{"id":612,"date":"2015-01-06T00:43:55","date_gmt":"2015-01-05T23:43:55","guid":{"rendered":"http:\/\/www.archipress.org\/wp\/?page_id=612"},"modified":"2015-01-06T01:42:18","modified_gmt":"2015-01-06T00:42:18","slug":"un-morceau-de-nous-memes","status":"publish","type":"page","link":"https:\/\/www.archipress.org\/?page_id=612","title":{"rendered":"Un morceau de nous-m\u00eames"},"content":{"rendered":"
\u00c9DITORIALISTE INVITE: GUILLAUME CHENEVIERE<\/p>\n
<\/p>\n<\/div>\n
Cette pirouette d’Umberto Eco souligne une v\u00e9rit\u00e9: la t\u00e9l\u00e9vision a pour chacun la valeur de l’usage qu’il en fait.<\/p>\n Dimension de notre vie quotidienne, extension du syst\u00e8me nerveux des hommes ou des femmes d’aujourd’hui, elle est, que cela nous plaise ou non, un morceau de nous-m\u00eames.<\/p>\n Dans \u00ab\u00a0Memories of the Ford Administration\u00a0\u00bb, le romancier John Updike d\u00e9crit un homme \u00e0 l’agonie qui regarde avec tristesse son \u00e9quipe de base-ball favorite perdre un match en direct \u00e0 la t\u00e9l\u00e9vision. En m\u00eame temps, il entend sa femme parlementer au t\u00e9l\u00e9phone avec le fournisseur d’une nouvelle machine \u00e0 laver et se dit qu’elle se fait rouler. Il se demande s’il pourra voir un nouvel \u00e9pisode de son feuilleton pr\u00e9f\u00e9r\u00e9… M\u00eame \u00e0 l’heure de sa mort, tant de choses lui occupent la t\u00eate qu’il n’arrive pas \u00e0 penser \u00e0 lui-m\u00eame.<\/p>\n Bien entendu, la satire d’Updike ne vise pas la t\u00e9l\u00e9vision, mais la vie \u00e9miett\u00e9e, caract\u00e9ristique de notre modernit\u00e9.<\/p>\n Ce n’est pas la t\u00e9l\u00e9vision qui a invent\u00e9 le monde moderne, mais l’inverse.<\/p>\n La nostalgie sans avenir<\/strong> A dire vrai, nous nous y sommes habitu\u00e9s et nos bouff\u00e9es de nostalgie ne portent pas \u00e0 cons\u00e9quence. Mais voil\u00e0 qu’on nous annonce, \u00e0 grand renfort de trompettes, l’av\u00e8nement d’une soci\u00e9t\u00e9 de l’information qui bouleversera tout. Certains disent que ce sera pour le pire et envisagent la destruction de notre civilisation par un bombardement d’images hollywoodiennes. D’autres imaginent au contraire un \u00e2ge d’or o\u00f9 chacun renoncerait \u00e0 sa consommation molle de t\u00e9l\u00e9vision pour se brancher \u00e9nergiquement sur une nouvelle biblioth\u00e8que d’Alexandrie virtuelle.<\/p>\n La r\u00e9volution sans r\u00e9alit\u00e9<\/strong> Les satellites, la compression digitale, les autoroutes de l’information multiplieront certes l’offre t\u00e9l\u00e9visuelle, mais pour la rendre comparable \u00e0 celle d’une librairie ordinaire dans le domaine de l’\u00e9crit.<\/p>\n Les fictions hollywoodiennes ne seront gu\u00e8re plus pr\u00e9sentes qu’aujourd’hui, o\u00f9 elles ne dominent le march\u00e9 t\u00e9l\u00e9visuel qu’aux heures de moindre \u00e9coute. Il n’y a tout simplement pas assez de talents, ni \u00e0 Hollywood ni ailleurs, pour faire \u00e9clore chaque ann\u00e9e davantage de films et de s\u00e9ries susceptibles de s\u00e9duire un large public international.<\/p>\n Quantit\u00e9 de canaux sp\u00e9cialis\u00e9s verront en revanche le jour, parmi lesquels (je ne cite que des exemples r\u00e9els) une t\u00e9l\u00e9vision consacr\u00e9e aux travaux de couture et de m\u00e9nage, une autre au bricolage, une troisi\u00e8me \u00e0 l’art de la conversation, et mille autres sp\u00e9cialit\u00e9s innocentes (parfois aussi moins innocentes).<\/p>\n Les limites de l’abondance<\/strong> Dans ce nouvel environnement, non seulement la T\u00e9l\u00e9vision suisse romande (TSR) ne s’effacera pas, mais elle sera toujours la premi\u00e8re dans sa zone de chalandise, parce que la plus indispensable, \u00e0 la fois comme refuge face \u00e0 l’overdose des images et des informations venues de toutes parts, et comme lieu du d\u00e9bat politique et social de la Suisse romande.<\/p>\n L’exemple am\u00e9ricain montre le renforcement de l’ancrage r\u00e9gional des grands networks g\u00e9n\u00e9ralistes, au d\u00e9triment du menu unique des images centralis\u00e9es. La plus grande concurrence de CNN ne vient pas aujourd’hui de ses rivaux sur le plan de l’information globale, mais de l’extraordinaire d\u00e9veloppement de l’information r\u00e9gionale, notamment la couverture des grands \u00e9v\u00e9nements sous l’angle local (le d\u00e9barquement am\u00e9ricain \u00e0 Ha\u00efti vu par les \u00ab\u00a0boys from home\u00a0\u00bb). Ce n’est pas un hasard si la moiti\u00e9 de l’immense march\u00e9 de la publicit\u00e9 t\u00e9l\u00e9visuelle am\u00e9ricaine (plus de 10 milliards de dollars) est aujourd’hui un march\u00e9 r\u00e9gional en pleine expansion.<\/p>\n Un r\u00f4le politique et social grandissant<\/strong> En Suisse, nous mesurons tr\u00e8s bien cette \u00e9volution, qui donne \u00e0 la petite TSR un r\u00f4le grandissant dans le tissu social de nos concitoyens. La r\u00e9flexion comme quoi \u00ab\u00a0ne pas suivre les d\u00e9bats politiques \u00e0 la TSR est un acte d’abstentionnisme\u00a0\u00bb n’est pas une boutade. Ce serait un sujet de th\u00e8se que la relation entre l’audience de nos \u00e9missions de pr\u00e9paration aux votations et la participation des \u00e9lecteurs aux urnes. Un r\u00e9cent sondage de la revue \u00ab\u00a0Construire\u00a0\u00bb confirme en tout cas que la TSR joue le premier r\u00f4le dans la formation de l’opinion romande et b\u00e9n\u00e9ficie d’un degr\u00e9 de confiance in\u00e9gal\u00e9.<\/p>\n La n\u00e9cessit\u00e9 d’une t\u00e9l\u00e9vision proche des hommes et des femmes de ce pays se manifeste \u00e9galement dans d’autres domaines: la fiction, le sport, le divertissement, o\u00f9 l’attachement passionn\u00e9 aux paysages, aux parlers, aux mani\u00e8res d’\u00eatre, aux sensibilit\u00e9s particuli\u00e8res de nos r\u00e9gions, est d’une intensit\u00e9 croissante.<\/p>\n Le plus haut envol<\/strong> Seule \u00e0 l’oeuvre sur son tout petit march\u00e9, la TSR \u00e9chappe aux dilemmes service public vs. t\u00e9l\u00e9vision priv\u00e9e, culture vs. divertissement, pour se vouer \u00e0 une mission d’identification et m\u00eame d’incarnation nationale et r\u00e9gionale, dont rien n’annonce qu’elle cessera d’\u00eatre utile et appr\u00e9ci\u00e9e dans les ann\u00e9es \u00e0 venir, surtout dans un pays comme la Suisse, \u00e0 la crois\u00e9e des chemins…<\/p>\n Les saveurs de la vie<\/strong> On peut certes arguer que le d\u00e9veloppement des jeux vid\u00e9o empi\u00e9tera sur la consommation de t\u00e9l\u00e9vision des enfants, et que les femmes au foyer seront sollicit\u00e9es de la m\u00eame mani\u00e8re par des jeux adapt\u00e9s et par le t\u00e9l\u00e9shopping. Mais la t\u00e9l\u00e9vision de demain restera pr\u00e9pond\u00e9rante comme instrument de consommation d\u00e9tendue et conviviale, \u00e0 la fois futile et irrempla\u00e7able dans le tissu du quotidien, exprimant les saveurs diverses de notre vie elle-m\u00eame…<\/p>\n Guillaume Chenevi\u00e8re est directeur de la T\u00e9l\u00e9vision suisse romande.<\/em><\/p>\n \u00a9 Le Temps strat\u00e9gique, No 66, Gen\u00e8ve, octobre 1995.<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":" \u00c9DITORIALISTE INVITE: GUILLAUME CHENEVIERE La t\u00e9l\u00e9? Un morceau de nous-m\u00eames \u00ab\u00a0La t\u00e9l\u00e9vision abrutit les gens cultiv\u00e9s et cultive ceux qui m\u00e8nent une vie abrutissante.\u00a0\u00bb Cette pirouette d’Umberto Eco souligne une v\u00e9rit\u00e9: la t\u00e9l\u00e9vision a pour chacun la valeur de l’usage qu’il en fait. Dimension de notre vie quotidienne, extension \u2026 Lire plus \/ Read more<\/a><\/p>\n","protected":false},"author":1,"featured_media":0,"parent":596,"menu_order":0,"comment_status":"closed","ping_status":"closed","template":"","meta":{"ngg_post_thumbnail":0,"footnotes":""},"class_list":["post-612","page","type-page","status-publish","hentry"],"_links":{"self":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/612","targetHints":{"allow":["GET"]}}],"collection":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages"}],"about":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/types\/page"}],"author":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/users\/1"}],"replies":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=%2Fwp%2Fv2%2Fcomments&post=612"}],"version-history":[{"count":2,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/612\/revisions"}],"predecessor-version":[{"id":640,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/612\/revisions\/640"}],"up":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/596"}],"wp:attachment":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=%2Fwp%2Fv2%2Fmedia&parent=612"}],"curies":[{"name":"wp","href":"https:\/\/api.w.org\/{rel}","templated":true}]}}\u00ab\u00a0La t\u00e9l\u00e9vision abrutit les gens cultiv\u00e9s et cultive ceux qui m\u00e8nent une vie abrutissante.\u00a0\u00bb<\/em><\/p>\n
\nIl faut donc vivre avec la t\u00e9l\u00e9vision, comme il faut vivre ici et maintenant, et non pas dans l’Angleterre de Jane Austen ou dans la Provence d’Alphonse Daudet.<\/p>\n
\nSans nier la rapidit\u00e9 de l’\u00e9volution technologique, je pense qu’il n’y aura pas de r\u00e9volution dans le comportement majoritaire de nos concitoyens.<\/p>\n
\nDevant cette abondance, chacun fera des choix selon ses affinit\u00e9s et, comme c’est aujourd’hui le cas dans le domaine de l’\u00e9crit, la profusion des publications sp\u00e9cialis\u00e9es n’emp\u00eachera nullement la place pr\u00e9pond\u00e9rante d\u00e9volue, dans le temps de lecture moyen, aux journaux g\u00e9n\u00e9ralistes et aux livres \u00e0 grand tirage. En ce qui concerne la t\u00e9l\u00e9vision, les chercheurs am\u00e9ricains et europ\u00e9ens s’accordent sur une fourchette de quatre \u00e0 sept comme le maximum absolu de cha\u00eenes de t\u00e9l\u00e9vision que le grand public est susceptible de suivre, quelle que soit la palette de l’offre.<\/p>\n
\nSelon Dominique Wolton, dans \u00ab\u00a0l’Italie, la t\u00e9l\u00e9vision et l’Europe\u00a0\u00bb, \u00ab\u00a0les transformations sociales et culturelles, en d\u00e9truisant les autres situations de communication, ont fait en un demi si\u00e8cle de la t\u00e9l\u00e9vision le seul lien entre les personnes. (…) On touche ici \u00e0 l’essentiel de ce que les \u00e9lites ne veulent pas voir: la place essentielle de la t\u00e9l\u00e9vision dans l’anthropologie contemporaine.\u00a0\u00bb<\/p>\n
\nLa t\u00e2che modeste, mais exaltante, de la TSR est de renvoyer \u00e0 la Suisse romande et \u00e0 ses habitants une image d’eux-m\u00eames sans servilit\u00e9, en s’effor\u00e7ant de nouer de vrais dialogues, de susciter l’interrogation et la critique, de \u00ab\u00a0nous emmener plus haut\u00a0\u00bb, selon la jolie formule d’un groupe de t\u00e9l\u00e9spectateurs analys\u00e9s par des psychologues sp\u00e9cialistes de la recherche qualitative sur l’audience.<\/p>\n
\nSi j’ai volontairement n\u00e9glig\u00e9 le multim\u00e9dia, l’interactivit\u00e9, les ordinateurs prot\u00e9iformes, etc., c’est que ce sont \u00e0 mes yeux des secteurs d’activit\u00e9 d’une autre nature, qui se d\u00e9veloppent sur les terrains de la lecture, de l’\u00e9criture, du commerce, etc. Leur \u00e9volution est passionnante, mais ne concurrence pas s\u00e9rieusement la t\u00e9l\u00e9vision.<\/p>\n