{"id":654,"date":"2015-01-06T13:17:55","date_gmt":"2015-01-06T12:17:55","guid":{"rendered":"http:\/\/www.archipress.org\/wp\/?page_id=654"},"modified":"2015-01-06T13:22:24","modified_gmt":"2015-01-06T12:22:24","slug":"histoire-du-nationalisme-algerien","status":"publish","type":"page","link":"https:\/\/www.archipress.org\/?page_id=654","title":{"rendered":"Histoire du nationalisme alg\u00e9rien"},"content":{"rendered":"

L’Islam et la
\nR\u00e9volution alg\u00e9rienne<\/h3>\n

Par Ahmed Ben Bella<\/em><\/p>\n

\"Algerflag.GIF<\/p>\n

Si l’on veut comprendre le rapport de l’Islam avec la r\u00e9volution du 1er novembre, il faut l’int\u00e9grer dans une r\u00e9flexion plus large couvrant la p\u00e9riode de l’occupation coloniale. C’est en effet, au rythme d’une r\u00e9volution arm\u00e9e par d\u00e9cennie que la lutte contre l’occupant fran\u00e7ais s’est poursuivie sans rel\u00e2che. La r\u00e9volution du 1er novembre ne se diff\u00e9renciant de ses pr\u00e9c\u00e9dentes que parce qu’elle fut victorieuse.<\/div>\n

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La permanence de la lutte<\/strong><\/p>\n

Depuis pratiquement le d\u00e9but de l’occupation coloniale en 1830 et jusqu’\u00e0 1847, l’\u00e9mir Abdelkader leva le flambeau de la lib\u00e9ration et mena une lutte souvent victorieuse contre le colonialisme fran\u00e7ais. Vers 1860, la premi\u00e8re r\u00e9volte arm\u00e9e des Ouled Sidi Cheikh dans le Sud Oranais, mena\u00e7a s\u00e9rieusement le pr\u00e9sence fran\u00e7aise en Alg\u00e9rie; lutte reprise en 1882 par les Ouled Sidi Cheikh avec la m\u00eame intensit\u00e9. Entre temps, en 1871, \u00e9clatait la r\u00e9volution d’El Mokrani, dans l’Est alg\u00e9rien, qui faillit bien tout emporter. Encore ne s’agit-il ici que des r\u00e9volutions arm\u00e9es ayant un caract\u00e8re global, national, voire maghr\u00e9bin, puisque la lutte de l’\u00e9mir Abdelkader d\u00e9terminera un conflit arm\u00e9 entre la France et le Maroc avec la bataille d’Isly qui se d\u00e9roula non loin de la fronti\u00e8re alg\u00e9ro-marocaine.<\/p>\n

Il y eut bien d’autres luttes arm\u00e9es qui, m\u00eame si elles furent de moindre importance, n’en constitu\u00e8rent pas moins un sujet de pr\u00e9occupation s\u00e9rieux pour le colonialisme fran\u00e7ais. Le soul\u00e8vement du Dahra s’\u00e9tendit sur plus de deux cent kilom\u00e8tres entre T\u00e9n\u00e8s et Mostaganem et auquel fut li\u00e9 le nom de Boumaza; le soul\u00e8vement de Zaatchas dans l’Est alg\u00e9rien li\u00e9 au nom de Bouziane; celui de Marguerite pr\u00e8s de Miliana, de Flatters dans le Sahara, les soul\u00e8vements des Aur\u00e8s et des environs de Tlemcen en 1914 contre l’institution du service militaire pour les Alg\u00e9riens.<\/p>\n

L’\u00e9num\u00e9ration qui pr\u00e9c\u00e8de n’a d’autre objet que celui de souligner une permanence: l’\u00e9lan irr\u00e9sistible de tout un peuple dans son combat contre l’occupant \u00e9tranger. Ce peuple paiera un prix effroyablement \u00e9lev\u00e9 le droit de redevenir enfin ma\u00eetre de sa destin\u00e9e. Deux millions d’Alg\u00e9riens et d’Alg\u00e9riennes sur les 4 millions que comptait alors l’Alg\u00e9rie de 1830, seront fauch\u00e9s lors des quinze ann\u00e9es de la lutte men\u00e9e par l’\u00e9mir Abdelkader. R\u00e9cemment, au cours de la R\u00e9volution de Novembre 1954 qui prit fin en 1862, sur 8 millions, l’Alg\u00e9rie se verra amput\u00e9e de 1 million et demi de ses enfants. A ces chiffres astronomiques, il faut ajouter les centaines de milliers d’autres victimes qui ont p\u00e9ri lors des deux soul\u00e8vements des Ouled Sidi Cheikh, en 1869 et 1880, dont chacun dura plus de deux ans; celles du soul\u00e8vement arm\u00e9 de Mokrani qui embrasa presque toute l’Alg\u00e9rie. Qui pourra faire le sinistre d\u00e9compte de ces morts, de ceux du Dahra, de Zaatchas, de Marguerite, des Flatters, des Aur\u00e8s et de bien d’autres combats encore…?<\/p>\n

La r\u00e9volution arm\u00e9e du 1er novembre 1954 s’inscrit dans cette mouvance permanente: le refus global d’un peuple \u00e0 se soumettre, \u00e0 plier devant la force brutale et meurtri\u00e8re d’un colonialisme tout puissant, bard\u00e9 de sciences et de technologies.<\/p>\n

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L’invariance: l’Islam<\/strong><\/p>\n

Parfois, ce peuple fut oblig\u00e9 de reculer devant la force aveugle et barbare de la sup\u00e9riorit\u00e9 des engins de mort lanc\u00e9s contre lui; ses ressorts, tendus \u00e0 l’extr\u00eame, avaient besoin, de temps en temps d’une pause, pour ne pas se rompre, pour ne pas se briser d\u00e9finitivement. Mais, r\u00e9pondant \u00e0 un appel lancinant, parfois t\u00e9nu, surgi du plus profond de lui-m\u00eame, le peuple alg\u00e9rien fit face \u00e0 son destin, reprenant aussit\u00f4t son combat pour rena\u00eetre, pour imposer son droit \u00e0 la vie. Pour cela, il d\u00fbt puiser cette volont\u00e9 de lutter et de combattre dans les limites extr\u00eames de ses sources physiques et morales. Un facteur irrigua en permanence ce comportement, impulsa ces ressorts mentaux: l’Islam. Dans ce terreau f\u00e9cond s’ancrent nos motivations profondes, nos latences. C’est notre sanctuaire. Quand il nous faut accomplir un geste capital, un effort supr\u00eame, quand le mur de nos certitudes s’effondre, que les coups pleuvent sur nous et que notre \u00eatre profond est menac\u00e9, c’est vers ce sanctuaire que nous nous tournons, que nous cherchons refuge, pour reprendre notre souffle, pour puiser la force de poursuivre le combat.<\/p>\n

C’est l\u00e0 une r\u00e9alit\u00e9 qui a fait, qui fait, la texture m\u00eame de notre vie. Si la colonisation a finalement \u00e9chou\u00e9, cela est d\u00fb \u00e0 un fait irr\u00e9fragable: l’Islam. Qui n’a pas compris cela, n’a rien compris \u00e0 la r\u00e9volution alg\u00e9rienne, n’a pas saisi l’intelligence profonde des \u00e9v\u00e9nements qui se sont d\u00e9roul\u00e9s sur notre terrain. On peut arguer d’autres facteurs qui y ont contribu\u00e9, en premier lieu, le g\u00e9nie de notre peuple. Certes le peuple alg\u00e9rien cultive une qualit\u00e9 supr\u00eame; il est de ceux qui savent dire: Non! Et l’on sait combien les refus, plus que les acquiescements, sanctionnent un sort et d\u00e9terminent une destin\u00e9e. \u00ab\u00a0Garde le Mim, et le Mim te gardera\u00a0\u00bb (Min est la premi\u00e8re lettre de la n\u00e9gation et du rejet en arabe); c’est tout un peuple aux c\u00f4t\u00e9s des Hachems de Abdelkader qui lancera ce dicton \u00e0 la face du g\u00e9n\u00e9ral Bugeaud en 1841. On pourrait \u00e9num\u00e9rer encore bien d’autres traits de caract\u00e8res inn\u00e9s de notre peuple admirablement dou\u00e9 dans les grands moments. Mais ce ne sont point ces traits caract\u00e9ristiques, \u00e0 eux seuls, qui peuvent expliquer toute une histoire, ni encore moins la fonder. Le levier puissant, c’est la base indestructible de notre arch\u00e9ologie, l’\u00e9l\u00e9ment essentiel de ce subconscient si bien d\u00e9crit par Jung, de notre psych\u00e9, enfoui au tr\u00e9fonds de notre \u00eatre et qui, pourtant, commande notre vie.<\/p>\n

Ce qui pr\u00e9c\u00e8de a pour but de situer d’embl\u00e9e le cadre de notre recherche, le sens profond de sa probl\u00e9matique. Ce cadre peut certes, para\u00eetre arbitraire, trop exigu, s’agissant de ce qui nous int\u00e9resse. En effet, comment traiter de la r\u00e9volution alg\u00e9rienne sans traiter des causes de la colonisation, de la p\u00e9riode turque qui l’a pr\u00e9c\u00e9d\u00e9e; de la course dans le bassin m\u00e9diterran\u00e9en, et, plus loin, des rapports du monde de l’Islam avec la chr\u00e9tient\u00e9. Les rapports, principalement avec l’Espagne, l’histoire de l’Andalousie musulmane, de la reconquista <\/em>et l’occupation de Tanger, de la c\u00f4te nord-africaine par les Portugais, mais surtout par les Espagnols, les enclaves de Mers El Kebir, Oran, Djidjelli, B\u00f4ne, Djerba et Tripoli qu’ils ont souvent occup\u00e9es; ces rapports ne forment-ils pas la trame serr\u00e9e des faits qui vont peser d’une mani\u00e8re d\u00e9cisive sur ce qui se passera par la suite?<\/p>\n

Nous voil\u00e0 ainsi contraints d’\u00e9largir le cadre de nos investigations, de fixer avec rigueur un cheminement, de remonter davantage dans le temps et l’espace. Cela seul permet un jugement autoris\u00e9. Depuis environ quatorze si\u00e8cles, le facteur islamique est le noeud gordien de nos latences, le noyau dur de notre identit\u00e9. Nous sommes le produit des d\u00e9fis qu’il a subi ou fait subir. Le rapport avec le monde chr\u00e9tien qui fut souvent un rapport d’affrontement n’a pas peu contribu\u00e9 \u00e0 fa\u00e7onner notre histoire et \u00e0 dessiner les contours de notre monde actuel. Mais ce rapport n’est pas lin\u00e9aire, n’est pas fait seulement d’affrontements. Il y eu aussi de grands moments de synth\u00e8se, d’ouverture vers l’autre, d’espaces ouverts pour plus de compr\u00e9hension. Ils co\u00efncident avec les grands moments de notre histoire tout court. Des patrimoines universels, tels les enseignements d’Aristote, de Platon ou de Socrate, par exemple, furent sauv\u00e9s de l’oubli par les musulmans. Des micro-syst\u00e8mes culturels virent le jour, tels ceux d’Andalousie, du Grand Mogol ou de la Sicile. C’est l\u00e0 que la qu\u00eate humaniste prendra mille couleurs, o\u00f9 l’ode \u00e0 la joie de Schiller eut les \u00e9chos les plus profonds.<\/p>\n

Notre vie, celle de ceux qui nous ont pr\u00e9c\u00e9d\u00e9, a \u00e9t\u00e9 faite de ces moments d’affrontement ou de paix, de n\u00e9gation ou de compr\u00e9hension; ils viennent s’y fixer en contrepoint pour laisser au fond de nous des marques ind\u00e9l\u00e9biles. Un parfum puissant propre \u00e0 l’Islam, \u00e0 son g\u00e9nie, \u00e0 ses constituants essentiels et \u00e0 son \u00e2me s’en d\u00e9gage. Nous le d\u00e9couvrons \u00e9galement lorsque l’affrontement ou l’apaisement ont un caract\u00e8re int\u00e9rieur. Car le monde de l’Islam n’a pas eu seulement affaire \u00e0 l’autre, celui qui occupe la sph\u00e8re \u00e9trang\u00e8re; il a eu aussi affaire \u00e0 lui-m\u00eame, \u00e0 ce qui se produisit dans sa sph\u00e8re int\u00e9rieure. C’est l\u00e0 une \u00e9quivalence qui nia pas \u00e9t\u00e9 suffisamment soulign\u00e9e. C’est ainsi que la querelle int\u00e9rieure s’est toujours pos\u00e9e au nom de l’Islam, d’un Islam plus pur, plus authentique. Elle s’est toujours situ\u00e9e \u00e0 l’int\u00e9rieur, jamais en dehors de l’Islam. C’est l\u00e0 un fait rare, sinon unique, dans l’histoire des hommes.<\/p>\n

L’\u00e9v\u00e9nement du 1er novembre 1954 n’est unique que par le fait qu’il a, cette fois, \u00e9t\u00e9 sanctionn\u00e9 par la victoire. Il n’est, en lui-m\u00eame, qu’un continuum des soul\u00e8vements arm\u00e9s pr\u00e9c\u00e9dents qui se sont r\u00e9guli\u00e8rement succ\u00e9d\u00e9s au rythme d’un soul\u00e8vement, voire de deux soul\u00e8vements par d\u00e9cennie, il est le continuum d’une m\u00eame grande querelle de l’histoire et anim\u00e9 des m\u00eames motivations.<\/p>\n

Les Zaou\u00efas, \u00e2me d’une r\u00e9sistance<\/strong><\/p>\n

Avec l’affrontement du pouvoir turc \u00e0 Alger, le peuple alg\u00e9rien se mobilise pour faire face \u00e0 cette nouvelle situation. La r\u00e9sistance s’organise aussit\u00f4t autour des confr\u00e9ries religieuses. Ce sont elles qui vont devenir l’\u00e2me de cette r\u00e9sistance, respectant en cela une longue tradition. l’origine de ces confr\u00e9ries remonte en effet au VIIIe si\u00e8cle, alors que des croyants musulmans, engag\u00e9s dans le djihad, d\u00e9cid\u00e8rent de se rassembler en un ribat (ou lien), dans un lieu choisi pour y mener une vie consacr\u00e9e exclusivement \u00e0 Dieu et pour combattre dans sa d’oie. Le ribat est d’ailleurs \u00e0 l’origine des ordres religieux qui se multipli\u00e8rent par la suite dans la chr\u00e9tient\u00e9. De ribat, d\u00e9rive le nom de Marabout (ou celui qui est li\u00e9), ce nom ayant donn\u00e9 lieu, du reste, \u00e0 Rabat, l’actuelle capitale du Maroc.<\/p>\n

Au XVe si\u00e8cle, la notion de ribat prit une grande ampleur au Maghreb, et, sous l’impulsion de chefs spirituels, de nombreuses confr\u00e9ries virent le jour: Tidjaniya, Rahmaniya, Derqaoua, Qadiriya, Djazouliya, Senoussiya etc. Furent \u00e9galement cr\u00e9\u00e9es des maisons-m\u00e8res ou zaou\u00efas. La zaou\u00efa est une v\u00e9ritable institution. C’est autour d’elle que s’ordonne un peu la vie de la r\u00e9gion: lieu de pri\u00e8re, de Dikr (rituel de litanies particuli\u00e8res \u00e0 chaque zaou\u00efa, \u00e0 chaque ordre religieux), on y dispense aussi un savoir religieux, et en premier lieu, l’apprentissage du Coran. Mais c’est l\u00e0 aussi que se r\u00e8glent les conflits, petits et grands, qui surgissent au sein de la communaut\u00e9, que s’organisent les travaux communs dans les champs etc. Les zaou\u00efas rayonnent \u00e0 travers tout le pays et, parfois, hors des fronti\u00e8res, par des institutions relayant la maisonm\u00e8re, par les Moqqadems, porteurs de son message \u00e0 ses disciples ou Khouans. Elles constituent un v\u00e9ritable filet enserrant dans ses mailles tout le corps social du pays. Les services fournis par les confr\u00e9ries religieuses sont en principe gratuits et elles vivent gr\u00e2ce aux dons des Zakates ou des Sadaqqates.<\/p>\n

On a parfois des difficult\u00e9s \u00e0 concevoir l’\u00e9tendue du pouvoir d\u00e9tenu finalement par ces confr\u00e9ries \u00e0 travers leur r\u00e9seau d’institutions, des Moqqadems et des Khouans sur les populations rurales et \u00e9galement – encore qu’\u00e0 un degr\u00e9 moindre-sur les populations citadines. C’est ainsi que les campagnes baignent dans une spiritualit\u00e9 intense, parfois tr\u00e8s pure. De l\u00e0, les nombreux d\u00e9m\u00eal\u00e9s et avatars des zaou\u00efas avec la puissance publique et le pouvoir. De l\u00e0 aussi, l’inclinaison de ce dernier \u00e0 tenter d’en faire des instruments au service de ses desseins. C’est en tout cas ce que s’attachera \u00e0 faire le colonialisme fran\u00e7ais, non sans succ\u00e8s parfois.<\/p>\n

Le d\u00e9bat sur le contenu<\/strong><\/p>\n

Les confr\u00e9ries religieuses, leurs pratiques religieuses et le contenu de l’Islam qu’elles v\u00e9hiculent font probl\u00e8me. Elles ont donn\u00e9 lieu \u00e0 un d\u00e9bat in\u00e9puisable qui se poursuit de nos jours encore, bien qu’elles se rattachent \u00e0 des grands noms, de Salihines, dont la puret\u00e9, l’\u00e9l\u00e9vation d’esprit et l’asc\u00e8se sont unanimement reconnues et respect\u00e9es de tous. Mais, l’attachement qui confine \u00e0 l’adoration de ces saints hommes par les fid\u00e8les Khouans, certaines pratiques comme les visites aux mausol\u00e9es, les \u00e9levant en instance supr\u00eame, en intercesseurs aupr\u00e8s de Dieu, enfreint au dogme essentiel de l’Islam de l’Unicit\u00e9 ou Tawhid<\/em>; cela aggrav\u00e9 parfois par un charlatanisme aberrant. D’o\u00f9 une forte r\u00e9action du mouvement r\u00e9formiste de la Salafiya impuls\u00e9 par Abdou en \u00c9gypte et son association des oul\u00e9mas. R\u00e9action dont la critique puise ses arguments dans les enseignements d’Ibn Ta\u00efmiya, le grand r\u00e9formateur du XIIe si\u00e8cle. Critique \u00e9galement formul\u00e9e par le wahhabisme et son ma\u00eetre \u00e0 penser Mohamed Ben Abdelwahab.<\/p>\n

En Alg\u00e9rie, cette r\u00e9action prit souvent une forme de confrontation exacerb\u00e9e. Pouss\u00e9e trop loin, elle parut, un moment, jeter une confusion dangereuse relativement au probl\u00e8me des priorit\u00e9s, des urgences. Fallait-il accorder la priorit\u00e9 \u00e0 la lutte contre le colonialisme, ou s’attaquer d’abord \u00e0 purifier le dogme, et, par voie de cons\u00e9quences, \u00e0 affronter les confr\u00e9ries? C’est l\u00e0 un d\u00e9bat qui conduirait, si nous voulions l’engager, \u00e0 des d\u00e9veloppements d\u00e9passant le cadre de ce propos. Toutefois et selon notre point de vue, l’histoire a d\u00e9j\u00e0 tranch\u00e9.<\/p>\n

Ces distorsions n’ont pas emp\u00each\u00e9 les confr\u00e9ries religieuses et surtout leurs disciples, de rejoindre massivement les rangs de la r\u00e9volution arm\u00e9e du 1er novembre 1954 dont l’ossature cela tout le monde en convient fut surtout campagnarde. Le mysticisme populaire distill\u00e9 par les zaou\u00efas et dans lequel baignaient les campagnes alg\u00e9riennes, constitua un levier puissant en faveur de la lutte arm\u00e9e, et cela d\u00e8s les d\u00e9buts de la r\u00e9volution, alors que le mouvement salafi marquera de fortes r\u00e9ticences, pour ne pas dire r\u00e9probations, ne rejoignant le F.L.N. que plus d’une ann\u00e9e apr\u00e8s le d\u00e9clenchement de la r\u00e9volution.<\/p>\n

En 1830, et alors que commence l’\u00e8re de l’occupation coloniale, ce sont les confr\u00e9ries, et autour d’elles tout un peuple, qui organisent la r\u00e9sistance ou colonialisme.<\/p>\n

La Kadiriya: l’\u00e9mir Abdelkader<\/strong><\/p>\n

Cette premi\u00e8re r\u00e9sistance s’\u00e9tendra de 1832 \u00e0 1847. Un homme exceptionnel incarne l’\u00e2me de cette r\u00e9sistance: Abdelkader; qui appartient \u00e0 la confr\u00e9rie de la Kadiriya du douar El Guetna, non loin de Mascara, dans l’Ouest alg\u00e9rien et au Sud d’Oran. En Avril 1832, les tribus se r\u00e9unissent pour se f\u00e9d\u00e9rer et proclamer le djihad (guerre sainte) pour chasser les troupes fran\u00e7aises d’Alg\u00e9rie. Le 21 novembre 1832, ces m\u00eames tribus se r\u00e9unissent \u00e0 nouveau pour choisir un chef. Elles demandent \u00e0 Si Mahieddine, chef de la zaou\u00efa de la Guetna, de d\u00e9signer son fils, Abdelkader. A 24 ans, Abdelkader devient le chef de la r\u00e9sistance alg\u00e9rienne. \u00ab\u00a0Si j’ai accept\u00e9 le pouvoir, dit-il, c’est pour avoir le droit de marcher le premier et de vous conduire dans les combats de Dieu. Je gouvernerai le Livre de la Loi \u00e0 la main, et, si la loi l’ordonne, referai moi-m\u00eame, de mes deux mains, une saign\u00e9e derri\u00e8re le cou de mon fr\u00e8re\u00a0\u00bb. Pendant quinze ann\u00e9es, il s’en tiendra \u00e0 une stricte application de ce principe. Quant \u00e0 la guerre contre l’occupant fran\u00e7ais, il la m\u00e8ne au nom du djihad, pour la gloire de Dieu.<\/p>\n

Des stances de la veine populaire, conserv\u00e9es par la m\u00e9moire collective, exaltent le combat: \u00ab\u00a0C’est moi qui suit El Hadj Abdelkader, fils de Mahieddine, il importe peu que mas sachiez mon nom, je ne vise point \u00e0 la grandeur… Je ne veux aucun des prestiges auxquels vous pensez. . . Nous entrerons dans Alger, nous chasserons l’infid\u00e8le…\u00a0\u00bb.<\/p>\n

Abdelkader organisera le pays en fonction du combat; mais laissons la parole \u00e0 Louis Lataillade qui en fait la description suivante: \u00ab\u00a0En 1839, le sultanat est divis\u00e9 en huit grandes provinces dirig\u00e9es par les khalifas. A l’int\u00e9rieur de chacune d’elles, des territoires command\u00e9s par les aghas. Puis viennent les tribus avec leurs ca\u00efds, des fractions de tribus avec leurs cheikhs. Tous les fonctionnaires sont pay\u00e9s en argent et en nature, de mani\u00e8re \u00e0 \u00e9viter les exactions. Ils ont pr\u00eat\u00e9 serment, pr\u00e9l\u00e8vent les imp\u00f4ts, la \u00ab\u00a0zakkat<\/em>\u00a0\u00bb sur les bestiaux, l'\u00a0\u00bbachour<\/em>\u00a0\u00bb sur les moissons. Tout individu qui s’estime l\u00e9s\u00e9 a le droit d’en r\u00e9f\u00e9rer \u00e0 Abdelkader. Les cadis rendent la justice et, en p\u00e9riode d’op\u00e9rations, l’un d’entre eux assist\u00e9 de deux ‘adouls<\/em>– ses assesseurs – accompagne chaque colonne militaire…\u00a0\u00bb<\/p>\n

\u00ab\u00a0La morale publique est \u00e9troitement surveill\u00e9es; la prostitution, le vin, les cartes et m\u00eame le tabac sont interdits. L’instruction est encourag\u00e9e par les \u00ab\u00a0zaou\u00efas…\u00a0\u00bb<\/p>\n

Azan, l’un des biographes de l’\u00e9mir, \u00e9crit: \u00ab\u00a0En administration indig\u00e8ne, Bugeaud n’a \u00e9t\u00e9 que son disciple… L’illustre mar\u00e9chal si infatu\u00e9 de sa personne, a eu la loyaut\u00e9 de qualifier Abdelkader \u00ab\u00a0d’homme de g\u00e9nie\u00a0\u00bb du haut de la tribune de la Chambre des d\u00e9put\u00e9s\u00a0\u00bb.<\/p>\n

Le mar\u00e9chal Soult ajoutera, pour sa part: \u00ab\u00a0Il n’y a pr\u00e9sentement dans le monde que trois hommes auxquels on puisse l\u00e9gitimement accorder la qualification de \u00ab\u00a0grands\u00a0\u00bb et, tous trois appartiennent \u00e0 l’Islam. Ce sont Abdelkader, Mahamet Ali et Chamyl\u00a0\u00bb. Chamyl est ce h\u00e9ros circassien qui va arracher aux Russes l’ind\u00e9pendance de son pays.<\/p>\n

Le pays tout entier est galvanis\u00e9, au nom du djihad, dans cette lutte contre l’occupant fran\u00e7ais. Les dirigeants fran\u00e7ais tentent alors de s’attaquer \u00e0 la notion m\u00eame du t djihad, de la vider de son contenu. Gr\u00e2ce \u00e0 L\u00e9on Roches, l’un des transfuges fran\u00e7ais ayant rejoint l’\u00e9mir, allant jusqu’\u00e0 un simulacre d’islamisation avant de fuir et d’appara\u00eetre pour ce qu’il \u00e9tait en r\u00e9alit\u00e9: un espion fran\u00e7ais, une fatwa put \u00eatre obtenue des universit\u00e9s de la Zitouna er d’El Azhar. Elle \u00e9tait r\u00e9dig\u00e9e ainsi:<\/p>\n

\u00ab\u00a0Quand un peuple musulman dont le territoire a \u00e9t\u00e9 envahi par les infid\u00e8les, les a combattus aussi longtemps qu’il a conserv\u00e9 l’espoir de les en chasser, et quand il est certain que la continuation de la guerre ne peur amener que mis\u00e8re, ruine et mort pour les musulmans, sans aucune chance de vaincre les infid\u00e8les, ce peuple, tout en conservant l’espoir de secouer leur joug avec l’aide d’Allah, peut accepter de vivre sous leur domination, \u00e0 la condition expresse qu’ils conserveront le libre exercice de leur religion et que leurs femmes et leurs filles seront respect\u00e9es\u00a0\u00bb.<\/p>\n

Cette fatwa, qui a trouv\u00e9 des oul\u00e9mas pour accepter de l’\u00e9crire, ne produira pas les effets escompt\u00e9s. Le peuple, sous la conduite de l’\u00e9mir, poursuivra sa lutte sans d\u00e9semparer.<\/p>\n

Abdelkader remportera plusieurs importantes victoires contre l’ennemi fran\u00e7ais dont l’arm\u00e9e sera d\u00e9faite au cours de batailles m\u00e9morables. A la Macta d’abord, puis \u00e0 la Tafna. Il luttera ainsi sans r\u00e9pit durant quinze ann\u00e9es avant que le sort des armes ne lui soit d\u00e9favorable. Son combat s’ach\u00e8vera en 1847, et, apr\u00e8s quelques ann\u00e9es d’exil, il obtiendra enfin la permission de se rendre avec sa famille en terre d’Islam, \u00e0 Damas, o\u00f9 il finira ses jours. Disciple mystique d’Ibn ‘Arabi, il laissera en outre des \u00e9crits d’une haute spiritualit\u00e9, notamment un Diwan<\/em> o\u00f9 il \u00e9crit:<\/p>\n

\u00ab\u00a0Je suis Dieu, je suis cr\u00e9ature, je suis seigneur, je suis serviteur;
\n\u00ab\u00a0Je suis le Tr\u00f4ne et la nature qu’on pi\u00e9tine; je suis l’enfer et je suis l’\u00e9ternit\u00e9 bienheureuse.
\n\u00ab\u00a0Je suis l’eau, je suis le feu; je suis l’air et la terre;
\n\u00ab\u00a0Je suis le \u00ab\u00a0combien\u00a0\u00bb et le \u00ab\u00a0comment\u00a0\u00bb.
\n\u00ab\u00a0Je suis la pr\u00e9sence et l’absence; Je suis l’Essence et l’attribut; je suis la proximit\u00e9 et l’\u00e9loignement; \u00ab\u00a0Tout est mon \u00eatre; je suis le Seul, je suis l’Unique\u00a0\u00bb.<\/em><\/p>\n

Zaatchas; Mokrani et cheikh El Haddad;<\/strong>
\n les Ouled Sidi Cheikh et Bouamama<\/strong><\/p>\n

La lutte men\u00e9e par Abdelkader \u00e0 peine termin\u00e9e en 1847 que Zaatchas, dans l’Est alg\u00e9rien, se soul\u00e8ve en 1849. Sous la direction de Bouziane, son chef religieux, cette petite ville m\u00e8nera un combat h\u00e9ro\u00efque. D’abord tenue en \u00e9chec, l’arm\u00e9e fran\u00e7aise mettra deux ann\u00e9es pour en venir \u00e0 bout, non sans difficult\u00e9. Il lui faudra se battre maison par maison. Pas \u00e2me qui vive n’\u00e9chappa au terrible carnage. Pas un homme, pas une femme, pas un vieillard, pas un enfant ne surv\u00e9cut au massacre.<\/p>\n

Seuls, rapporte la chronique, les chiens qui, condamn\u00e9s \u00e0 errer dans les campagnes alentour et devenus \u00ab\u00a0sauvages\u00a0\u00bb, s’attaqu\u00e8rent aux convois de l’arm\u00e9e fran\u00e7aise, des ann\u00e9es durant.<\/p>\n

Les troupes coloniales durent lutter de 1849 \u00e0 1852, pour parvenir \u00e0 occuper la petite Kabylie, mais ce n’est qu’en 1853 que la France put y asseoir son autorit\u00e9.<\/p>\n

En 1864, \u00e9clate la r\u00e9volte des Ouled Sidi cheikh, dans le Sud oranais, qui, sous la direction de leur zaou\u00efa, mettra en danger la pr\u00e9sence fran\u00e7aise en Alg\u00e9rie. Ce n’est qu’apr\u00e8s six ann\u00e9es de combats acharn\u00e9s que l’arm\u00e9e fran\u00e7aise parviendra \u00e0 juguler cette r\u00e9volte.<\/p>\n

En 1869 l’administration militaire fait place \u00e0 l’administration civile. C’est d\u00e9sormais le r\u00e8gne des colons et les d\u00e9buts du syst\u00e8me de la \u00ab\u00a0colonie de colonisation\u00a0\u00bb qui va mettre l’Alg\u00e9rie en coupe r\u00e9gl\u00e9e. Si jusqu’ici l’espoir d’une Alg\u00e9rie redevenant elle-m\u00eame avait persist\u00e9, il s \u00e9vanouissait avec la mainmise des colons sur les terres alg\u00e9riennes. Hugonnet, un g\u00e9n\u00e9ral fran\u00e7ais lucide \u00e9crivait le 25 mai 1869: \u00ab\u00a0La question des Arabes est compl\u00e8tement coul\u00e9e. Il leur faudra bel et bien ou mourir ou s’expatrier ou prendre la blouse et subir comme salari\u00e9s la loi du plus fort et du plus rou\u00e9… Se r\u00e9veilleront-ils pour le dernier coup de fusil? Je le souhaite pour leur bonheur…\u00a0\u00bb.<\/p>\n

Avec El Mokrani qui, en 1871, fera parler la poudre, l’honneur est sauf, g\u00e9n\u00e9ral…<\/p>\n

C’est en effet le 14 mars 1871 que, sous la direction du bachagha El Mokrani est d\u00e9clench\u00e9e une insurrection dont l’inspirateur et l’\u00e2me sera le cheikh El Haddad et la confr\u00e9rie des Rahmaniya. El Mokrani entra\u00eene derri\u00e8re lui 150.000 guerriers. Mais la disproportion des forces en faveur des troupes fran\u00e7aises est trop grande; celle des armements l’est davantage, et, l’insurrection \u00e9choue. L’administration coloniale frappe fort: pr\u00e8s de 50.000 hectares de terre son confisqu\u00e9s et inflige une amende, consid\u00e9rable \u00e0 l’\u00e9poque, de 30 millions de francs.<\/p>\n

En 1882, ce sont encore les Ouled Sidi Cheikh qui se r\u00e9volteront, avec \u00e0 leur t\u00eate, Bouamama. L’insurrection qui sembla un moment, proche de la victoire, \u00e9chouera finalement apr\u00e8s deux ann\u00e9es de combats. Ainsi, de 1864 \u00e0 pratiquement 1884, vingt ann\u00e9es durant, la lutte men\u00e9e par les Ouled Sidi Cheikh s’\u00e9tait poursuivie.<\/p>\n

Le combat contre l’occupant, m\u00eame s’il rev\u00eat un caract\u00e8re moins intense, n’en continuera pas moins dans le Sahara, lors de l’affaire Marguerite, pr\u00e8s de Miliana. Une forte effervescence gagnant le pays \u00e0 la veille m\u00eame de la Premi\u00e8re Guerre mondiale, alors que les populations alg\u00e9riennes refuseront la conscription et le service militaire obligatoire. Ce fut le cas dans les Aur\u00e8s et \u00e0 Tlemcen o\u00f9 800 personnes choisiront de s’exiler en Syrie pour \u00e9chapper \u00e0 cette mesure.<\/p>\n

Mais 1945 annonce le 1er novembre 1954<\/strong><\/p>\n

Trente ans \u00e0 peine s\u00e9parent ces derniers \u00e9v\u00e9nements de ceux de 1945 o\u00f9, \u00e0 S\u00e9tif, Guelma, Kherrata, H\u00e9liopolis, 45.000 Alg\u00e9riens trouveront la mort. Et cela au moment m\u00eame o\u00f9 l’Europe c\u00e9l\u00e8bre sa victoire sur l’Allemagne. Victoire dans laquelle les Alg\u00e9riens et lus g\u00e9n\u00e9ralement, les Maghr\u00e9bins prirent une part importante.<\/p>\n

Neuf ans plus tard, enfin, est d\u00e9clench\u00e9e la r\u00e9volution arm\u00e9e, cette fois victorieuse, du 1er novembre 1954. Apr\u00e8s sept ann\u00e9es et demie de lutte, la longue nuit coloniale prenait fin. Le peuple alg\u00e9rien devenait ind\u00e9pendant.<\/p>\n

Dans cette longue errance du peuple alg\u00e9rien \u00e0 la recherche de lui-m\u00eame, \u00e0 travers plaines, collines, d\u00e9serts sablonneux et montagnes, dans ce long parcours parsem\u00e9 de larges flaques de sang, o\u00f9 l’Islam fut toujours le recours supr\u00eame, les confr\u00e9ries religieuses jou\u00e8rent un r\u00f4le pr\u00e9pond\u00e9rant. Il n’est pas question de faire ici l’apologie du contenu de l’Islam qu’elles v\u00e9hiculaient. Non, nous voulons avant tout poser les termes d’une histoire lucide, sans l’encombrer de jugements p\u00e9remptoires, voire simplistes. Un homme qui nous observe depuis longtemps, Jacques Berque, a dit avec perspicacit\u00e9: \u00ab\u00a0On aurait tort… de consid\u00e9rer que les diverses formes que rev\u00eat alors le mysticisme populaire engagent la totalit\u00e9 de l’Islam maghr\u00e9bin. G\u00e9n\u00e9ralement r\u00e9serv\u00e9 \u00e0 l’\u00e9gard du sophisme et des observances locales, l’Islam des oul\u00e9mas se manifestait aussi vigoureusement, surtout, mais pas seulement dans les villes\u00a0\u00bb.<\/p>\n

\u00ab\u00a0Appuy\u00e9 par une grande tradition, redout\u00e9 et cultiv\u00e9 par le pouvoir colonial. Il pourvoyait g\u00e9n\u00e9ralement aux grandes charges de la \u00ab\u00a0khotba<\/em>\u00a0\u00bb ou \u00ab\u00a0\u00a0\u00bbpr\u00f4ne hebdomadaire\u00a0\u00bb, de la Judiciaire\u00a0\u00bb q\u00e2d\u00e2<\/em> ou de la consultation doctrinale \u00ab\u00a0ift\u00e2<\/em>\u00ab\u00a0. Ses dignitaires auront jou\u00e9, par la force des choses, un r\u00f4le d’interm\u00e9diaire ou de tampon entre la masse des croyants et les autorit\u00e9s, soit du Beylik turc, soit plus tard de l’\u00e9tablissement fran\u00e7ais. Un tel r\u00f4le les engageaient \u00e9videmment \u00e0 des compromis. Cet Islam l\u00e0, quelque fut sa valeur doctrinale ou morale, entrait dans le si\u00e8cle et s’exposait \u00e0 la r\u00e9cup\u00e9ration, tandis que l’Islam maraboutique et confr\u00e9rique pouvait, lui, se tapir dans des refuges et manifester \u00e0 l’\u00e9gard des officiels quelque r\u00e9serve ou m\u00eame occasionnellement la r\u00e9volte.
\nCes diverses attitudes, oscillant entre Intransigeance et la collaboration, ne peuvent \u00eatre correctement appr\u00e9ci\u00e9s que compte tenu des milieux, des p\u00e9riodes, des circonstances. Elles d\u00e9fient donc tout jugement p\u00e9remptoire.<\/p>\n

\u00ab\u00a0Disons seulement qu’\u00e0 l ‘encontre d’une opinion tr\u00e8s r\u00e9pandue aujourd’hui, l’Islam des marabouts et des confr\u00e9ries a g\u00e9n\u00e9ralement assum\u00e9, pendant un demi si\u00e8cle au moins apr\u00e8s la conqu\u00eate d’Alger, une r\u00e9sistance violente ou sournoise, dont l’Islam citadin, par la force des choses, \u00e9tait g\u00e9n\u00e9ralement incapable. Le soul\u00e8vement du marabout kabyle Bel Haddad de l’ordre des Rahmaniya (1871), le massacre de la mission Flatters \u00e0 l’instigation du s\u00e9noussisme (1880) illustr\u00e8rent dramatiquement entre autres, cette r\u00e9sistance de l ‘Islam confr\u00e9rique et maraboutique \u00e0 l’imp\u00e9rialisme. Et cela au point de provoquer jusque dans l’imagination fran\u00e7aise un durable \u00e9branlement. Il est vrai cependant que, par une sorte d’ironie de l’histoire, un ralliement assez g\u00e9n\u00e9ral de ces forces, se dessina vers la fin du si\u00e8cle. Une g\u00e9n\u00e9ration encore et la majorit\u00e9 des marabouts et cheikhs \u00e9taient tenus, sans grande chance d’erreur, pour des auxiliaires de l’administration, tandis que les oul\u00e9mas, surtout citadins, tiraient les premi\u00e8res conclusions de la modernit\u00e9, marquant ainsi une \u00e9tape dans la voie de la restitution nationale. J’insistai plus haut sur la convertibilit\u00e9 r\u00e9ciproque des modes. Elle produit, d’\u00e9poque en \u00e9poque, des configurations nouvelles et les plus curieux chass\u00e9s-crois\u00e9s. La situation que je voudrais \u00e9voquer pour finir est toutefois ant\u00e9rieure, et de beaucoup, au retournement de la fin du XIXe si\u00e8cle. De l’\u00e9mir Abdelkader, pr\u00e9pos\u00e9 Q\u00e2dirite, \u00e0 Bouamama, en passant par le Medhi Boumaza, par l’illumin\u00e9 des Derq\u00e2wa qui manqua s’emparer un jour de la redoute de Sidi Bel-Abb\u00e8s, par d’innombrables autres Mehdis, par l’insurrection de la tribu maraboutique des Ouled Sidi Cheikh, par celle de Mokrani et des Rahmaniya Kabyles – bref cinquante ans de chronique haletante et sanglante font ressortir, en conjonction avec d’autres facteurs ou dans un isolement \u00e9pique, la vitalit\u00e9 toujours active de cette sorte d’Islam et les responsabilit\u00e9s qu’il savait prendre \u00e0 l’\u00e9gard de l’imp\u00e9rialisme… la soci\u00e9t\u00e9 indig\u00e8ne ne reste nullement passive. . . contre les disgr\u00e2ces qu’elle subit, elle d\u00e9ploie un dynamisme de sauvegarde. Mais trop souvent c’est un dynamisme invers\u00e9. contre l’\u00e9clatement, la distorsion, l’humiliation, la vieille culture se mobilise sous son signe le plus unanime. La religion prend en charge les attitudes de rassemblement, de r\u00e9collection… on s’explique que l’initiation confr\u00e9rique, aux yeux de beaucoup, offre \u00e0 l’histoire malheureuse une r\u00e9ponse apparemment ad\u00e9quate… La religion ma\u00eetresse du verbe et du souffle, rend au colonis\u00e9 la conscience d’une identit\u00e9 imprescriptible… Dans les zones o\u00f9 le convoque l’enseignement des cheikhs, plus d’outrage \u00e0 essayer, plus de bassesses \u00e0 commettre, plus de bassesses \u00e0 commettre, plus de mensonges \u00e0 consentir, plus de bas int\u00e9r\u00eats \u00e0 servir, \u00e0 commencer par les siens propres. Le fid\u00e8le, en ce dialogue orgueilleux et humili\u00e9, ranime au fond de lui-m\u00eame l’invariance qui, peut \u00eatre un jour lui rendra l’histoire par surcro\u00eet\u00a0\u00bb.<\/p>\n

La lutte sous sa forme moderne:<\/strong>
\n l’\u00c9toile Nord- Africaine<\/strong><\/p>\n

Ce que dit Jacques Berque est important. Cette invariance, tant\u00f4t fracassante dans le bruit des combats, tant\u00f4t souterraine, va resurgir sous une forme moderne avec la cr\u00e9ation de mouvements politiques d\u00e8s la Premi\u00e8re Guerre mondiale. C’est le propre petit-fils de l’\u00e9mir, Abdelkader, l’\u00e9mir Khaled, qui initie cette nouvelle voie en devenant pr\u00e9sident de \u00ab\u00a0l’\u00c9toile Nord Africaine\u00a0\u00bb, mouvement politique cr\u00e9\u00e9 en 1926 et regroupant des dirigeants maghr\u00e9bins. Messali, lui, succ\u00e9dera peu apr\u00e8s. Un \u00e9v\u00e9nement consid\u00e9rable occupe alors l’horizon du Maghreb: la lutte de l’\u00e9mir Abdelkrim, \u00ab\u00a0notre pr\u00e9curseur\u00a0\u00bb diront Ho Chi Min et Mao Ts\u00e9 Toung. Abdelkrim qui remporte une victoire \u00e9crasante sur les Espagnols \u00e0 Anoual, faisant 10.000 prisonniers et parvient \u00e0 faire chanceler la pr\u00e9sence fran\u00e7aise au Maroc. Ce n’est qu’en alliant leurs forces que l’Espagne et la France parviendront p\u00e9niblement \u00e0 endiguer l’\u00e9lan imp\u00e9tueux des moudjahidine d’Abdelkrim.<\/p>\n

L’\u00c9toile Nord Africaine, tout d’abord proche du parti Communiste, s’en d\u00e9marquera, affirmant plus nettement les th\u00e8ses ind\u00e9pendantistes, alors qu’\u00e0 l’origine elle avait \u00e9t\u00e9 cr\u00e9\u00e9e pour \u00ab\u00a0la d\u00e9fense des int\u00e9r\u00eats mat\u00e9riels, moraux et sociaux des musulmans nord africains\u00a0\u00bb. Dissoute en
\n1929 parce qu’elle revendiquait l’ind\u00e9pendance pour l’Afrique du Nord, elle reprit son activit\u00e9 en 1935 pour \u00eatre \u00e0 nouveau dissoute le 26 janvier 1837.<\/p>\n

\u00ab\u00a0L’\u00c9toile, dira Charles Andr\u00e9 Julien, se distingua des autres partis indig\u00e8nes par une doctrine \u00e0 base essentiellement religieuse. . . qu’elle propagea par son journal publi\u00e9 en fran\u00e7ais \u00ab\u00a0El Ouma<\/em>\u00ab\u00a0…
\nL’assembl\u00e9e g\u00e9n\u00e9rale du 18 mai 1933 pr\u00e9cisa son programme. Sur le plan religieux, elle proclama la fraternit\u00e9 et l’unit\u00e9 de l’Islam, affirm\u00e9e par ses d\u00e9l\u00e9gu\u00e9s au Congr\u00e8s Islamo-Europ\u00e9en de Gen\u00e8ve du 12 septembre 1935… Sur le plan national, elle revendiqua la reconnaissance de la langue arabe comme langue officielle…\u00a0\u00bb.<\/p>\n

La situation qui se d\u00e9veloppe en Afrique du Nord va conduire l’\u00c9toile Africaine \u00e0 redoubler d’efforts d\u00e8s 1933. Des manifestations se d\u00e9roulent en Tunisie contre les naturalis\u00e9s fran\u00e7ais, \u00e9galement \u00e0 Rabat et \u00e0 Fez contre la promulgation du dahir berb\u00e8re qui tenta de soustraire les berb\u00e8res \u00e0 la l\u00e9gislation islamique. L’Alg\u00e9rie ne fut pas en reste avec des manifestations \u00e0 la suite d’une interdiction aux oul\u00e9mas de pr\u00eacher dans les mosqu\u00e9es.<\/p>\n

A l’Assembl\u00e9e g\u00e9n\u00e9rale qui se tint en mai 1933, des statuts furent \u00e9labor\u00e9s, et un programme adopt\u00e9, il fut retenir ceci pour ce qui est de la section alg\u00e9rienne: \u00ab\u00a0Notre programme… doit \u00eatre consid\u00e9r\u00e9 par nous comme un pacte national liant l’ensemble de la population musulmane alg\u00e9rienne, travaillant avec d\u00e9vouement et abn\u00e9gation pour la d\u00e9fense de nos int\u00e9r\u00eats, nos revendications M\u00e9diates et l’ind\u00e9pendante de notre pays.<\/p>\n

\u00ab\u00a0Pour notre salut, pour notre avenir, pour occuper une place digne de notre race dans le monde, jurons tous sur le Coran et par l ‘Islam de travailler avec acharnement pour sa r\u00e9alisation et pour son triomphe final.<\/p>\n

\u00ab\u00a0Ce programme politique pour l’Alg\u00e9rie est \u00e0 peu pr\u00e8s le m\u00eame que celui du Maroc et de la Tunisie, \u00e9videmment en tenant compte de la position g\u00e9n\u00e9rale de ces deux pays et de leur constitution politique\u00a0\u00bb.<\/p>\n

En 1934, lors d’un meeting organis\u00e9 \u00e0 Paris, l’\u00c9toile Nord-Africaine fait voter une motion qui dit en particulier: \u00ab\u00a0Les musulmans nord-africains, au nombre de 3500 le 19 ao\u00fbt 1934, \u00e0 14 h 30. . . Apr\u00e8s avoir entendu l’expos\u00e9 des divers orateurs, approuvant sans r\u00e9serve l’action de l’\u00c9toile Nord Africaine et se d\u00e9clarant pr\u00eats \u00e0 la soutenir par tous les moyens. Ils stigmatisent avec force la provocation de l’imp\u00e9rialisme fran\u00e7ais laquelle a engendr\u00e9 \u00e0 Constantine un drame sanglant. Ils affirment leur solidarit\u00e9 effective et agissante avec les victimes de la r\u00e9pression. Ils d\u00e9clarent approuver enti\u00e8rement la fi\u00e8re attitude de nos coreligionnaires qui ont relev\u00e9 le d\u00e9fi et r\u00e9pondu \u00e0 la profanation de la mosqu\u00e9e musulmane, \u00e0 l’insulte des fid\u00e8les et de notre v\u00e9n\u00e9r\u00e9 Proph\u00e8te. Ils s’\u00e9l\u00e8vent hautement contre l’incarnation de plusieurs centaines de nos coreligionnaires innocents et r\u00e9clament avec force leur lib\u00e9ration imm\u00e9diate, la lev\u00e9e de l’\u00e9tat de si\u00e8ge et de s\u00e9parent aux cris de: A bas le code inf\u00e2me de l’indig\u00e9nat! A bas les lois d’exception! A bas la commune mixte du mouchardage de la rue Le Comte! Vive la lutte \u00e9mancipatrice des musulmans nord africains! Vive l’ind\u00e9pendance de l’Afrique du Nord! Vive l’Islam!\u00a0\u00bb.<\/p>\n

L’action de l’\u00c9toile, initi\u00e9e en France, va se transplanter sur le terroir nord-africain en \u00e9clatant sous la forme de N\u00e9o-Destour en Tunisie, de l’Action Marocaine au Maroc et du Parti du Peuple Alg\u00e9rien (P.P.A.) cr\u00e9e le 11 mars 1937. Le P.P.A. sera d’ailleurs presque aussit\u00f4t dissout et ses dirigeants, dont Messali, arr\u00eat\u00e9s. La coloration arabo-islamique plus prononc\u00e9e du P.A.A. et de l’Association des oul\u00e9mas qui est cr\u00e9\u00e9e en 1931 est, pour une grande part, due \u00e0 l’influence de Chekib Arslan qui entretient des rapports suivis avec les mouvements nationalistes et religieux en Afrique du Nord. R\u00e9fugi\u00e9 \u00e0 Gen\u00e8ve apr\u00e8s des d\u00e9boires avec l’imp\u00e9rialisme fran\u00e7ais, il fut form\u00e9 \u00e0 l’\u00e9cole de Djamal Eddine El Afghani, de Abdou et de Cheikh Reda. Cet homme nomm\u00e9 le \u00ab\u00a0prince de l’\u00e9loquence\u00a0\u00bb et qui fut \u00e0 la t\u00eate de la d\u00e9l\u00e9gation permanente \u00e0 Gen\u00e8ve du Comit\u00e9 syro-palestinien, fond\u00e9 au Caire en 1921, va jouer un r\u00f4le pr\u00e9pond\u00e9rant dans les \u00e9v\u00e9nements qui se d\u00e9rouleront en Afrique du Nord. \u00ab\u00a0En servant d’arbitre dans les confits musulmans, dit de lui Charles-Andr\u00e9 Julien, en adressant aux chefs de partis des directives permanentes ou des solutions de cas litigieux en multipliant les articles et les correspondances particuli\u00e8res; en publiant une revue en fran\u00e7ais \u00ab\u00a0La Nation Arabe\u00a0\u00bb largement diffus\u00e9e de Java au Maroc parmi les \u00e9lites \u00e0 qui elles fournit des documents comment\u00e9s et des bases doctrinales. Chekib Arslan fit de la maison de l’avenue Ernst Hentsch, o\u00f9 il avait install\u00e9 son bureau d’information, l’ombilic du monde musulman… Singuli\u00e8re personnalit\u00e9 que celle de ce f\u00e9odal libanais, qui, de son bureau de Gen\u00e8ve, distribua dix-huit ans durant, les mots d’ordre \u00e0 l’Islam m\u00e9diterran\u00e9en et dont influence survit \u00e0 toutes les compromissions… Nul plus que lui ne contribua \u00e0 r\u00e9pandre l’id\u00e9e que l’Alg\u00e9rie, la Tunisie et le Maroc sont des \u00e9l\u00e9ments de la communaut\u00e9 musulmane \u00e0 laquelle l’unissent la religion, la langue et la culture\u00a0\u00bb.<\/p>\n

En v\u00e9rit\u00e9, Chekib Arslan, qui fut grand \u00e0 bien des \u00e9gards, ne r\u00e9pandit point cette id\u00e9e. Il ne fit qu’oeuvrer \u00e0 sa r\u00e9surgence, spectaculairement. Car, de l’\u00e9mir Abdelkader \u00e0 El Mokrani et Cheikh El Haddad, de Bouziane des Zaatchas \u00e0 Boumaza du Dahra, \u00e0 Bouamama et les Ouled Sidi Cheikh, \u00e0 tant et tant d’autres pour finir \u00e0 Messali et cheikh Ben Badis, cette id\u00e9e m\u00eame \u00e9tait la semence enfouie aux tr\u00e9fonds de nous-m\u00eames, elle impulse nos flux vitaux, d\u00e9termine l’axiologie de nos mouvements essentiels, nous habite litt\u00e9ralement.<\/p>\n

Mahfoud Kaddache dans son livre Histoire du nationalisme alg\u00e9rien,<\/em> \u00e9nonce cette v\u00e9rit\u00e9 relativement au rapport du contenu id\u00e9ologique du discours de l’\u00c9toile et de l’influence de Chekib Arslan: \u00ab\u00a0…Cette approche du nationalisme arabe, sa prudente r\u00e9serve \u00e0 l’\u00e9gard du communisme sont importantes, \u00e0 notre avis, si l ‘on veut saisir la complexe \u00e9volution du nationalisme alg\u00e9rien qui puisait sa source id\u00e9ologique dans les deux courants, prol\u00e9taire et spirituel. Les travailleurs \u00e9migr\u00e9s form\u00e9s au dur combat de la r\u00e9alit\u00e9 ouvri\u00e8re, restaient sensibles au message qui venait de ce qui repr\u00e9sentait leur pass\u00e9 et leur attachement \u00e0 la civilisation arabo-islamique. Ce qui \u00e9voquait Damas, Bagdad et le Caire restait pour eux sacr\u00e9. On le verra plus concr\u00e8tement lorsque Chekib Arslan, guide du nationalisme arabe, accueillera \u00e0 Gen\u00e8ve Messali et prendre fait et cause pour l’\u00c9toile Nord Africaine\u00a0\u00bb.<\/p>\n

La filiation orientale<\/strong><\/p>\n

La filiation remonte plus loin encore. Les id\u00e9es de la Nahda<\/em> (ou renaissance) qui tire sa substance des enseignements de Ibn Ta\u00efmiya ce savant th\u00e9ologien du Houran en Syrie , enseignement repris par Mohamed Ben Abdelwahab et le wahabisme d\u00e8s la moiti\u00e9 du XVIIIe si\u00e8cle et dont la mis \u00e0 jour sera faite par Djamal Eddine Al Afghani, Abdou et Cheikh Reda a atteint, par ondes concentriques de plus en plus larges, les confins de l’Afrique du Nord. Le cheikh Abdou fera d’ailleurs deux voyages en Afrique du Nord au d\u00e9but des ann\u00e9es 1900. Mais les flux d’id\u00e9es et de personnes eurent un caract\u00e8re permanent entre le Moyen Orient et le Maghreb. D\u00e8s 1911, le peuple libyen, se solidarisant avec la Turquie et le calife install\u00e9 \u00e0 Istanbul, m\u00e8nera une lutte de r\u00e9sistance contre l’Italie qui d\u00e9clare la guerre \u00e0 la Turquie et se propose d’occuper la Libye. Cette r\u00e9sistance durera plus de vingt et sera l’une des plus longues, des plus sanglantes et des plus sanglantes et des plus h\u00e9ro\u00efques luttes de lib\u00e9ration de notre temps. Elle \u00e9voque la tr\u00e8s belle figure de Omar Ibn Mokhtar. Des \u00e9chos de cette lutte sans merci parvenait en Alg\u00e9rie o\u00f9 l’on parlait de moudjahidine prisonniers que l’arm\u00e9e italienne assassinait en les larguant de ses avions. L’un des descendants de l’\u00e9mir Abdelkader luttait d’ailleurs aux c\u00f4t\u00e9s des moudjahidine libyens. Et je me souviens que, traversant marocains, lors de la guerre d’Italie, les souvenirs de cette lutte h\u00e9ro\u00efque me revenaient en m\u00e9moire.<\/p>\n

Presque au m\u00eame moment, se trouvent \u00e0 Istanbul, Al Afghani, Abdallah El Nadhim, \u00e9gyptien transfuge de la r\u00e9volte d’Orabi et un Tunisien, Ali Bach Hamba qui se propose de pr\u00e9parer une exp\u00e9dition pour lib\u00e9rer le Maghreb. Il joindra ses efforts \u00e0 ceux de deux autres Tunisiens: Salah Ch\u00e9rif et Isma\u00efl Sfai, lesquels en 1915 oeuvrent \u00e0 partir de Berlin pour l’ind\u00e9pendance des pays maghr\u00e9bins. Un comit\u00e9 sera cr\u00e9\u00e9 \u00e0 Gen\u00e8ve pour l’ind\u00e9pendance de l’Alg\u00e9rie et de la Tunisie et l’av\u00e8nement d’une \u00ab\u00a0R\u00e9publique Nord-Africaine\u00a0\u00bb.<\/p>\n

En 1916, ce comit\u00e9 auquel s’\u00e9tait joint Mohammed, le fr\u00e8re de Ali Hamba, cr\u00e9e la revue \u00ab\u00a0Maghreb\u00a0\u00bb. La d\u00e9claration en 14 points du Pr\u00e9sident Wilson est l’occasion pour cette revue de r\u00e9clamer un r\u00e9f\u00e9rendum en Alg\u00e9rie et en Tunisie qui, \u00e9crit elle, \u00ab\u00a0ont toujours form\u00e9 un seul et m\u00eame pays… Ce peuple alg\u00e9ro-tunisien n’a pas renonc\u00e9 \u00e0 son ind\u00e9pendance…\u00a0\u00bb.<\/p>\n

Le relais est pris d\u00e8s 1920 avec la cr\u00e9ation du Destour de Abdela\u00e2ziz Tha\u00e2bi, au niveau de la r\u00e9f\u00e9rence arabo-islamique avec une veine Salafi tr\u00e8s marqu\u00e9e due aux universit\u00e9s de la Zitouna en Tunisie et la Qaraouiyne \u00e0 F\u00e8s avec le grand th\u00e9ologien Faqih Ben el Arabi Alaoui. Allai El Fassi, qui va bient\u00f4t jouer un r\u00f4le pr\u00e9pond\u00e9rant dans les \u00e9v\u00e9nements qui conduiront \u00e0 l’ind\u00e9pendance du Maroc, est d’ailleurs un ‘alem, professeur de la Qaraouiyne. Ben Badis qui, pour sa part, jouera un r\u00f4le central dans la renaissance de la langue arabe en Alg\u00e9rie et, plus g\u00e9n\u00e9ralement, dans la r\u00e9actualisation des valeurs arabo-islamiques symbolis\u00e9es par la formule \u00ab\u00a0Un pays, l’Alg\u00e9rie; une religion, l’Islam; une langue, l’arabe\u00a0\u00bb, est lui aussi un ‘alem sorti des rangs de la Zitouna. En \u00c9gypte, le parti Wafd de Sa\u00e2d Zaghloul voit le jour en 1919 et m\u00e8ne une action pour l’ind\u00e9pendance du pays. L’\u00e9cho des hauts faits de la r\u00e9sistance parvient en Afrique du Nord, attentive \u00e0 ce combat pour la dignit\u00e9. Biladi, biladi, ce chant de Sayed Derwiche est le cri de ralliement de tout un peuple. Repris en Alg\u00e9rie par les scouts musulmans, toute une jeunesse en fera le chant nationaliste par excellence. Et les m\u00eames paroles, les m\u00eames airs d\u00e9di\u00e9s \u00e0 la libert\u00e9 et la dignit\u00e9 entendus au Caire, en Syrie, au Liban, en Palestine et ailleurs dans le Moyen-Orient, sont repris chez nous. A travers les distances, une communion s’\u00e9tablit, un m\u00eame espoir habite les hommes et les femmes.<\/p>\n

C’est dans cette m\u00eame mouvance, signe pr\u00e9curseur de l’\u00e9veil d’une conscience en qu\u00eate d’une manifestation plus affirm\u00e9e, qu’avaient vu le jour les mouvements des \u00ab\u00a0Jeunes Tunisiens\u00a0\u00bb en 1907, des \u00ab\u00a0Jeunes Alg\u00e9riens\u00a0\u00bb en 1914 et des \u00ab\u00a0Jeunes Marocains\u00a0\u00bb en 1919. Ils seront relay\u00e9s plus tard par le Mouvement des \u00c9tudiants Musulmans Nord-africains qui fera preuve d’une remarquable constance dans la revendication unitaire. Son histoire est indissociable du mouvement national au Maghreb auquel il fournira certains de ses dirigeants les plus lucides et les plus dynamiques. Les r\u00e9solutions de son congr\u00e8s de Tlemcen, tenu en 1935, t\u00e9moigne de cette revendication unitaire. Sa r\u00e9solution finale r\u00e9clame la libert\u00e9 et la pr\u00e9servation du culte musulman, le renforcement de l’enseignement de la langue arabe et l’\u00e9tude de \u00ab\u00a0l’histoire de l’Afrique du Nord dans les \u00e9coles primaires publiques…\u00a0\u00bb. Ces mesures, dit-elle, \u00ab\u00a0ne visent pas \u00e0 cr\u00e9er une unit\u00e9 factice, non et non. Nous nous employons, par contre, \u00e0 susciter une unit\u00e9 ancienne que l’histoire a enregistr\u00e9 et dont elle a t\u00e9moign\u00e9\u00a0\u00bb. La finalit\u00e9 est le d\u00e9veloppement de la \u00ab\u00a0conscience de l’unit\u00e9 nationale de l’Afrique du Nord qui se fonde sur une mentalit\u00e9 unifi\u00e9e, une religion unique et des sentiments communs\u00a0\u00bb.<\/p>\n

Durant cette maturation politique, deux monuments historiques vont jouer un r\u00f4le d\u00e9terminant. Le premier moment se situe en 1930 avec la promulgation du dahir berb\u00e8re soustrayant les berb\u00e8res \u00e0 la juridiction musulmane. Cette promulgation co\u00efncide avec les fastes de la c\u00e9l\u00e9bration \u00e0 Alger du centenaire de la prise d’Alger, alors qu’en Tunisie se tient le Congr\u00e8s Eucharistique de Carthage. Le colonialisme aveugle et triomphant signe ainsi sa triple agression culturelle.<\/p>\n

Le Rif (terre de conqu\u00eate chr\u00e9tienne) est sillonn\u00e9 par des missionnaires;<\/p>\n

Des enfants habill\u00e9s en crois\u00e9s d\u00e9filent dans les rues de Tunis;<\/p>\n

A Alger, un peuple fier assiste aux fastes d’un \u00e9v\u00e9nement qui insulte \u00e0 sa dignit\u00e9.<\/p>\n

Tout le monde musulman se dresse contre l’infamie du dahir. Ce dahir qui, en Alg\u00e9rie, \u00e9voque dans les m\u00e9moires la vaine tentative de christianisation poursuivie par le cardinal Lavigerie et les p\u00e8res blancs. La vague de protestations orchestr\u00e9e par l’\u00c9toile Nord Africaine, le Destour et les milieux nationalistes marocains, entra\u00eenera une rectification au dahir en 1934. La triple agression culturelle et la r\u00e9action qu’elle provoque dans les trois pays nord africains aboutira \u00e0 une restructuration du mouvement national. En Tunisie, un fort courant n\u00e9 au sein du Destour aboutira, apr\u00e8s le congr\u00e8s de Ksar Helal en 1934, \u00e0 la cr\u00e9ation du N\u00e9o-Destour anim\u00e9 par Habib Bourguiba. Au Maroc, l’Action Marocaine voit le jour en 1934 qui groupe Allal El Fassi, Hassan El Ouazzani, Ahmed Balafrej et Omar Abdeljalil. En Alg\u00e9rie, l’Association des Oul\u00e9mas est cr\u00e9\u00e9e en 1931 et l’\u00c9toile Nord Africaine, engendrera, avec sa section alg\u00e9rienne, le Parti du Peuple Alg\u00e9rien en 1937, pr\u00e9sid\u00e9 par Messali Hadj.<\/p>\n

Le second moment historique est constitu\u00e9 par la deuxi\u00e8me guerre mondiale dont les cons\u00e9quences d\u00e9termineront le mouvement de lib\u00e9ration nationale.<\/p>\n

C’est apr\u00e8s la d\u00e9faite de la France en 1940 par les forces allemandes que les trois pays d’Afrique du Nord prendront le relais dans la poursuite de la guerre aux c\u00f4t\u00e9s des alli\u00e9s. Le r\u00f4le des soldats nord africains dans les combats d’Afrique du Nord, d’Italie et de France-soldats nord-africains qui fourniront de nombreux cadres exp\u00e9riment\u00e9s dans les luttes de lib\u00e9ration futures-provoquera un saut important dans la conscience nationale. En 1943, se constitue au Maroc le Parti de l’Istiqlal pr\u00e9sid\u00e9 par Allal El Fassi. En 1946, le N\u00e9o-Destour tunisien se restructure. En Alg\u00e9rie, le mouvement des Amis du Manifeste voit le jour en 1944. L’id\u00e9e de l’ind\u00e9pendance est alors reprise par toutes les familles politiques, \u00e0 l’exception du Parti Communiste. Les Amis du Manifeste regroupent les partis sans de Ferhat Abbas, anciens partisans de l’assimilation, l’Association des Oul\u00e9mas qui jouera un r\u00f4le important dans la r\u00e9actualisation de l’arabo-islamisme bien que ses positions politiques furent timor\u00e9es, et le Parti du Peuple Alg\u00e9riens qui impulsera l’action des Amis du Manifeste.<\/p>\n

Les \u00e9v\u00e9nements de mai 1945 et les massacres qui firent 45 000 victimes sous la r\u00e9pression sauvage de l’action conjugu\u00e9e de l’arm\u00e9e fran\u00e7aise et des colons fran\u00e7ais, produisirent une fracture d\u00e9finitive. La question du recours \u00e0 la violence pour r\u00e9aliser l’objectif ultime de l’ind\u00e9pendance fut, en partie, tranch\u00e9 \u00e0 ce moment au sein du P.P.A., mouvement national le plus radical et qui sera \u00e0 l’origine du 1er novembre 1954.<\/p>\n

En 1947, le P.P.A. se transforme en Mouvement pour le Triomphe des Libert\u00e9s d\u00e9mocratiques en m\u00eame temps que se cr\u00e9\u00e9e l’Organisation Sp\u00e9ciale, organisme paramilitaire secret. C’est cette Organisation Sp\u00e9ciale, qui fera le geste historique scellant le sort du colonialisme en Alg\u00e9rie le 1er novembre 1954.<\/p>\n

Entre temps, certaines dates doivent retenir l’attention. Elles marquent les \u00e9tapes d’une ascension, d’un d\u00e9terminisme qui conduira \u00e0 l’ind\u00e9pendance des trois pays d’Afrique du Nord.<\/p>\n

En cette m\u00eame ann\u00e9e 1945 marqu\u00e9e par les massacres du Constantinois en Alg\u00e9rie, la Ligue Arabe voit le jour. 1947 voit la cr\u00e9ation de l’\u00c9tat d’Isra\u00ebl alors que 1948 enregistre la d\u00e9faite des arm\u00e9es arabes. C’est un autre d\u00e9fi qui se pose aux Arabes. Il va peser lourd dans l’avenir de la r\u00e9gion qui ne conna\u00eetra plus la paix. Les d\u00e9veloppements de cette confrontation s’\u00e9tendront de plus en plus, affectant m\u00eame le Maghreb. Ce que symbolisera le dernier bombardement de la Tunisie par l’aviation libyen d\u00e9tourn\u00e9 par Isra\u00ebl et d’autres d\u00e9veloppement o\u00f9 les USA seront directement impliqu\u00e9s comme lors de l’affaire de l’avion \u00e9gyptien d\u00e9tourn\u00e9 sur une base italienne de l’OTAN \u00e0 la suite du d\u00e9tournement du bateau Achille Lauro.<\/p>\n

Cependant 1947 est aussi l’ann\u00e9e de la cr\u00e9ation de l’\u00c9tat Islamique du Pakistan.<\/p>\n

D\u00e8s 1946 et la cr\u00e9ation de la Ligue Arabe, des dirigeants nationalistes tunisiens vont commencer \u00e0 s’\u00e9tablir au Caire, initiant une d\u00e9marche qu’emprunteront les uns apr\u00e8s les autres, tous les dirigeants nationalistes du Maghreb. Habib Thameur, Youssef Rouisi, Rachid Driss seront bient\u00f4t suivis pas Bourguiba, Allai El Fassi, Abdelkhalek Torres du Rif et Chadli Mekki du PPA alg\u00e9rien.<\/p>\n

L’arriv\u00e9e au Caire de l’\u00e9mir Abdelkrim en 1947 va donner une impulsion importante au regroupement des Maghr\u00e9bins pour la revendication de l’ind\u00e9pendance. Il forme, avec les autres dirigeants nationalistes, un Comit\u00e9 de Lib\u00e9ration du Maghreb. La charte adopt\u00e9e r\u00e9affirme l’appartenance du Maghreb \u00e0 l’Islam et au monde arabe.<\/p>\n

La cr\u00e9ation d’Isra\u00ebl en 1947 et la d\u00e9faite des arm\u00e9es arabes en 1948 sera douloureusement ressentie dans les consciences des peuples arabes. Deux \u00e9v\u00e9nements vont jouer un r\u00f4le consid\u00e9rable dans la lutte de lib\u00e9ration Le premier est l’ind\u00e9pendance de la Libye en 1964, le second est la R\u00e9volution de juillet en 1952 en \u00c9gypte. L’Africa Corps<\/em> avait abandonn\u00e9 en Libye un armement important et c’est dans cet immense lot d’armes h\u00e9t\u00e9roclites que l’Organisation Sp\u00e9ciale du P.P.A. (Parti du Peuple Alg\u00e9rien) va, apr\u00e8s mille difficult\u00e9s d’acheminement pr\u00e9lever quelques 300 malheureux mousquetons italiens \u00ab\u00a0Statti\u00a0\u00bb. Ils seront le d\u00e9tonateur du 1er novembre 1954 qui fera voler en \u00e9clat l’\u00e9difice colonialiste construit en 133 ans. Nasser et la R\u00e9volution de juillet 1952 tout d’abord, puis d’autres ensuite, pourvoiront au reste et permettront \u00e0 la lutte de se poursuivre et de se terminer par une victoire.<\/p>\n

Pendant ce temps, l’Afrique du Nord est entr\u00e9e en \u00e9bullition. La dissolution du minist\u00e8re Chenik, les arrestations massives de dirigeants tunisiens donnent le signal \u00e0 une agitation populaire qui d\u00e9bouchera sur de violents affrontements puis sur une lutte de lib\u00e9ration nationale et finalement sur l’autonomie puis l’ind\u00e9pendance du pays en 1956.<\/p>\n

La d\u00e9position de Mohammed V va d\u00e9terminer un processus semblable, d\u00e9bouchant \u00e9galement en 1956 sur l’ind\u00e9pendance.<\/p>\n

La crise du mouvement national en Alg\u00e9rie, accentu\u00e9e par le fait de la lutte de lib\u00e9ration au Maroc et en Tunisie, alors que l’Alg\u00e9rie semblait en l\u00e9thargie, d\u00e9terminera le d\u00e9clenchement de la r\u00e9volution arm\u00e9e du 1er novembre 1954. La lutte sera synchronis\u00e9e, avec plus ou moins de bonheur, avec celle des peuples fr\u00e8res tunisiens et marocain.<\/p>\n

Dans la proclamation, le F.L.N. dans l’article premier de son programme, pose la revendication de l’ind\u00e9pendance nationale par \u00ab\u00a0la restauration de l’\u00c9tat souverain, d\u00e9mocratique et social dans le cadre des principes islamiques\u00a0\u00bb.<\/p>\n

Cette lutte impitoyable, \u00e9puisante, le peuple alg\u00e9rien la m\u00e8nera en s’arc-boutant sur ses ancrages arabo-islamiques. Chaque fait, chaque circonstance est interpr\u00e9t\u00e9e par r\u00e9f\u00e9rence \u00e0 ce patrimoine. Le soldat pour la libert\u00e9 s’appelle moudjahid c’est d’ailleurs le nom donn\u00e9 \u00e0 l’organe de presse officiel de la R\u00e9volution alg\u00e9rienne: El Moudjahid qui se perp\u00e9tue de nos jours encore-le mort pour la patrie s’appelle chadid et les combats s’engagent au cri de Allah Akbar fusant tel un trait de feu lanc\u00e9 \u00e0 la face de la barbarie et de la tyrannie. L’actualit\u00e9 est ainsi soumise \u00e0 une lecture coranique permanente. Aussi permanente que la r\u00e9f\u00e9rence \u00e0 l’\u00e9mir Abdelkader, \u00e0 Mokrani, \u00e0 Bouamama et \u00e0 Boumaza, parall\u00e8lement \u00e0 l’autre lecture axiale en r\u00e9f\u00e9rence \u00e0 notre Proph\u00e8te Mohammed, aux califes Abou Bakr, Omar, Othman, Ali et aux grandes figures du Djihad tels Abdel-Mounem ou Tarik Ibn Ziad.<\/p>\n

Des tr\u00e9fonds de nos \u00e2mes, resurgissent intacts les souvenirs, les hauts faits ins\u00e9r\u00e9s aussit\u00f4t dans la trame de la vie de tous les jours, au fond des dechras comme sur les chemins de cr\u00eate lumineux.<\/p>\n

\u00c9gren\u00e9s comme un chapelet de perles, les noms de l’\u00e9mir Abdelkader, Mokrani, Boumaza, Bouamama, Bouziane et tant et tant d’autres noms, Lalla Khadidija la Kabyle, l’\u00e9mir Khaled… engrang\u00e9s les moissons de nos certitudes \u00e0 travers l’\u00c9toile Nord Africaine, le Parti du Peuple Alg\u00e9rien, le MTLD, l’Organisation Sp\u00e9ciale, le CRUA et le FLN; un langage s’est conserv\u00e9, un message s’est transmis, une invariance s’est perp\u00e9tu\u00e9e.<\/p>\n

Le rapport de l’Islam avec la R\u00e9volution alg\u00e9rienne est l\u00e0, en contrepoint, irr\u00e9fragable. Il est dans cette mouvance ininterrompue entre le Maghreb et le Machreq. Il est dans les yeux riv\u00e9s sur la Ka\u00e2ba <\/em>et un tombeau \u00e0 M\u00e9dine. Il est-cela doit \u00eatre soulign\u00e9-dans l’attitude magnanime du peuple alg\u00e9rien vis-\u00e0-vis des Fran\u00e7ais, au lendemain m\u00eame de sa victoire. Il est encore, telle une estampille ind\u00e9l\u00e9bile sur toutes les chartes, toutes les constitutions, tous les textes fondamentaux de l’apr\u00e8s ind\u00e9pendance. Et m\u00eame lorsque nous paraissons nous en \u00e9loigner le plus, lorsque par exemple, le d\u00e9veloppement se confond avec son contraire et que l’agression culturelle, sous couvert de modernit\u00e9, se fait triomphante, c’est justement \u00e0 ce moment l\u00e0 que se produit la r\u00e9currence. A ce moment l\u00e0, notre jeunesse dans une vague irr\u00e9sistible atteignant toute la terre d’Islam, construit et emplit les mosqu\u00e9es. Alors. \u00e0 nouveau, notre pass\u00e9, intens\u00e9ment, resurgit et revit en nous, emplissant notre espace et fondant notre imaginaire redevenu cr\u00e9atif et s’\u00e9l\u00e8ve, fuse dans l’arc en ciel de ce mot magique: Allah Akbar.<\/p>\n

Bien s\u00fbr, il nous faut r\u00e9actualiser, raccorder aux n\u00e9cessit\u00e9s pluridimensionnelles de notre temps; bien s\u00fbr, il nous faut faire preuve d’imagination par un Ijtihad<\/em> renouvel\u00e9 et vivant et pour \u00e9laborer un projet de civilisation convaincant; bien s\u00fbr, il nous faut d\u00e9velopper ce qui a fait les grands moments de l’Islam: la tol\u00e9rance; oui, tout cela est vrai et il nous faudra oeuvrer longtemps encore pour trouver des r\u00e9ponses satisfaisantes aux graves questions qui nous interpellent. Mais, au fond de nous-m\u00eames, quelque chose d’important s’est remis en marche. La r\u00e9currence se produit parfois m\u00eame l\u00e0 o\u00f9 on l’attendait le moins.<\/p>\n

En effet, qui peut dire l’influence qu’a pu produire sur Messali le fait qu’il ait appartenu dans sa jeunesse \u00e0 la confr\u00e9rie des Derkaouas? Sur A\u00eft Ahmed, qui lui-m\u00eame a v\u00e9cu dans la maison de ses parents, la vie d’une confr\u00e9rie kabyle? Ou sur moi-m\u00eame, le fait que mon p\u00e8re ait \u00e9t\u00e9 Mokkadem<\/em> de la confr\u00e9rie des Mouqahliya<\/em>(fusiliers)? Le fait que durant toute ma jeunesse, j’ai v\u00e9cu dans une atmosph\u00e8re impr\u00e9gn\u00e9e du Dikr <\/em>de Khalti Mama, la femme de mon oncle qui s’est \u00e9teinte il y a quelques ann\u00e9es seulement \u00e0 l’\u00e2ge de cent quarante ans et qui, faisant partie de la confr\u00e9rie de Sidi El Habri, se levait chaque jour vers 3 heures du matin pour ses pri\u00e8res et je\u00fbna un jour sur trois tout au long de sa vie. Toute mon enfance a \u00e9t\u00e9 impr\u00e9gn\u00e9e de cette atmosph\u00e8re, si bien qu’aujourd’hui encore, il me suffit de faire le silence en moi et de pr\u00eater l’oreille pour que la douce musique du Dikr de Kahlti Marna s’\u00e9l\u00e8ve, \u00e9mouvante, au fond de moi.<\/p>\n

Oui, le message de l’Islam doit \u00eatre un message de tol\u00e9rance et de paix.<\/p>\n

Oui, il nous faut r\u00e9p\u00e9ter sans d\u00e9semparer ce cri lanc\u00e9 au g\u00e9n\u00e9ral G\u00e9rard par l’\u00e9mir Abdelkader \u00ab\u00a0Qu’on apprenne enfin \u00e0 conna\u00eetre ma religion\u00a0\u00bb.<\/p>\n

Oui, il nous faut toujours nous inspirer de la valeur et du sens des mots du message de l’\u00c9mir au roi des Fran\u00e7ais:<\/p>\n

\u00ab\u00a0Grand roi des Fran\u00e7ais! Dieu nous a d\u00e9sign\u00e9s l ‘un et l’autre… Il nous a impos\u00e9 l’obligation de rendre nos sujets heureux. .. on me dit: signe ou ne signe pas, mais ton refus sera la guerre. Eh bien! moi, je ne signe pas et je veux la paix rien que la paix . . Si la guerre \u00e9clate \u00e0 nouveau, plus de commerce… plus de s\u00e9curit\u00e9 pour tes colons. Je n’ai pas l’orgueil de croire que je pourrai tenir t\u00eate ouvertement \u00e0 tes troupes, mais je les harc\u00e8lerai sans cesse. . . J’aurai pour moi la connaissance du pays, la frugalit\u00e9 et le dur temp\u00e9rament des Arabes… Si au contraire tu veux la paix, nos deux pays n’en feront plus qu’un, le moindre de tes sujets jouira de la s\u00e9curit\u00e9 la plus absolue, le commerce deviendra r\u00e9ellement libre, nos deux peuples se m\u00ealeront chaque jour davantage…\u00a0\u00bb<\/p>\n

Oui, certes il nous faudrait constamment m\u00e9diter ce message de paix. Mais, est-il incompatible avec cette qu\u00eate sacr\u00e9e de rester nous-m\u00eames, et ceci n’\u00e9pouse-t-il pas cela pour donner son v\u00e9ritable sens \u00e0 la paix? Pardel\u00e0 le temps, l’espace, les conflits momentan\u00e9s et, bien que les modes et les emplois doivent \u00eatre interpr\u00e9t\u00e9s diff\u00e9remment pour une ad\u00e9quation v\u00e9ritable, les paroles de notre regrett\u00e9 Moufdi Zakaria, auteur de notre hymne national, prononc\u00e9es lors du 4e Congr\u00e8s de l’Association des \u00c9tudiants Nord-Africains \u00e0 Tlemcen en 1935, ne demeurent-elles pas encore vivantes en nous. Et ne sommes-nous pas tous un peu ces \u00e9tudiants de 1935 quand il dit:<\/p>\n

\u00ab\u00a0J’ai foi en Allah comme divinit\u00e9, dans l’Islam comme religion, dans le Coran comme Imam, dans la Ka\u00e2ba<\/em>comme mausol\u00e9e, dans notre Seigneur Mohammed – b\u00e9n\u00e9diction et salut d’Allah sur lui- comme Proph\u00e8te et dans l’Afrique du Nord comme patrie une et indivisible.<\/p>\n

\u00ab\u00a0Je jure sur l’Unicit\u00e9 de Dieu que j’ai foi dans l’unicit\u00e9 de l’Afrique du Nord pour laquelle j’agirai tant qu’il y aura en moi un cur qui bat, un sang qui coule et un souffle chevill\u00e9 au corps.
\n\u00ab\u00a0L’Islam est notre religion, l’Afrique du Nord notre patrie et l’arabe notre langue.<\/p>\n

\u00ab\u00a0Je ne suis ni musulman, ni croyant, ni Arabe si je ne sacrifie pas mon \u00eatre, mes biens et mon sang pour lib\u00e9rer ma ch\u00e8re patrie (l’Afrique du Nord) des cha\u00eenes de l’esclavage et la sortir des t\u00e9n\u00e8bres de l’ignorance et de la mis\u00e8re vers la lumi\u00e8re du savoir, de la prosp\u00e9rit\u00e9 et d’une vie heureuse.<\/p>\n

\u00ab\u00a0Tout musulman en Afrique du Nord, croyant en l’unicit\u00e9 de celle-ci, croyant en Dieu et en son Proph\u00e8te est mon fr\u00e8re et partage mon \u00e2me. Je ne fais aucune distinction entre un Tunisien, un Alg\u00e9rien, un Marocain; ni entre un Mal\u00e9kite, un Han\u00e9fite, un Chaf\u00e9ite, un Ibadite et un Hanbalite: ni entre un Arabe et un Kabyle, un citadin et un villageois, un s\u00e9dentaire et un nomade. Tous sont mes fr\u00e8res, je les respecte et les d\u00e9fend tant qu’ils oeuvrent pour la cause de Dieu et de la patrie. Si je contreviens \u00e0 ce principe, je me consid\u00e9rerai comme le plus grand tra\u00eetre \u00e0 sa religion et \u00e0 sa patrie.<\/p>\n

\u00ab\u00a0Je consid\u00e8re quiconque agit pour la division entre les diff\u00e9rentes composantes de ma patrie (l’Afrique du Nord) comme le plus grand ennemi de ma patrie et le mien propre. Je le combattrai par tous les moyens, m\u00eame s’il s’agit du p\u00e8re qui m’a engendr\u00e9 ou de mon fr\u00e8re de p\u00e8re et de m\u00e8re.<\/p>\n

\u00ab\u00a0Ma patrie est l’Afrique du Nord, patrie glorieuse qui a une identit\u00e9 sacr\u00e9e, une histoire somptueuse, une langue g\u00e9n\u00e9reuse, une noble nationalit\u00e9, arabe. Je consid\u00e8re comme exclus de l’unit\u00e9 de ma patrie et exclu de la communaut\u00e9 des musulmans quiconque serait tent\u00e9 de renier cette nationalit\u00e9 et de rejeter cette identit\u00e9. Il n’aura qu’\u00e0 rejoindre la nationalit\u00e9 des autres, en apatride qu’on recueille. Il encourra la col\u00e8re de Dieu et celle du peuple.<\/p>\n

\u00ab\u00a0La distinction s’est op\u00e9r\u00e9e entre la lucidit\u00e9 et l’erreur. Ni politique d’assimilation, ni politique de d\u00e9fi . Nous revendiquons un droit usurp\u00e9 et un patrimoine confisqu\u00e9. Qu’il nous suffise de les recouvrer. Il ne peut y avoir d’autre alternative: \u00eatre patriote ou un tra\u00eetre impie.<\/p>\n

\u00ab\u00a0Nous ne ha\u00efssons pas les races. Tous les hommes sont cr\u00e9atures de Dieu. Nous respectons les \u00e9trangers \u00e9tablis chez nous, tant qu’ils nous respectent. Nous ne leur ferons aucun mal s’ils ne portent pas atteinte \u00e0 nos libert\u00e9s, \u00e0 notre dignit\u00e9 et aux richesses de notre pays. S’ils respectent les droits des peuples de c\u00e9ans, nous respecterons leurs droits d’invit\u00e9s. Ils ont les m\u00eames droits que nous, mais leur incombent aussi les m\u00eames devoirs. C’est ce qu’ordonne notre sainte religion et nos consciences pures.<\/p>\n

\u00ab\u00a0Notre patrie est l ‘Afrique du Nord, patrie indissociable de l ‘Orient arabe dont nous partageons les joies et les peines, les ardeurs et la qui\u00e9tude. Nous unissent \u00e0 lui, pour l’\u00e9ternit\u00e9, les liens de la langue, de l’arabisme et de l’Islam\u00a0\u00bb.<\/p>\n

Mais tout le monde aura compris que pour Moufdi Zakaria et ces \u00e9tudiants musulmans nord-africains de 1935, comme pour nous-m\u00eames et ceux qui viendront apr\u00e8s nous, qu’il n’y a eu, qu’il n’y a et qu’il n’y aura pour l’\u00e9ternit\u00e9 qu’une seule et v\u00e9ritable patrie: l’Islam.<\/p>\n

<\/div>\n

Ahmed Ben Bella<\/p>\n


\n<\/strong><\/a>Ce texte est une communication de l’ancien pr\u00e9sident alg\u00e9rien pr\u00e9sent\u00e9e lors de la conf\u00e9rence du <\/em>Conseil Islamique tenue \u00e0 Gen\u00e8ve les 10 et 11 mars 1985.<\/em><\/p>\n

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L’Islam et la R\u00e9volution alg\u00e9rienne Par Ahmed Ben Bella Si l’on veut comprendre le rapport de l’Islam avec la r\u00e9volution du 1er novembre, il faut l’int\u00e9grer dans une r\u00e9flexion plus large couvrant la p\u00e9riode de l’occupation coloniale. C’est en effet, au rythme d’une r\u00e9volution arm\u00e9e par d\u00e9cennie que la lutte \u2026 Lire plus \/ Read more<\/a><\/p>\n","protected":false},"author":1,"featured_media":656,"parent":643,"menu_order":0,"comment_status":"closed","ping_status":"closed","template":"","meta":{"ngg_post_thumbnail":0,"footnotes":""},"class_list":["post-654","page","type-page","status-publish","has-post-thumbnail","hentry"],"_links":{"self":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/654","targetHints":{"allow":["GET"]}}],"collection":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages"}],"about":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/types\/page"}],"author":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/users\/1"}],"replies":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=%2Fwp%2Fv2%2Fcomments&post=654"}],"version-history":[{"count":1,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/654\/revisions"}],"predecessor-version":[{"id":655,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/654\/revisions\/655"}],"up":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/643"}],"wp:featuredmedia":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/media\/656"}],"wp:attachment":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=%2Fwp%2Fv2%2Fmedia&parent=654"}],"curies":[{"name":"wp","href":"https:\/\/api.w.org\/{rel}","templated":true}]}}