{"id":645,"date":"2015-01-06T13:01:20","date_gmt":"2015-01-06T12:01:20","guid":{"rendered":"http:\/\/www.archipress.org\/wp\/?page_id=645"},"modified":"2015-01-06T13:05:30","modified_gmt":"2015-01-06T12:05:30","slug":"breve-histoire-dun-indigene-de-la-republique","status":"publish","type":"page","link":"https:\/\/www.archipress.org\/?page_id=645","title":{"rendered":"Br\u00e8ve histoire d’un indig\u00e8ne de la R\u00e9publique"},"content":{"rendered":"

Le tirailleur Ben Bella<\/h3>\n

par Charles-Henri Favrod<\/p>\n

article paru dans le journal Le Temps<\/em>, Gen\u00e8ve, Jeudi 5 octobre 2006<\/p>\n

Le film \u00abIndig\u00e8nes\u00bb a inspir\u00e9 \u00e0 l’ancien directeur du Mus\u00e9e de l’Elys\u00e9e ce r\u00e9cit de souvenirs o\u00f9 il rappelle que le c\u00e9l\u00e8bre Alg\u00e9rien aurait lui aussi droit \u00e0 une meilleure pension!<\/strong><\/p>\n

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Indig\u00e8nes<\/em>, le film de Rachid Bouchareb, d\u00e9fraie la chronique hexagonale. L’opinion publique d\u00e9couvre soudain que les forces fran\u00e7aises libres partirent d’Afrique et furent en grande partie constitu\u00e9es de Maghr\u00e9bins. Un point demeure pourtant obscur. Le 8 mai 1945, lors du d\u00e9fil\u00e9 de la victoire \u00e0 S\u00e9tif, des Alg\u00e9riens arbor\u00e8rent le drapeau national et provoqu\u00e8rent une riposte de la police locale.<\/p>\n

Un vrai massacre eut lieu ensuite dans le Constantinois, v\u00e9ritable d\u00e9but de la guerre d’ind\u00e9pendance, au moment o\u00f9 les tirailleurs commen\u00e7aient \u00e0 rentrer au pays. Parmi eux, deux futurs pr\u00e9sidents, Mohamed Boudiaf et Ahmed Ben Bella. L’un et l’autre m’ont racont\u00e9 le traumatisme qui s’ensuivit.<\/p>\n

En 1982, lorsqu’il retrouva la libert\u00e9, je r\u00e9alisai un film sur Ben Bella. Il me pr\u00e9cisa qu’en 1939, il ambitionnait de rejoindre l’OM de Marseille et ne put devenir un futur Mekloufi ou Zidane parce qu’aussit\u00f4t mobilis\u00e9. Et ce fut ensuite, d\u00e8s 1943, la campagne de Tunisie et d’Italie, dont en particulier la terrible bataille de Cassino. \u00abAlors, me dit Ben Bella, nous, les Fran\u00e7ais, nous \u00e9tions les meilleurs!\u00bb<\/p>\n

Comme je lui faisais remarquer qu’on pouvait reprendre l’enregistrement et renoncer \u00e0 ce passage compromettant pour lui, il protesta: \u00abNon, nous nous battions r\u00e9solument contre le fascisme et pour la France, donc pour une nouvelle Alg\u00e9rie. Nous ne pouvions pas pr\u00e9voir S\u00e9tif.\u00bb<\/p>\n

Ben Bella est donc un de ces anciens tirailleurs qui devrait b\u00e9n\u00e9ficier d’une meilleure pension! Natif de Marnia, donc de l’Ouest alg\u00e9rien, il avait \u00e9t\u00e9 vers\u00e9 parmi les Tabors et avait le grade de sergent-chef au 5e r\u00e9giment de tirailleurs marocains. D\u00e9cor\u00e9 d\u00e9j\u00e0 en 1940, il accumula les citations durant la campagne d’Italie. Il obtint ainsi plusieurs fois la M\u00e9daille militaire avec \u00e9toile de vermeil, puis d’argent, au titre du corps d’arm\u00e9e et de la division, et enfin la Croix de guerre avec palme, le 9 novembre 1944, par d\u00e9cret sign\u00e9 du g\u00e9n\u00e9ral de Gaulle lui-m\u00eame.<\/p>\n

Parmi les faits d’armes de Ben Bella figure le sauvetage de son capitaine bless\u00e9 et ramen\u00e9 dans les lignes fran\u00e7aises. En 1982, lors de la r\u00e9alisation du film, je souhaitais le t\u00e9moignage du rescap\u00e9. Je me rendis \u00e0 Vincennes, aux archives de l’Arm\u00e9e, pour d\u00e9couvrir que celui-ci, devenu colonel, n’\u00e9tait plus. Mais, dans son dossier, figurait une singuli\u00e8re affectation, \u00e0 Alger, de juillet 1962 \u00e0 juin 1965, donc jusqu’\u00e0 la chute de Ben Bella, sans qu’il l’ait jamais su.<\/p>\n

Quand je le lui appris, il me dit son chagrin et la joie qu’il aurait eue \u00e0 le revoir. Nul doute qu’il s’agissait d’une carte secr\u00e8te du pr\u00e9sident de Gaulle au cas o\u00f9 il e\u00fbt fallu une d\u00e9marche sentimentale.<\/p>\n

En 1959, tandis que se poursuivaient les contacts secrets pour la n\u00e9gociation, je remis \u00e0 Pierre Racine, chef de cabinet de Michel Debr\u00e9, une note sur les \u00e9tats de service du sergent-chef Ben Bella. J’eus la surprise, comme tous mes confr\u00e8res, quelques semaines plus tard, d’entendre le g\u00e9n\u00e9ral de Gaulle, lors de la conf\u00e9rence de presse de l’Elys\u00e9e, d\u00e9clarer: \u00abOn m’a pos\u00e9 une question sur Ben Bella…\u00bb<\/p>\n

Stup\u00e9faction g\u00e9n\u00e9rale. Personne n’aurait os\u00e9 risquer un tel crime de l\u00e8se-majest\u00e9. Mais Ben Bella permettait d’aborder le th\u00e8me de \u00abla paix des braves\u00bb. Du coup naquit aussi la formule de \u00abBen Bella et ses compagnons\u00bb qui cr\u00e9a l’animosit\u00e9 parmi les chefs historiques du FLN d\u00e9tenus avec lui \u00e0 l’\u00eele d’Aix et fut finalement \u00e0 l’origine de la crise d\u00e8s 1961.<\/p>\n

De Gaulle, en juin 1960, renon\u00e7a \u00e0 l’opportunit\u00e9 de la venue \u00e0 Melun de deux repr\u00e9sentants du GPRA, pour recevoir au m\u00eame moment, en grand uniforme, une d\u00e9l\u00e9gation de la willaya 4 (Alger) conduite par Si Salah \u00e0 l’Elys\u00e9e, dans le plus grand secret. Cette initiative, vite connue, entra\u00eena une violente riposte du FLN et la d\u00e9cision qu’il n’y aurait plus de n\u00e9gociation directe avec la France sans caution internationale. Naquit ainsi la solution des bons offices de la Suisse.<\/p>\n

Durant l’ann\u00e9e 1961, le chef de l’arm\u00e9e des fronti\u00e8res, Houari Boumediene, tenta de convaincre Mohamed Boudiaf de se rallier \u00e0 lui, par l’interm\u00e9diaire du futur pr\u00e9sident Abdelaziz Bouteflika, envoy\u00e9 au ch\u00e2teau de Turquant avec un sauf-conduit de la France. Boudiaf se d\u00e9roba, mais Ben Bella accepta. De Gaulle, comme d’ailleurs Gamal Abdel Nasser, continuait de miser sur lui et comptait d’ailleurs bien le restituer directement, \u00e0 la signature future des Accords d’Evian, \u00e0 son Compagnon de la Lib\u00e9ration, MohamedV, pour r\u00e9parer l’impair de l’arraisonnement de l’avion royal en octobre 1956.<\/p>\n

A signaler qu’alors, Ben Bella refusa avec v\u00e9h\u00e9mence ce transfert symbolique et exigea une voiture pour rejoindre le Signal de Bougy et les n\u00e9gociateurs \u00e0 qui il reprocha trop de concessions.<\/p>\n

Il faut m\u00e9diter la fascination qu’exer\u00e7a sur De Gaulle l’ancien sergent-chef de la France libre. Apr\u00e8s les turbulences de l’\u00e9t\u00e9 1962 et le triomphe de Ben Bella, soutenu alors par Houari Boumediene et l’arm\u00e9e des fronti\u00e8res garante de l’ordre en Alg\u00e9rie avec la caution de l’Elys\u00e9e, De Gaulle rencontra en t\u00eate-\u00e0-t\u00eate Ben Bella au ch\u00e2teau de Champs-sur-Marne.<\/p>\n

Saura-t-on jamais ce qu’il y fut dit? Ben Bella, toujours loquace, n’a jamais voulu r\u00e9pondre \u00e0 mes questions \u00e0 ce sujet, se bornant \u00e0 c\u00e9l\u00e9brer la beaut\u00e9 des jardins et la somptueuse d\u00e9coration du constructeur Pierre Bullet au XVIIe si\u00e8cle!<\/p>\n

L’ann\u00e9e derni\u00e8re, sa ville natale, Marnia, a c\u00e9l\u00e9br\u00e9 le jubil\u00e9 de l’ancien pr\u00e9sident, \u00e0 grand renfort de fantasias, concerts, matches de football et remise d’un doctorat honoris causa de l’Universit\u00e9 de Tlemcen. Jovial, \u00e9panoui, infatigable, Ben Bella a bien voulu c\u00e9l\u00e9brer \u00e0 la tribune du stade mon r\u00f4le d’interm\u00e9diaire d’autrefois, mais je n’ai pas r\u00e9ussi \u00e0 lever le voile sur le myst\u00e8re de Champs et je d\u00e9fie quiconque d’y parvenir.<\/p>\n

Il me faudrait plus de place ici pour citer tous les \u00e9tats de service de Ben Bella, sergent-chef. Je me bornerai \u00e0 reproduire l’extrait de l’ordre g\u00e9n\u00e9ral No 35, du 9 mars 1944, sign\u00e9 par le futur mar\u00e9chal Juin. \u00abSous-officier de renseignements d’un courage exemplaire. Au cours de l’attaque des 12 et 13 janvier, a sans cesse stimul\u00e9 les tirailleurs de sa section par son audace et son exemple. A rempli de nombreuses missions de liaison, malgr\u00e9 les bombardements et les tirs d’armes automatiques. Toujours volontaire pour relever les bless\u00e9s et les panser quand il n’avait pas d’autre mission. Le 14 d\u00e9cembre 1943, avait relev\u00e9 lui-m\u00eame d’un champ de mines expos\u00e9 aux vues et aux tirs de l’ennemi le corps d’un tirailleur de sa compagnie.\u00bb<\/p>\n

Les soldats du corps exp\u00e9ditionnaire ont contribu\u00e9 \u00e0 permettre au g\u00e9n\u00e9ral de Lattre de Tassigny sa pr\u00e9sence \u00e0 la signature de la reddition sans conditions du Troisi\u00e8me Reich, \u00e0 Berlin en 1945. A son entr\u00e9e dans la salle, le mar\u00e9chal von Keitel s’indigna: \u00abDie Franzosen hier, Skandal!\u00bb<\/p>\n

Pour ma part, je conclurai avec un souvenir de 1960. Lors de la proclamation de l’ind\u00e9pendance du Tchad, \u00e0 Fort-Lamy, j’eus comme tous la surprise d’entendre Andr\u00e9 Malraux, dans la chaleur et la poussi\u00e8re du d\u00e9sert, s’exclamer en exorde: \u00abLa neige… la neige… la neige de Strasbourg!\u00bb Il c\u00e9l\u00e9brait ainsi le glorieux cheminement de la colonne Leclerc, inaugur\u00e9 par les tirailleurs noirs, ceux qu’on appelle invariablement S\u00e9n\u00e9galais, et qui m\u00e9ritent aussi la reconnaissance de la France.<\/p>\n

\u00a9 Le Temps, 2006 . Droits de reproduction et de diffusion r\u00e9serv\u00e9s.<\/p>\n<\/div>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":"

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