{"id":600,"date":"2015-01-06T00:12:25","date_gmt":"2015-01-05T23:12:25","guid":{"rendered":"http:\/\/www.archipress.org\/wp\/?page_id=600"},"modified":"2015-01-06T01:21:47","modified_gmt":"2015-01-06T00:21:47","slug":"grande-enquete","status":"publish","type":"page","link":"https:\/\/www.archipress.org\/?page_id=600","title":{"rendered":"Grande enqu\u00eate"},"content":{"rendered":"
<\/p>\n
Michael Tracey,<\/em> sp\u00e9cialiste de la t\u00e9l\u00e9vision, a \u00e9crit de nombreux rapports \u00e0 l’intention des professionnels de la communication. Il publiera prochainement The Ceremony of Innocence: Public Broadcasting and the Modern World<\/em> (New York, Sage).<\/p>\n Les t\u00e9l\u00e9visions de service public connaissent aujourd’hui, partout dans le monde, de grands malheurs. Faut-il en d\u00e9duire qu’elles sont condamn\u00e9es, au profit absolu des t\u00e9l\u00e9visions priv\u00e9es \u00e0 but commercial? Ou leur actuel d\u00e9clin annonce-t-il au contraire une renaissance triomphale?<\/p>\n Au terme de ce parcours du combattant, nous avons but\u00e9 sur deux questions centrales: comment faire une t\u00e9l\u00e9vision publique \u00ab\u00a0nationale\u00a0\u00bb si, comme certains signes l’annoncent, l’Etat-nation doit dispara\u00eetre? Et, en fin de compte, quel type de soci\u00e9t\u00e9 voulons-nous pour l’avenir? Ce ne sont pas l\u00e0 des questions abstraites. Notre enqu\u00eate nous a montr\u00e9 que dans les nouvelles d\u00e9mocraties d’Europe centrale, comme la Pologne, la Hongrie ou la Tch\u00e9coslovaquie, le corps politique ne sait trop quel statut donner \u00e0 ses t\u00e9l\u00e9visions nationales. Un statut \u00ab\u00a0public\u00a0\u00bb? Apr\u00e8s un demi-si\u00e8cle de communisme, cela sonne trop \u00e9tatique, d’autant que l’Europe centrale n’a jamais connu de t\u00e9l\u00e9vision \u00e0 la fois publique et ind\u00e9pendante, et imagine donc mal ce qu’elle pourrait \u00eatre, et qu’elle est sensible, par ailleurs, au chant suave des \u00ab\u00a0sir\u00e8nes du march\u00e9\u00a0\u00bb.<\/p>\n Mais enfin, prenons notre b\u00e2ton de p\u00e8lerins, et marchons.<\/p>\n Sur notre chemin, d’embl\u00e9e, un exemple embl\u00e9matique, celui de la BBC, t\u00e9l\u00e9vision de service public jadis prestigieuse, financ\u00e9e par les redevances des t\u00e9l\u00e9spectateurs.<\/p>\n D\u00e8s la fin des ann\u00e9es 1980, un vocabulaire nouveau envahit les \u00e9tages de BBC Television: \u00ab\u00a0coproductions\u00a0\u00bb, \u00ab\u00a0cofinancements\u00a0\u00bb, \u00ab\u00a0parrainages\u00a0\u00bb, \u00ab\u00a0ventes \u00e0 l’\u00e9tranger\u00a0\u00bb – seul manque \u00e0 ce lexique du parfait commer\u00e7ant le mot \u00ab\u00a0publicit\u00e9\u00a0\u00bb, laquelle est interdite \u00e0 la BBC. Fallait-il voir l\u00e0 des m\u00e9thodes innocentes pour mettre un peu de beurre sur les \u00e9pinards de la BBC, ou, au contraire, les premiers signes d’un hiver mortel pour le service public?<\/p>\n En f\u00e9vrier 1990, la BBC annon\u00e7ait qu’elle avait conclu un accord, le premier du genre, avec la Banque Lloyd, qui acceptait de parrainer l’\u00e9mission \u00ab\u00a0Le Jeune Musicien de l’Ann\u00e9e\u00a0\u00bb \u00e0 hauteur de 1.3 millions de livres sterling. En juillet de la m\u00eame ann\u00e9e, David Waddington, alors ministre de l’Int\u00e9rieur, avertit la BBC qu’elle devrait ma\u00eetriser mieux ses co\u00fbts et se d\u00e9brouiller pour compl\u00e9ter ses revenus, produits de la redevance, laissant entendre que la redevance pourrait ne plus \u00eatre index\u00e9 au co\u00fbt de la vie, en d’autres termes, que les ressources publiques de la BBC pourraient d\u00e9cliner en valeur r\u00e9elle. Le ministre fit remarquer de surcro\u00eet, histoire d’enfoncer le clou, qu’au cours des trois ann\u00e9es pr\u00e9c\u00e9dentes les t\u00e9l\u00e9visions priv\u00e9es britanniques avaient r\u00e9ussi \u00e0 r\u00e9duire leur personnel de 15 % , alors que la BBC, en r\u00e9duisant le sien de 30’000 \u00e0 27’000 personnes, n’avait \u00ab\u00a0fait\u00a0\u00bb que du 10 %.<\/p>\n C’est que le Conseil des Gouverneurs de la BBC, d\u00e9cid\u00e9 depuis belle lurette \u00e0 lui faire subir une cure d’amaigrissement, \u00e9tait tomb\u00e9 sur un bec. Il avait nomm\u00e9 en 1987, comme directeur-g\u00e9n\u00e9ral, un comptable, Michael Checkland, dans l’espoir que celui-ci introduirait dans la maison une rigueur financi\u00e8re accrue, raboterait les d\u00e9penses, serrerait les contr\u00f4les, r\u00e9duirait le personnel. Or Checkland, une fois en place, avait refus\u00e9 d’agir avec la brutalit\u00e9 que l’on attendait de lui, par crainte de mettre trop \u00e0 mal \u00ab\u00a0la capacit\u00e9 de cr\u00e9ation\u00a0\u00bb de la BBC. Le Conseil crut d\u00e9couvrir alors chez John Birt, adjoint de Checkland et homme de programme, un papable plus \u00ab\u00a0r\u00e9aliste\u00a0\u00bb, plus \u00ab\u00a0pragmatique\u00a0\u00bb, c’est-\u00e0-dire plus dispos\u00e9 que son chef \u00e0 manier la hache. Entre-temps, les taux d’audience de BBC Television s’\u00e9taient mis \u00e0 chuter. En novembre 1991, les t\u00e9l\u00e9visions commerciales cartonnaient \u00e0 43 %, alors que la BBC ne faisait plus que 32.9%. Le Conseil des Gouverneurs annon\u00e7a donc que Michael Checkland serait remplac\u00e9 par John Birt au terme de son contrat, dix-huit mois plus tard.<\/p>\n La presse britannique laissa entendre aussit\u00f4t que la situation financi\u00e8re de la BBC la contraindrait \u00e0 licencier 8000 collaborateurs suppl\u00e9mentaires, \u00e0 fermer plusieurs studios et \u00e0 privatiser plusieurs de ses activit\u00e9s. Des pr\u00e9dictions que l’avenir r\u00e9v\u00e9la exactes.<\/p>\n Cela dit, l’histoire de BBC Television, pour embl\u00e9matique qu’elle soit, n’a d’int\u00e9r\u00eat que confront\u00e9e au paysage boulevers\u00e9 de notre \u00e9poque. La \u00ab\u00a0communication\u00a0\u00bb n’est pas une chose abstraite, que l’on peut isoler de son contexte social.<\/p>\n Or l’\u00e2ge postindustriel dans lequel nous sommes para\u00eet-il entr\u00e9s ressemble curieusement aux d\u00e9buts de l’\u00e2ge capitaliste. Les Murdoch, Berlusconi et Malone n’ont pas invent\u00e9 la poudre. Comme jadis les Carnegie, Mellon et Ford, ils parlent de march\u00e9, pas de soci\u00e9t\u00e9; de consommateurs, pas de citoyens; de d\u00e9sirs, pas de besoins; de quantit\u00e9, pas de qualit\u00e9; de prix, pas de valeur; de plan\u00e8te, pas de nation. Leur discours est si dominant, \u00e0 l’heure actuelle, qu’on le trouve m\u00eame dans la bouche des responsables de t\u00e9l\u00e9visions publiques, o\u00f9 il devrait \u00eatre aussi obsc\u00e8ne que \u00ab\u00a0merde\u00a0\u00bb dans la bouche d’une nonne.<\/p>\n Rappelons le contexte politique, social, culturel et \u00e9conomique de cette fin de 20e si\u00e8cle.<\/p>\n A la fin de la Deuxi\u00e8me Guerre mondiale, les soci\u00e9t\u00e9s occidentales industrialis\u00e9es ont \u00e9tabli un ordre fond\u00e9 sur des notions telles que le plein-emploi, la stabilit\u00e9 des monnaies, la croissance perp\u00e9tuelle, la coh\u00e9rence de l’Etat-nation, la stabilit\u00e9 internationale par la crainte d’une guerre atomique, la s\u00e9curit\u00e9 sociale \u00e9tatique pour tous. Cet ordre supposait un consensus sur la nature de la communaut\u00e9 national et sur la n\u00e9cessaire solidarit\u00e9 de ses membres.<\/p>\n Les syndicats, en exigeant le partage des fruits du capitalisme, ont contribu\u00e9 de fa\u00e7on importante \u00e0 l’\u00e9laboration de cette \u00e9thique collective. Les partis conservateurs aussi, en acceptant, de mani\u00e8re b\u00e9nignement paternaliste, de s’entendre avec les partis sociaux-d\u00e9mocrates, b\u00e9nignement r\u00e9formistes: la fin des id\u00e9ologies a \u00e9t\u00e9 \u00e0 l’ordre du jour longtemps avant que ne f\u00fbt proclam\u00e9e \u00ab\u00a0la fin de l’Histoire\u00a0\u00bb.<\/p>\n Les \u00ab\u00a0communicateurs\u00a0\u00bb, dans quoi j’inclus les t\u00e9l\u00e9visions et les radios de service public, porte-parole efficaces et indiscut\u00e9s de cet ordre consensuel, pay\u00e9s sur les deniers de la collectivit\u00e9, les t\u00e9l\u00e9visions et les radios commerciales, les journaux et les magazines, les compagnies t\u00e9l\u00e9phoniques enfin, ont trouv\u00e9, dans cet ordre douillet, une niche \u00e0 leur go\u00fbt.<\/p>\n Cet ordre fut cependant alt\u00e9r\u00e9, d\u00e8s les ann\u00e9es 1970, par des tensions nouvelles, parmi lesquelles la stagflation, les crises p\u00e9troli\u00e8res, le sous-investissement, la concurrence du tiers monde, l’avidit\u00e9 d’une classe ouvri\u00e8re s’\u00e9tant d\u00e9couvert des go\u00fbts de luxe, et le monde \u00e9conomique en vint \u00e0 chercher de nouveaux moyens d’assurer sa prosp\u00e9rit\u00e9, f\u00fbt-ce au risque de d\u00e9manteler certaines institutions-cl\u00e9s, mises en place au lendemain de la guerre.<\/p>\n son Premier ministre, apr\u00e8s leur effondrement conjoint de 1974. Des \u00ab\u00a0gifles\u00a0\u00bb qui provoqu\u00e8rent chez beaucoup de gens de droite, haut plac\u00e9s et bien financ\u00e9s, la froide d\u00e9termination de corriger ces \u00ab\u00a0d\u00e9rapages\u00a0\u00bb de l’Histoire. Ainsi sont n\u00e9s les mouvements reaganien et thatch\u00e9rien, dont les partisans arguaient, en se fondant sur les travaux de S’est surajout\u00e9 \u00e0 ces changements structurels le d\u00e9sir de vengeance d’une droite politique humili\u00e9e. Il est difficile de dater les \u00ab\u00a0tournants\u00a0\u00bb qui se produisent dans l’histoire des mentalit\u00e9s. En l’esp\u00e8ce, deux moments me paraissent pourtant s’imposer: l’humiliation de l’ultra-conservateur Barry Goldwater apr\u00e8s qu’il eut \u00e9t\u00e9 battu aux pr\u00e9sidentielles am\u00e9ricaines de 1964 par le \u00ab\u00a0progressiste\u00a0\u00bb Lyndon B. Johnson, et l’humiliation du Parti Conservateur britannique, et d’Edward HeathMilton Friedman et de ses Walkyries de l’\u00c9cole de Chicago, que la crise \u00e9conomique et sociale des ann\u00e9es 1970 ne tenait nullement aux contradictions structurelles du capitalisme, mais au virus du collectivisme et de l’\u00e9tatisme, l\u00e2ch\u00e9s dans la nature depuis la fin de la guerre, qui avait fini par tuer le potentiel cr\u00e9atif tant des individus que du \u00ab\u00a0march\u00e9\u00a0\u00bb.<\/p>\n Ces n\u00e9o-conservateurs estimaient que rien, dans l’ordre d’apr\u00e8s-guerre, ne m\u00e9ritait de rester intact. Et que si les choses ne changeaient pas d’elles-m\u00eames, il fallait les dynamiter politiquement, en sabotant des carri\u00e8res professionnelles, en bouleversant les organisations, en privil\u00e9giant le commercial, en soutenant les r\u00e9gimes \u00e9trangers accommodants, fussent-ils n\u00e9o-fascistes ou autoritaires, en d\u00e9molissant les syndicats, en multipliant enfin, dans une esp\u00e8ce de formidable in vitro social, une nouvelle race de bureaucrates maniaques de l’\u00e9conomie. Et qu’une fois ces constructions intellectuelles install\u00e9es, puis sanctifi\u00e9es par l’\u00e9lection de gouvernements de droite, il suffirait, pour achever la contre-r\u00e9volution, d’\u00e9riger en valeurs primordiales les besoins des individus-consommateurs et des entreprises.<\/p>\n C’est ce qui advint.<\/p>\n Disparurent alors, sous les d\u00e9combres de l’ordre ancien, des concepts aussi enracin\u00e9s que le bien public, l’int\u00e9r\u00eat collectif, la communaut\u00e9, la culture g\u00e9n\u00e9rale, la citoyennet\u00e9, la n\u00e9cessit\u00e9 de gouverner. L’id\u00e9e m\u00eame d’Etat-nation commen\u00e7a \u00e0 \u00eatre contest\u00e9e. Il est vrai que les grandes entreprises commen\u00e7aient \u00e0 se trouver \u00e0 l’\u00e9troit sur leurs march\u00e9s nationaux. Elles entonn\u00e8rent donc, avec une belle ferveur, des hymnes au \u00ab\u00a0march\u00e9 mondial\u00a0\u00bb et \u00e0 la \u00ab\u00a0mondialisation\u00a0\u00bb. Or il se trouve que, technologies nouvelles aidant, rien ne se pr\u00eate mieux \u00e0 la \u00ab\u00a0mondialisation\u00a0\u00bb et au marketing que la communication…<\/p>\n Le Culte du March\u00e9 conduisit en outre \u00e0 ce que George Ritzer appelle la \u00ab\u00a0macdonaldisation\u00a0\u00bb de la soci\u00e9t\u00e9. De plus en plus d’institutions adopt\u00e8rent en effet les valeurs du g\u00e9ant du fast-food: l’efficacit\u00e9, la vitesse d’ex\u00e9cution, le mise \u00e0 disposition de biens et de services donnant au consommateur le sentiment qu’il \u00ab\u00a0en a pour son argent\u00a0\u00bb, la pr\u00e9visibilit\u00e9, le contr\u00f4le \u00e9troit des processus, le remplacement des hommes par les machines.<\/p>\n Max Weber avait pr\u00e9dit au 19\u00e8 si\u00e8cle d\u00e9j\u00e0 que notre qu\u00eate de rationalit\u00e9 – nous dirions aujourd’hui notre qu\u00eate de mondialisation et d’efficacit\u00e9 \u00e0 tout prix – finirait par enfermer les affaires humaines dans une \u00ab\u00a0cage de fer\u00a0\u00bb bureaucratique. Il n’y a \u00e9videmment aucun mal \u00e0 devenir plus efficace, surtout si l’on d\u00e9pense un argent public devenu rare. Le danger, et je mesure le poids de ce mot, est que la qu\u00eate d’efficacit\u00e9 tend, l’exp\u00e9rience le montre, \u00e0 devenir une fin en soi, et l’on finit par r\u00e9organiser non pour atteindre un objectif d’excellence, mais pour r\u00e9organiser.<\/p>\n Dans le m\u00eame temps se produisit un formidable r\u00e9tr\u00e9cissement du domaine public, ph\u00e9nom\u00e8ne dont la communication moderne, parce qu’elle est profond\u00e9ment individualisante, destructrice du sens de ce qui est public, est largement responsable.<\/p>\n Lloyd Morrisett, pr\u00e9sident de la Fondation Markle, qui finance de nombreux projets li\u00e9s au media, inquiet de ce que 50 % seulement des \u00e9lecteurs aient pris la peine de voter lors des \u00e9lections pr\u00e9sidentielles de 1988, avait d\u00e9cid\u00e9 de lancer une \u00e9tude sur la couverture de cette consultation par la t\u00e9l\u00e9vision. Ce qui m’int\u00e9resse ici, c’est moins l’\u00e9tude elle-m\u00eame que la raison invoqu\u00e9e par Morrisett pour l’organiser: sa nostalgie d’une Am\u00e9rique disparue, innocente et communautaire, qu’il esp\u00e9rait faire revivre gr\u00e2ce \u00e0 la t\u00e9l\u00e9vision. Pour illustrer son projet, il racontait ainsi les visites qu’enfant il faisait \u00e0 sa cousine Mary Ellen. (Imaginez-le lisant ces lignes avec la voix d’un homme m\u00fbr, cependant que des images \u00e0 la Norman Rockwell, le c\u00e9l\u00e8bre peintre de \u00ab\u00a0l’Am\u00e9rique profonde\u00a0\u00bb, d\u00e9filent dans sa t\u00eate.)<\/p>\n \u00ab\u00a0Les soirs d’\u00e9t\u00e9, lorsqu’il faisait doux, nous allions souvent \u00e0 pied jusqu’au magasin de glaces de Main Street [la Grand-Rue]. C’\u00e9tait un endroit o\u00f9 l’on aimait voir et \u00eatre vu, et j’\u00e9tais heureux de baigner dans l’admiration que ma cousine provoquait chez les autres gar\u00e7ons. (…) Durant la journ\u00e9e, Main Street \u00e9tait le cur des affaires; le soir, le centre de la vie sociale. Enfant, j’\u00e9tais fascin\u00e9 seulement par le charme de ma cousine, le go\u00fbt des laits frapp\u00e9s, et le sentiment de possibles aventures. Mais aujourd’hui, avec le passage des ann\u00e9es, je me rends compte \u00e0 quel point Main Street \u00e9tait importante pour tous ceux qui vivaient \u00e0 Jerseyville, Illinois. Elle r\u00e9unissait les habitants de la bourgade; lorsqu’ils venaient faire du l\u00e8che-vitrines, prendre livraison de leurs achats, ou d\u00e9poser des v\u00eatements chez le teinturier, ils s’arr\u00eataient et faisaient un brin de causette.(…) Mainstreet contribuait puissamment \u00e0 forger un sentiment de communaut\u00e9.\u00a0\u00bb<\/p>\n Quelqu’un faisait observer r\u00e9cemment que si Norman Rockwell vivait encore, il se pr\u00e9senterait en disant: \u00ab\u00a0Salut! Je suis Norman. Je peins des mensonges.\u00a0\u00bb Mais qu’importe. Les souvenirs m\u00e9lancoliques de Morrisett ont une valeur all\u00e9gorique \u00e9vidente.<\/p>\n Comme il le dit d’ailleurs lui-m\u00eame, le r\u00f4le rassembleur de Mainstreet a commenc\u00e9 \u00e0 d\u00e9cliner d\u00e8s la fin de la Deuxi\u00e8me guerre mondiale et, \u00ab\u00a0bien que souvent pleur\u00e9, il semble impossible \u00e0 recr\u00e9er\u00a0\u00bb. Il aurait pu dire: \u00ab\u00a0impossible \u00e0 recr\u00e9er au sens physique du terme\u00a0\u00bb. Morrisett \u00e9tant en effet convaincu que les gens continuent \u00e0 \u00e9prouver le besoin d’une communaut\u00e9, mais qu’aujourd’hui, au lieu de le concr\u00e9tiser autour des pav\u00e9s de Mainstreet, ils le concr\u00e9tisent virtuellement: \u00ab\u00a0La t\u00e9l\u00e9vision, \u00e9crit-il, est devenue la Mainstreet de l’Am\u00e9rique [moderne]\u00a0\u00bb. Pour preuve, il cite les audiences \u00e9normes que la t\u00e9l\u00e9vision am\u00e9ricaine r\u00e9unit lors des finales de baseball, ou qu’elle a r\u00e9uni lors des fun\u00e9railles de Kennedy, du couronnement d’Elizabeth, de la trag\u00e9die de Challenger, de la premi\u00e8re nuit de la Guerre du Golfe.<\/p>\n Vivre au m\u00eame moment la m\u00eame exp\u00e9rience. Se sentir unis. Exister plus fort. Ce sont l\u00e0, en effet, des indices qui sugg\u00e8rent la r\u00e9alit\u00e9 d’une communaut\u00e9. J’ai des doutes cependant. Consid\u00e9rez les fun\u00e9railles de Kennedy, qui furent, si l’on en croit l’\u00e9crivain Norman Mailer, \u00ab\u00a0l’un de ces moments de l’Histoire o\u00f9 nous nous retrouvons ensemble dans le m\u00eame lieu de douleur\u00a0\u00bb. Il est, je crois, une caract\u00e9ristique universelle: lorsqu’un convoi fun\u00e9raire passe dans la rue, nous le regardons passer, ou nous arr\u00eatons, en douloureux silence. Par compassion sans doute, mais surtout parce qu’il nous rappelle que nous aussi mourrons un jour. Cet instant de recueillement, loin de nous relier \u00e0 la communaut\u00e9, nous conduit \u00e0 penser \u00e0 nous-m\u00eames. Le monde moderne et ses nouvelles technologies de communication nous inclinent semblablement \u00e0 penser \u00e0 nous-m\u00eame et \u00e0 notre vie priv\u00e9e. Ils ne laissent gu\u00e8re de place \u00e0 la culture publique et au sens de \u00ab\u00a0l’autre\u00a0\u00bb.<\/p>\n Le domaine public est le lieu o\u00f9 l’on prend plaisir \u00e0 rencontrer des inconnus. La famille, elle, est le lieu o\u00f9 l’on se console des d\u00e9ceptions que ces inconnus nous infligent. Or la famille a \u00e9t\u00e9 exil\u00e9e au 20\u00e8 si\u00e8cle dans les banlieues et les HLM, d\u00e9centralis\u00e9e, dispers\u00e9e. Depuis cet exil, elle est desservie par un r\u00e9seau technologique de lignes \u00e9lectriques, de canalisations, de t\u00e9l\u00e9phones, de routes, elle est amus\u00e9e et inform\u00e9e par une t\u00e9l\u00e9vision centr\u00e9e par d\u00e9finition sur l’habitat individuel. Nous avons r\u00e9alis\u00e9 cette dispersion avec une efficacit\u00e9 technique redoutable. Mais plus nous avons \u00e9t\u00e9 efficaces et plus nous avons d\u00e9truit la possibilit\u00e9 m\u00eame d’une vie communautaire et d’une culture publique. Elmer Johnson \u00e9crit en conclusion de son essai remarquable sur la place de la voiture dans la soci\u00e9t\u00e9 am\u00e9ricaine: \u00ab\u00a0L’empi\u00e9tement du march\u00e9 sur nos vies tend \u00e0 nous rendre insensible \u00e0 l’int\u00e9r\u00eat g\u00e9n\u00e9ral, ce complexe de biens communs qui s’\u00e9tend au-del\u00e0 de nos \u00e2mes priv\u00e9es, au-del\u00e0 de nos \u00e2mes utilitaristes.\u00a0\u00bb<\/p>\n Les nouvelles technologies de communication aggravent encore ce tableau. Un ing\u00e9nieur m’expliquait il y a peu le syst\u00e8me de communication interactif qu’il d\u00e9veloppait quelque part en Californie: \u00ab\u00a0Le signal vid\u00e9o d’une cam\u00e9ra situ\u00e9e dans la maison A, s’enthousiasmait-il, peut \u00eatre envoy\u00e9 sur l’\u00e9cran d’un poste de t\u00e9l\u00e9vision situ\u00e9e dans une maison B, ce qui permet aux gens de disposer de leur propre vid\u00e9ophone. Gr\u00e2ce \u00e0 ce dispositif, la grand-m\u00e8re habitant \u00e0 un bout de la ville pourra regarder la f\u00eate d’anniversaire de son petit-fils, organis\u00e9e \u00e0 l’autre bout…\u00a0\u00bb J’eus envie de hurler: \u00ab\u00a0Mais pourquoi la grand-m\u00e8re n’a-t-elle pas \u00e9t\u00e9 invit\u00e9e?\u00a0\u00bb Il en va de m\u00eame avec l’usage que certains snobinards font d’Internet, avec ses communaut\u00e9s virtuelles, ses relations virtuelles, sa sexualit\u00e9 virtuelle, situ\u00e9es dans le monde suppos\u00e9ment merveilleux du cyberespace [on lira \u00e0 ce propos, dans \u00ab\u00a0Le Temps strat\u00e9gique\u00a0\u00bb No 63, d’avril 1995, \u00ab\u00a0Nous allons tous pouvoir nous shooter au virtuel…\u00a0\u00bb par Philippe Qu\u00e9au]. En nous retirant ainsi dans le royaume de notre domicile priv\u00e9 et de notre psych\u00e9 individuelle, nous construisons un avenir dans lequel la technologie, loin de nous lib\u00e9rer, d\u00e9socialisera notre vie et nous emp\u00eachera d’exprimer notre humanit\u00e9.<\/p>\n On peut r\u00e9sumer de la mani\u00e8re suivante le paysage g\u00e9opolitique de cette fin de si\u00e8cle: lib\u00e9ralisation \u00e9conomique, mondialisation, rationalisation, d\u00e9clin du domaine public, d\u00e9sint\u00e9gration sociale, d\u00e9shumanisation des relations humaines. Quels effets aura ce paysage sur le devenir de la communication en g\u00e9n\u00e9ral, des t\u00e9l\u00e9visions de service public en particulier?<\/p>\n La communication en g\u00e9n\u00e9ral.<\/em> On ne peut \u00e0 ce propos \u00e9viter de faire r\u00e9f\u00e9rence au projet d'\u00a0\u00bbautoroutes de la communication\u00a0\u00bb, popularis\u00e9 par Al Gore, vice-pr\u00e9sident des \u00c9tats-Unis. Comme il l’expliquait \u00e0 Buenos Aires en mars 1994: \u00ab\u00a0Nous disposons d\u00e9sormais de moyens technologiques et \u00e9conomiques qui nous permettent de rassembler toutes les communaut\u00e9s du monde. Nous pouvons cr\u00e9er un r\u00e9seau d’information plan\u00e9taire capable de transmettre des messages et des images de la plus grande ville au plus petit village de chaque continent. Le pr\u00e9sident des \u00c9tats-Unis et moi m\u00eame sommes convaincus que la cr\u00e9ation de ce r\u00e9seau de r\u00e9seaux est la pr\u00e9condition essentielle \u00e0 un d\u00e9veloppement durable qui b\u00e9n\u00e9ficie \u00e0 tous les membres de la famille humaine. (…) Ce r\u00e9seau nous permettra de partager de l’information, de nous relier entre nous, d’\u00eatre enfin une communaut\u00e9 plan\u00e9taire. Ces liens nous permettront de d\u00e9velopper (…) des d\u00e9mocraties fortes (…), nous aideront \u00e0 \u00e9duquer nos enfants, nous permettront d’\u00e9changer des id\u00e9es \u00e0 l’int\u00e9rieur d’une m\u00eame communaut\u00e9 et entre nations. Ils permettront aux familles et aux amis de transcender les barri\u00e8res du temps et de l’espace. Ils permettront l’existence d’un march\u00e9 plan\u00e9taire de l’information, o\u00f9 le consommateur pourra acheter et vendre ses produits. (…) Je vois venir un nouvel Age Ath\u00e9nien de la d\u00e9mocratie…\u00a0\u00bb<\/p>\n A premi\u00e8re vue, bravo. Qui pourrait \u00eatre contre davantage de d\u00e9mocratie, davantage de richesses pour tous, contre une harmonie plan\u00e9taire, contre un sens accru de notre appartenance \u00e0 la \u00ab\u00a0famille humaine\u00a0\u00bb? Je crains cependant qu’Al Gore, en liant le d\u00e9veloppement des autoroutes de l’information aux besoins des consommateurs et du march\u00e9, pr\u00e9pare, pour l’an 2000, quelque chose qui ressemblera plus \u00e0 la galerie marchande d’Ath\u00e8nes (G\u00e9orgie, \u00c9tats-Unis) qu’au forum qui existait il y a vingt si\u00e8cles \u00e0 Ath\u00e8nes (Gr\u00e8ce). Ray Smith, PDG de Bell Atlantic, dont la tentative avort\u00e9e de fusion avec Telecommunications Inc. avait fait r\u00eaver beaucoup de monde \u00e0 la prompte concr\u00e9tisation des \u00ab\u00a0autoroutes de l’information\u00a0\u00bb, n’indiquait-il pas, en d\u00e9cembre 1993, que quatre \u00ab\u00a0applications imparables\u00a0\u00bb (four killer applications)<\/em> allaient permettre de trouver les milliards de dollars n\u00e9cessaires au financement du projet: les films \u00e0 la demande, le t\u00e9l\u00e9-achat, les jeux vid\u00e9os \u00e0 la demande, et la publicit\u00e9 permettant le t\u00e9l\u00e9-achat imm\u00e9diat? \u00ab\u00a0Les fruits sont m\u00fbrs\u00a0\u00bb, assurait-il (plums are ripe to be picked).<\/em><\/p>\n Dans le r\u00e9seau de r\u00e9seaux annonc\u00e9 par Al Gore il y a donc deux mod\u00e8les possibles: Internet, qui permet l’\u00e9change d’information, et \u00ab\u00a0les autoroutes\u00a0\u00bb, qui ne livrent que du plaisir. D’un c\u00f4t\u00e9 le forum civique, de l’autre le cirque.<\/p>\n Abordons maintenant, il est temps, la t\u00e9l\u00e9vision.<\/em><\/p>\n Le paysage g\u00e9opolitique de cette fin de si\u00e8cle a sur elle deux types de cons\u00e9quences. Il favorise en premier lieu l’av\u00e8nement du \u00ab\u00a0multi-cha\u00eenes\u00a0\u00bb, un bombardement de mati\u00e8re t\u00e9l\u00e9vis\u00e9e qui tend \u00e0 son tour, ce n’est pas un mince paradoxe, \u00e0 d\u00e9sinstitutionnaliser la t\u00e9l\u00e9vision… Je m’explique.<\/p>\n A l’origine, la t\u00e9l\u00e9vision, publique notamment, concentr\u00e9e dans les mains de l’establishment politique, social et culturel, entretenait avec ses t\u00e9l\u00e9spectateurs un dialogue rationnel et de bon go\u00fbt. Cela non \u00e0 cause de sa vertu, mais parce qu’en ce temps-l\u00e0, elle ne disposait que de tr\u00e8s peu de longueurs d’onde pour \u00e9mettre. La p\u00e9nurie obligeait chacun \u00e0 se restreindre, \u00e0 mesurer ses propos.<\/p>\n Puis soudain, l’entreprise Home Box Office eut, au milieu des ann\u00e9es 1970, l’id\u00e9e de diffuser des signaux de t\u00e9l\u00e9vision par satellite. La p\u00e9nurie technologique fut remplac\u00e9e par une abondance presque illimit\u00e9e. Certains proclam\u00e8rent aussit\u00f4t: \u00ab\u00a0Pourquoi continuer \u00e0 biberonner t\u00e9l\u00e9visuellement les gens? La technologie leur donne d\u00e9sormais les moyens de choisir eux-m\u00eames ce qu’ils ont envie de voir sur leur petit \u00e9cran. Ils peuvent enfin affirmer leur souverainet\u00e9. La m\u00eame chose s’est-elle pas produite pour l’\u00e9crit, qui a explos\u00e9 avec l’apparition des technologies modernes d’impression?\u00a0\u00bb<\/p>\n La t\u00e9l\u00e9vision multi-cha\u00eenes va, \u00e0 mon sens, contribuer \u00e0 d\u00e9molir plus encore le sens de ce qui est public, sans lesquels, faut-il le r\u00e9p\u00e9ter, il ne peut y avoir de service public. Mais soyons honn\u00eates: cette d\u00e9molition n’est possible que parce que vous et moi, t\u00e9l\u00e9spectateurs, acceptons d’en \u00eatre les complices.<\/p>\n L’actuelle situation g\u00e9opolitique de cette fin de si\u00e8cle met par ailleurs l’id\u00e9e m\u00eame de culture publique au d\u00e9fi, puisque dans une soci\u00e9t\u00e9 domin\u00e9e par l’id\u00e9ologie de march\u00e9, ce qui compte ce ne sont pas les r\u00e9flexions et les d\u00e9cisions qui viennent d’en haut, mais les myriade de d\u00e9cisions individuelles qui surgissent d’en bas. Avant que ne se d\u00e9veloppe ce Culte du March\u00e9, l’establishment politique estimait avoir le droit et le devoir d’intervenir dans le fonctionnement de la t\u00e9l\u00e9vision, par le biais d’institutions publiques, afin de garantir la vari\u00e9t\u00e9, la profondeur et la qualit\u00e9 des programmes, et promouvoir ainsi le bien-\u00eatre de tous. Mais aujourd’hui, avec un Culte du March\u00e9 exacerb\u00e9 par le \u00ab\u00a0multi-cha\u00eenes\u00a0\u00bb, une telle intervention \u00ab\u00a0publique\u00a0\u00bb para\u00eet inutile et inconvenante. Il faut, dit-on, laisser le consommateur, titulaire de droits d\u00e9mocratiques, manifester sa souverainet\u00e9 sans entrave.<\/p>\n Dans ces conditions, l’on comprend mieux pourquoi les t\u00e9l\u00e9visions publiques se sont engag\u00e9es dans une course folle pour red\u00e9finir leurs missions, se restructurer, d\u00e9busquer des ressources nouvelles, revoir leur philosophie de programme, et trouver enfin une \u00ab\u00a0meilleure r\u00e9ponse\u00a0\u00bb \u00e0 la question de leur positionnement dans la soci\u00e9t\u00e9: doivent-elles \u00eatre haut de gamme, moyen de gamme ou bas de gamme? \u00c9litaires ou populaires? Universelles ou enracin\u00e9es dans le terreau local?<\/p>\n Je retiendrai ici pour rapide discussion trois th\u00e8mes centraux et r\u00e9currents: les cures d’amaigrissement impos\u00e9es aujourd’hui aux t\u00e9l\u00e9visions publiques; les suggestions qui leur sont faites de trouver des modes de financement non publics; les efforts entrepris par certains pour les enfermer dans un ghetto ultra-\u00e9litaire.<\/p>\n L’amaigrissement.<\/em> Les autorit\u00e9s de tutelle exigent des t\u00e9l\u00e9visons publiques qu’elles se redimensionnent et soient plus efficaces. Michael Checkland, alors directeur-g\u00e9n\u00e9ral de la BBC, nous a expliqu\u00e9 ce que cela signifiait en pratique: \u00ab\u00a0Licencier du personnel, donner des travaux \u00e0 faire au dehors (…) Dans toute grande organisation, vous r\u00e9\u00e9valuez sans cesse la mani\u00e8re dont vous g\u00e9rez la maison, le nombre de gens dont vous avez r\u00e9ellement besoin. Aujourd’hui, \u00e0 la BBC, vous entendez les gens parler partout de bi-media c’est-\u00e0-dire de fusion des d\u00e9partements radio et t\u00e9l\u00e9vision traitant du m\u00eame genre de sujets [l’information, les \u00e9missions religieuses, les \u00e9missions scolaires, par exemple]. H\u00e9 bien, \u00e0 l’\u00e9poque o\u00f9 je suis devenu directeur-g\u00e9n\u00e9ral, personne n’aurait pens\u00e9 la chose possible (…) mais aujourd’hui, o\u00f9 que j’aille, tout le monde r\u00e9organise. (…) Vous pouvez avoir ainsi une masse de cr\u00e9ation plus int\u00e9ressante. Je ne crois pas que les valeurs que d\u00e9fend [la BBC] puissent \u00eatre d\u00e9fendues par des organisations trop petites. (…) Je ne crois pas non plus que nous ayons atteint la limite de ce que nous pouvons faire. Dans les ann\u00e9es \u00e0 venir, la BBC continuera \u00e0 maigrir.\u00a0\u00bb<\/p>\n L’ennui de tels amaigrissements est que les organismes de t\u00e9l\u00e9vision ne sont pas tous aussi ob\u00e8ses que Polski Telewizi y Radio avec ses 11’000 employ\u00e9s faisant Dieu sait quoi. Mais enfin, comme le disait Checkland, personne ne dispute la n\u00e9cessit\u00e9 de rendre les choses plus efficaces. La vraie question est de savoir o\u00f9 s’arr\u00eater pour ne pas mettre en p\u00e9ril les qualit\u00e9s intangibles mais vitales de la maison. L’une des forces de la t\u00e9l\u00e9vision publique a toujours \u00e9t\u00e9 sa capacit\u00e9 \u00e0 faire \u00e9clore de nouveaux talents. Non par des mesures techniques, pointues et limit\u00e9es \u00e0 un d\u00e9partement sp\u00e9cialis\u00e9, mais par une qualit\u00e9 g\u00e9n\u00e9rale d’accueil, permettant \u00e0 tel sc\u00e9nariste, tel r\u00e9alisateur, tel journaliste, de m\u00fbrir ses qualit\u00e9s sans pr\u00e9cipitation excessive. Or les t\u00e9l\u00e9visions publiques sont en train de perdre cette capacit\u00e9, par manque de moyens mat\u00e9riels, par manque d’espace pour les exp\u00e9riences lentes, par d\u00e9ficit de m\u00e9moire institutionnelle. Elles d\u00e9pendent de plus en plus de producteurs ext\u00e9rieurs dont le souci principal est de survivre.<\/p>\n Pour David Plowright, l’homme qui a longtemps pr\u00e9sid\u00e9 aux destin\u00e9es de Granada TV, t\u00e9l\u00e9vision commerciale de service public, l’\u00e9poque o\u00f9 l’on pouvait encore \u00ab\u00a0prendre le temps\u00a0\u00bb – de former de nouveaux talents, ou tout simplement de penser – est r\u00e9volue. \u00ab\u00a0Maintenant, dit-il, ce qu’il faut que nous fassions, c’est commencer \u00e0 former les politiciens. Pour eux, la t\u00e9l\u00e9vision n’est pas l’activit\u00e9 de loisirs la plus importante [de cette fin de 20\u00e8 si\u00e8cle], mais surtout un truc o\u00f9 ils voudraient \u00eatre vus. Je crois que les politiciens ont tout fait foir\u00e9, pas seulement en Grande-Bretagne, mais aussi en France, en Italie, en Allemagne, et qu’ils commencent tout juste \u00e0 se rendre compte de ce qu’ils ont perdu. (…) Ils devraient comprendre que la t\u00e9l\u00e9vision [publique] est avant tout un reflet de la soci\u00e9t\u00e9 qu’ils sont cens\u00e9s gouverner et organiser. (…) Or quel genre de Grande-Bretagne est refl\u00e9t\u00e9e aujourd’hui sur les \u00e9crans? Une Grande-Bretagne stupide, ou franchement vulgaire. Rares sont les occasions o\u00f9 ce que vous voyez \u00e0 la t\u00e9l\u00e9vision vous inspire un peu. L\u00e0 est le danger, si la BBC perd ses nerfs et se met \u00e0 courir derri\u00e8re l’audimat des d\u00e9buts de soir\u00e9e.\u00a0\u00bb<\/p>\n Une chose est claire, en tout cas: les t\u00e9l\u00e9visions publiques consacrent d\u00e9sormais trop d’\u00e9nergie \u00e0 faire des \u00e9conomies et trop peu \u00e0 faire de bons programmes.<\/p>\n Comme nous le faisait remarquer de mani\u00e8re sardonique un responsable de t\u00e9l\u00e9vision europ\u00e9enne: \u00ab\u00a0Nous avions jadis des directeurs de t\u00e9l\u00e9vision qui avaient un objectif social d\u00e9cent, plus l’envie de faire de l’argent sans trop s’ennuyer. Aujourd’hui, nous avons des directeurs qui ne savent parler que de segments de march\u00e9. D\u00e9sormais, les t\u00e9l\u00e9s sont dirig\u00e9es par les comptables. (…) Je n’ai rien contre les comptables, mais j’ai toujours pens\u00e9 que l’argent devait servir les id\u00e9es, et non les dominer.\u00a0\u00bb<\/p>\n En tout \u00e9tat de cause, l’amaigrissement des t\u00e9l\u00e9visions publiques ne semble pas pr\u00e8s de s’arr\u00eater. Partout l’argent se fait rare – qu’il proviennent des caisses de l’Etat, des taxes de redevance, du parrainage ou de la publicit\u00e9 -, partout l’on introduit de nouvelles proc\u00e9dures: comptabilit\u00e9 plus stricte, budgets \u00e0 base z\u00e9ro, budgets par production, march\u00e9 interne aux cha\u00eenes de t\u00e9l\u00e9vision, privatisation d’activit\u00e9s, etc. Efforts certes louables, mais qui, dans une perspective historique, tiennent du marchandage faustien, les t\u00e9l\u00e9visions de service public abandonnant au diable leur \u00e2me, en \u00e9change du droit de survivre.<\/p>\n Le financement non public.<\/em> La question est de savoir s’il est sain, pour une t\u00e9l\u00e9vision de service public, d’\u00eatre oblig\u00e9e de \u00ab\u00a0trouver de l’argent ailleurs\u00a0\u00bb. L’id\u00e9e traditionnelle du financement public est d’assurer \u00e0 la t\u00e9l\u00e9vision publique non seulement les moyens de fonctionner, mais aussi de garder une ind\u00e9pendance sans compromis. Si le t\u00e9l\u00e9spectateur paie directement les programmes qu’il regarde (comme dans le syst\u00e8me de la Pay TV par exemple), la t\u00e9l\u00e9vision est contrainte aux compromis permanents.<\/p>\n Les responsables de t\u00e9l\u00e9vision publique que nous avons interrog\u00e9s se disent tous pr\u00eats \u00e0 se lancer dans certaines aventures \u00ab\u00a0commerciales\u00a0\u00bb afin de s’assurer des revenus suppl\u00e9mentaires, \u00e0 la condition expr\u00e8s, toutefois, que ceux-ci restent marginaux dans le financement de leurs cha\u00eenes. Cela pos\u00e9, ils admettent qu’ils ne peuvent revendiquer un socle de financement solide et index\u00e9 si, dans le m\u00eame temps, ils sont incapables de produire des programmes assez populaires pour que leurs taux d’audience restent suffisants.<\/p>\n Deux questions s’imposent: des taux d’audience suffisants, c’est quoi? Et populaire, c’est quoi?<\/p>\n Si j’en crois les discussions que nous avons eues, \u00e0 la BBC notamment, il est difficile, pour une t\u00e9l\u00e9vision publique, en-dessous de 30% d’audience, de se dire \u00ab\u00a0nationale\u00a0\u00bb. Et si elle veut \u00eatre \u00e0 la fois populaire et int\u00e8gre, le risque est grand qu’elle ne c\u00e8de \u00e0 la tentation de banaliser ses programmes. Explications d’un responsable de t\u00e9l\u00e9vision publique: \u00ab\u00a0Beaucoup de mes coll\u00e8gues disent que les temps ont chang\u00e9, qu’il sont d\u00e9sormais commerciaux et durs. Et que comme il faut bien que nous grandissions, que nous progressions, que nous nous renforcions, il faut aussi que nous produisions des \u00ab\u00a0programmes \u00e0 formule\u00a0\u00bb, des s\u00e9ries en somme, qui soient non seulement des succ\u00e8s commerciaux en termes g\u00e9n\u00e9raux, mais: a) des succ\u00e8s imm\u00e9diats – qui attrapent le t\u00e9l\u00e9spectateur par le collet, dont les co\u00fbts soient ais\u00e9ment analysables, qui soient reproductibles imm\u00e9diatement, qui puissent \u00eatre co-produits, qui attirent des parrainages, qui puissent \u00eatre vendus \u00e0 l’\u00e9tranger, et b) des succ\u00e8s qui g\u00e9n\u00e8rent eux-m\u00eames de solides profits. Il faut se demander alors: \u00ab\u00a0Quel niveau de profits veut-on atteindre? Quelle formule est capable de satisfaire \u00e0 tant ces crit\u00e8res \u00e0 la fois?\u00a0\u00bb La r\u00e9ponse sera forc\u00e9ment que le produit, pour \u00eatre vendable, devra \u00eatre mou, un vrai sac de compromis.\u00a0\u00bb<\/p>\n Le ghetto ultra-\u00e9litaire.<\/em> Certains arguent qu’une t\u00e9l\u00e9vision publique a le devoir de proposer des programmes \u00ab\u00a0difficiles\u00a0\u00bb, ceux que les t\u00e9l\u00e9visions commerciales ne peuvent ni n’ont l’intention de diffuser. L’id\u00e9e s\u00e9duit certains responsables de t\u00e9l\u00e9visions publiques, qu’ils soient fatigu\u00e9s de se d\u00e9fendre (\u00ab\u00a0Vous co\u00fbtez trop cher et n’\u00eates m\u00eame pas capables de faire de l’audience!\u00a0\u00bb), qu’ils se m\u00e9fient des vell\u00e9it\u00e9s populistes des t\u00e9l\u00e9visions contemporaines, ou n’aient d’autre ambition que d’agrandir leur empire personnel…<\/p>\n La plupart d’entre sont cependant oppos\u00e9s \u00e0 une telle marginalisation. \u00ab\u00a0La seule mani\u00e8re pour la t\u00e9l\u00e9vision publique de garder un r\u00f4le vigoureux est de proposer aux t\u00e9l\u00e9spectateurs un bon m\u00e9lange de programmes. Chez nous, nous faisons de tr\u00e8s bonnes com\u00e9dies par exemple, ce qui est assez inhabituel pour une t\u00e9l\u00e9vision publique. Nous sommes aussi tr\u00e8s forts en sport. (…) Il nous serait \u00e9videmment facile de dire, OK, nous abandonnons tous ces trucs populaires, nous les laissons \u00e0 d’autres. (…) Mais ce n’est pas en nous marginalisant que nous survivrons (…) C’est au contraire en ayant le courage de proposer un \u00e9ventail de programmes tr\u00e8s large.\u00a0\u00bb On notera \u00e0 ce propos que les esp\u00e8ces ayant disparu de la surface de la Terre avaient toujours eu pour strat\u00e9gie de se replier sur des p\u00e2tures d\u00e9daign\u00e9es par leurs ennemis…<\/p>\n La vraie difficult\u00e9 est de d\u00e9terminer ce qu’est un programme populaire et de qualit\u00e9. Lorsque l’on en discute, la crainte de \u00ab\u00a0l’\u00e9litisme\u00a0\u00bb, les jugements de valeur, les hi\u00e9rarchies sous-jacentes entrent dans la m\u00eal\u00e9e. Les responsables des t\u00e9l\u00e9visions publiques, lorsqu’on les interroge \u00e0 ce sujet, s’en tirent g\u00e9n\u00e9ralement par une pirouette: pour \u00eatre \u00e0 la fois populaires et de qualit\u00e9, disent-ils, ils font tout ce qu’ils font \u00ab\u00a0avec classe\u00a0\u00bb, avec une \u00ab\u00a0conscience professionnelle sup\u00e9rieure\u00a0\u00bb, dans le but de fournir un \u00ab\u00a0service de qualit\u00e9\u00a0\u00bb au plus grand nombre… Un \u00ab\u00a0plus grand nombre\u00a0\u00bb qu’ils consid\u00e8rent toutefois moins comme un objectif de survie \u00e9conomique que comme la raison d’\u00eatre philosophique de leur mission de service public.<\/p>\n Voil\u00e0, il est temps de conclure. La plupart des responsables de t\u00e9l\u00e9vision publique que nous avons rencontr\u00e9s sont convaincus que leur media doit \u00eatre cr\u00e9atif et intellectuellement ind\u00e9pendant; doit servir le public et non se servir de lui; maintenir la qualit\u00e9 de sa production \u00e0 un niveau \u00e9lev\u00e9; rechercher l’excellence dans ses programmes; fuir comme la peste le nivellement par le bas.<\/p>\n De telles professions de foi n’ont de sens, cependant, que si la soci\u00e9t\u00e9 qu’elle sert a pour sa t\u00e9l\u00e9vision publique un minimum de compr\u00e9hension et d’empathie. C’est l\u00e0 que le b\u00e2t blesse.<\/p>\n La soci\u00e9t\u00e9, en son \u00e9tat moderne, n’\u00e9prouve en effet pour la t\u00e9l\u00e9vision publique et les valeurs qu’elle pr\u00e9tend d\u00e9fendre qu’une sympathie mod\u00e9r\u00e9e. Les gouvernements lui cherchent des poux dans la t\u00eate, port\u00e9s par l’id\u00e9ologie du temps et soutenus silencieusement par des t\u00e9l\u00e9spectateurs-consommateurs plus soucieux de leur confort personnel que de bien commun. Les entreprises g\u00e9antes r\u00e9duisent \u00e0 une insignifiance comparative \u00ab\u00a0les simples individus\u00a0\u00bb que la t\u00e9l\u00e9vision publique entend \u00e9clairer. Pendant ce temps, la d\u00e9r\u00e9gulation, le commerce, le multim\u00e9dia, \u00e9rig\u00e9s en cultes nouveaux, sabotent la notion m\u00eame de communaut\u00e9, hors de laquelle la t\u00e9l\u00e9vision publique n’a plus de raison d’\u00eatre. Cependant que la t\u00e9l\u00e9vision commerciale, par son refus de l’excellence, son go\u00fbt de la m\u00e9diocrit\u00e9, du trivial, du superficiel, et son exploitation vampirique du march\u00e9, \u00e9branle chaque jour que Dieu fait la foi de la t\u00e9l\u00e9vision publique en sa mission.<\/p>\n La t\u00e9l\u00e9vision publique, quel que soit son courage, ne pourra durer si elle est n’est plus en phase avec les r\u00e9alit\u00e9s sociologiques du temps. Elle est certes optimiste par d\u00e9finition: n’a-t-elle pas construit un outil de divertissement haut de gamme, d\u00e9velopp\u00e9 un journalisme de qualit\u00e9, insuffl\u00e9 un esprit de perspicacit\u00e9, d’audace, bref, d’excellence, \u00e0 tous ses collaborateurs, convaincue que des efforts aussi m\u00e9ritoires suffiraient \u00e0 faire venir les gens \u00e0 elle?<\/p>\n Et au d\u00e9but ils vinrent. Mais c’\u00e9tait \u00e0 une \u00e9poque o\u00f9 la t\u00e9l\u00e9vision nationale publique \u00e9tait en situation de quasi-monopole; les gens n’avaient donc pas le choix. Aujourd’hui, en revanche, la concurrence priv\u00e9e est omnipr\u00e9sente, obligeant la t\u00e9l\u00e9vision publique \u00e0 se poser de rudes questions: \u00ab\u00a0Se pourrait-il que nous soyons comme une station scientifique install\u00e9e sur une banquise en train de se disloquer? Se pourrait-il que les grands principes sur lesquels nous fondons notre action, que nos grandes hypoth\u00e8ses sur la nature de la soci\u00e9t\u00e9, soient en train de se disloquer sous les coups d’une r\u00e9alit\u00e9 nouvelle?\u00a0\u00bb<\/p>\n Au coeur de cette r\u00e9alit\u00e9 nouvelle, on trouve la mise en cause de la n\u00e9cessit\u00e9 m\u00eame de gouverner, au pr\u00e9texte que l’individu-consommateur-souverain est parfaitement capable de s’exprimer et de s’organiser \u00e0 travers les m\u00e9canismes automatiques du march\u00e9. Margaret Thatcher disait qu’\u00e0 ses yeux la \u00ab\u00a0soci\u00e9t\u00e9\u00a0\u00bb n’existe pas. Ronald Reagan, que le gouvernement est le probl\u00e8me, pas la solution. Mark Fowler, pr\u00e9sident de la Commission F\u00e9d\u00e9rale de Communications nomm\u00e9 par Ronald Reagan, que l’int\u00e9r\u00eat public, c’est \u00ab\u00a0ce qui int\u00e9resse le public\u00a0\u00bb.<\/p>\n \u00ab\u00a0La l\u00e9gitime raison d’\u00eatre du gouvernement, \u00e9crivait Abraham Lincoln dans les ann\u00e9es 1850, est de faire pour les gens ce qui doit \u00eatre fait mais qu’ils ne peuvent faire, ou faire aussi bien, eux-m\u00eames.\u00a0\u00bb Theodore Roosevelt observait, quant \u00e0 lui, qu’une \u00ab\u00a0soci\u00e9t\u00e9 simple et pauvre peut \u00eatre d\u00e9mocratique en se fondant sur le pur individualisme des gens, [mais qu’une] soci\u00e9t\u00e9 industrielle riche et complexe ne le peut pas. [Dans une telle soci\u00e9t\u00e9, en effet], certains individus, notamment ces individus artificiels appel\u00e9s entreprises, deviennent si grands, que l’individu ordinaire, \u00e0 c\u00f4t\u00e9 d’eux, fait figure de simple nain, et ne peut traiter avec eux d’\u00e9gal \u00e0 \u00e9gal. Il faut donc que les individus ordinaires combinent leurs forces (…) dans la plus grande de toutes les combinaisons: le gouvernement.\u00a0\u00bb<\/p>\n Richard Steiner sugg\u00e9rait, dans un article r\u00e9cent sur la n\u00e9cessit\u00e9 de faire revivre l’h\u00e9ritage de Lincoln et des deux Roosevelt, qu’il est aujourd’hui urgent d’envisager cr\u00e2nement la fracture entre \u00ab\u00a0les anges positifs\u00a0\u00bb de notre nature et les anges sombres qui nous poussent sans cesse \u00e0 \u00ab\u00a0d\u00e9grader et dominer les autres\u00a0\u00bb (Lincoln). Steiner commente tr\u00e8s justement: \u00ab\u00a0Le c\u00f4t\u00e9 oppressif de la nature humaine? On ne peut l’annuler. En revanche, on peut le gouverner.\u00a0\u00bb<\/p>\n Plus r\u00e9cemment, George Will tournait en ridicule ceux qui d\u00e9fendent l’id\u00e9e aujourd’hui dominante que \u00ab\u00a0l’int\u00e9r\u00eat personnel suffit \u00e0 faire tic-taquer l’horloge de la soci\u00e9t\u00e9\u00a0\u00bb. Il faisait observer qu’un pays bien gouvern\u00e9 \u00ab\u00a0enveloppe l’individu d’un riche tissu de relations – droits, interdictions, devoirs, privil\u00e8ges, coutumes – qui renforcent ce qu’il a de meilleur en lui, et temp\u00e8rent ce qu’il a de pire.\u00a0\u00bb<\/p>\n Je reste pour ma part convaincu que la m\u00e9diocrit\u00e9 et l’avilissement doivent \u00eatre combattus; que l’esprit public doit \u00eatre exalt\u00e9; que les citoyens doivent \u00eatre inform\u00e9s et \u00e9duqu\u00e9s, pour d\u00e9velopper leur sens de coh\u00e9rence et d’appartenance; qu’en un temps enfin o\u00f9 la soci\u00e9t\u00e9 est menac\u00e9e par des forces centrifuges dangereuses, radio et t\u00e9l\u00e9vision publiques sont des contre-forces centrip\u00e8tes vitales.<\/p>\n L’Etat-nation d\u00e9mocratique a besoin<\/em> d’une t\u00e9l\u00e9vision publique, parce qu’il a besoin de qualit\u00e9 de vie, de coh\u00e9rence, de stabilit\u00e9, parce qu’il a besoin de permettre le vol de ses \u00ab\u00a0anges positifs\u00a0\u00bb et de tenir en respect les anges de la division, de la d\u00e9gradation, de la domination. L’Etat-nation d\u00e9mocratique doit donner \u00e0 la t\u00e9l\u00e9vision publique les moyens de remplir une aussi haute mission. La t\u00e9l\u00e9vision publique, en contrepartie, doit se d\u00e9brouiller pour garder une large audience, sans rien renier de ses exigences de qualit\u00e9.<\/p>\n Acrobatique? Oui, acrobatique.<\/p>\n \u00a9 Le Temps strat\u00e9gique, No 66, Gen\u00e8ve, octobre 1995<\/span><\/p>\n \n De quelques noms cit\u00e9s<\/strong><\/p>\n<\/div>\n Max Weber<\/strong> (1864-1920) Norman Mailer<\/strong> (1923) Milton Friedman (1912)<\/strong> Edward Heath (1916)<\/strong> Barry Goldwater (1909)<\/strong> \n \n Le dilemme des TV publiques d’Europe<\/strong><\/p>\n<\/div>\n Analyse UER portant sur les TV publiques de 17 \u00e0 22 pays d’Europe pour la p\u00e9riode 1988-1996 (r\u00e9sultats statistiques et pr\u00e9visions).<\/em><\/p>\n Elles diffusent de plus en plus d’heures de programmes<\/strong> 1988 8623 <\/strong>heures par an Elles d\u00e9pensent de plus en plus de 1988 \u00e0 1994 (statistiques) 8.7 %<\/strong> (Suisse: 8 %) Malgr\u00e9 cela, elles perdent des parts de march\u00e9<\/strong> \n L’\u00e9cran de vos nuits blanches<\/strong><\/p>\n Studies in Broadcasting.<\/strong>Publication annuelle de NHK’s Theoretical Research Centre, Tokyo, Japon.<\/p>\n The Cultural Obligations of Broadcasting<\/strong> par Hayden Shaughnessy and Carmen Fuento Cado. European Institute for the Media, Media Monograph, no. 12, 1990.<\/p>\n Public Service Broadcasting in a Multichannel Environment : the History and Survival of an Ideal,<\/strong>par Robert A. Avery (ed). New York, Longman, 1993.<\/p>\n A Variety of Lives: a Biography of Sir Hugh Greene,<\/strong> par Michael Tracey. Londres, Bodley Head, 1983.<\/p>\n Television and the Public Interest: Preserving Vulnerable Values in Western European Broadcasting.<\/strong> Londres, Sage, 1993.<\/p>\n The Public Service Idea in British Broadcasting: Main Principles.<\/strong> Londres, Broadcasting Research Unit, 1983.<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":" GRANDE ENQU\u00caTE Si nous laissons crever les t\u00e9l\u00e9visions de service public, nous cr\u00e8verons avec elles… Michael Tracey, sp\u00e9cialiste de la t\u00e9l\u00e9vision, a \u00e9crit de nombreux rapports \u00e0 l’intention des professionnels de la communication. Il publiera prochainement The Ceremony of Innocence: Public Broadcasting and the Modern World (New York, Sage). \u2026 Lire plus \/ Read more<\/a><\/p>\n","protected":false},"author":1,"featured_media":0,"parent":596,"menu_order":0,"comment_status":"closed","ping_status":"closed","template":"","meta":{"ngg_post_thumbnail":0,"footnotes":""},"class_list":["post-600","page","type-page","status-publish","hentry"],"_links":{"self":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/600","targetHints":{"allow":["GET"]}}],"collection":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages"}],"about":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/types\/page"}],"author":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/users\/1"}],"replies":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=%2Fwp%2Fv2%2Fcomments&post=600"}],"version-history":[{"count":3,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/600\/revisions"}],"predecessor-version":[{"id":638,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/600\/revisions\/638"}],"up":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/596"}],"wp:attachment":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=%2Fwp%2Fv2%2Fmedia&parent=600"}],"curies":[{"name":"wp","href":"https:\/\/api.w.org\/{rel}","templated":true}]}}Pour tenter de r\u00e9pondre \u00e0 ces deux questions, mon coll\u00e8gue Willard Rowland de l’Universit\u00e9 du Colorado et moi-m\u00eame avons enqu\u00eat\u00e9 deux ans durant. Nous avons \u00e9tudi\u00e9 sur place les t\u00e9l\u00e9visions publiques de plusieurs pays, nous sommes entretenus avec de tr\u00e8s nombreux responsables de cha\u00eene, fonctionnaires, journalistes et universitaires. Nous avons r\u00e9uni des milliers de pages d’interviews, analys\u00e9 de nombreux rapports officiels, lu je ne sais combien d’articles de presse et autres documents.<\/p>\n
<\/h2>\n
\n\u00c9conomiste, philosophe et sociologue allemand, Max Weber fut l’un des penseurs les plus marquants de son temps. Ses deux oeuvres majeures sont \u00c9conomie et Soci\u00e9t\u00e9<\/em> (1922) et L’\u00c9thique protestante et l’esprit du capitalisme <\/em>(1904 – traduit en 1964). Max Weber affirmait au d\u00e9but du si\u00e8cle d\u00e9j\u00e0 que notre soci\u00e9t\u00e9 occidentale est domin\u00e9e par la rationalit\u00e9.<\/p>\n
\nRomancier am\u00e9ricain flamboyant, Norman Mailer a pour th\u00e8me de pr\u00e9dilection les contradictions de la soci\u00e9t\u00e9 am\u00e9ricaine (politique, guerre, sexualit\u00e9). Il m\u00eale all\u00e8grement l’autobiographie au reportage dans le but de \u00ab\u00a0transformer l’Histoire en roman et le roman en Histoire\u00a0\u00bb. Norman Mailer est notamment l’auteur de: An American Dream <\/em>(1965 – Un r\u00eave am\u00e9ricain ), A Fire on the Moon<\/em> (1970 – Bivouac sur la lune), The Executioner’s Song<\/em> (1979 – Le Chant du bourreau).<\/p>\n
\n\u00c9conomiste am\u00e9ricain, c\u00e9l\u00e8bre th\u00e9oricien de la non moins c\u00e9l\u00e8bre \u00ab\u00a0\u00c9cole de Chicago\u00a0\u00bb, il pr\u00e9tendit que les variations de l’activit\u00e9 \u00e9conomique d\u00e9pendent des variations de l’offre de la monnaie (et non des variations de l’investissement, comme l’affirme Keynes). Sa th\u00e9orie mon\u00e9tariste pr\u00f4ne une politique lib\u00e9rale de non-intervention de l’\u00c9tat, et joua un r\u00f4le influent sur la politique \u00e9conomique des \u00c9tats-Unis et des pays europ\u00e9ens. Auteur de Studies in the Quantity Theory of Money<\/em> (1956) et de A Theory of the Consumption Function<\/em> (1957), il re\u00e7ut le prix Nobel d’\u00c9conomie en 1976.<\/p>\n
\nHomme politique britannique, chef des Conservateurs, il devint Premier ministre apr\u00e8s le succ\u00e8s de son parti aux \u00e9lections de 1970. Empoignant avec brutalit\u00e9 les probl\u00e8mes sociaux et financiers de son pays (vote d’une loi contre les gr\u00e8ves en 1971, flottaison de la livre d\u00e9cid\u00e9e en 1972), il fit entrer d\u00e9finitivement la Grande-Bretagne dans la Communaut\u00e9 europ\u00e9enne en 1972. Apr\u00e8s avoir d\u00fb abandonner son poste en 1974, il fut \u00e9galement remplac\u00e9 \u00e0 la t\u00eate du parti conservateur par Margaret Thatcher en 1975.<\/p>\n
\nHomme politique am\u00e9ricain, Barry Goldwater fut s\u00e9nateur de l’Arizona et candidat r\u00e9publicain aux \u00e9lections pr\u00e9sidentielles de 1964. Tr\u00e8s conservateur, il critiqua violemment la politique de John Kennedy, qu’il accusait de cr\u00e9er un \u00c9tat socialiste. Goldwater perdit la course \u00e0 la pr\u00e9sidence des \u00c9tats-Unis face \u00e0 Lyndon B. Johnson. Ses id\u00e9es extr\u00e9mistes en mati\u00e8re de politique \u00e9trang\u00e8re firent craindre aux \u00e9lecteurs qu’il n’entra\u00eene le pays dans la guerre. Barry Goldwater a \u00e9galement \u00e9crit The conscience of a Conservative<\/em> (1960).<\/p>\n<\/h2>\n
\nNombre moyen d’heures annuelles diffus\u00e9es par les compagnies de t\u00e9l\u00e9vision prises en compte dans l’\u00e9tude<\/p>\n
\n1990 9616<\/strong>
\n1992 12 066<\/strong>
\n1994 13 359<\/strong> (T\u00e9l\u00e9vision suisse romande: 7490; quatre cha\u00eenes SSR: 31 136)
\n1996 13 636<\/strong><\/p>\n
\nAugmentation moyenne des frais d’exploitation pour l’ensemble des t\u00e9l\u00e9visions publiques consid\u00e9r\u00e9es, par ann\u00e9e<\/p>\n
\nde 1994 \u00e0 1996 (pr\u00e9visions) 3.9 % <\/strong>(Suisse 5.7 %)<\/p>\n
\nParts d’audience par jour, moyenne des t\u00e9l\u00e9visions publiques consid\u00e9r\u00e9es<\/p>\n<\/h2>\n
<\/h2>\n