u00e8re plaisante ma foi. Attention, cependant: \u00e0 ce jeu-l\u00e0, chacun, sans exception, en prend pour son grade. Vous voil\u00e0 averti.<\/strong><\/p>\n Pierre-Fr\u00e9d\u00e9ric Teni\u00e8re-Buchot, directeur de Candiz, cabinet de conseil en strat\u00e9gie, professeur au Conservatoire national des Arts et M\u00e9tiers de Paris (cours de m\u00e9thodes de pr\u00e9paration des d\u00e9cisions) et \u00e0 l’Institut national des sciences et techniques nucl\u00e9aires \u00e0 Saclay (cours de d\u00e9cision en recherche-d\u00e9veloppement), a publi\u00e9 une premi\u00e8re version beaucoup plus d\u00e9taill\u00e9e, de cet article, dans six livraisons successives (Nos 30 \u00e0 35) de<\/em> Strat\u00e9gique (Paris), en 1986-1987.<\/em><\/p>\n Comment une mauvaise grippe<\/strong> Le tablier des pouvoirs dont il est question ici est l’ancienne pi\u00e8ce aplanie, de bois ou de pierre, sur laquelle on jouait jadis aux \u00e9checs, aux dames ou au tric-trac. C’est donc le support d’un jeu dont les pouvoirs sont les constituants essentiels.<\/p>\n Pourquoi recourir au pluriel pour parler du pouvoir? Parce qu’un jour, j’ai attrap\u00e9 une mauvaise grippe qui m’a fait d\u00e9lirer quelque peu. Il se trouve que mes travaux de l’\u00e9poque portaient sur l’analyse de syst\u00e8mes et plus particuli\u00e8rement sur l’une de ses techniques: l’analyse structurelle, qui s’efforce de comprendre les relations plus ou moins conflictuelles qui se d\u00e9veloppent au sein d’un groupe humain, une famille ou une entreprise par exemple.<\/p>\n Quelques jours avant ce maudit rhume, j’avais eu l’occasion d’\u00e9tudier un jeu – -l’\u00e9chiquier de Machiavel – sous l’angle des divers m\u00e9canismes de la trahison, ressorts secrets et indispensables de l’acquisition du pouvoir. Ce jeu (diffus\u00e9, soit dit en passant, par la librairie \u00ab\u00a0L’impens\u00e9 radical\u00a0\u00bb – tout un programme – 1, rue M\u00e9dicis, 750006 Paris) se pratique sur un tablier carr\u00e9 de 9 x 9 = 81 cases, interm\u00e9diaire entre l’\u00e9chiquier (64 cases) et le damier (100 cases). Il se joue \u00e0 quatre et non \u00e0 deux, ce qui permet de d\u00e9ployer les talents de chacun en mati\u00e8re de promesses non tenues, renversements d’alliances, partages iniques, conduites inf\u00e2mes et autres fourberies scabreuses.<\/p>\n Or, l’interpr\u00e9tation des matrices d’analyse structurelle s’effectue au moyen de diagrammes carr\u00e9s. La fi\u00e8vre m’a fait superposer le tablier de Machiavel \u00e0 ces diagrammes. Il ne s’agissait plus alors que de faire correspondre les pi\u00e8ces du jeu aux grands \u00e9l\u00e9ments d’analyse de la m\u00e9thode structurelle afin d’en faciliter et prolonger les possibilit\u00e9s interpr\u00e9tatives: le tablier des pouvoirs \u00e9tait n\u00e9! Sur ce tablier sont dispos\u00e9es et \u00e9voluent des pi\u00e8ces (les pouvoirs) dont les caract\u00e9ristiques sont r\u00e9sum\u00e9es dans l’encadr\u00e9 pages 30-31. Le tablier des pouvoirs permet, directement ou par analogie, d’analyser des situations humaines conflictuelles, qu’elles soient politiques, sociales, familiales, scolaires, ou autres; de comprendre le r\u00f4le que soi-m\u00eame on y joue, et alors de jouer ce r\u00f4le le plus efficacement possible.<\/p>\n J’admets, \u00e0 partir de ce point, cher lecteur, que vous vous \u00eates familiaris\u00e9 avec les pi\u00e8ces du tablier des pouvoirs, et entreprends imm\u00e9diatement d’illustrer (dans le domaine politico-social, puisqu’il faut bien en choisir un) comment, si vous \u00eates le Prince, ou le Citoyen, ou l’Intellectuel qui juge de tout, ou encore le Politique qui cause qui cause, vous pouvez remplir votre r\u00f4le pleinement et augmenter ainsi votre pouvoir… Suivez le guide.<\/p>\n Imaginez donc, c’est le premier exemple, que vous soyez au gouvernement. Vos administr\u00e9s ne vous l’envoient pas dire: vous \u00eates un incapable, votre style administratif est erratique, vous \u00eates d\u00e9pass\u00e9 par votre r\u00f4le!<\/p>\n Que faire? Prendre directement en compte les (justes) reproches qui vous sont adress\u00e9s? Que nenni. Un Prince qui s’\u00e9vertue est m\u00e9diocre aux yeux de tous. Consid\u00e9rez plut\u00f4t le tablier des pouvoirs; il vous montre que vous devez agir en direction des trois autres coins de l’\u00e9chiquier: 1. marquer votre autorit\u00e9 sur le bon peuple, 2. prononcer des discours politiques qui, peu importe leur contenu, apparaissent clairs, frapp\u00e9s au coin du bon sens, et 3. vous efforcer constamment de canaliser les passions en les projetant vers l’avenir, afin de les d\u00e9tourner de vous. Mais revenons sur ces points.<\/p>\n Vous voici Prince cependant.<\/strong> L’action d’autorit\u00e9<\/em> exige que vous ne soyez pas confus et que vous disposiez de quelques moyens d’autorit\u00e9. Ne pas \u00eatre confus consiste \u00e0 savoir r\u00e9pondre \u00e0 la question: suis-je oui ou non au gouvernement?<\/p>\n Si la r\u00e9ponse est non, vous trouverez d’autres emplois tout aussi captivants. Si votre r\u00e9ponse est oui, alors soyez persuad\u00e9 que vous ne devez pas vous prendre pour autre chose que ce que vous \u00eates: un gouvernant. En tant que tel vous n’\u00eates pas le pays. Le pays ce sont les hommes qui le constituent et non vous. Vous n’\u00eates plus parmi eux car vous devez les diriger.<\/p>\n Vous devez donc risquer \u00e0 tout moment votre existence en vous affirmant comme \u00e9tant vous-m\u00eame, en engageant votre responsabilit\u00e9, en d\u00e9cidant pour les autres. Si vous faites dispara\u00eetre ce risque, vous faites dispara\u00eetre du m\u00eame coup la fonction de gouvernement.<\/p>\n Mais comprendre cela n’est pas suffisant. Il vous faut disposer aussi de quelques aides qui assurent une bonne liaison entre vous et le peuple. Ces agents d’autorit\u00e9, d\u00e9sign\u00e9s par le vocable symbolique mais un peu rude d’Assassins, viennent fournir les explications que vous ne pouvez vous-m\u00eame apporter publiquement. Ils vont r\u00e9v\u00e9ler le dessous d’une partie de vos cartes, assurant ainsi des complicit\u00e9s sans lesquelles aucune l\u00e9gitimit\u00e9 ne perdure En retour, ils vous rapporteront les vraies attentes du peuple, celles qui sont plus profondes que les revendications et r\u00e9criminations qu’il vous adresse officiellement. Ces attentes-l\u00e0, vous devrez les satisfaire co\u00fbte que co\u00fbte, aux d\u00e9pens des exigences exprim\u00e9es \u00e0 voix haute. Il est donc indispensable que vous ayez de bons Assassins. Que ceux-ci se trompent ou vous trompent et tout est perdu.<\/p>\n Dans les cas difficiles, les Assassins – le terme le sugg\u00e8re – sont aussi vos hommes de main. Mais en r\u00e8gle g\u00e9n\u00e9rale, vous ne devez pas en arriver l\u00e0.<\/p>\n Le discours politique<\/em> est, dans l’instant, ce que l’on retiendra le plus de vous.<\/p>\n Ici aussi ne confondez pas les r\u00f4les. Ce n’est pas \u00e0 vous d’informer, d’\u00e9tudier, encore moins de juger. C’est vous qui \u00eates sujet d’\u00e9tude, tous les regards sont tourn\u00e9s vers vous. Donc pas d’introspection, pas de r\u00e9v\u00e9lation qui ne soit sagement pr\u00e9par\u00e9e \u00e0 l’avance. Soyez simple dans la dissimulation et dissimul\u00e9 dans votre simplicit\u00e9 (s’il vous en reste). Toute autre attitude est immature, et traduit le fait que vous ne pouvez pas, ou que vous ne voulez pas, en votre for int\u00e9rieur, gouverner. Nul bl\u00e2me dans ce cas: la sinc\u00e9rit\u00e9 a aussi sa place sur le tablier, mais pas en son coin sup\u00e9rieur gauche, o\u00f9 elle appara\u00eet au contraire comme une tare r\u00e9dhibitoire.<\/p>\n Dans ces conditions, comment construire votre discours politique? En vous appuyant essentiellement sur des r\u00e9p\u00e9titeurs, amplificateurs et autres porte-parole, les Conformistes. Ce sont eux qui \u00e9criront vos pens\u00e9es les plus intimes (ou pr\u00e9sent\u00e9es comme telles). Votre seule responsabilit\u00e9 sera donc de bien les choisir. Les Conformistes sont des lettr\u00e9s qui ne doutent jamais (contrairement \u00e0 vous, qui \u00eates moins savant et plus m\u00e9fiant). Fournissez-leur une trame, vous serez \u00e9tonn\u00e9 du tapis qui en r\u00e9sultera. Ils en d\u00e9fendront le dessin avec acharnement. En fait, ils jetteront dans les t\u00e9n\u00e8bres tous ceux qui ne leur ressemblent pas, qui ne sortent pas de la m\u00eame \u00c9cole, qui ne font pas partie du m\u00eame Corps, bref qui ne peuvent avoir que des pens\u00e9es h\u00e9r\u00e9tiques puisqu’ils ne font pas partie de la meute. Les Conformistes sont en effet vos chiens de garde. Une doctrine politique, quelle qu’elle soit, est faite pour \u00eatre aboy\u00e9e, sinon elle n’est pas retenue. D\u00e9brouillez-vous en cons\u00e9quence pour simplifier votre pens\u00e9e. Laissez aux Conformistes et \u00e0 leur client\u00e8le, les observateurs et commentateurs politiques, le soin de l’embellir. Soyez concis. Il est plus facile d’interpr\u00e9ter longuement des paroles br\u00e8ves que d’analyser de longs discours. Ceux-ci ne vous sont permis que lorsque les observateurs et autres journalistes sont r\u00e9duits au silence. Si vous n’\u00eates pas un tyran, ce que j’esp\u00e8re, restez bref et myst\u00e9rieux. Vos Conformistes thurif\u00e9raires discourront pour vous. Cela vous permettra de vous consacrer plus \u00e0 loisir \u00e0 la seule chose qui compte pour vous: votre entr\u00e9e dans l’Histoire.<\/p>\n Canaliser les passions,<\/em> en ma\u00eetriser l’orientation et la port\u00e9e, est en fait le seul vrai travail que vous ayez \u00e0 accomplir si les deux strat\u00e9gies pr\u00e9c\u00e9dentes sont bien g\u00e9r\u00e9es. Le but de votre effort est maintenant de laisser derri\u00e8re vous, apr\u00e8s votre mandat ou votre mort, un souvenir embelli, magnifi\u00e9, mythique, de votre action. Ne comptez pas pour cela sur vos admirateurs conformistes, ni sur les commentateurs politiques. Tous ces gens-l\u00e0 ignorent la dur\u00e9e, ils sont \u00e0 votre service aujourd’hui pour animer des instants successifs et \u00e9ph\u00e9m\u00e8res. Mais que vous disparaissiez de leur vue, et ils ne vous conna\u00eetront plus.<\/p>\n Non, ce qu’il vous faut, c’est susciter autour de vous des r\u00e9actions passionn\u00e9es, donc excessives, sur votre action, vos ambitions, vos convictions r\u00e9elles. Soyez d\u00e9ifi\u00e9 ou ha\u00ef, vous aurez r\u00e9ussi. \u00c9vitez par-dessus tout de laisser vos Juges indiff\u00e9rents, qui alors oublieraient jusqu’\u00e0 votre nom. Qui sont ces Juges? Essentiellement des intellectuels et des concurrents. Sachez donc reconna\u00eetre les vraies valeurs en mati\u00e8re d’art et de pens\u00e9e. Si vous \u00eates brillant, il n’y aura pas de probl\u00e8me. Si vous l’\u00eates moins, soyez m\u00e9c\u00e8ne et protecteur. Charles X n’\u00e9tait pas un grand souverain, mais le mobilier plaisant qui porte son nom le rappelle \u00e0 notre souvenir.<\/p>\n Attachez-vous aussi des opposants c\u00e9l\u00e8bres ou qui risquent de le devenir. Ponce-Pilate aurait-il sauv\u00e9 le Christ, personne n’en garderait le souvenir. Chiang Kai-Shek n’existe que par Mao, P\u00e9tain par de Gaulle, et peut-\u00eatre r\u00e9ciproquement. Ces opposants, vous passerez votre temps \u00e0 les combattre. Cela vous \u00e9puisera, mais vous renforcera, donnant un sens \u00e0 votre action, que l’Histoire finira par retenir.<\/p>\n Cependant, vous frotter aux passions de l’Histoire demande perspicacit\u00e9, obstination et prudence. Vous aurez donc int\u00e9r\u00eat \u00e0 recruter quelques Diplomates ou agents provocateurs de grande qualit\u00e9; de Gaulle avait son Malraux, Napol\u00e9on son Talleyrand. Le Diplomate est un n\u00e9gociateur qui approche le terrain des Juges (\u00e0 savoir: les artistes, les intellectuels, les religieux, les id\u00e9ologues). Il voit dans quelle mesure ceux-ci ont pris conscience de l’existence du gouvernement qui le d\u00e9p\u00eache. La plupart du temps cette conscience est nulle. Le Diplomate doit d\u00e8s lors provoquer l’attention, allumer des feux qu’il aura t\u00f4t fait d’\u00e9teindre, distribuer des bienfaits qui tarderont \u00e0 arriver concr\u00e8tement (en sorte que les b\u00e9n\u00e9ficiaires, g\u00e9n\u00e9ralement des artistes, devront les r\u00e9clamer), cr\u00e9er des menaces aussit\u00f4t mu\u00e9es en malentendus d\u00e9solants, arranger les affaires les plus scabreuses mais rendre compliqu\u00e9es les relations les plus simples. Bref le r\u00f4le de Diplomate est celui d’homme-\u00e0-tout-faire du Prince, grain de sable qui rappelle que le m\u00e9canisme du gouvernement existe.<\/p>\n Mais vous vous m\u00e9fierez des Diplomates dont vous vous servez. Ils ne sont pas de la m\u00eame nature que vous, ils ne s’opposeront jamais \u00e0 vous, mais pourront vous perdre en servant le camp adverse.<\/p>\n Nous vous sentons, courageux lecteur, perplexe, peut-\u00eatre m\u00eame agac\u00e9. Ceux qui exercent r\u00e9ellement une autorit\u00e9 ne sont-ils pas fort \u00e9loign\u00e9s du noir portrait qui vient d’\u00eatre bross\u00e9? Sans doute, mais il s’agit ici d’un jeu et non de l’analyse d’un cas r\u00e9el. Nous vous avons fait coiffer la couronne d’un pouvoir absolu, puisque situ\u00e9 \u00e0 l’un des coins du tablier. Dans un cas r\u00e9el, vous n’auriez pas \u00e9t\u00e9 si excentr\u00e9. Et quoi qu’il en soit, les conseils donn\u00e9s doivent \u00eatre mod\u00e9r\u00e9s par votre volont\u00e9 propre.<\/p>\n Avez-vous toujours envie d’entrer au gouvernement?<\/p>\n Vous \u00eates Peuple maintenant.<\/strong> Pour que vous en puissiez juger, je vous propose maintenant de jouer votre propre r\u00f4le, d’homme de la base, noy\u00e9 dans la masse anonyme.<\/p>\n Comme la plupart d’entre nous vous vous situez \u00e0 l’angle sup\u00e9rieur droit du tablier: ni gouvernement, ni observateur politique professionnel, ni id\u00e9ologue fervent mais simple citoyen. Votre objectif est de gagner votre pain quotidien.<\/p>\n Dans ces conditions, comment devez-vous agir? Tout d’abord, vous essayerez de faire nombre. Constituez-vous en groupe: association, parti, clan, syndicat, secte, \u00e9glise, la forme importe moins que le nombre des adh\u00e9rents, membres et fid\u00e8les.<\/p>\n Ensuite vous m\u00e8nerez trois actions pour accro\u00eetre votre pouvoir: 1. \u00e0 peine un gouvernement en place, vous commencerez \u00e0 vous plaindre de lui et ne cesserez plus de le faire; cela vous permettra de n\u00e9gocier avec ses \u00e9missaires; 2. vous ferez du bruit, du scandale, la f\u00eate, pour que les autres pouvoirs, abasourdis, vous laissent en paix; 3. vous exciterez des t\u00eates br\u00fbl\u00e9es qui attireront sur elles la violence des autres pouvoirs, confortant davantage encore votre tranquillit\u00e9.<\/p>\n Prescriptions d’anarchie? N’en croyez rien. Mais entrons dans le d\u00e9tail.<\/p>\n Plaignez-vous <\/em>et critiquez sans cesse le gouvernement, quel qu’il soit, cela est n\u00e9cessaire \u00e0 l’obtention d’un \u00e9quilibre entre les gouvernants, tr\u00e8s peu nombreux, et les gouvern\u00e9s, qui sont le plus grand nombre. Le Prince, qu’il soit personne physique ou monstre anonyme, tire sa puissance de tout ce qu’il fait subir \u00e0 ses sujets (entraves \u00e0 leur libert\u00e9, imposition fiscale, conscription). Entre deux r\u00e9voltes, ceux-ci doivent s’efforcer de limiter ses exigences. S’ils ne se plaignent pas, ils redeviendront vite esclaves, et pour une longue p\u00e9riode. L’int\u00e9r\u00eat bien compris des citoyens ne peut pas \u00eatre celui d’un gouvernement, m\u00eame librement \u00e9lu.<\/p>\n Multipliez les actions aupr\u00e8s des politiques, <\/em>qu’il s’agisse de parlementaires, de journalistes, d’observateurs qualifi\u00e9s, de personnalit\u00e9s qui \u00ab\u00a0font l’opinion\u00a0\u00bb. Les harceler sans rel\u00e2che, leur prodiguer reproches et encouragements, exiger tout d’eux, notamment ce qu’ils ne peuvent faire (\u00e0 savoir: juger les situations, gouverner, r\u00e9aliser), bref les \u00e9tourdir, pour mieux vivre cach\u00e9. En effet, les sorciers de l’opinion, ainsi condamn\u00e9s \u00e0 ne parler que de brouhaha, d’illusoire, de scandale apparent, n’auront aucune prise sur l’essentiel: votre tranquillit\u00e9. Imaginez a contrario ce qui se passerait si les journalistes avaient le loisir de rendre transparentes des situations qui vous sont favorables, et dont l’\u00e9quilibre pr\u00e9caire ne tient qu’\u00e0 l’oubli qui les entoure: elles s’effondreraient en un instant…<\/p>\n Pour \u00e9viter cela, vous pouvez vous appuyer sur des agents de communication (les Transmetteurs) qui jouent les filtres, laissant passer tout ce qui est excessif – les malheurs, les records, l’inattendu, le cocasse – mais ignorant l’essentiel, leur r\u00f4le principal \u00e9tant de distraire.<\/p>\n Attirez sur d’autres la violence<\/em> des pouvoirs. Pour cela il vous faudra recourir \u00e0 des t\u00eates br\u00fbl\u00e9es, des Terroristes. Rien de plus simple, rep\u00e9rez les marginaux autour de vous, persuadez-les qu’ils sont les escouades avanc\u00e9es de la majorit\u00e9 de demain, donnez-leur quelques moyens d’autonomie, puis attirez l’attention sur le danger qu’ils repr\u00e9sentent. L’ordre \u00e9tabli s’occupera d’eux, vous laissant vous-m\u00eame en paix longtemps.<\/p>\n Immoralit\u00e9 provocatrice? Go\u00fbt du paradoxe et de l’exc\u00e8s? Songez, cher lecteur, \u00e0 la Cause Palestinienne, au Liban, \u00e0 la Nouvelle-Cal\u00e9donie, au Salvador, et d’une mani\u00e8re g\u00e9n\u00e9rale aux foyers de gu\u00e9rilla que collectivement toutes les nations d\u00e9velopp\u00e9es du monde entretiennent depuis des d\u00e9cennies, pour fixer la violence loin de leur territoire…<\/p>\n Mais voici enfin votre tour, lecteur qui avez la passion de d\u00e9fendre les valeurs essentielles. Oui, vous souffrez que la vie ne suive pas les canons de la Justice, mais vous gardez espoir car vos efforts inlassables pr\u00e9parent le futur, un futur qui donnera leur place \u00e0 tous les opprim\u00e9s d’aujourd’hui, un futur fait d’humanisme, de g\u00e9n\u00e9rosit\u00e9, de respect mutuel, o\u00f9 les conflits n’existeront que pour le bien g\u00e9n\u00e9ral, et peut-\u00eatre m\u00eame n’auront plus cours.<\/p>\n Vous vous situez dans le coin inf\u00e9rieur droit du tablier des pouvoirs et remplissez, \u00f4 Juges, des fonctions indispensables: c’est vous qui identifiez et rappelez sans cesse les faiblesses du syst\u00e8me, qui annoncez des jours meilleurs, distinguez enfin le sens de la vie de la seule ob\u00e9issance au pouvoir \u00e9tabli. Cette derni\u00e8re fonction vous cr\u00e9e souvent de nombreux d\u00e9sagr\u00e9ments mais constitue votre noblesse et fait oublier le reste.<\/p>\n Voyons comment vous pouvez agir pour le plus grand bien de vos convictions. Comptables du bien et du mal que seul vous pouvez distinguer clairement, vous devez, comme dit Virgile, \u00ab\u00a0\u00e9pargner les soumis, dompter les superbes\u00a0\u00bb; j’oserais ajouter \u00ab\u00a0et le faire savoir\u00a0\u00bb.<\/p>\n Ah! le beau m\u00e9tier<\/strong> \u00c9pargner ceux qui se soumettent<\/em> est relativement ais\u00e9. Vous y arrivez en leur rendant justice, en leur donnant espoir, en fournissant un sens \u00e0 leur Histoire. En revanche, les insoumis parmi les insoumis, les Terroristes, bien s\u00fbr, vous ne les \u00e9pargnerez pas. Mais c’est l\u00e0 un aspect ambigu de votre jeu. Vous courez en effet le danger permanent d’\u00eatre plus violent dans votre r\u00e9pression que les r\u00e9volt\u00e9s qui vous agressent. Si vous \u00eates l’\u00c9glise, vous \u00e9l\u00e8verez des b\u00fbchers, si vous \u00eates Juges vous vous entourerez d’huissiers, de bourreaux et de re\u00eetres policiers, si vous \u00eates intellectuels m\u00eame pacifiques, vous ferez se battre les montagnes. Bref vous finirez par avoir beaucoup de morts sur la conscience (motif permanent d’ironie et de satisfaction pour le Prince, qui vous observe depuis l’autre extr\u00e9mit\u00e9 du tablier). Parfois, la passion vous portera \u00e0 des exc\u00e8s plus choquants encore. Pour faire r\u00e9gner l’ordre, vous cr\u00e9erez vos propres terroristes, fanatis\u00e9s, dont l’illumination sera d\u00e9clar\u00e9e pieuse, dont la brutalit\u00e9 vous para\u00eetra vertueuse et pour lesquels l’impunit\u00e9 sera la r\u00e8gle. Toutes choses fort d\u00e9plaisantes.<\/p>\n Dompter les superbes,<\/em> faire plier le genou aux gouvernants, est un exercice plus r\u00e9jouissant, qui peut vous procurer une intense satisfaction lorsqu’il vous r\u00e9ussira, \u00f4 vous, petits-Juges, Intellectuels mis\u00e9reux, et autres Justes devant l’\u00c9ternel. Comment vous y prendre pour cela?<\/p>\n D’abord, vous rappellerez constamment au gouvernement qu’il ne respecte pas les engagements qu’il a pris et qui lui ont permis d’\u00eatre \u00e9lu (ou les valeurs sur lesquelles se fonde sa l\u00e9gitimit\u00e9, s’il s’est d\u00e9sign\u00e9 tout seul). Bref, vous ferez planer la menace d’excommunication en permanence. Votre sanction absolue sera d’interdire aux gouvernants l’entr\u00e9e dans l’histoire, paradis des Chefs.<\/p>\n Le Prince d\u00e9p\u00eachera alors ses Diplomates aupr\u00e8s de vous, \u00f4 autorit\u00e9s religieuses, intellectuelles, artistiques et culturelles, et vous aurez aussi les v\u00f4tres.<\/p>\n Sur quoi portera la n\u00e9gociation? D’abord sur une r\u00e9ciprocit\u00e9 de reconnaissance. Le gouvernement devra vous d\u00e9clarer seuls Juges de ses actes, seuls qualifi\u00e9s pour en contr\u00f4ler la l\u00e9gitimit\u00e9. Vous accepterez alors de les consid\u00e9rer avec bienveillance c’est-\u00e0-dire avec une s\u00e9v\u00e9rit\u00e9 feinte. Si, au contraire, il venait \u00e0 l’id\u00e9e du gouvernement de recourir \u00e0 plusieurs contr\u00f4leurs, exer\u00e7ant les m\u00eames fonctions et ayant des talents similaires aux v\u00f4tres, vous serez amen\u00e9s \u00e0 durcir le ton, \u00e0 brandir l’anath\u00e8me. Un gouvernant ne doit pas choisir d’autre porte de sortie que la v\u00f4tre. C’est moins ses activit\u00e9s pr\u00e9sentes que vous allez juger que le souvenir qu’on gardera d’elles. Voil\u00e0 la marchandise que votre ambassadeur doit vendre.<\/p>\n Enfin, vous sugg\u00e9rerez au gouvernement d’accueillir en son sein un certain nombre de conseillers permanents qui \u00e9viteraient tout d\u00e9lai et risque d’incompr\u00e9hension dans les excellentes relations qu’il a pu lier avec vous jusqu’\u00e0 pr\u00e9sent.<\/p>\n C’est ainsi que des cardinaux et des abb\u00e9s entrent au service du Prince, que les gouvernements modernes ont leur quota oblig\u00e9 de repr\u00e9sentants occultes des familles philosophiques, intellectuelles, ainsi que d’\u00e9crivains \u00e0 la mode et de penseurs confus.<\/p>\n Faire conna\u00eetre<\/em> vos arr\u00eats est enfin le troisi\u00e8me axe strat\u00e9gique dont vous disposez. Soyez tr\u00e8s attentifs \u00e0 ce dernier aspect. Si vous \u00eates un Intellectuel et que vous ne publiez pas, vous n’\u00eates rien. Si vous \u00eates un Juge dont les arr\u00eats ne sont pas proclam\u00e9s, vous n’avez pas de fonction. Si vous \u00eates un Sage et ne faites pas savoir que vous fuyez la c\u00e9l\u00e9brit\u00e9, vous resterez immobile et inconnu. La Sagesse n’existe pas sans admirateurs.<\/p>\n Bref, cher savant docteur, vous qui vous permettez de juger de tout, qui passez votre temps \u00e0 prof\u00e9rer le bien et le mal, votre int\u00e9r\u00eat bien compris est d’organiser votre publicit\u00e9. C’est chose difficile car vos interlocuteurs s’approprient souvent vos id\u00e9es. En bons miroirs, les politiques, les journalistes, signent de leur nom ce qu’ils ont entendu ou lu chez vous. Les \u00e9diteurs oublient de diffuser votre ouvrage. Les chroniqueurs d\u00e9naturent votre pens\u00e9e et vos propos.<\/p>\n Vous \u00eates donc contraint d’utiliser un interm\u00e9diaire, le D\u00e9stabilisateur qui, selon le cas, est votre impr\u00e9sario, votre agent litt\u00e9raire, votre publicitaire.<\/p>\n Voici enfin ceux qui ne font rien<\/strong> Contrairement au Conformiste, porte-parole officiel, qui conna\u00eet beaucoup de la vie du Prince mais parle pour ne rien en dire, le D\u00e9stabilisateur sait en fait tr\u00e8s peu de choses sur votre r\u00f4le mais s’exprime beaucoup et fr\u00e9quemment \u00e0 son sujet, et pas seulement en termes favorables. Il est donc particuli\u00e8rement cr\u00e9dible. C’est \u00e0 partir de cette situation que vous allez agir. Au lieu de fournir aux politiques directement vos id\u00e9es, dont ils s’empareraient aussit\u00f4t, vous les ferez parvenir, habilement d\u00e9form\u00e9es, par le truchement du D\u00e9stabilisateur. Vos plagiaires les r\u00e9\u00e9mettront alors, ce qui vous fournira l’occasion de les rectifier, et de pr\u00e9ciser ce que vous voulez faire savoir. Cette technique de la mise au point a plusieurs avantages. Elle vous conforte en tant qu’auteur, elle vous permet de tester une notion sans risquer de vous compromettre directement (si l’id\u00e9e d\u00e9form\u00e9e transmise initialement n’a suscit\u00e9 aucun int\u00e9r\u00eat, vous ne r\u00e9agirez pas), enfin elle vous donnera l’occasion de jouer pleinement votre registre de sp\u00e9cialiste du jugement en mena\u00e7ant d’attaquer vos interlocuteurs pour propos diffamatoires. Ceux-ci vous prendront peut-\u00eatre pour un parano\u00efaque, mais seront oblig\u00e9s de vous laisser parler, de vous ouvrir leurs colonnes, de vous citer. Vous aurez abouti.<\/p>\n Avez-vous retenu ce que vous devez mettre en oeuvre pour rompre votre solitude, vous les anachor\u00e8tes de la V\u00e9rit\u00e9, les templiers de la Foi, les contempteurs des faiblesses humaines? Mekhtoub!<\/p>\n J’ai gard\u00e9 pour la fin le r\u00f4le le plus amusant, le plus l\u00e9ger. Je vous propose en effet de jouer maintenant \u00e0 l’observateur des trois p\u00f4les pr\u00e9c\u00e9dents (le gouvernant, le peuple, l’id\u00e9ologue). Plus de risque pour vous de vous tromper et d’en \u00eatre sanctionn\u00e9: vous vous trouvez en effet dans la partie virtuelle du tablier, c’est-\u00e0-dire dans la zone du discours, des repr\u00e9sentations, des expressions symboliques.<\/p>\n Vous \u00eates dans une situation libre. Oh, certes, vous subissez des influences: les gouvernants s’adressent \u00e0 vous au moyen de repr\u00e9sentants \u00ab\u00a0conformistes\u00a0\u00bb qui s’efforcent de vous d\u00e9livrer des messages \u00e0 contenu nul; la population vous communique des images contrast\u00e9es qui ne r\u00e9v\u00e8lent que superficiellement et artificiellement ses pr\u00e9occupations r\u00e9elles; les Juges vous intoxiquent par des nouvelles plus ou moins trafiqu\u00e9es qu’ils s’ing\u00e9nient ensuite \u00e0 rectifier, vous accusant \u00e0 la fois de mensonge et de plagiat. Mais qu’importe, vous avez, dans des circonstances normales, une tr\u00e8s grande facult\u00e9 de dire, avec des risques limit\u00e9s de r\u00e9percussion sur votre personne. Bien entendu, cela inclut les frayeurs que vos propos vous procurent \u00e0 vous-m\u00eame. Mais cela fait aussi partie du jeu d\u00e9licieux de la libert\u00e9: tout y est virtualit\u00e9. En fait, en occupant le coin inf\u00e9rieur gauche du tablier, vous restez en dehors des laborieuses et d\u00e9plaisantes op\u00e9rations \u00e9voqu\u00e9es jusqu’\u00e0 pr\u00e9sent.<\/p>\n N’auriez-vous alors aucun pouvoir, ne seriez-vous qu’un spectateur passif des d\u00e9chirements de vos contemporains? Nullement.<\/p>\n Miroir du syst\u00e8me, vous \u00eates \u00e0 la fois le pays, son gouvernement, et le reflet de leurs passions. Vos commentaires politiques, que vous soyez parlementaire, chroniqueur, homme de m\u00e9dia, traduisent cette facult\u00e9 de saisir l’instant et d’en renvoyer une synth\u00e8se d\u00e9form\u00e9e mais suggestive. Contrairement aux intellectuels qui veulent convertir leur audience, vous cherchez surtout \u00e0 \u00e9mouvoir. S’agit-il d’un vote? Vous chargerez affectivement vos discours car vous savez que, dans l’isoloir, le coeur compte plus que l’esprit. Faut-il vendre un journal, une \u00e9mission t\u00e9l\u00e9vis\u00e9e? Vous choquerez par le titre ou l’image, afin de retenir l’attention, accrochant le lecteur ou le spectateur pour finalement lui livrer un contenu banal. Mais qu’importe! Tout est illusion dans le royaume de la virtualit\u00e9. Ce n’est pas le pr\u00e9sent qui int\u00e9resse votre client\u00e8le, c’est l’emballage chatoyant qui l’entoure et qu’elle peut d\u00e9chirer. Sp\u00e9cialistes de l’\u00e9vocation, vous emballez les foules et ce conditionnement les soul\u00e8ve et les ravit. Vous agitez un drapeau et les voil\u00e0 patriotes et vibrantes, alors qu’elles restaient mornes et indiff\u00e9rentes un instant plus t\u00f4t. Vous d\u00e9nudez des charmes app\u00e9tissants, et tout le monde retient le nom d’un roulement \u00e0 billes ou d’une p\u00e2te dentifrice, inconnus jusqu’alors…<\/p>\n Pour \u00e9merveiller, vous serez fugace, simpliste et concluant. Il n’y aura rien \u00e0 ajouter au message que vous communiquerez. Ce sera un tout, une sensation ne demandant aucune r\u00e9flexion. La politique, le journalisme, la publicit\u00e9 sont des arts martiaux: il faut frapper fort, juste et comme l’\u00e9clair.<\/p>\n Mais, quand bien m\u00eame ceux-ci resteraient sans contenu, comment allez-vous cr\u00e9er le bon message? Cherchez l’inspiration en dehors des faits. Ce n’est pas en parlant des vertus du roulement \u00e0 bille que vous le vendrez, ce n’est pas en exhortant vos concitoyens au civisme que vous les rendrez patriotes. Le discours doit toujours \u00eatre d\u00e9cal\u00e9.<\/p>\n Manquez de bon sens, sinon vous ne ferez pas r\u00eaver. Pour soulever les montagnes, faire vibrer, exalter, devenez d\u00e9lib\u00e9rement d\u00e9raisonnable. Captivez par exc\u00e8s, laissez l’ennui des explications aux Intellectuels, ne cherchez pas \u00e0 avoir raison mais \u00e0 faire r\u00e9agir. Dans un instant, ce que vous venez de dire sera oubli\u00e9. Vous ne parlez ni n’\u00e9crivez pour l’Histoire, mais pour le plaisir du moment. Si elle a du bon sens, votre audience r\u00e9tablira d’elle-m\u00eame la signification r\u00e9elle de vos propos. Si elle n’en a pas, elle ne comprendra rien \u00e0 votre discours mais cela n’a aucune importance car ce qui compte c’est qu’elle aura \u00e9t\u00e9 charm\u00e9e. Votre pouvoir est l\u00e0.<\/p>\n Soyez \u00e9loquent, quelque peu utopiste et pr\u00e9-r\u00e9volutionnaire. N’h\u00e9sitez pas \u00e0 prendre des positions qui para\u00eetront engag\u00e9es, voire choquantes, afin d’exacerber votre sinc\u00e9rit\u00e9 qui, \u00e0 tout moment, doit para\u00eetre aveuglante. Enfin, d\u00e9noncez. Ing\u00e9niez-vous \u00e0 montrer surtout ce qui ne va pas. Il ne s’agira pas, bien s\u00fbr, d’\u00eatre \u00ab\u00a0n\u00e9gatif\u00a0\u00bb, mais de \u00ab\u00a0laisser le lecteur (le spectateur, l’\u00e9lecteur) juger\u00a0\u00bb selon l’expression consacr\u00e9e. Vous lui apporterez des \u00ab\u00a0faits\u00a0\u00bb (en r\u00e9alit\u00e9, ce seront des images de faits, bien entendu; n’oubliez pas que tout est virtuel en vous). Quand vous \u00e9mettrez une opinion, que vous engagerez votre responsabilit\u00e9, que ce soit toujours sous forme interrogative. Ne jugez jamais. Car vous traverseriez alors le miroir, et deviendriez un Intellectuel, un passionn\u00e9, moins cr\u00e9dible. Le charme serait bris\u00e9.<\/p>\n Vous pouvez vous faire aider dans votre magist\u00e8re: fr\u00e9quenter les Conformistes vous permettra d’obtenir une information cod\u00e9e vous aidant \u00e0 d\u00e9crypter des \u00e9volutions, des contradictions, des scandales \u00e9touff\u00e9s. Mais comme les Conformistes du Prince ne sont pas bavards, voire port\u00e9s sur la censure, il sera n\u00e9cessaire que vous, homme politique ou journaliste, ayez les v\u00f4tres propres, qui passeront leur temps \u00e0 rappeler \u00ab\u00a0le devoir d’information\u00a0\u00bb, \u00e0 exiger \u00ab\u00a0la v\u00e9rit\u00e9\u00a0\u00bb, \u00e0 d\u00e9fendre le \u00ab\u00a0principe sacr\u00e9 de la libert\u00e9\u00a0\u00bb. Cela ne veut pas dire grand-chose mais impressionne toujours, et compense la volont\u00e9 castratrice des gouvernants.<\/p>\n Vis-\u00e0-vis des Intellectuels, la plus grande m\u00e9fiance sera votre r\u00e8gle premi\u00e8re. Leurs passions ne sont pas les v\u00f4tres. Leurs lubies sont t\u00f4t ou tard sanglantes. Pourquoi iriez-vous vous compromettre en les adoptant? Manque de courage? Inattentif lecteur! Je vous rappelle que vous jouez en ce moment en bas et \u00e0 gauche du tablier et non tout \u00e0 droite. Les courageux sont toujours des terroristes en puissance, jamais des politiques. Bien jouer consiste \u00e0 ne pas confondre, ni se tromper de r\u00f4le.<\/p>\n Enfin, il vous faudra vous adresser \u00e0 la population, qui constitue votre client\u00e8le, pour la conditionner; ce sera votre principal travail. Pour cela, votre imagination devra \u00eatre sans cesse en \u00e9veil. Trouvez des symboles, des mots \u00e9vocateurs, cr\u00e9ez des attitudes, agissez sur les comportements, anticipez les r\u00e9actions de votre public. Tous ces transferts seront effectu\u00e9s ais\u00e9ment gr\u00e2ce aux Transmetteurs qui assureront la diffusion de vos id\u00e9es, feront la derni\u00e8re mode, susciteront des m\u00e9canismes d’identification et d’imitation au sein de la population. Le pays adoptera ainsi votre pr\u00eat-\u00e0-penser comme il changera de tenue vestimentaire. Mais ne vous illusionnez pas vous-m\u00eame: le succ\u00e8s sera \u00e9ph\u00e9m\u00e8re. Vous devrez sans arr\u00eat vous renouveler. La s\u00e9duction est volatile et l’obligation d’\u00e9tonner constamment demande beaucoup de talent et d’entra\u00eenement. Soyez donc volage si vous tenez \u00e0 rester virtuel…<\/p>\n \u00a9 Le Temps strat\u00e9gique, No 23, hiver 1987-1988.<\/p>\n \n \n ADDENDA<\/strong><\/p>\n \u00ab\u00a0Le Prince doit savoir renier ses promesses\u00a0\u00bb<\/strong><\/p>\n<\/div>\n Machiavel<\/strong> (1469-1527). Homme politique et philosophe florentin, Machiavel est consid\u00e9r\u00e9 comme \u00ab\u00a0l’inventeur\u00a0\u00bb de la raison d’\u00c9tat \u00e0 laquelle, selon lui, il fallait beaucoup sacrifier afin que l’Italie, divis\u00e9e en principaut\u00e9s adverses et menac\u00e9e d’invasion, soit sauv\u00e9e. Son ouvrage le plus fameux, Le Prince, publi\u00e9 apr\u00e8s sa mort, est divis\u00e9 en vingt-six chapitres: la premi\u00e8re partie est consacr\u00e9e aux diff\u00e9rentes formes de principaut\u00e9s (d’\u00c9tats) et aux moyens de les constituer et\/ou de les conqu\u00e9rir; quelques chapitres analysent les grandes questions ayant trait \u00e0 la vie int\u00e9rieure et \u00e0 la politique \u00e9trang\u00e8re de l’\u00c9tat, celles-ci finissant par se r\u00e9duire \u00e0 un seul aspect d\u00e9terminant l’organisation des forces arm\u00e9es. Mais les chapitres les plus marquants, et qui ont valu \u00e0 leur auteur de passer dans la langue courante avec l’\u00e9pith\u00e8te \u00ab\u00a0machiav\u00e9lique\u00a0\u00bb, sont ceux consacr\u00e9s au Prince lui-m\u00eame, \u00e0 l’homme d’\u00c9tat et aux qualit\u00e9s dont il doit faire preuve pour diriger les affaires publiques. Implacables et rigoureuses, faisant fi de toute consid\u00e9ration morale, montrant sans d\u00e9tour que la force est le seul principe sur lequel s’appuie tout \u00c9tat digne de ce nom, ces pages ont pos\u00e9 le fondement de l’analyse politique moderne.<\/p>\n \u00ab\u00a0Savoir \u00eatre renard et lion\u00a0\u00bb<\/strong> Quelques \u00e9claircissements n\u00e9cessaires <\/strong> La d\u00e9marche du \u00ab\u00a0tablier des pouvoirs\u00a0\u00bb se rattache \u00e0 celle, plus g\u00e9n\u00e9rale de l’analyse de syst\u00e8me. Mais attention! Ne pas confondre la th\u00e9orie des syst\u00e8mes et l’analyse de syst\u00e8me…<\/em><\/p>\n \u2022 La th\u00e9orie des syst\u00e8mes<\/em> est une d\u00e9marche globaliste et \u00e9pist\u00e9mologique, visant \u00e0 identifier les grands invariants conceptuels dans les diverses disciplines scientifiques. Par exemple, il y a de nombreuses analogies entre les \u00e9quations thermodynamiques des gaz parfaits et le comportement des agents socio-\u00e9conomiques d’un march\u00e9; la th\u00e9orie de l’information a bien des points communs avec les lois de la m\u00e9canique des fluides et de l’\u00e9lectricit\u00e9, il n’y a pas si loin entre la cin\u00e9tique chimique et la diffusion du progr\u00e8s scientifique, etc. Le P\u00e8re Fondateur de la th\u00e9orie des syst\u00e8mes est le regrett\u00e9 Ludwig von Bestalanffy, h\u00e9ritier des cercles de pens\u00e9e de la Vienne d’avant l’Anschluss. Il fonda avec Rapoport, Ackoff, Ashby Stafford Beer, Boulding et bien d’autres une \u00e9cole de pens\u00e9e \u00ab\u00a0holiste\u00a0\u00bb aux \u00c9tats-Unis (de holos<\/em>: le tout …)<\/p>\n \u2022 L’analyse de syst\u00e8me(s)<\/em> est, en revanche, un outil d’aide \u00e0 la d\u00e9cision ayant pour but de mod\u00e9liser des situations complexes et interactives. L’analyse de syst\u00e8me s’efforce de rendre compte des relations qui existent entre \u00e9l\u00e9ments d’un m\u00eame ensemble isolable d\u00e9nomm\u00e9 syst\u00e8me. Elle se caract\u00e9rise par le m\u00e9lange du quantitatif (mesurable) et du qualitatif (c’est-\u00e0-dire des valeurs subjectives qui servent \u00e0 appr\u00e9cier et mesurer). En cela, l’analyse de syst\u00e8me n’est pas une technique scientifique puisqu’elle d\u00e9pend \u00e9troitement de ceux qui la mettent en oeuvre et des valeurs et opinions auxquelles ils se r\u00e9f\u00e8rent. Elle est donc consid\u00e9r\u00e9e avec m\u00e9fiance, voire d\u00e9dain, par les scientifiques orthodoxes. Elle constitue pour la raison sym\u00e9trique un outil particuli\u00e8rement bien adapt\u00e9 \u00e0 l’analyse politique, c’est-\u00e0-dire \u00e0 l’analyse des rapports de force entre hommes ou institutions.<\/p>\n Ni queue ni t\u00eate, ni cause ni effet<\/strong> Dans une boucle de r\u00e9action, il n’y a ni commencement ni fin, ni cause ni effet. Il est donc bien difficile de d\u00e9finir un \u00e9quilibre optimal puisque les r\u00e9f\u00e9rences qui permettraient de l’\u00e9tablir sont elles-m\u00eames influenc\u00e9es par les ph\u00e9nom\u00e8nes qu’elles sont sens\u00e9es r\u00e9genter.<\/p>\n Par rapport aux approches rationnelles et scientifiques traditionnelles, l’analyse de syst\u00e8me est beaucoup moins r\u00e9ductionniste. Elle inclut tout ce que l’observation et l’exp\u00e9rience paraissent devoir retenir sans se pr\u00e9occuper de la pertinence a priori des \u00e9l\u00e9ments retenus. La magie n’est pas trop \u00e9loign\u00e9e d’une telle attitude.<\/p>\n Trois chambres dans la maison du p\u00e8re<\/strong> \u2022 L’analyse des donn\u00e9es<\/em> dont la technique la plus populaire est l’analyse factorielle des correspondances qui fait co\u00efncider des donn\u00e9es objectives (par exemple des individus Monsieur X, Mademoiselle Y, etc.) avec des donn\u00e9es subjectives (leur opinion politique, leur mode de consommation, leurs valeurs morales et religieuses, etc.)<\/p>\n \u2022 L’analyse structurelle<\/em> qui cherche \u00e0 \u00e9tablir l’architecture g\u00e9n\u00e9rale d’un syst\u00e8me en \u00e9tudiant directement les relations entre ses \u00e9l\u00e9ments. Le tablier des pouvoirs est l’une des formes d’une telle d\u00e9marche.<\/p>\n \u2022 La dynamique de syst\u00e8mes<\/em> qui \u00e9tend au domaine des sciences humaines les r\u00e8gles de la cybern\u00e9tique mises au point durant les ann\u00e9es quarante et cinquante pour l’a\u00e9rospatial, l’\u00e9lectronique, les syst\u00e8mes d’armes. L’application la plus c\u00e9l\u00e8bre de la dynamique de syst\u00e8mes fut le rapport du Club de Rome qui au d\u00e9but des ann\u00e9es soixante-dix, fit fr\u00e9mir bien des consciences \u00e9clair\u00e9es.<\/p>\n Une institution internationale, l’IIASA (International Institute for Applied System Analysis) se consacre \u00e0 Laxenburg, pr\u00e8s de Vienne (Autriche), \u00e0 des r\u00e9flexions et \u00e9tudes dans ces domaines. On se souviendra d’ailleurs d’avoir lu, dans \u00ab\u00a0Le Temps strat\u00e9gique\u00a0\u00bb N\u00b0 16, une \u00e9tude d’un chercheur de l’IIASA, Cesare Marchetti, Automobiles dans dix ans ce sera la saturation!<\/em><\/p>\n Pour en savoir plus<\/strong> A quoi peut vous servir le tablier des pouvoirs?<\/strong><\/p>\n<\/div>\n – A analyser une situation conflictuelle:<\/em> dans votre famille (comment annihiler l’influence n\u00e9faste que votre belle-m\u00e8re peut avoir sur vos enfants, et ce, sans qu’elle s’en rende compte?); dans votre entreprise (comment faire carri\u00e8re sans para\u00eetre ambitieux, tout en l’\u00e9tant f\u00e9rocement?); dans votre pays (comment faire de la politique sans y participer, comment participer \u00e0 la politique sans en faire?)<\/p>\n – A comprendre mieux: <\/em>votre propre personnalit\u00e9 ou celle des autres (gr\u00e2ce \u00e0 des tests projectifs interpr\u00e9t\u00e9s par le tablier); les myst\u00e8res d’une organisation religieuse, id\u00e9ologique ou partisane; la philosophie, l’histoire, la litt\u00e9rature (le tablier permet de faire des explications de textes originales et des analyses de contenu tr\u00e8s d\u00e9capantes).<\/p>\n – A d\u00e9velopper votre sens de l’action politique en vous entra\u00eenant:<\/em> \u00e0 cultiver le pouvoir de l’illusion et \u00e0 exercer avec brio l’art du paradoxe; \u00e0 g\u00e9rer au mieux une id\u00e9e ou une action nouvelle, pour laquelle vous manquez d’exp\u00e9rience; \u00e0 choisir rapidement votre camp et les strat\u00e9gies comportementales qui en d\u00e9coulent dans une situation sociale, \u00e9conomique, politique donn\u00e9e, l\u00e9gale ou non.<\/p>\n – A transformer les situations:<\/em> en ramenant le calme dans un syst\u00e8me en r\u00e9volte; en fomentant des troubles, aptes \u00e0 transformer des relations qui vous d\u00e9plaisent en un \u00e9tat plus favorable pour vous; ou en acqu\u00e9rant vous-m\u00eame la sagesse de l’immobilisme, de la modestie et de la vertu, tant qu’une opportunit\u00e9 d’agir autrement ne se pr\u00e9sente pas.<\/p>\n Ces applications, tr\u00e8s diverses, sont cit\u00e9es par ordre de difficult\u00e9 croissante.<\/em><\/p>\n<\/div>\n <\/p>\n Familiarisez-vous avec les pi\u00e8ces du tablier des pouvoirs, et sachez que, dans ce jeu comme dans la vie, il faut savoir d’abord qui l’on est.<\/strong><\/p>\n \u00cates-vous l’un des quatre pouvoirs principaux?<\/strong><\/p>\n Le Prince<\/strong> Le Juge<\/strong> Les Enjeux<\/strong> Les Repr\u00e9sentations<\/strong> Ou l’un des six pouvoirs interm\u00e9diaires?<\/strong><\/p>\n<\/div>\n Les pouvoirs interm\u00e9diaires sont au service des pouvoirs principaux:<\/p>\n L’Assassin<\/strong> Le Diplomate<\/strong> Le Conformiste<\/strong> Le Transformateur<\/strong> Le D\u00e9stabilisateur<\/strong> Le Terroriste<\/strong> <\/p>\n Pour avancer vos pions et tirer le meilleur profit<\/strong> Sur l’exercice du pouvoir (ouvrages g\u00e9n\u00e9raux):<\/strong><\/p>\n Oeuvres compl\u00e8tes de Platon.<\/strong> Paris, Les Belles-Lettres, 1962-1977.<\/p>\n L’art de la guerre<\/strong>, par Sun Tzu. Paris, Flammarion, 1978.<\/p>\n Le prince<\/strong>, par Machiavel. Paris, Le Livre de Poche, 1972.<\/p>\n M\u00e9moires. La Conjuration du comte Jean-Louis de Fiesque. La pointe ou l’art du g\u00e9nie<\/strong>, par Baltasar Gracian. Lausanne, L’Age d’Homme, 1983.<\/p>\n L’homme de cour: maximes<\/strong>, par B. Gracian. Paris, G. Lebovici, 1972.<\/p>\n De la guerre<\/strong>, par Carl von Clausewitz. Paris, Editions de Minuit, 1970.<\/p>\n Le litt\u00e9ratron<\/strong>, par Robert Escarpit. Paris, Flammarion, 1964.<\/p>\n Les lois de Parkinson<\/strong>, par C. Northcote Parkinson. Paris Laffont, 1983.<\/p>\n Orientations compl\u00e9mentaires:<\/strong><\/p>\n Une logique de la communication<\/strong>, par Paul Watzlawick, J. Helwick-Beavin et D. Jackson. Paris, Le Seuil, 1979.<\/p>\n La magie des paradoxes<\/strong>, par M. Gardner. Paris, Belin, 1980.<\/p>\n Comment devenir une m\u00e8re juive<\/strong>, par D. Greenburg. Paris, Seghers, 1979.<\/p>\n G\u00f6del, Escher, Bach: les brins d’une guirlande \u00e9ternelle<\/strong>, par D. Hofstadter. Paris, Inter \u00c9ditions, 1985.<\/p>\n L’oeil du quattrocento: l’usage de la peinture dans l’Italie de la Renaissance<\/strong>, par M. Baxandall. Paris, Gallimard, 1985.<\/p>\n L’Arthasastra: le trait\u00e9 politique de l’Inde ancienne<\/strong>, par Kautilya Paris, Ed. Marcel Rivi\u00e8re, 1971.<\/p>\n Les call-girls<\/strong>, par Arthur Koestler. Paris, Calmann-L\u00e9vy, 1973.<\/p>\n Les propos d’un confiseur<\/strong>, par A. Deboeuf. Paris, Ed. d’Organisation, 1986.<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":" INTERPR\u00c9TATIONS SANS ROUGIR JOUEZ LES MACHIAVEL… …gr\u00e2ce au \u00ab\u00a0tablier des pouvoirs\u00a0\u00bb Par Pierre-Fr\u00e9d\u00e9ric Teni\u00e8re-Buchot Les jeux des pouvoirs sont vils? Peut-\u00eatre. Mais ils existent. Ils nous occupent m\u00eame une bonne partie de notre temps: dans la vie publique, dans l’entreprise, \u00e0 l’arm\u00e9e, dans la famille, dans nos amours… Alors autant \u2026 Lire plus \/ Read more<\/a><\/p>\n","protected":false},"author":1,"featured_media":0,"parent":542,"menu_order":0,"comment_status":"closed","ping_status":"closed","template":"","meta":{"ngg_post_thumbnail":0,"footnotes":""},"class_list":["post-792","page","type-page","status-publish","hentry"],"_links":{"self":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/792","targetHints":{"allow":["GET"]}}],"collection":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages"}],"about":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/types\/page"}],"author":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/users\/1"}],"replies":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=%2Fwp%2Fv2%2Fcomments&post=792"}],"version-history":[{"count":3,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/792\/revisions"}],"predecessor-version":[{"id":808,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/792\/revisions\/808"}],"up":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/542"}],"wp:attachment":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=%2Fwp%2Fv2%2Fmedia&parent=792"}],"curies":[{"name":"wp","href":"https:\/\/api.w.org\/{rel}","templated":true}]}}
\n m’a fait combiner Machiavel<\/strong>
\n et les joies secr\u00e8tes<\/strong>
\n de l’analyse structurelle<\/strong><\/p>\n
\n Ne soyez pas sinc\u00e8re, personne<\/strong>
\n ne vous le pardonnerait.<\/strong>
\n Pensez \u00e0 l’Histoire<\/strong><\/p>\n
\n R\u00e2lez, r\u00e2lez, vous en tirerez<\/strong>
\n toujours quelque profit, et<\/strong>
\n le pouvoir vous laissera en paix<\/strong><\/p>\n
\n que celui de Grosse T\u00eate<\/strong>
\n jugeant autrui souverainement,<\/strong>
\n et du Bien et du Mal<\/strong><\/p>\n
\n – si ce n’est parler sans risque:<\/strong>
\n les Politiciens,<\/strong>
\n les Journalistes…<\/strong><\/p>\n
\nVoici les principaux pr\u00e9ceptes que tout bon prince doit respecter selon Machiavel: \u00ab\u00a0mieux vaut \u00eatre tenu pour parcimonieux et ne pas gaspiller les noblesses de l’\u00c9tat que de passer pour g\u00e9n\u00e9reux et d’accabler ses sujets d’imp\u00f4ts, mieux vaut \u00eatre cruel quand il le faut qu’inutilement mis\u00e9ricordieux, mieux vaut \u00eatre craint et respect\u00e9 qu’aim\u00e9 et insuffisamment respect\u00e9, il est n\u00e9cessaire pour le Prince de savoir \u00eatre renard et lion en m\u00eame temps, il est n\u00e9cessaire pour lui de ne pas observer la parole donn\u00e9e (le serment), lorsque cette observance tourne \u00e0 son d\u00e9triment et qu’ont disparu les motifs qui l’ont fait donner. Il est n\u00e9cessaire de para\u00eetre mis\u00e9ricordieux, fid\u00e8le, humain, sinc\u00e8re, pieux, mais de savoir aussi ne pas l’\u00eatre, il doit en somme ne pas s’\u00e9loigner du bien s’il le peut, mais savoir entrer dans l\u00e9 mal s’il y a n\u00e9cessit\u00e9. Tout cela parce, que, dans les actions des hommes et surtout des princes, on consid\u00e8re la fin. Que le Prince fasse donc en sorte de vaincre et de maintenir l’\u00c9tat. les moyens seront toujours jug\u00e9s honorables et lou\u00e9s par tous\u00a0\u00bb.<\/p>\n<\/div>\n
\n sur l’analyse de syst\u00e8me <\/strong>
\n et ses aspects un peu magiques<\/strong><\/p>\n
\nL’analyse de syst\u00e8me privil\u00e9gie l’\u00e9tude des boucles de r\u00e9action (ou feedbacks: l’\u00e9l\u00e9ment A agit sur l’\u00e9l\u00e9ment B, qui lui-m\u00eame r\u00e9agit sur l’\u00e9l\u00e9ment C, etc., le dernier \u00e9l\u00e9ment modifi\u00e9 agissant en d\u00e9finitive sur le premier \u00e9l\u00e9ment A). Cette \u00e9tude des m\u00e9canismes en cha\u00eene ferm\u00e9e permet de comprendre les plages de stabilit\u00e9 des syst\u00e8mes et les conditions qui permettraient de les d\u00e9truire. Par exemple, les citoyens acceptent de payer l’imp\u00f4t jusqu’aux limites du supportable. Au-del\u00e0, ils se r\u00e9voltent et tentent de d\u00e9truire le syst\u00e8me qui les assujettit. A trop vouloir tondre le mouton, on finit par l’\u00e9corcher.<\/p>\n
\nTrois grandes familles d’analyse de syst\u00e8me peuvent \u00eatre distingu\u00e9es:<\/p>\n
\nGeneral System Theory<\/em>, par Ludwig von Bertalanffy. New York, George Braziller, 1968.
\nSur l’analyse de syst\u00e8me<\/em>, par P. F. Teni\u00e8re-Buchot. In: Futuribles, N\u00b020, Paris, f\u00e9vrier 1979, article qui renvoie \u00e0 de tr\u00e8s nombreuses autres r\u00e9f\u00e9rences.<\/p>\nEt vous qui \u00eates-vous?<\/h3>\n
\nLe Prince est le pouvoir le plus connu, le plus traditionnel: il a beaucoup d’influence sur les autres pi\u00e8ces du jeu, mais d\u00e9pend tr\u00e8s peu d’elles. Il a les principaux atouts en main: les autres ont beau dire et beau faire, il coupe le jeu quand cela lui chante. Le Prince ne reconna\u00eet aucun autre pouvoir que le sien, ce qui \u00e9videmment exasp\u00e8re les autres pouvoirs. Le Prince m\u00eame s’il se dit progressiste ou r\u00e9volutionnaire est par essence conservateur: il tire sa l\u00e9gitimit\u00e9 du pass\u00e9.<\/p>\n
\nLes Juges, par quoi il faut entendre tous ceux qui portent sur les actions d’autrui, des jugements publics et g\u00e9n\u00e9raux, les Intellectuels, les Pr\u00eatres, essaient au fond de contr\u00f4ler le Prince, de l’obliger \u00e0 aller dans une direction qu’ils consid\u00e8rent meilleure. Le cr\u00e2ne shakespearien utilis\u00e9 ici pour les symboliser sugg\u00e8re les questions fondamentales que sans cesse ils posent et se posent (alors que le Prince lui d\u00e9cr\u00e8te), et les lunettes noires, la port\u00e9e r\u00e9elle de leurs cogitations! Les Juges d\u00e9cident ce qui restera dans la m\u00e9moire collective; le Prince, pour entrer dans l’Histoire, a donc besoin d’eux. Ils n\u00e9gocient ensemble.<\/p>\n
\nLe troisi\u00e8me pouvoir est celui des enjeux: la masse, le nombre, le peuple, le territoire. Enjeux, parce que convoit\u00e9s par le Prince, qui va exercer son autorit\u00e9 sur eux, et par les Juges, les Pr\u00eatres et autres Intellectuels, dont ils sont la client\u00e8le n\u00e9cessaire. Les enjeux, qui n’aspirent qu’\u00e0 vivre en paix, en ont parfois assez d’\u00eatre trait\u00e9s d’enjeux! Ils se r\u00e9voltent alors renversent les pouvoirs qui les oppriment, et les remplacent aussi sec par des pouvoirs identiques, au nom pr\u00e8s.<\/p>\n
\nLe quatri\u00e8me pouvoir est celui des repr\u00e9sentations, de l’imaginaire, du signe, du fugace, du futile parfois, du r\u00eave aussi: le pouvoir des Politiciens, des Journalistes, des Publicitaires, des Artistes. C’est un pouvoir qui refl\u00e8te (et r\u00e9v\u00e8le, c’est pourquoi il est craint) les activit\u00e9s des autres pouvoirs; lui m\u00eame ne cr\u00e9e mat\u00e9riellement rien, raison pour laquelle il est le plus libre des pouvoirs.<\/p>\n
\nL’assassin a un pouvoir de liaison entre le Prince et les Enjeux: services sp\u00e9ciaux du gouvernement, contr\u00f4leur de gestion dans un groupe industriel, inspecteur g\u00e9n\u00e9ral d’une administration, etc. L’Assassin terrorise les Enjeux, mais les tue rarement; son r\u00f4le est bien plut\u00f4t de les ran\u00e7onner. L’Assassin assure aussi une information r\u00e9ciproque entre le Prince et les Enjeux: il joue d’autant plus facilement ce r\u00f4le d’ombre qu’il est en position d’interc\u00e9der pour les uns et les autres.<\/p>\n
\nLe Diplomate est un personnage brillant au contraire. Il va trouver les Juges pour les convaincre des vertus du Prince, puis revient vers le Prince indiquant le prix qu’il doit payer pour le soutien des Juges. Dans ces allers et retours le Juge acquerra une personnalit\u00e9 double, et on finira par ne plus savoir pour qui il travaille. Talleyrand, Chamberlain, Kissinger.<\/p>\n
\nLe Conformiste a pour r\u00f4le de rendre les choses conformes \u00e0 l’ordre \u00e9tabli: en g\u00e9n\u00e9ral au service du Prince, au titre de porte parole officiel, il s’\u00e9vertue \u00e0 juguler l’imagination malveillante des Journalistes et autres sp\u00e9cialistes des Repr\u00e9sentations en leur communiquant avec autorit\u00e9 des informations aussi vides d’information que possible. Paradoxalement, en censurant les nouvelles vraies, il censure aussi les nouvelles fausses.<\/p>\n
\nReliant les Enjeux et les Repr\u00e9sentations, le transmetteur \u00e9meut, \u00e9tonne, pique des broutilles chez les uns pour \u00e9pater les autres. Acteur l\u00e9ger, chroniqueur de l’inessentiel, il fait et d\u00e9fait le monde Sp\u00e9cialiste en relations publiques, en publicit\u00e9, \u00ab\u00a0conseiller en look\u00a0\u00bb, il est le ma\u00eetre \u00e0 danser du r\u00e9el, et l’indispensable accessoiriste du th\u00e9\u00e2tre des Journalistes.<\/p>\n
\nLe D\u00e9stabilisateur s\u00e8me le doute dans l’imaginaire des Juges et des Journalistes, entre lesquels il navigue. M\u00e9langeant r\u00e9alit\u00e9 et fiction il proclame des demi-v\u00e9rit\u00e9s fait courir des rumeurs, attise la propagande. Il cherche \u00e0 rendre folles les autres pi\u00e8ces du tablier et y parvient parfois.<\/p>\n
\nLe Terroriste est le pouvoir le plus violent du tablier. Il est l’ex\u00e9cuteur passionn\u00e9 des id\u00e9ologies construites par les Juges et autres Intellectuels, contre la ti\u00e9deur desquels il se retourne d’ailleurs parfois. Au contraire des Assassins, il agit de mani\u00e8re gratuite et aveugle. Curieusement le Terroriste est le pouvoir le plus d\u00e9pendant du syst\u00e8me, pour lequel il nourrit une passion mauvaise qui le d\u00e9vore.<\/p>\n
\n de vos semblables<\/strong><\/p>\n
\nPamphlets<\/strong>, par le Cardinal de Retz. Paris, Gallimard, 1984.<\/p>\n