{"id":660,"date":"2015-01-06T13:38:07","date_gmt":"2015-01-06T12:38:07","guid":{"rendered":"http:\/\/www.archipress.org\/wp\/?page_id=660"},"modified":"2015-01-06T21:57:08","modified_gmt":"2015-01-06T20:57:08","slug":"critique-de-la-raison-occidentale-par-a-ben-bella","status":"publish","type":"page","link":"https:\/\/www.archipress.org\/?page_id=660","title":{"rendered":"Critique de la raison occidentale, par A. Ben Bella"},"content":{"rendered":"

La filiation maudite
\nun essai d’Ahmed Ben Bella<\/h3>\n

(version arabe – PDF<\/a>)<\/p>\n

Hobbes et le Leviathan<\/strong><\/p>\n

L<\/strong>a soci\u00e9t\u00e9 industrielle n’est pas tomb\u00e9e du ciel; elle est la cons\u00e9quence d’une v\u00e9ritable \u00e9volution culturelle intervenue en Occident au XVIIIe si\u00e8cle.<\/p>\n

Alors que jusqu’au XVIIe si\u00e8cle, le monde occidental avait \u00e9t\u00e9 habit\u00e9 par l’id\u00e9e de Dieu, le XVIIIe si\u00e8cle voit se substituer au salut de l’\u00e2me, la volont\u00e9 de ma\u00eetriser la nature, la recherche du bonheur mat\u00e9riel et finalement, la course et la lutte pour le progr\u00e8s technique. A Bossuet, se sont substitu\u00e9s les Rousseau, Voltaire, Diderot, Hobbes, Bacon et Descartes.<\/p>\n

C’est pour assurer l’existence et le d\u00e9veloppement de l’industrialisation qu’une nouvelle structure sociale est n\u00e9e. L’id\u00e9ologie individualiste qui est le fondement a \u00e9limin\u00e9 les structures imaginaires et symboliques de l’ancienne soci\u00e9t\u00e9. L’homme y est d’abord mat\u00e9rialiste. Mais comme trop souvent, cela se passe, un Dieu n’est \u00e9vacu\u00e9 qu’au profit d’un autre Dieu: celui de seau d’or; en la circonstance, celui du profit. L’homme individualiste se r\u00e9alise d\u00e9sormais dans la comp\u00e9tition, la concurrence. L’\u00e9quilibre social n’\u00e9tant que le produit des affrontements d’int\u00e9r\u00eats individuels, s’ajoutant \u00e0 une plus grande ma\u00eetrise de la nature exploit\u00e9e \u00e0 grande \u00e9chelle. Dans le Leviathan<\/em>, l’homme selon Hobbes est \u00ab\u00a0hargneux, bestial et brutal\u00a0\u00bb; il vit dans un \u00ab\u00a0\u00e9tat de nature et d’hostilit\u00e9\u00a0\u00bb. Cela pr\u00e9suppose une nature plus hostile qu’harmonieuse, source de violence et non de vie.<\/p>\n

Sociologiquement, le dessein est remplac\u00e9 par la violence, l’intelligence par l’instinct. L’ordre politique est fond\u00e9 par la crainte et l’int\u00e9r\u00eat personnel. Le corps politique de ce qui en r\u00e9sulte est ce que Hobbes appelle le \u00ab\u00a0Leviathan\u00a0\u00bb, monstre marin symbolisant la force collective de la violence de la soci\u00e9t\u00e9, version moderne de l’antagonisme d’Apollon \u00e0 l’\u00e9gard de Python.<\/p>\n

Un contre tous, tous contre un: <\/strong>
\n la guerre universelle<\/strong><\/p>\n

\u00ab\u00a0Un contre tous, tous contre un: la guerre universelle est au coeur de la th\u00e9orie hobbesienne de la nature et de la soci\u00e9t\u00e9 qui devait animer tels sp\u00e9culations politiques et \u00e9conomiques d’Adam Smith \u00e0 David Ricardo et de Karl Marx jusqu’\u00e0 l’impasse nucl\u00e9aire actuelle\u00a0\u00bb \u00e9crit Richard W. Lombardi qui ajoute plus loin: \u00ab\u00a0Marx a pris Thomas Hobbes, David Hume, Adam Smith et David Ricardo \u00e0 la lettre en se bornant \u00e0 changer d’all\u00e9geance, c’est \u00e0 dire \u00e0 se mettre au service des masses. Son point de d\u00e9part n’en reste pas moins le m\u00eame.\u00a0\u00bb<\/p>\n

Enfin, cet homme mat\u00e9rialiste, individualiste, est aussi un conqu\u00e9rant. Depuis 1492 et la d\u00e9couverte de l’Am\u00e9rique, il s’\u00e9vertue \u00e0 assurer et \u00e0 consolider cette conqu\u00eate. G\u00e9nocide de la race am\u00e9rindienne, traite des Noirs durant des si\u00e8cles, colonialisme interplan\u00e9taire qui vient de s’achever sous nos yeux avec cependant quelques r\u00e9sidus coriaces comme en Nouvelle Cal\u00e9donie, dans les Antilles, aux Malouines et ailleurs, deux guerres mondiales dont la premi\u00e8re fit 15 millions de victimes et la seconde 60 millions, mais encore, le sinistre bilan compte p\u00eale-m\u00eale: les chemin\u00e9es fumantes des stalags, le goulag, les asiles psychiatriques \u00e0 l’usage des opposants politiques, le ciel de la Kolyma, les d\u00e9foliants d\u00e9vers\u00e9s par centaines de millions de tonnes sur le Vietnam, les bombes d’Hiroshima et de Nagasaki… La logique de cet esprit conqu\u00e9rant est habit\u00e9e par un monstre au coeur glac\u00e9 qui lui donne son caract\u00e8re plan\u00e9taire. Pas un \u00eatre sur cette plan\u00e8te qui n’en ressente la violence imminente, pas une pierre, pas un arbre, pas un animal qui ne soient affect\u00e9s par la perversion d’une telle logique, car, ce coeur glac\u00e9 et pollu\u00e9 a \u00e9galement pollu\u00e9 son environnement. Ce que, partant de l’anthropologie, L\u00e9vi-Strauss expliquera diff\u00e9remment: \u00ab\u00a0Nous pouvons pleurer sur le fait qu’il y a de l’histoire (il s’agit du massacre des Indiens de l’Amazonie): l’histoire des sciences et des techniques de l’Occident n’est pas une autre histoire: le biocide va de pair avec l’ethnocide.\u00a0\u00bb<\/p>\n

L’\u00e9conomie arithmomorphique <\/strong>
\n la science des sciences<\/strong><\/p>\n

Los Alamos est la pointe extr\u00eame d’une trajectoire qui est la fille l\u00e9gitime d’une filiation intellectuelle qui va de Descartes et Hobbes pour d\u00e9boucher sur Marx, en passant par Hegel, Nietzsche et les \u00e9conomistes Adam Smith et David Ricardo. Cet homme mat\u00e9rialiste, individualiste, conqu\u00e9rant, innerv\u00e9 dans cette filiation intellectuelle a fait du quantum sa loi fondamentale et des math\u00e9matiques la science des sciences. L’\u00e9conomie exer\u00e7ant un empire d\u00e9mesur\u00e9 sur toutes les sciences humaines, les sciences sociales sont r\u00e9duites \u00e0 un ensemble de lois \u00e9conomiques englobant l’histoire, la sociologie, la science politique, l’anthropologie, voire la psychologie, et les r\u00e9sumant toutes.<\/p>\n

Ce sont les mod\u00e8les \u00e9conomiques qui fixent et l’organisation et l’image de la soci\u00e9t\u00e9. Ils sont li\u00e9s aux fondements intellectuels de cette soci\u00e9t\u00e9, \u00e0 sa philosophie de la vie.<\/p>\n

Thomas Malthus:
\n<\/strong>la d\u00e9mographie au secours de l’\u00e9conomie<\/strong><\/p>\n

Hobbes avec son Leviathan<\/em>, avait d\u00e9velopp\u00e9 une science de l’\u00c9tat. Son l\u00e9gataire spirituel le plus proche fut David Hume: \u00ab\u00a0Les auteurs politiques, \u00e9crit-il, l’ont \u00e9tabli en maxime: en \u00e9chafaudant n’importe quel syst\u00e8me de gouvernement Il faut reconna\u00eetre en tout homme un fripon qui n’a d’autre fin, dans tous ses actes, que son int\u00e9r\u00eat priv\u00e9\u00a0\u00bb. Adam Smith, disciple de David Hume, dans son ouvrage La richesse des nations<\/em> b\u00e2tit une th\u00e9orie \u00e9conomique inspir\u00e9e des id\u00e9es de David Hume. Imm\u00e9diatement apr\u00e8s lui, vient Thomas Malthus et sonEssai sur le principe de population<\/em> qui fit tant de bruit en mati\u00e8re de d\u00e9mographie. \u00ab\u00a0Le principal argument que je vais produire, \u00e9crit-il, n’est certainement pas nouveau. Le principe sur lequel il repose a \u00e9t\u00e9 expliqu\u00e9 en partie par Hume, et plus \u00e0 fond par Adam Smith\u00a0\u00bb.<\/p>\n

Ne perdons pas de vue que Malthus, Hobbes et Adam Smith t\u00e9moignent de l’\u00e9tat d’esprit propre \u00e0 \u00ab\u00a0l’\u00e2ge de la raison\u00a0\u00bb. Cette \u00e9poque conna\u00eet une mis\u00e8re galopante en Europe; les guerres napol\u00e9oniennes et les violences de la premi\u00e8re r\u00e9volution industrielle caract\u00e9ris\u00e9e par une exploitation absolument f\u00e9roce, engendrent une mis\u00e8re sans bornes. Ce n’est l\u00e0, croit-on, qu’une phase transitoire, un passage obligatoire pour parvenir par la suite \u00e0 une \u00e8re d’abondance. \u00ab\u00a0La famine, dit-il, semble \u00eatre la derni\u00e8re ressource de la nature, la plus \u00e9pouvantable. Le dynamisme de la population est si sup\u00e9rieur au pouvoir qu’a la terre de produire, pour l’homme, des moyens de subsistance, que la mort pr\u00e9matur\u00e9e doit, sous une forme ou une autre, s’abattre sur l’esp\u00e8ce humaine\u00a0\u00bb. Cette \u00ab\u00a0mort pr\u00e9matur\u00e9e\u00a0\u00bb, cette menace, dans l’esprit de Malthus, a pour fonction premi\u00e8re d’aiguiser la lutte pour la vie et, finalement, le d\u00e9veloppement de l’esp\u00e8ce.<\/p>\n

De Malthus \u00e0 Darwin: <\/strong>
\n l’histoire d’une d\u00e9rive<\/strong><\/p>\n

\u00ab\u00a0La n\u00e9cessit\u00e9, \u00e9crit Maltus, cette loi imp\u00e9rieuse et omnipr\u00e9sente de la nature, les garde (les \u00eatres vivants) dans les limites prescrites. Les esp\u00e8ces animales et les esp\u00e8ces v\u00e9g\u00e9tales se contractent sous cette grande loi restrictive. Et l’esp\u00e8ce humaine ne saurait, quels que soient les efforts de sa raison, y \u00e9chapper. Dans le monde animal et v\u00e9g\u00e9tal, ses effets sont divers: perte de la semence, maladies et mort pr\u00e9matur\u00e9e. Dans I ‘humanit\u00e9, mis\u00e8re et vice\u00a0\u00bb.<\/p>\n

Pour Adam Smith, c’est la \u00ab\u00a0main invisible\u00a0\u00bb qui r\u00e8gle les conditions de march\u00e9 et l’\u00e9quilibre de l’offre et de la demande. Et selon Malthus, la malnutrition perp\u00e9tue un r\u00f4le identique au sein de la famille humaine.<\/p>\n

\u00ab\u00a0L’ordre sourd du chaos en une esp\u00e8ce de coup de pied au eut donn\u00e9 par la nature\u00a0\u00bb dira Richard W. Lombardi qui ajoute: \u00ab\u00a0David Ricardo et sa th\u00e9orie de l’avantage comparatif sortent tout droit de Malthus. De fait, Malthus fut l’ami, son ma\u00eetre \u00e0 penser et son avocat litt\u00e9raire. Pour Ricardo le libre jeu des avantages individuels est source de progr\u00e8s et d’efficacit\u00e9\u00a0\u00bb.<\/p>\n

C’est sur un autre plan, celui de la th\u00e9orie de la nature appliqu\u00e9e au monde animal et v\u00e9g\u00e9tal, que les id\u00e9es de Malthus eurent un effet d\u00e9cisif: Darwin et sa s\u00e9lection naturelle des esp\u00e8ces. L’\u00e9volution des esp\u00e8ces est, elle aussi, au centre d’un combat sans merci o\u00f9 les plus faibles succombent pour donner naissance \u00e0 une esp\u00e8ce nouvelle mieux arm\u00e9e pour la vie. Ce faisant, Darwin se contentaient de reproduire un concept conforme au climat id\u00e9ologique. \u00ab\u00a0L’homme, explique-t-il, tend \u00e0 se multiplier \u00e0 un rythme si rapide qu’il en r\u00e9sulte, de temps \u00e0 autre d’\u00e2pres luttes pour l’existence; et par voie de cons\u00e9quences, l’\u00e9limination des variations pr\u00e9judiciables tandis que les variations avantageuses touchant le corps et l’esprit sont pr\u00e9serv\u00e9es\u00a0\u00bb.<\/p>\n

La formation de l’esp\u00e8ce comme on le voit proc\u00e8de d’une d\u00e9marche identique \u00e0 celle de l’ordre politique et \u00e9conomique. Mais s’il restait un doute sur la filiation de la pens\u00e9e de Malthus \u00e0 Darwin, il ne saurait subsister plus longtemps lorsque l’on sait que Darwin lui-m\u00eame avoue: \u00ab\u00a0Je me suis mis \u00e0 lire les textes de Malthus sur la population par amusement et… j’ai fini par y trouver une th\u00e9orie sur laquelle travailler…\u00a0\u00bb<\/p>\n

Le darwinisme et ses significations<\/strong><\/p>\n

Les id\u00e9es de Darwin eurent un \u00e9norme succ\u00e8s car elles allaient dans un sens qui confortait \u00ab\u00a0l’establishment\u00a0\u00bb intellectuel de l’\u00e9poque. Par la suite, et gr\u00e2ce aux travaux de certains zoologistes, il apparut clairement qu’elles \u00e9taient quelque peu sommaires et que Darwin a surtout \u00e9crit, non pas l’\u00e9volution de l’esp\u00e8ce mais son extinction. En particulier, les travaux d’un moine botaniste, Gregor Johan Mendel, port\u00e8rent un coup s\u00e9rieux aux th\u00e8ses de Darwin. Mendel, pour sa part, d\u00e9fend la th\u00e8se selon laquelle la nature n’est point anarchie mais dessein, non point d\u00e9sordre mais hi\u00e9rarchie et harmonie et que ces \u00e9l\u00e9ments sont indispensables \u00e0 la vie. Par la suite, les biologistes rel\u00e8veront davantage le caract\u00e8re simpliste et m\u00e9canique des id\u00e9es de Darwin.<\/p>\n

\u00ab\u00a0L’\u00e9volution des esp\u00e8ces, explique G. Simpton, passe parfois par la lutte, mais tel n’est g\u00e9n\u00e9ralement pas le cas, et lorsqu’il en est ainsi, elle peut jouer contre et non pas en faveur de la s\u00e9lection naturelle. L’avantage dans la reproduction diff\u00e9rentielle est g\u00e9n\u00e9ralement un processus pacifiste auquel I ‘id\u00e9e m\u00eame de lutte est tout \u00e0 fait \u00e9trang\u00e8re. Il emprunte le plus souvent d’autres voies telles qu’une meilleure int\u00e9gration \u00e0 la situation \u00e9cologique, le maintien d’un \u00e9quilibre dans la nature, une utilisation plus efficace des vivres disponibles et, l’am\u00e9lioration des soins donn\u00e9s \u00e0 la jeunesse.\u00a0\u00bb (The meaning of \u00e9volution<\/em>, p. 53).<\/p>\n

Il n’emp\u00eache, Darwin \u00e9tait bien \u00e0 l’heure de son temps. Ses id\u00e9es influenc\u00e8rent un nombre consid\u00e9rable d’hommes de science, de sociologues, d’\u00e9conomistes et d’intellectuels en les convainquant que \u00ab\u00a0les dents et les griffes de la nature sont rouges de sang\u00a0\u00bb et ignorant ce que les donn\u00e9es empiriques prouvent aujourd’hui. Donn\u00e9es qui permettent \u00e0 Ashley Montagu de faire remarquer que \u00ab\u00a0l’homme est la seule cr\u00e9ature qui lance des attaques concert\u00e9es contre sa propre esp\u00e8ce… les guerres de fourmis et autres cr\u00e9atures mythiques sont purement imaginaires.\u00a0\u00bb<\/p>\n

Mais ces voix scientifiques autoris\u00e9es furent couvertes par celles des grands philosophes, de droite comme de gauche. Herbert Spencer, \u00e0 droite, transpose purement et simplement dans le domaine social et \u00e9conomique, la th\u00e8se de la s\u00e9lection naturelle de Darwin relative aux esp\u00e8ces. Pour Nietzsche, la violence est nourrice de l’histoire \u00ab\u00a0L’homme ne peut devenir meilleur et plus m\u00e9chant\u00a0\u00bb.<\/p>\n

Et Marx vint…<\/strong><\/p>\n

Le cercle de la filiation intellectuelle, \u00e9voqu\u00e9e tout au long de ces pages, va se refermer sur lui-m\u00eame avec Marx. Engels r\u00e9v\u00e8le dans Le r\u00f4le de la violence dans l’histoire<\/em> que Karl Marx souhaitait d\u00e9dier le premier livre du Capital \u00e0 Charles Darwin: \u00ab\u00a0L’ouvrage de Darwin est extr\u00eamement important \u00e9crivait Marx \u00e0 Engels en 1860, et me sert pour ancrer la lutte des classes dans la science naturelle\u00a0\u00bb.<\/p>\n

Deux si\u00e8cles environ s\u00e9parent le Leviathan<\/em> de Hobbes du Capital de Marx, cependant les m\u00eames fondements intellectuels les irriguent. Avec Marx, la boucle est boucl\u00e9e. Au-dessus de ces fondements s’\u00e9l\u00e8ve l’\u00e9difice du syst\u00e8me mondial qui r\u00e9git nos destin\u00e9es. Le marxisme donne de l’homme une d\u00e9finition \u00e9conomique; l’homme tire son identit\u00e9 de son statut de force de travail, il est le moyen, non la fin, d’un proc\u00e8s \u00e9conomique. Le marxisme rejoint ainsi le lib\u00e9ralisme quant au probl\u00e8me des fins utilitaires.<\/p>\n

La crise multiforme<\/strong><\/p>\n

Ce syst\u00e8me est en \u00e9tat de crise profonde. Celle-ci n’est pas seulement \u00e9conomique mais culturelle, civilisationnelle. Bien s\u00fbr, dans le Sud, les agricultures sont assassin\u00e9es, la d\u00e9sertification acc\u00e9l\u00e9r\u00e9e est symbolis\u00e9e par le drame du Sahel et les 40% de la for\u00eat tropicale disparus en 10 ans, la faim est devenue une trag\u00e9die quotidienne qui tue chaque ann\u00e9e 50 millions d’\u00eatres humains dont 17 millions d’enfants, plus d’un milliard d’hommes sont accabl\u00e9s par des maladies tropicales pratiquement ignor\u00e9es par la recherche scientifique du Nord beaucoup plus int\u00e9ress\u00e9e par le cancer, le sida, les maladies cardio-vasculaires ou la poliomy\u00e9lite, en raison de la loi du march\u00e9 et du profit. Bien s\u00fbr, nous assistons au fiasco des trois d\u00e9cennies de d\u00e9veloppement lanc\u00e9es par les Nations Unies, doubl\u00e9 du fiasco de ce que l’on a appel\u00e9 le dialogue Nord-Sud. Nous vivons aussi la trag\u00e9die de la dette du tiers monde, de plus en plus endett\u00e9 et incapable de rembourser ne fut-ce que les int\u00e9r\u00eats de sa dette. Le syst\u00e8me bancaire ne consentant d’autres emprunts que ceux destin\u00e9s au remboursement des int\u00e9r\u00eats de cette dette: emprunts qui ont la vertu d’augmenter la dette d’autant. Quarante et un pays vivent cette situation qui deviendront 100 sur les 123 pays composant le tiers monde, nous avertit un rapport de la Banque Mondiale. A lui seul, et par son ampleur, le probl\u00e8me de la dette est une bombe \u00e0 retardement pouvant d\u00e9terminer \u00e0 tout moment un krach financier international La crise qui touche le Nord, se traduit par le ch\u00f4mage et parfois la mis\u00e8re et, m\u00eame si elle ne rev\u00eat pas l’ampleur dramatique de celle des pays du Sud, elle n’en touche pas moins les couches d\u00e9sh\u00e9rit\u00e9es de plus en plus nombreuses. Mais la crise, c’est aussi la pollution massive de notre environnement.<\/p>\n

Sur un autre plan, la crise se traduit par des probl\u00e8mes comme celui de la drogue, de la d\u00e9linquance et de la violence aveugle, des vieux rel\u00e9gu\u00e9s dans ces mouroirs que sont les asiles, des suicides qui ne sont jamais aussi nombreux que l\u00e0 o\u00f9 le produit national brut est le plus \u00e9lev\u00e9. enfin, pour ne pas poursuivre plus avant, car la liste serait longue, c’est le probl\u00e8me du mal de vivre qui affecte la soci\u00e9t\u00e9 de consommation et touche plus particuli\u00e8rement sa jeunesse.<\/p>\n

\u00ab\u00a0Il s’agit, dit le physicien Fritjof Capra, d’une crise compl\u00e8te, multidimensionnelle qui touche chaque aspect de notre vie- notre sant\u00e9-nos moyens d’existence, la qualit\u00e9 de notre environnement nos relations sociales, notre \u00e9conomie, notre technologie et la politique. Pour la premi\u00e8re fois, nous sommes v\u00e9ritablement confront\u00e9s \u00e0 une menace d’extinction de la race et de toute la vie sur cette plan\u00e8te… 500 millions de personnes sont sous-aliment\u00e9es. Pr\u00e8s de 40%, de la population mondiale n’ont pas acc\u00e8s (aux services professionnels de soins; 30% de l’humanit\u00e9 manquent d’eau potable, alors que la moiti\u00e9 de nos scientifiques et de nos ing\u00e9nieurs consacrent leurs recherches \u00e0 la technologie de la production des armes.\u00a0\u00bb<\/p>\n

L’homme machine<\/strong><\/p>\n

La tendance d’une certaine pens\u00e9e en Occident qui a consid\u00e9r\u00e9 les \u00eatres vivants comme des machines et a sacralis\u00e9 le mat\u00e9rialisme, est responsable de cette crise et de l’immense d\u00e9sarroi de toute une humanit\u00e9.<\/p>\n

\u00ab\u00a0La m\u00e9canisation et le mat\u00e9rialisme sont les fondements de la pens\u00e9e scientifique… je n’accepte en aucune mani\u00e8re l’opinion que les ph\u00e9nom\u00e8nes d’esprit ne supportent une description physico-chimique. tout ce que nous apprendrons jamais, scientifiquement \u00e0 leur sujet. .. Pour la science et s’il n’en est pas ainsi, il n’est rien du tout\u00a0\u00bb, affirmait le savant britannique Needham, avant de d\u00e9couvrir et de devenir un fervent d\u00e9fenseur de la vision organique du monde, en d\u00e9couvrant la science chinoise. Cette vision m\u00e9caniste de l’homme, nous la trouvons bien s\u00fbr d’abord chez Descartes qui affirmait qu’il ne fallait pas plus attacher d’importance aux cris d’\u00eatres vivants qu’aux grincements d’une roue. Malheureusement pour Descartes, les grincements de la roue humaine, d\u00e9crits par la crise \u00e9voqu\u00e9e plus haut, deviennent assourdissants. Tant et si bien que ses h\u00e9ritiers spirituels d’aujourd’hui ne savent plus \u00e0 quel Dieu s’adresser.<\/p>\n

L’\u00e9conomie et les \u00e9conomistes perplexes<\/strong><\/p>\n

Cela est vrai, notamment de l’\u00e9conomie, cette reine des sciences qui sous-entend tout le syst\u00e8me. C’est l’un d’entre les plus illustres \u00e9conomistes qui le confesse sans d\u00e9tours dans son allocution devant l’association \u00e9conomique am\u00e9ricaine: Milton Friedman: \u00ab\u00a0Je crois que nous, \u00e9conomistes, avons, au cours de ces derni\u00e8res ann\u00e9es, caus\u00e9 beaucoup de toit-\u00e0 la soci\u00e9t\u00e9 dans son ensemble et \u00e0 notre profession en particulier-en promettant plus que nous ne pouvions donner\u00a0\u00bb. A qui r\u00e9pond sur un ton plus dramatique en 1978, Michel Blumenthal, secr\u00e9taire au Tr\u00e9sor: \u00ab\u00a0Je crois v\u00e9ritablement que les professionnels de l’\u00e9conomie sont sur le point de ne plus rien comprendre \u00e0 la situation actuelle, que ce soit avant ou apr\u00e8s les faits\u00a0\u00bb. C’est en 1979 que Juanita Kreps, secr\u00e9taire sortante de la Chambre de Commerce, confessa qu’il lui \u00e9tait impossible de reprendre son travail de professeur d’\u00e9conomie \u00e0 l’universit\u00e9 Duke: \u00ab\u00a0Je ne saurais plus quoi enseigner\u00a0\u00bb, reconnut-elle.<\/p>\n

Ainsi, la science de l’\u00e9conomie, la science des sciences qui les r\u00e9sume toutes, ne comprend rien \u00e0 la crise qui affecte le syst\u00e8me mondial; elle se d\u00e9clare impuissante \u00e0 y rem\u00e9dier et elle y perd \u00ab\u00a0son latin\u00a0\u00bb. Cette science dont la pens\u00e9e occidentale avait fait sa religion – et la n\u00f4tre \u00e0 notre corps d\u00e9fendant- et la clef de tous les probl\u00e8mes humains, est bel et bien en panne, non op\u00e9ratoire. Ce sont des scientifiques, les pr\u00eatres de l’\u00e9conomie, qui le proclament eux-m\u00eames comme nous l’avons vu plus haut.<\/p>\n

Cette science \u00ab\u00a0absolue\u00a0\u00bb appara\u00eet aujourd’hui pour ce qu’elle n’a jamais cess\u00e9 d’\u00eatre. C’est-\u00e0-dire une science tr\u00e8s approximative, d\u00e9riv\u00e9e de choix essentiels li\u00e9s aux structures mentales d’une culture occidentale et des soci\u00e9t\u00e9s qui la composent et qui, un moment, eut la folle pr\u00e9tention de d\u00e9couvrir la v\u00e9rit\u00e9, toute la v\u00e9rit\u00e9, gr\u00e2ce au paradigme de ses choix. Aujourd’hui, et de plus en plus clairement, elle appara\u00eet comme un d\u00e9risoire moignon de science. La critique et la r\u00e9vision de ses th\u00e9ories et concepts est si violente, si radicale, que sa survie est d\u00e9sormais un sujet s\u00e9rieusement discut\u00e9, sinon envisag\u00e9.<\/p>\n

Proc\u00e8s d’une filiation maudite<\/strong><\/p>\n

La filiation intellectuelle maudite qui va de Hobbes, Descartes, Malthus et Darwin \u00e0 Marx et L\u00e9nine, n’est pas seulement contest\u00e9e dans son principe \u00e9conomique par les grands pr\u00eatres de l’\u00e9conomie eux-m\u00eames; elle est contest\u00e9e avec autant de vigueur, sinon plus, dans son principe mat\u00e9rialiste-et cela, par les pr\u00eatres de la mati\u00e8re eux-m\u00eames: les nouveaux physiciens.<\/p>\n

La mati\u00e8re, disent-ils, n’est pas une chose froide, inerte et sans vie. Au contraire, elle est la vie, et vie intense, elle est esprit. Les lois de la thermodynamique s’opposent aux lois de la dynamique de l’ancienne physique, Sadi Carnot corrige Newton, et les implications en sont consid\u00e9rables. L’\u00e9lectron disent les nouveaux physiciens, n’est pas mati\u00e8re, mais agit, dou\u00e9 d’un grand esprit pour corriger les effets de l’entropie. Symboliquement, ils sont all\u00e9s le proclamer \u00e0 la face du monde \u00e0… Cordoue o\u00f9 ils tinrent un s\u00e9minaire qui fit grand bruit, il y a quelques ann\u00e9es de cela et o\u00f9 ils firent le proc\u00e8s du rationalisme-ou de ce qui en tient lieu… Le choix de Cordoue est-il un curieux hasard ‘? Cordoue, cit\u00e9 des arts et des sciences… La Cordoba des Averro\u00e8s, Ibn Baja’, Ibn Tofayl, Ibn Hamz, Ibn el Khatib…<\/p>\n

Nous donnons la parole \u00e0 l’un des plus prestigieux d’entre eux, Fritjof Capra:<\/p>\n

\u00ab\u00a0T\u00f4t ou tard:, la physique nucl\u00e9aire et la psychologie de l’inconscience se rapprocheront, alors que toutes deux, ind\u00e9pendamment l’une de l’autre et \u00e0 partir d’horizons oppos\u00e9s, p\u00e9n\u00e9treront plus allant le territoire transcendantal… La psych\u00e9 ne peut \u00eatre enti\u00e8rement diff\u00e9rente de la mati\u00e8re si c’\u00e9tait le cas, comment d\u00e9placerait-elle la mati\u00e8re? Et la mati\u00e8re ne peut \u00eatre \u00e9trang\u00e8re \u00e0 la psych\u00e9 car autrement, comment la mati\u00e8re pourrait-elle cr\u00e9er la psych\u00e9? La psych\u00e9 et la mati\u00e8re existent clans le m\u00eame monde et chacune d\u00e9pend de l’autre, autrement, toute action r\u00e9ciproque serait impossible. Si seulement la recherche pouvait progresser assez loin, nous devrions arriver \u00e0 un accord ultime entre les concepts physiques et psychologiques. Nos tentatives actuelles sont peut-\u00eatre audacieuses, mais je crois qu’elles sont sur la bonne voie\u00a0\u00bb.<\/p>\n

Penser autrement:
\nune nouvelle vision de la vie<\/p>\n

Le proc\u00e8s des deux fondements de la soci\u00e9t\u00e9 occidentale: l’\u00e9conomisme d\u00e9riv\u00e9 d’un rationalisme frelat\u00e9 privil\u00e9giant le quantum et les math\u00e9matiques, ensuite le mat\u00e9rialisme, a d\u00e9j\u00e0 commenc\u00e9, car la crise est une r\u00e9a lit\u00e9 qu’on ne saurait nier. Cette crise n’est pas seulement \u00e9conomique et ne saurait \u00eatre expliqu\u00e9e par un quelconque cycle des crises d\u00e9crit par la th\u00e9orie marxiste. C’est une crise plus profonde, affectant d’autres cat\u00e9gories, d’autres plans essentiels de la vie, et les r\u00e9ponses \u00e0 cette crise ne sauraient \u00eatre seulement d’ordre \u00e9conomique. La nouvelle approche \u00e0 la solution de ces probl\u00e8mes int\u00e9grera obligatoirement des \u00e9l\u00e9ments li\u00e9s \u00e0 la philosophie politique, \u00e0 la sociologie, \u00e0 la biologie, \u00e0 la psychologie de la vie. C’est une autre fa\u00e7on de penser, une autre vision de la vie, un autre paradigme qui sont requis. C’est une v\u00e9ritable mutation de soci\u00e9t\u00e9 qui devrait intervenir. La crise, en fait, n’est pas une crise de d\u00e9veloppement, c’est celle de la raison et de la culture du monde occidental. Ce d\u00e9bat est ouvert, et d’abord en Occident, soulevant les passions. Les multiples citations qui pr\u00e9c\u00e8dent le montrent amplement et t\u00e9moignent que quelque chose bouge s\u00e9rieusement en Occident m\u00eame. Cela est de bon augure car la remise en cause doit aussi intervenir dans le Nord. Mais pour qu’elle soit efficace et produise les effets escompt\u00e9s, il convient que le Sud la relaye. Cette derni\u00e8re ne saurait \u00eatre qu’endog\u00e8ne pour \u00eatre authentique parce que li\u00e9e \u00e0 une r\u00e9alit\u00e9 v\u00e9cue. La remise en cause dans le Nord doit aiguiser notre r\u00e9flexion – c’est en cela qu’elle peut nous \u00eatre utile-et non point offrir une r\u00e9flexion toute faite, un pr\u00eat-\u00e0-porter de pens\u00e9e. Le probl\u00e8me des valeurs et de la culture sont au centre du paradigme occidental; cependant il n’existe pas de paradigme unique, valable en tout temps et en tout lieu, pour toutes les soci\u00e9t\u00e9s. Ce fut la folle aventure de l’Occident. Nous devons faire nos propres choix, issus de nos propres valeurs, notre propre vision, notre propre paradigme. Ces choix seront \u00e9tablis sur la base de fondements intellectuels qui nous sont propres, et d’abord en rompant avec l’\u00e9conomisme, le mat\u00e9rialisme, l’individualisme exarcerb\u00e9 et ses succ\u00e9dan\u00e9s comme la lutte entre les hommes d’abord, la nature ensuite et la comp\u00e9tition forcen\u00e9e conduisant \u00e0 l’esprit de conqu\u00eate, de domination. Car c’est cet esprit-l\u00e0 qui a gangren\u00e9 toutes choses, polluant les coeurs d’abord, puis la nature.<\/p>\n

De quelques mots pi\u00e8ges: <\/strong>
\n d\u00e9veloppement, progr\u00e8s, croissance, besoins…<\/strong><\/p>\n

Le probl\u00e8me de ce qu’il est convenu de nommer le d\u00e9veloppement doit retenir notre attention. L’on sait que ce mot, lui non plus, n’est pas neutre et qu’il est li\u00e9 \u00e0 la filiation intellectuelle maudite \u00e9voqu\u00e9e plus haut. Le d\u00e9veloppement doit \u00eatre celui de nos latentes de notre sensibilit\u00e9, des constituants essentiels de notre personnalit\u00e9; celui de notre langue, de notre temp\u00e9rament, de notre culture, des leviers qui donnent un sens \u00e0 l’effort t collectif, \u00e0 notre volont\u00e9 d’union. C’est sur la base d’une d\u00e9finition claire de ces probl\u00e8mes que les autres choix, notamment \u00e9conomiques, devront \u00eatre faits. Cela signifie que la r\u00e9volution culturelle doit pr\u00e9c\u00e9der les autres choix. Il en est un qu’il faut refuser \u00e9nergiquement: celui de la soci\u00e9t\u00e9 de consommation. Soci\u00e9t\u00e9 qui est l’aboutissement de la trajectoire initi\u00e9e avec le si\u00e8cle dit \u00ab\u00a0des lumi\u00e8res\u00a0\u00bb qui postulait que les besoins sont illimit\u00e9s. On sait aujourd’hui \u00e0 quelles aberrations elle a donn\u00e9 lieu.<\/p>\n

La soci\u00e9t\u00e9 de consommation: <\/strong>
\n un d\u00e9lire incantatoire<\/strong><\/p>\n

Le probl\u00e8me des besoins et des limites \u00e0 une consommation devenue fr\u00e9n\u00e9tique, reste pos\u00e9. En aucun cas, avions-nous dit, nos soci\u00e9t\u00e9s ne devront se fixer les objectifs de consommation de la soci\u00e9t\u00e9 occidentale. Non seulement les pays \u00ab\u00a0en voie de d\u00e9veloppement\u00a0\u00bb ne devraient pas suivre cette voie, mais encore une r\u00e9vision de ce style de consommation va devenir indispensable en Occident m\u00eame. Ces changements ne pourront certes intervenir \u00e0 la suite d’un quelconque d\u00e9cret gouvernemental, d’une d\u00e9cision venue d’en haut, mais gr\u00e2ce \u00e0 une information de qualit\u00e9 destin\u00e9e \u00e0 convaincre les peuples de cette n\u00e9cessit\u00e9.<\/p>\n

Sobri\u00e9t\u00e9, solidarit\u00e9<\/strong><\/p>\n

Deux notions-clefs doivent commander cette d\u00e9marche: la sobri\u00e9t\u00e9 et la solidarit\u00e9. Nous vivons, en effet, dans un monde limit\u00e9. Il devient m\u00eame de plus en plus exigu, alors que le Sud prend de plus en plus d’importance par le nombre. Il serait illusoire d’envisager une consommation dans le Sud, similaire \u00e0 celle qui a cours dans le Nord. Cela ne serait ni moral, ni souhaitable pour sa sant\u00e9. Une certaine consommation n’a \u00e9t\u00e9 possible jusqu’\u00e0 pr\u00e9sent dans le Nord qu’au d\u00e9triment de la majorit\u00e9 – qui devient de plus en plus majoritaire. Elle est n\u00e9faste pour la sant\u00e9 parce que g\u00e9n\u00e9ratrice de graves maladies de soci\u00e9t\u00e9, telles le cancer, les probl\u00e8mes cardio-vasculaires, le mal de vivre, la d\u00e9pression ou le stress. Elle serait, de surcro\u00eet, mat\u00e9riellement impossible \u00e9tant donn\u00e9 les limites physiques de notre plan\u00e8te, de plus en plus d\u00e9grad\u00e9e, alors que flous devenons de lus en plus nombreux.<\/p>\n

Cependant, sobri\u00e9t\u00e9 ne signifie pas mis\u00e8re ou asc\u00e9tisme. Il v a consommation et consommation: l’une peut aller de pair avec la qualit\u00e9 de la vie alors que l’autre en est la n\u00e9gation et qui est la consommation d\u00e9brid\u00e9e sous-tendue par les m\u00e9faits du lavage de cerveau des publicit\u00e9s.<\/p>\n

La seconde notion, la solidarit\u00e9, est l’autre fondement de notre r\u00e9flexion et de notre action; elle en est le principe actif. Elle est l’antidote de celui, d\u00e9bilitant, de la comp\u00e9tition forcen\u00e9e r\u00e9sum\u00e9e par \u00ab\u00a0un contre tous et tous contre un\u00a0\u00bb, v\u00e9ritable loi de la jungle qui conduit \u00e0 l’individualisme d\u00e9crit par Hobbes et David Hume. La solidarit\u00e9 doit \u00eatre un principe dynamique, plus r\u00e9el que celui de charit\u00e9, d’aide ou de coop\u00e9ration tel qu’il ressort du jargon international. En Islam, tout bien n’appartient qu’\u00e0 Dieu, et l’homme n’en jouit qu’\u00e0 titre de mandataire. Cette jouissance prenant son sens v\u00e9ritable que lorsqu’elle rev\u00eat un caract\u00e8re social. La redistribution du surplus dont le caract\u00e8re est \u00e9minemment social, fut la caract\u00e9ristique essentielle de la soci\u00e9t\u00e9 islamique. La fonction de la Zakat<\/em>, des sadaqqates<\/em>, l’ampleur prise par les fondations pieuses et les biens Habous<\/em> – ces derniers repr\u00e9sentant le quart de la richesse du monde islamique- t\u00e9moignent d’un souci aigu de la redistribution du surplus, d’une pratique rigoureuse du principe de solidarit\u00e9.<\/p>\n

Ce principe doit \u00eatre r\u00e9activ\u00e9 \u00e9galement sur le plan international et une r\u00e9partition plus \u00e9quitable des richesses de la terre doit devenir le fondement d’un autre monde \u00e0 construire.<\/p>\n

M\u00e9canisation de la pens\u00e9e humaine<\/strong><\/p>\n

Nous vivons un moment important: celui de la seconde r\u00e9volution industrielle. La premi\u00e8re avait vu l’\u00e9nergie vivante remplac\u00e9e par l’\u00e9nergie m\u00e9canique. La seconde r\u00e9volution industrielle enregistre le remplacement de la pens\u00e9e humaine par la pens\u00e9e m\u00e9canique. S’agissant des probl\u00e8mes d’organisation, cybern\u00e9tique et automation permettent la construction de machines fonctionnant avec plus de pr\u00e9cision et de rapidit\u00e9 que le cerveau humain. La seconde r\u00e9volution industrielle sera-t-elle aussi co\u00fbteuse sur le plan humain que l’a \u00e9t\u00e9 la premi\u00e8re ? On sait que cette premi\u00e8re r\u00e9volution industrielle a laiss\u00e9 des stigmates terribles sur l’humanit\u00e9. Celles de la seconde risquent de l’\u00eatre davantage si elle reste domin\u00e9e par le paradigme de la premi\u00e8re. Le danger automatique plane sur nous, la pollution de la nature, l’empoisonnement des rivi\u00e8res, lacs et oc\u00e9ans, des ph\u00e9nom\u00e8nes tel que le sida qui risque de devenir massif, en un mot, une menace d’apocalypse sociale double celle de l’apocalypse nucl\u00e9aire et la cybern\u00e9tique et l’informatique risquent fort d’en pr\u00e9cipiter le cours.<\/p>\n

Changement de cap<\/strong><\/p>\n

Il nous faut \u00e0 tout prix changer de cap. Il nous faut \u00e9laborer un autre savoir, car celui qui a cours chez nous se contente de reproduire les cat\u00e9gories de la filiation intellectuelle maudite, allant de Hobbes \u00e0 Marx en passant par Descartes, Darwin et autres Newton. Nos \u00e9coles, coll\u00e8ges, instituts, facult\u00e9s et universit\u00e9s v\u00e9hiculent ce savoir perverti, suppos\u00e9 nous conduire au \u00ab\u00a0sentier lumineux\u00a0\u00bb du d\u00e9veloppement, du progr\u00e8s, de la croissance, de la productivit\u00e9 et de la civilisation. Et un effort financier consid\u00e9rable est consenti \u00e0 cet effet. Une perversion inou\u00efe s’installe ainsi dans l’esprit de notre jeunesse, corrompant son \u00e2me et la conduisant \u00e0 l’acculturation et \u00e0 l’ali\u00e9nation. Ce savoir doit \u00eatre imp\u00e9rativement r\u00e9\u00e9valu\u00e9, corrig\u00e9, r\u00e9adapt\u00e9 et doit se fixer, en premier lieu, de servir d’autres objectifs soigneusement \u00e9tudi\u00e9s. Et d’abord servir une agriculture dont le but doit \u00eatre d’assurer la subsistance de ceux qui vivent sur la terre nationale, de r\u00e9duire la d\u00e9pendance alimentaire, synonyme de la d\u00e9pendance politique. Ensuite, de servir une industrie li\u00e9e \u00e0 cette agriculture et destin\u00e9e essentiellement \u00e0 satisfaire les besoins d’un march\u00e9 int\u00e9rieur. Le passage par l’industrie est un passage obligatoire pour l’humanit\u00e9 et il n’est pas question de le rejeter, on ne rejette pas la vie. Mais il n’y a pas qu’une seule voie menant \u00e0 l’industrie, d’autres voies existent, moins co\u00fbteuses pour l’homme, moins injustes, moins agressives. La voie choisie par l’Occident l’a \u00e9t\u00e9 au supr\u00eame degr\u00e9. Par ailleurs, il faut surtout prendre soin d’\u00e9viter le lien qui conduit \u00e0 la cr\u00e9ation d’une bourgeoisie d\u00e9bouchant sur le ph\u00e9nom\u00e8ne des multinationales.<\/p>\n

Une nouvelle science, <\/strong>
\n de nouvelles technologies<\/strong><\/p>\n

De m\u00eame, il n’est pas question de refuser les sciences et les technologies. L\u00e0 \u00e9galement, il n’existe pas de voie royale, les sciences et les technologies d\u00e9coulent de choix existentiels, de structures mentales li\u00e9es \u00e0 une culture; finalement, elles d\u00e9coulent d’un paradigme. Un autre paradigme, d’autres choix, donneraient des voies diff\u00e9rentes d’approche de la science, produiraient d’autres technologies. Le savoir \u00e9minent du g\u00e9ologue \u00e9gyptien El Baz n’a malheureusement pas servi pour d\u00e9couvrir les r\u00e9serves d’eau si indispensables \u00e0 l’\u00c9gypte et au monde arabe, mais ce savoir a \u00e9t\u00e9 utilis\u00e9 pour la conqu\u00eate de l’espace et pour qu’un Am\u00e9ricain soit le premier \u00e0 poser le pied sur la lune. Autre exemple: la poudre \u00e9tait connue en Asie des si\u00e8cles avant que l’Occident ne la \u00ab\u00a0d\u00e9couvre\u00a0\u00bb, elle y \u00e9tait utilis\u00e9e surtout lors des festivit\u00e9s, mais c’est l’Occident qui inventa le canon.<\/p>\n

Les \u00e9tudes, les t\u00e9moignages se multiplient pour d\u00e9noncer les orientations donn\u00e9es, voire impos\u00e9es, \u00e0 la recherche scientifique par le complexe militaro-industriel. Une part \u00e9norme du budget recherche et d\u00e9veloppement est accapar\u00e9e par ce complexe: 85%, parfois 90%, voire davantage. A peine 10% sont d\u00e9volus \u00e0 la sant\u00e9, l’urbanisme, les loisirs, c’est-\u00e0-dire \u00e0 la qualit\u00e9 de la vie. Ces proportions ont une influence d\u00e9cisive sur le profil d’une soci\u00e9t\u00e9. Il est n\u00e9cessaire d’op\u00e9rer un renversement dans ces proportions, c’est-\u00e0-dire op\u00e9rer un changement qualitatif de la vie, du style de vie. Changer de cap, imaginer et donner naissance \u00e0 un monde nouveau, c’est d’abord faire ces choix en mati\u00e8re de recherche scientifique et de technologie. \u00ab\u00a0La science abstraite \u00ab\u00a0arithmomorphique\u00a0\u00bb tue le vivant. L’humanit\u00e9 s’enfonce dans la folie \u00e0 force de ne croire qu’en la raison et de n’admettre de r\u00e9el que ce qui est rationnel\u00a0\u00bb \u00e9crit Jacques Grinevald dans le livreCrise et chuchotements<\/em>.<\/p>\n

L\u00e9onardo Sciascia \u00e9crit, pour sa part: \u00ab\u00a0La structure du Manhattan project<\/em>, et le lieu o\u00f9 il fut r\u00e9alis\u00e9, se fragmente pour nous en images de s\u00e9gr\u00e9gation et d’esclavage qui ont une analogie avec les camps d’an\u00e9antissement hitl\u00e9riens. Quand on manipule la mort, m\u00eame si elle est destin\u00e9e \u00e0 d’autres, comme on la manipulait \u00e0 Los Alamos en somme, on a recr\u00e9\u00e9 ce que l’on croyait combattre\u00a0\u00bb.<\/p>\n

Ce que Michel Serres, parlant de Los Alamos, exprimera \u00e0 sa fa\u00e7on et par lequel nous concluerons: \u00ab\u00a0J’ai enfin compris pourquoi l’entreprise, n\u00e9e sans doute au si\u00e8cle classique, devait se terminer au lieu o\u00f9 tous les grains de sable se rassemblent, o\u00f9 le travail des hommes les vitrifie encore. Le rationalisme est porteur de la mort, la science doit se dissocier de lui\u00a0\u00bb.<\/p>\n

Ahmed Ben Bella<\/p>\n

Ce texte est paru pour la premi\u00e8re dans le mensuel <\/em>El Badil, Montreuil, mai 1986.<\/em><\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":"

La filiation maudite un essai d’Ahmed Ben Bella (version arabe – PDF) Hobbes et le Leviathan La soci\u00e9t\u00e9 industrielle n’est pas tomb\u00e9e du ciel; elle est la cons\u00e9quence d’une v\u00e9ritable \u00e9volution culturelle intervenue en Occident au XVIIIe si\u00e8cle. Alors que jusqu’au XVIIe si\u00e8cle, le monde occidental avait \u00e9t\u00e9 habit\u00e9 par \u2026 Lire plus \/ Read more<\/a><\/p>\n","protected":false},"author":1,"featured_media":703,"parent":643,"menu_order":0,"comment_status":"closed","ping_status":"closed","template":"","meta":{"ngg_post_thumbnail":0,"footnotes":""},"class_list":["post-660","page","type-page","status-publish","has-post-thumbnail","hentry"],"_links":{"self":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/660","targetHints":{"allow":["GET"]}}],"collection":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages"}],"about":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/types\/page"}],"author":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/users\/1"}],"replies":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=%2Fwp%2Fv2%2Fcomments&post=660"}],"version-history":[{"count":2,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/660\/revisions"}],"predecessor-version":[{"id":704,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/660\/revisions\/704"}],"up":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/643"}],"wp:featuredmedia":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/media\/703"}],"wp:attachment":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=%2Fwp%2Fv2%2Fmedia&parent=660"}],"curies":[{"name":"wp","href":"https:\/\/api.w.org\/{rel}","templated":true}]}}