{"id":728,"date":"2015-01-07T00:25:31","date_gmt":"2015-01-06T23:25:31","guid":{"rendered":"http:\/\/www.archipress.org\/wp\/?page_id=728"},"modified":"2015-01-26T00:32:19","modified_gmt":"2015-01-25T23:32:19","slug":"hommage-a-mon-ami-ahmed-ben-bella-1916-2012","status":"publish","type":"page","link":"https:\/\/www.archipress.org\/?page_id=728","title":{"rendered":"Hommage \u00e0 Ahmed Ben Bella (1916-2012)"},"content":{"rendered":"
\"Le Temps, Mercredi 18 avril 2012<\/div>\n

Hommage \u00e0 mon ami Ahmed Ben Bella<\/h3>\n

Par R\u00e9da Benkirane<\/strong><\/p>\n

\"A quelques semaines de la comm\u00e9moration du 50e<\/sup> anniversaire de l\u2019ind\u00e9pendance de l\u2019Alg\u00e9rie, Ahmed Ben Bella, son premier pr\u00e9sident, membre fondateur du FLN, militant r\u00e9volutionnaire et des droits de l’homme, s\u2019est \u00e9teint paisiblement \u00e0 son domicile \u00e0 Alger, le 11 avril 2012, \u00e0 96 ans.<\/p>\n

Celui qui avait travers\u00e9 tout le XXe<\/sup> si\u00e8cle, combattu lors de la seconde guerre mondiale, d\u00e9clench\u00e9 la lutte arm\u00e9e du 1er<\/sup> novembre 1954, endur\u00e9 la prison et l\u2019exil, n\u2019a pas surv\u00e9cu plus de deux ans au d\u00e9c\u00e8s de son \u00e9pouse Zohra Sellami. Il l\u2019avait \u00e9pous\u00e9e en captivit\u00e9 apr\u00e8s le coup d\u2019\u00c9tat \u00e0 la suite duquel il fut mis au secret quinze ann\u00e9es durant.<\/p>\n

Celui qui avait travers\u00e9 tout le XXe<\/sup> si\u00e8cle, combattu lors de la seconde guerre mondiale, d\u00e9clench\u00e9 la lutte arm\u00e9e du 1er<\/sup> novembre 1954, endur\u00e9 la prison et l\u2019exil, n\u2019a pas surv\u00e9cu plus de deux ans au d\u00e9c\u00e8s de son \u00e9pouse Zohra Sellami. Il l\u2019avait \u00e9pous\u00e9e en captivit\u00e9 apr\u00e8s le coup d\u2019\u00c9tat \u00e0 la suite duquel il fut mis au secret quinze ann\u00e9es durant.<\/p>\n

Pour \u00ab Si Ahmed \u00bb, l\u2019amiti\u00e9, la fraternit\u00e9 et l\u2019engagement comptaient par-dessus tout. Adh\u00e9rant d\u00e8s 1937 au Parti du Peuple Alg\u00e9rien (PPA), lui qui n\u2019avait jamais cess\u00e9 d\u2019affronter la violence coloniale, le combat contre le nazisme et l\u2019anti-imp\u00e9rialisme, les luttes fratricides et les trahisons, n\u2019\u00e9tait anim\u00e9 ni par la ranc\u0153ur ni par l\u2019amertume : il avait cette baraka<\/em>. Tous ceux qui, en Suisse notamment, le connurent savent ce qu\u2019il a repr\u00e9sent\u00e9 comme force et joie de vivre, comme courage et intelligence politiques. Ils savent l\u2019humanit\u00e9 dont Si Ahmed \u00e9tait porteur.<\/p>\n

\"<\/div>\n

J\u2019ai pass\u00e9 pr\u00e8s de quinze ans \u00e0 l\u2019ombre de ce monument de l\u2019histoire et j\u2019ai \u00e9t\u00e9 aussi son proche compagnon, lors de moments difficiles d\u2019exil et d\u2019isolement. Il fut mon mentor. Tout au long des ann\u00e9es 1980, avec Si Ahmed, la jeunesse fut exaltante : il y eut des rencontres extraordinaires avec des personnages tels que Pablo (Michel Raptis), Ali Mecili, Georges Habbache et tant d\u2019autres. Et je ne compte pas tout ce que le monde arabe, l\u2019Afrique et l\u2019Am\u00e9rique latine avaient comme repr\u00e9sentants de mouvements r\u00e9volutionnaires, progressistes, religieux, humanitaires qui le rencontraient, travaillaient avec lui et qu\u2019il aidait toujours, du mieux qu\u2019il pouvait. Il \u00e9tait l\u2019homme du don et de l\u2019\u00e9change. Et de la parole donn\u00e9e.<\/p>\n

D\u00e8s 1962, il fit d\u2019Alger la capitale de tous les r\u00e9volt\u00e9s et autres indign\u00e9s de la plan\u00e8te. M\u00eame Nelson Mandela y avait suivi un entra\u00eenement militaire en 1962, \u00e0 Maghnia, le village natal de Si Ahmed. Dans les ann\u00e9es 1940, Ben Bella et ses fr\u00e8res d\u2019armes contribu\u00e8rent \u00e0 lib\u00e9rer la France et l\u2019Italie : Si Ahmed se distingua et fut d\u00e9cor\u00e9 pour faits exceptionnels de guerre lors de deux batailles, \u00e0 Marseille en 1940 et \u00e0 Monte Cassino en 1944 (alors que deux de ses fr\u00e8res moururent en 1914-1918 pour la France). Puis dans les ann\u00e9es 50, lui et ses compagnons contribu\u00e8rent \u00e0 lib\u00e9rer l\u2019Alg\u00e9rie, en repr\u00e9sentant ainsi des pays du Sud dont il se pourrait bien qu\u2019ils constituent au XXIe<\/sup> si\u00e8cle l\u2019avenir de l’humanit\u00e9.<\/p>\n

Apr\u00e8s la mort du colonel Houari Boumediene, lib\u00e9r\u00e9 en 1980, Ben Bella prit le chemin de l\u2019exil et de l\u2019opposition. Accueilli en Suisse, \u00ab BB \u00bb \u00e9tait redevenu l\u2019ennemi public No 1, menac\u00e9 par la police politique de son pays, avec l\u2019assistance active du minist\u00e8re de l\u2019int\u00e9rieur fran\u00e7ais. Souvenirs personnels : expulsion de France de ses compagnons en 1983 suite aux pressions d\u2019Alger (affaire de Montmorency), interdictions syst\u00e9matiques de sa revue mensuelle Al Badil<\/em>, assassinat de l\u2019avocat franco-alg\u00e9rien Ali Mecili \u00e0 Paris en 1987 (scandale politique comparable \u00e0 l\u2019affaire Ben Barka survenue 22 ans plus t\u00f4t), un homme qui joua un r\u00f4le f\u00e9d\u00e9rateur entre le mouvement de Ben Bella et celui de Hocine A\u00eft Ahmed, l\u2019autre chef historique du FLN. Si Ahmed avait aussi anticip\u00e9 et pr\u00e9par\u00e9, avec tout ce que l\u2019Alg\u00e9rie comptait comme opposants et dissidents, les \u00e9meutes de l\u2019automne 1988. Je me rappelle qu\u2019une semaine avant un fameux 5 octobre, il me disait que quelque chose d\u2019imminent allait \u00e9clater en Alg\u00e9rie. Vint alors tr\u00e8s vite le temps de l\u2019ouverture d\u00e9mocratique (1988-1991), puis celui de la pr\u00e9pond\u00e9rance des islamistes du FIS (Front islamique du salut), du coup d\u2019\u00c9tat de janvier 1992 et de la guerre civile qui s\u2019ensuivit. Rentr\u00e9 en 1990 \u00e0 Alger, Ben Bella reprit le chemin de l\u2019exil en Suisse et ne cessa de plaider pour une r\u00e9conciliation nationale \u2013 incluant les \u00e9lus du FIS \u2013 politiquement consacr\u00e9e par les accords de la plateforme de Rome sign\u00e9s sous les auspices de la Communaut\u00e9 de Sante Egidio de Rome (janvier 1995).<\/p>\n

Au cours des ann\u00e9es 2000, apr\u00e8s la fin de la d\u00e9cennie sanglante, Ben Bella fut r\u00e9habilit\u00e9 par le r\u00e9gime alg\u00e9rien. Ses obs\u00e8ques auront \u00e9t\u00e9 l\u2019occasion pour les Alg\u00e9riens de d\u00e9couvrir des archives film\u00e9es in\u00e9dites du temps de sa pr\u00e9sidence \u2013 qui avait toujours fait l\u2019objet d\u2019un d\u00e9ni historique. Cette dimension solennelle et nationale est une mani\u00e8re de r\u00e9unir les Alg\u00e9riens \u00e0 l\u2019approche du cinquantenaire de l\u2019ind\u00e9pendance. Cette comm\u00e9moration autour de sa disparition pourrait \u00eatre l\u2019occasion d\u2019ouvrir la voie \u00e0 une r\u00e9interpr\u00e9tation de l\u2019histoire de la r\u00e9volution alg\u00e9rienne, et \u00e0 toutes sortes de lectures des \u00e9v\u00e9nements qui ont eu lieu depuis les massacres de S\u00e9tif et Guelma par les autorit\u00e9s fran\u00e7aises (1945) jusqu\u2019aux deux cent mille victimes de la guerre civile (1991-1999). Car il n\u2019y a pas qu\u2019en Alg\u00e9rie o\u00f9 il y a eu d\u00e9ni d\u2019histoire : la France doit une partie de son mal \u00eatre identitaire au fait qu\u2019elle n\u2019a jamais reconnu sa responsabilit\u00e9 vis-\u00e0-vis de ce que les Alg\u00e9riens ont endur\u00e9 de 1830 \u00e0 1962. Cette reconnaissance ouvrirait la voie \u00e0 une reconnaissance de tout le passif colonial et esclavagiste en Afrique et en Outre-mer, et permettrait surtout \u00e0 la France d\u2019assumer l\u2019histoire de sa diversit\u00e9 socio-culturelle d\u2019aujourd\u2019hui.<\/p>\n

Ben Bella ne sera rest\u00e9 que deux ans et demi au pouvoir, et aura pass\u00e9 au total 23 ann\u00e9es en prison. La privation de libert\u00e9 avait parfait son itin\u00e9raire r\u00e9volutionnaire par un devenir intellectuel. Si Ahmed pensait intens\u00e9ment le monde en train d\u2019advenir: d\u00e8s 1982, il parlait d\u2019un syst\u00e8me mondial \u00ab pr\u00e9dateur \u00bb, d\u2019une crise pas seulement \u00e9conomique mais \u00ab civilisationnelle \u00bb, et de la n\u00e9cessit\u00e9 d\u2019adopter un mode de production non consum\u00e9riste et un \u00ab autre rapport au monde et \u00e0 l\u2019environnement \u00bb.<\/p>\n

Testament politique du militant r\u00e9volutionnaire Ahmed Ben Bella :
\n\u00e0 propos du syst\u00e8me mondial (1982)<\/p>\n

<\/object><\/p>\n

\u0627\u0644\u0648\u0635\u064a\u0629 \u0627\u0644\u0633\u064a\u0627\u0633\u064a\u0629 \u0644\u0644\u0645\u0646\u0627\u0636\u0644 \u0627\u0644\u062b\u0648\u0631\u064a \u0623\u062d\u0645\u062f \u0628\u0646 \u0628\u0644\u0629 : \u0639\u0646 \u0627\u0644\u0646\u0638\u0627\u0645 \u0627\u0644\u0639\u0627\u0644\u0645\u064a<\/p>\n

\u00a0Si Ahmed a eu une influence d\u00e9terminante sur moi, et j\u2019ai voulu mettre en acte son d\u00e9sir de comprendre le monde \u00e0 venir, de participer \u00e0 sa transformation. \u00c0 un moment donn\u00e9, j\u2019ai compris qu\u2019il me fallait finalement renoncer \u00e0 la seule carri\u00e8re que j\u2019avais s\u00e9rieusement envisag\u00e9e : la politique. Il y a dans tout pouvoir quelque chose qui d\u00e9forme et \u00e9loigne du r\u00e9el. \u00c0 part peut-\u00eatre l\u2019Helv\u00e9tie et quelques pays scandinaves, leur d\u00e9mocratie directe et leurs responsables politiques dont on oublie vite les noms, la politique aujourd\u2019hui semble n\u2019\u00eatre plus que cette pulsion de domination et de manipulation des individus. Et le monde a chang\u00e9 : les r\u00e9volutions ne sont plus arm\u00e9es, elles sont pens\u00e9es, et ce collectivement. Les logiques de savoir l\u2019emportent sur celles du pouvoir. C\u2019est la puissance de pens\u00e9e et d\u2019agir qui attire les peuples et transforme le monde, et non pas le pouvoir comme passion triste de quelques individus.<\/p>\n

Le temps des leaders charismatiques est termin\u00e9, mais d\u00e9sormais de la Mauritanie au Y\u00e9men en passant par la Syrie et le Bahrein, ce sont des dizaines de millions de Ben Bella r\u00e9volt\u00e9s, lib\u00e9r\u00e9s de la peur, qui veulent en finir avec l’oppression. Du pire des mondes possibles, min\u00e9 par la corruption, la dictature et le n\u00e9potisme, le monde arabe semble n\u2019\u00eatre plus qu\u2019une gigantesque place de la lib\u00e9ration. Les jeunes d’aujourd’hui sont en train d’accomplir la seconde phase de la lib\u00e9ration nationale pour plus de justice, de dignit\u00e9 et de libert\u00e9. Nouveaut\u00e9s : ni leader, ni id\u00e9ologie, le temps est d\u00e9sormais aux multitudes et aux intelligences collectives, connectives et cognitives. La mont\u00e9e des religieux est transitoire et de l\u2019ordre de la pathologie identitaire tout comme sont pathologiques et path\u00e9tiques le repli identitaire de l\u2019Europe et ses relents x\u00e9nophobes. Et la lib\u00e9ration ne concerne plus des territoires g\u00e9ographiques, mais des territoires sociaux, mentaux, psychiques pour tant de peuples en devenir. Il y a aussi ces indign\u00e9s, ces 99% d\u2019Europe et des \u00c9tats-Unis qui n\u2019en peuvent plus d\u2019\u00eatre du b\u00e9tail cognitif, soumis \u00e0 la dictature de la finance (\u00ab l\u2019\u00e9conomie ne ment pas \u00bb), \u00e0 la th\u00e9ologie du march\u00e9 et \u00e0 sa main invisible. Nous ne sommes qu\u2019au tout d\u00e9but d\u2019une transformation des humanit\u00e9s.<\/p>\n

C\u2019est une \u00e8re possibiliste que le \u00ab printemps arabe \u00bb a entrouverte. Les nouveaut\u00e9s dont elle est porteuse vont dessiner l\u2019\u00e9volution des prochaines d\u00e9cennies. Qui aurait cru que le sacrifice de Mohamed Bouazizi d\u00e9clencherait la premi\u00e8re r\u00e9volution du XXIe<\/sup> si\u00e8cle ? Qui aurait cru que Ben Bella et 400 de ses compagnons aient pu d\u00e9clencher une insurrection qui mettrait un terme \u00e0 132 ans d\u2019occupation coloniale ? La disparition d\u2019un militant r\u00e9volutionnaire comme Si Ahmed est aussi un moment de s\u00e9r\u00e9nit\u00e9 et de communion symbolique. C\u2019est un passage de t\u00e9moin et une foi en l\u2019avenir.<\/p>\n

R\u00e9da Benkirane<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":"

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