{"id":620,"date":"2015-01-06T01:03:20","date_gmt":"2015-01-06T00:03:20","guid":{"rendered":"http:\/\/www.archipress.org\/wp\/?page_id=620"},"modified":"2015-01-25T00:40:09","modified_gmt":"2015-01-24T23:40:09","slug":"limage","status":"publish","type":"page","link":"https:\/\/www.archipress.org\/?page_id=620","title":{"rendered":"L’image"},"content":{"rendered":"

Un bouclier<\/p>\n

Hommage \u00e0 Charles-Albert Cingria<\/h3>\n

Par Nicolas Bouvier <\/strong><\/p>\n

\"LeAvez-vous peur des militaires ?<\/p>\n

– Extr\u00eamement: quand j’\u00e9tais sous l’uniforme, avec mes cartouchi\u00e8res et mon lourd fusil je me faisais peur \u00e0 moi-m\u00eame. J’aurais pu me tirer dans les pieds. Des dizaines de millions de personnes partagent ce sentiment pour de meilleures raisons que moi.<\/p>\n

– Les soldats ont-ils peur eux-aussi ?<\/p>\n

– Le \u00ab\u00a0brave soldat Schweik\u00a0\u00bb en tout cas, le fantassin Bardamu du \u00ab\u00a0Voyage au bout de la nuit\u00a0\u00bb (C\u00e9line) aussi, et ils l’avouent. Quant aux autres, je crois qu’ils passent la moiti\u00e9 de leur vie dans cette m\u00eame frayeur qu’ils nous inspirent, au moins je l’esp\u00e8re. Je crois d’ailleurs que certains choisissent cette profession par pure couardise: traverser l’existence casqu\u00e9s et cuirass\u00e9s comme des homards leur donne un futile sentiment de s\u00e9curit\u00e9.<\/p>\n

– Comment \u00e7a, futile ?<\/p>\n

– Parce qu’il suffirait de les faire tr\u00e9bucher pour qu’ils s’embrochent sur leur propre \u00e9p\u00e9e. Celui que je vous pr\u00e9sente ici est exemplaire: le moins qu’on puisse dire c’est que, malgr\u00e9 son large bouclier et ce petit bout de moustache en croc qu’on devine, il n’en m\u00e8ne pas large. Il me rappelle l’antique adage des strat\u00e8ges chinois: \u00ab\u00a0H\u00e9sitant \u00e0 avancer d’un pas, je choisis de reculer de deux\u00a0\u00bb. Si vous tapiez du pied, poussiez un cri rauque ou brandissiez le poing, il d\u00e9guerpirait \u00e0 reculons comme une \u00e9crevisse, peut-\u00eatre jusqu’\u00e0 l’horizon.<\/p>\n

– O\u00f9 avez-vous trouv\u00e9 ce matamore poltron qui semble vous r\u00e9conforter ?<\/p>\n

– Non seulement il me r\u00e9conforte, mais il m’amuse et je saisirai toute occasion de le publier. Je l’ai trouv\u00e9 dans un \u00ab\u00a0Maniement d’armes\u00a0\u00bb flamand du d\u00e9but du XVII\u00e8 si\u00e8cle, aux \u00ab\u00a0Estampes\u00a0\u00bb de la Biblioth\u00e8que Nationale de Paris, \u00e0 l’\u00e9poque o\u00f9 cette institution \u00e9tait encore fr\u00e9quentable.<\/p>\n

– C’est-\u00e0-dire ?<\/p>\n

– Une \u00e9poque o\u00f9 l’on avait acc\u00e8s aux originaux, que l’on feuilletait avec l’\u00e9merveillement qui monte des grimoires ou des vieux livres \u00e0 planches et que l’on photographiait ensuite avec tout le soin et les pr\u00e9cautions qu’ils m\u00e9ritent. Ce temps est h\u00e9las r\u00e9volu. Quant \u00e0 ce fantassin qui me semble plut\u00f4t appartenir \u00e0 la redoutable infanterie espagnole form\u00e9e au XVI\u00e8 si\u00e8cle par six mille instructeurs suisses, je n’envie pas du tout son sort: on aimerait savoir quel g\u00e9ant ou quel monstre il a en face de lui pour avoir une telle frousse.<\/p>\n

– Quand l’avez-vous photographi\u00e9?<\/p>\n

– Il y a trente-cinq ans, en illustrant une \u00ab\u00a0Histoire de l’armement\u00a0\u00bb. Cette recherche m’a valu des heures enchanteresses, comme celles faites sur l’histoire de la m\u00e9decine, des voyages, de la zoologie, de la botanique. C’est dans ces domaines que les plus somptueuses images in\u00e9dites sommeillent et vous attendent comme \u00ab\u00a0belle-au-bois-dormant\u00a0\u00bb. Lorsqu’on les trouve, on fond en larmes. Tuer, gu\u00e9rir, d\u00e9couvrir, observer, classifier, sont les grandes marottes de notre esp\u00e8ce; les machines \u00e0 tuer, en particulier, sont d’une ing\u00e9niosit\u00e9 qui stup\u00e9fie.<\/p>\n

– L’amour?<\/p>\n

– Presque tous les grands peintres ont fait des \u00e9rotiques que leurs veuves ou leurs ma\u00eetresses, devenues d\u00e9votes, ont ensuite d\u00e9truites. C’est le cas de F\u00fcssli qui dessinait les corps accoupl\u00e9s avec une \u00e9l\u00e9gance et un galvanisme in\u00e9galables: seuls quatre ou cinq de ces merveilleux dessins gouach\u00e9s ont surv\u00e9cu \u00e0 l’autodaf\u00e9. Ou alors, les oeuvres qui avaient pass\u00e9 cette censure \u00e9taient remis\u00e9es \u00e0 \u00ab\u00a0L’Enfer\u00a0\u00bb des diff\u00e9rentes biblioth\u00e8ques et pratiquement inaccessibles. Cette pruderie jud\u00e9o-christiano-victorienne s’est heureusement beaucoup rel\u00e2ch\u00e9e ces derni\u00e8res d\u00e9cennies.<\/p>\n

– Donc une bonne nouvelle.<\/p>\n

– Je ne vous le fais pas dire !<\/p>\n

\u00a9 Le Temps strat\u00e9gique, No 66, Gen\u00e8ve, octobre 1995.<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":"

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