{"id":622,"date":"2015-01-06T01:06:04","date_gmt":"2015-01-06T00:06:04","guid":{"rendered":"http:\/\/www.archipress.org\/wp\/?page_id=622"},"modified":"2015-01-21T15:03:10","modified_gmt":"2015-01-21T14:03:10","slug":"forum","status":"publish","type":"page","link":"https:\/\/www.archipress.org\/?page_id=622","title":{"rendered":"Forum"},"content":{"rendered":"
\n

Jacques Berque
\nles ultimes explications<\/h3>\n

R\u00e9da Benkirane<\/strong><\/p>\n<\/div>\n

<\/div>\n

Dans son num\u00e9ro 64 (de juin 1995), \u00ab\u00a0Le Temps strat\u00e9gique\u00a0\u00bb a publi\u00e9 un essai de Jacques Berque consacr\u00e9 au troisi\u00e8me grand courant spirituel de l’Humanit\u00e9: \u00ab\u00a0Quel Islam?\u00a0\u00bb. Ce texte \u00e9tait le dernier \u00e9crit de Jacques Berque, qui s’est \u00e9teint le 27 juin 1995. En avril dernier, la cha\u00eene th\u00e9matique franco-allemande ARTE a consacr\u00e9 \u00e0 Jacques Berque une \u00e9mission enti\u00e8re, o\u00f9 ce grand sp\u00e9cialiste du monde arabo-musulman s’est exprim\u00e9 de mani\u00e8re tr\u00e8s pointue sur les grands dossiers de l’actualit\u00e9. Il nous a paru int\u00e9ressant de nous en faire ici l’\u00e9cho.<\/em><\/p>\n

<\/div>\n
\n

\"LeObservateur depuis plusieurs d\u00e9cennies d’un terrain qui va de l’Euphrate \u00e0 l’Atlas (titre de l’un de ses livres), Jacques Berque voit dans l’actualit\u00e9 troubl\u00e9e de l’aire islamique l'\u00a0\u00bb\u00e9mergence de situations \u00e0 l’oeuvre depuis longtemps\u00a0\u00bb et qui appellent \u00e0 des \u00ab\u00a0solutions \u00e0 long terme\u00a0\u00bb. C’est donc par le biais de l’Histoire qu’il cherche \u00e0 \u00e9clairer ces \u00ab\u00a0ph\u00e9nom\u00e8nes profonds\u00a0\u00bb.<\/p>\n

 <\/p>\n

L’Islam trop proche<\/strong>
\nDe mani\u00e8re g\u00e9n\u00e9rale, l’Islam, dit-il, \u00ab\u00a0est toujours un grand m\u00e9connu, toujours en discordance avec ce qui l’entoure\u00a0\u00bb. Il reste le \u00ab\u00a0le fr\u00e8re rejet\u00e9, et qui se sent tel\u00a0\u00bb. Contrairement \u00e0 ce qui para\u00eetrait de prime abord, le malentendu entre Occident et Islam viendrait non pas d’un \u00e9loignement des cultures mais de ce que ce dernier \u00ab\u00a0est trop proche peut-\u00eatre, g\u00e9ographiquement, historiquement et m\u00eame essentiellement, car les deux civilisations, gr\u00e9co-romaine d’un c\u00f4t\u00e9, et islamique de l’autre, ont pratiqu\u00e9 au cours de leur histoire beaucoup d’\u00e9changes\u00a0\u00bb. L’Islam souffre \u00ab\u00a0du trop de proximit\u00e9, et peut-\u00eatre m\u00eame du trop de fraternit\u00e9 avec la civilisation m\u00e9diterran\u00e9enne\u00a0\u00bb.<\/p>\n

N’ayant pas connu l’\u00e9quivalent de la Renaissance et de la R\u00e9volution, \u00ab\u00a0g\u00e9opolitiquement, l’Islam est accul\u00e9 \u00e0 un rattrapage, et il se situe jusqu’\u00e0 pr\u00e9sent dans des formes de rattrapage plus ou moins r\u00e9ussies\u00a0\u00bb.<\/p>\n

\u00ab\u00a0La d\u00e9marche islamiste th\u00e9oriquement plaidable\u00a0\u00bb<\/strong>
\nApprofondissant la question du retard par rapport \u00e0 l’expansion \u00ab\u00a0en imp\u00e9rialismes\u00a0\u00bb de l’Occident industriel, Jacques Berque pr\u00e9cise que l’enjeu, \u00e0 l’aube des ann\u00e9es 2000, n’est pas celui du rejet de la modernit\u00e9. Le probl\u00e8me est pos\u00e9 diff\u00e9remment par les nouvelles g\u00e9n\u00e9rations: \u00ab\u00a0ceux qu’on appelle aujourd’hui islamistes<\/em> ne sont pas comme les vieux croyants de la g\u00e9n\u00e9ration pr\u00e9c\u00e9dente qui \u00e9taient anti-progr\u00e8s<\/em> (oppos\u00e9s par exemple \u00e0 la diffusion du Coran sur les ondes). Les islamistes sont au contraire pour le progr\u00e8s technique, la R\u00e9volution Industrielle, l’informatique et tout le reste… Seulement ils ne veulent pas que leur collectivit\u00e9 acqui\u00e8re ce progr\u00e8s mat\u00e9riel en passant par le m\u00eame chemin que l’Occident: celui de la d\u00e9mocratie, de la critique et des Lumi\u00e8res. Ils veulent un chemin qui leur soit propre et qu’ils situent, eux, dans les perspectives d’une morale religieuse\u00a0\u00bb.<\/p>\n

L’historien sugg\u00e8re d’essayer de comprendre cette position, en avan\u00e7ant les faits qui militent pour une divergence avec la voie occidentale, dont le progr\u00e8s mat\u00e9riel et technologique s’est accompagn\u00e9 de \u00ab\u00a0laxisme, d’amoralisme, de cynisme et de massacres\u00a0\u00bb. Les sc\u00e9narios futurs de l’humanit\u00e9 ne sont pas forc\u00e9ment inscrits dans ce que l’Occident est aujourd’hui. C’est pourquoi la d\u00e9marche islamiste \u00ab\u00a0est th\u00e9oriquement plaidable\u00a0\u00bb.<\/p>\n

\u00ab\u00a0Mais pas jouable pour l’heure\u00a0\u00bb<\/strong>
\nBerque estime pourtant que, pour l’heure, le projet islamiste \u00ab\u00a0n’est malheureusement pas jouable\u00a0\u00bb: \u00ab\u00a0La position [islamiste] serait cr\u00e9dible si elle s’assortissait d’une renaissance spirituelle. Or cela n’est pas le cas.[Si cela l’\u00e9tait,] je serais bien plac\u00e9 pour le savoir, car je verrais se multiplier les \u00e9tudes originales sur le Coran et le Hadith [ensemble des paroles proph\u00e9tiques], qui me seraient utiles \u00e0 moi, traducteur du Coran.\u00a0\u00bb Aucune revivification de ces sciences religieuses n’a lieu actuellement dans la zone islamique. Il y a simplement \u00ab\u00a0un transport de la religion dans la politique\u00a0\u00bb. Cette \u00ab\u00a0proc\u00e9dure\u00a0\u00bb a exist\u00e9 dans le christianisme, mais \u00ab\u00a0a toujours \u00e9chou\u00e9\u00a0\u00bb.<\/p>\n

\u00ab\u00a0Nous voudrions croire qu’il existe d’autres voies que la voie occidentale que la voie technologique, poursuit le vieil orientaliste. Pour l’instant ce n’est pas ce qu’ont jou\u00e9 ces peuples\u00a0\u00bb.<\/p>\n

La \u00ab\u00a0faute alg\u00e9rienne\u00a0\u00bb de la France<\/strong>
\n\u00c9voquant l’Alg\u00e9rie, sa terre natale, o\u00f9 tous ces enjeux se posent de fa\u00e7on tragique, Berque observe que \u00ab\u00a0de tous les pays arabes, il est celui qui n’a pas r\u00e9solu sa question culturelle, ni sa question linguistique\u00a0\u00bb. Pour Berque la responsabilit\u00e9 historique n’en incombe pas uniquement \u00e0 ses dirigeants politiques, m\u00eame s’il les invite \u00e0 entreprendre une \u00ab\u00a0vigoureuse autocritique\u00a0\u00bb. \u00ab\u00a0L’erreur, dit-il, vient de plus haut: c’est parce que la France, en 130 ans, n’a pas voulu ni su \u00e9duquer les Alg\u00e9riens, qu’une grande part des population alg\u00e9riennes en sont rest\u00e9es \u00e0 un certain stade, qui les a rendues sensibles \u00e0 certaines propagandes\u00a0\u00bb.<\/p>\n

Pour sortir de la guerre actuelle, qui oppose le r\u00e9gime militaire alg\u00e9rien aux groupes islamistes arm\u00e9s, Berque pr\u00f4ne le dialogue: \u00ab\u00a0Le probl\u00e8me n’est pas de savoir si le FIS est d\u00e9mocrate, c’est de savoir si on peut dialoguer avec un autre que lui. (…) Il vaut mieux s’orienter vers une conciliation, une inter-compr\u00e9hension plut\u00f4t que vers le massacre r\u00e9ciproque\u00a0\u00bb.<\/p>\n

Les cons\u00e9quences d\u00e9sastreuses de la guerre du Golfe<\/strong>
\nBerque attribue une bonne part des d\u00e9sordres actuels, l’\u00e9clatement du monde arabe notamment, aux effets secondaires de la guerre du Golfe. \u00ab\u00a0J’aurais appr\u00e9ci\u00e9 de la part des Am\u00e9ricains, qui ont \u00e9t\u00e9 tr\u00e8s lents \u00e0 se mobiliser contre le v\u00e9ritable Hitler, de ne pas faire tant d’histoires pour l’Hitler m\u00e9taphorique [Saddam Hussein] qui leur a donn\u00e9 l’illusion d’une puissance quasi divine, (…) plus facile \u00e0 exercer dans les plaines de M\u00e9sopotamie que sur les montagnes de Serbie, o\u00f9 avaient \u00e9t\u00e9 mises en d\u00e9route deux ou trois divisions de SS pendant la derni\u00e8re Guerre mondiale\u00a0\u00bb.<\/p>\n

Berque regrette am\u00e8rement la position que les Fran\u00e7ais ont perdue en rejoignant \u00ab\u00a0une coalition contre l’Irak plus nombreuse que contre Hitler\u00a0\u00bb. La France \u00e9tait jusqu’alors pour \u00ab\u00a0une grande puissance, qui comptait comme m\u00e9diatrice en M\u00e9diterran\u00e9e, et s’installait sur les rivages de la Mer Rouge, du Golfe et de l’Irak, o\u00f9 elle avait enti\u00e8rement supplant\u00e9 les Britanniques. A ce jour, les Arabes n’ont donc pas compris que la France ait accept\u00e9 de jouer la suppl\u00e9tive des Am\u00e9ricains dans une affaire o\u00f9 elle avait tout \u00e0 perdre… Ou alors c’est qu’elle \u00e9prouvait une sorte de haine d\u00e9sint\u00e9ress\u00e9e pour l’Islam et les Arabes.\u00a0\u00bb<\/p>\n

Plaidoyer pour un Islam \u00ab\u00a0gallican\u00a0\u00bb<\/strong>
\nPour Jacques Berque, la France pourrait \u00eatre un foyer de dialogue entre cultures. Il souhaite qu’y soient \u00e9tablis des instituts islamiques sp\u00e9cialis\u00e9s qui participeraient \u00e0 la cr\u00e9ation d’un Islam de France, d’un Islam \u00ab\u00a0gallican\u00a0\u00bb. La France pourrait \u00eatre le laboratoire o\u00f9 s’\u00e9laborerait \u00ab\u00a0un Islam de progr\u00e8s, au fait des probl\u00e8mes d’une soci\u00e9t\u00e9 moderne (…) Figurez-vous le retentissement que cela aurait sur le reste de la zone islamique. Un Islam de progr\u00e8s est le seul adversaire capable de faire reculer l’islamisme!\u00a0\u00bb<\/p>\n

L’auteur de L’Islam au d\u00e9fi <\/em>et d’Andalousies<\/em> rattache cette esquisse de \u00ab\u00a0solutions \u00e0 long terme\u00a0\u00bb \u00e0 une solidarit\u00e9 m\u00e9diterran\u00e9enne, d\u00e9j\u00e0 effective entre les deux rives, qu’il s’agit de mieux outiller, et dont il regrette qu’elle n’int\u00e9resse gu\u00e8re l’Europe de Maastricht . \u00ab\u00a0Plus cette Europe progresse, entre guillemets, plus elle devient nordique et anglophone.\u00a0\u00bb Le projet m\u00e9diterran\u00e9en, estime Berque, devrait se faire d’abord \u00ab\u00a0entre les trois nations latines et le Maghreb\u00a0\u00bb mais il s’agirait, dans un second temps, de \u00ab\u00a0ne pas \u00e9carter la Turquie, l’\u00c9gypte et la Syrie\u00a0\u00bb.<\/p>\n<\/div>\n

<\/p>\n

<\/div>\n

\u00a9 Le Temps strat\u00e9gique, No 66, Gen\u00e8ve, octobre 1995.<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":"

Jacques Berque les ultimes explications R\u00e9da Benkirane Dans son num\u00e9ro 64 (de juin 1995), \u00ab\u00a0Le Temps strat\u00e9gique\u00a0\u00bb a publi\u00e9 un essai de Jacques Berque consacr\u00e9 au troisi\u00e8me grand courant spirituel de l’Humanit\u00e9: \u00ab\u00a0Quel Islam?\u00a0\u00bb. Ce texte \u00e9tait le dernier \u00e9crit de Jacques Berque, qui s’est \u00e9teint le 27 juin 1995. \u2026 Lire plus \/ Read more<\/a><\/p>\n","protected":false},"author":1,"featured_media":649,"parent":596,"menu_order":0,"comment_status":"closed","ping_status":"closed","template":"","meta":{"ngg_post_thumbnail":0,"footnotes":""},"class_list":["post-622","page","type-page","status-publish","has-post-thumbnail","hentry"],"_links":{"self":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/622","targetHints":{"allow":["GET"]}}],"collection":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages"}],"about":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/types\/page"}],"author":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/users\/1"}],"replies":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=%2Fwp%2Fv2%2Fcomments&post=622"}],"version-history":[{"count":4,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/622\/revisions"}],"predecessor-version":[{"id":650,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/622\/revisions\/650"}],"up":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/596"}],"wp:featuredmedia":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/media\/649"}],"wp:attachment":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=%2Fwp%2Fv2%2Fmedia&parent=622"}],"curies":[{"name":"wp","href":"https:\/\/api.w.org\/{rel}","templated":true}]}}