{"id":579,"date":"2015-01-05T13:46:36","date_gmt":"2015-01-05T12:46:36","guid":{"rendered":"http:\/\/www.archipress.org\/wp\/?page_id=579"},"modified":"2015-01-25T00:22:03","modified_gmt":"2015-01-24T23:22:03","slug":"579-2","status":"publish","type":"page","link":"https:\/\/www.archipress.org\/?page_id=579","title":{"rendered":"Pr\u00e9visions technologiques 5"},"content":{"rendered":"

PR\u00c9VISIONS TECHNOLOGIQUES (V)<\/p>\n

\n

POUR \u00c9VITER DE VOUS \u00ab\u00a0PLANTER\u00a0\u00bb
\nCOMPLETEMENT UNE SEULE METHODE: LA RUSE!<\/h3>\n<\/div>\n
Petite liste \u00ab\u00a0rusologique\u00a0\u00bb: inventez des tas de sc\u00e9narios; laissez vos concurrents essuyer les pl\u00e2tres, puis volez-leur le march\u00e9 (m\u00eame si \u00e7a n’est pas moral); ne perdez pas de temps \u00e0 consulter des gourous; innovez sans rel\u00e2che; essayez enfin d’\u00eatre les ma\u00eetres des standards internationaux.<\/strong><\/div>\n

Par Steven Schnaars<\/p>\n

 <\/p>\n

\"<\/div>\n

Il n’existe aucun moyen magique de pr\u00e9voir sans erreur si un produit nouveau va \u00ab\u00a0marcher\u00a0\u00bb ou, au contraire, dispara\u00eetre vite fait dans les oubliettes de l’Histoire. Pr\u00e9tendre le contraire c’est mentir aux autres ou, pire encore, se mentir \u00e0 soi-m\u00eame.<\/p>\n

<\/p>\n

Faut-il baisser les bras pour autant? Non, bien s\u00fbr. Et puisque les pr\u00e9visions sont fondamentalement d\u00e9nu\u00e9es de fiabilit\u00e9, h\u00e9 bien il faut ruser et se passer d’elles!<\/p>\n

A tout seigneur tout honneur, la premi\u00e8re de ces ruses est celle du sc\u00e9nario. Au lieu de pr\u00e9dire l’avenir, le sc\u00e9nario propose en effet un \u00e9ventail de futurs plausibles, dont aucun n’est certain mais qui tous sont possibles.<\/p>\n

L’id\u00e9e de tels sc\u00e9narios n’est pas nouvelle, mais a \u00e9t\u00e9 popularis\u00e9e dans les ann\u00e9es 50 par Hermann Kahn, qui travaillait \u00e0 l’\u00e9poque \u00e0 la Rand Corporation. Depuis lors les m\u00e9thodes de construction de sc\u00e9narios se sont beaucoup sophistiqu\u00e9es, et m\u00eame math\u00e9matis\u00e9es, au point de faire souvent perdre de vue le probl\u00e8me de base que l’on voulait r\u00e9soudre.<\/p>\n

En g\u00e9n\u00e9ral, les sc\u00e9narios sont des r\u00e9cits en prose, \u00e9crits avec intuition, cr\u00e9ativit\u00e9 et imagination, qui mettent en \u00e9vidence les folles incertitudes de l’avenir. Ils se situent donc \u00e0 l’oppos\u00e9 des pr\u00e9visions et des pr\u00e9dictions, qui r\u00e9sultent souvent de calculs savants et donnent l’illusion que l’avenir est cernable \u00e0 quatre d\u00e9cimales pr\u00e8s. Les sc\u00e9narios d\u00e9crivent d’ordinaire de possibles cheminements entre aujourd’hui et l’avenir. On les utilise d’ordinaire en multipacks, pour \u00e9viter de bloquer la r\u00e9flexion sur un seul jeu d’hypoth\u00e8ses. Les sc\u00e9narios permettent de formuler trois types de strat\u00e9gies: les strat\u00e9gies rustiques, les flexibles et les tous azimuts…<\/p>\n

Une strat\u00e9gie rustique<\/em> est une strat\u00e9gie tous terrains, d\u00e9fensive, solide, qui garantit des r\u00e9sultats acceptables quelle que soit l’\u00e9volution de la situation. C’est une strat\u00e9gie s\u00fbre, mais peu performante; pour nombre d’industries \u00e0 forte intensit\u00e9 de capital, qui doivent choisir entre oui et non, tout et rien, se lancer ou ne pas se lancer, elle est m\u00eame carr\u00e9ment impraticable en raison m\u00eame de sa nature mi-figue mi-raisin.<\/p>\n

La strat\u00e9gie flexible<\/em>, elle, requiert de garder ses options ouvertes aussi longtemps que possible, et puis, lorsque la situation devient enfin limpide, d’agir avec la rapidit\u00e9 de l’\u00e9clair.<\/p>\n

La planification \u00ab\u00a0toutes \u00e9ventualit\u00e9s\u00a0\u00bb (contingency planning<\/em>), tr\u00e8s pris\u00e9e des \u00e9tats-majors militaires, est un exemple classique de strat\u00e9gie flexible: elle pr\u00e9voit toutes sortes d’hypoth\u00e8ses, le type de comportement que chacune de ces hypoth\u00e8ses devrait entra\u00eener, et postule alors une vigilance de tous les instants, de mani\u00e8re \u00e0 ce que la bonne hypoth\u00e8se soit d\u00e9tect\u00e9e au plus t\u00f4t et l’action d\u00e9clench\u00e9e dans les meilleurs d\u00e9lais… Comme disait un manager de Dow Chemical: \u00ab\u00a0Les plans sont trop inflexibles. Ce qui compte c’est de r\u00e9agir vite\u00a0\u00bb. Pareille flexibilit\u00e9 est particuli\u00e8rement judicieuse lors du lancement de nouvelles technologies, un stade o\u00f9 les pr\u00e9visions, on l’a vu, sont particuli\u00e8rement peu fiables.<\/p>\n

Au milieu des ann\u00e9es 80, la compagnie p\u00e9troli\u00e8re ARCO, confront\u00e9e \u00e0 l’\u00e9volution \u00e9minemment incertaine des prix du p\u00e9trole, examina ainsi des centaines de sc\u00e9narios du style\u00a0\u00bbQue ferions-nous si…\u00a0\u00bb, et conclut que le sc\u00e9nario-catastrophe d’une chute du prix du p\u00e9trole \u00e9tait une possibilit\u00e9 r\u00e9elle, quoique incertaine. Elle d\u00e9cida donc de r\u00e9duire ses d\u00e9penses d’explorations g\u00e9ologiques et de production, de fermer ses entreprises en aval comme d’ailleurs ses usines chimiques les plus marginales. Mais elle se pr\u00e9para aussi pour le cas o\u00f9 les prix du p\u00e9trole reprendraient de la hauteur, en testant de fa\u00e7on intensive ses \u00e9normes gisements p\u00e9troliers d’Alaska. Toutes options ouvertes, ARCO s’\u00e9tait donc mise en situation de foncer quelle que soit la tournure que prendraient les \u00e9v\u00e9nements.<\/p>\n

La strat\u00e9gie tous azimuts<\/em>, enfin, consiste \u00e0 lancer plusieurs projets \u00e0 la fois, pour ne d\u00e9cider qu’ult\u00e9rieurement lequel est le bon. Cette strat\u00e9gie est inapplicable par les petites entreprises, bien s\u00fbr, mais est en revanche id\u00e9ale pour une entreprise qui a des ressources importantes: elle lui donne en effet l’assurance de ne rater aucun bon coup. C’est ainsi qu’\u00e0 la fin des ann\u00e9es 60 et durant les ann\u00e9es 70, RCA, incapable de pr\u00e9voir laquelle de deux technologies, le vid\u00e9odisque et l’enregistreur vid\u00e9o serait la bonne, d\u00e9veloppa les deux \u00e0 la fois. Le vid\u00e9odisque fut un \u00e9chec commercial. RCA n’en eut cure: gr\u00e2ce \u00e0 l’enregistreur vid\u00e9o qu’elle avait en r\u00e9serve, elle fut la premi\u00e8re compagnie am\u00e9ricaine \u00e0 lancer sur le march\u00e9 un enregistreur vid\u00e9o de format VHS (le format de Matsuhita) pour contrer le Betamax de Sony.<\/p>\n

Un mot d’avertissement enfin \u00e0 ceux qui, disposant de multiples sc\u00e9narios, n’en consid\u00e8rent pourtant qu’un seul: ils perdent ce faisant tout le b\u00e9n\u00e9fice qu’ils eussent tir\u00e9 de l’obligation de garder \u00e0 l’esprit des hypoth\u00e8ses divergentes, voire contradictoires. Le sc\u00e9nario unique n’\u00e9tant finalement rien d’autre qu’une vulgaire pr\u00e9diction.<\/p>\n

H\u00e9las, la tentation se rabattre sur un seul sc\u00e9narios semble \u00eatre de l’ordre du besoin physiologique, comme la faim ou le d\u00e9sir sexuel! Pour \u00e9chapper \u00e0 cette tentation, je sugg\u00e8re de ne jamais affecter aux diff\u00e9rents sc\u00e9narios des probabilit\u00e9s (dans le style: plus probable\/moins probable, ou: optimiste\/pessimiste\/hypoth\u00e8se moyenne). L’int\u00e9r\u00eat des sc\u00e9narios multiples est en effet qu’ils soient tous d’une \u00e9gale vraisemblance afin de cr\u00e9er dans l’esprit de ceux qui y recourent une forme d’incertitude permanente. Chaque fois que l’on attribue aux sc\u00e9narios des probabilit\u00e9s, les utilisateurs ne retiennent que le sc\u00e9nario \u00ab\u00a0moyen\u00a0\u00bb, et n\u00e9gligent les autres. Plut\u00f4t que des probabilit\u00e9s, mieux vaut donc donner aux sc\u00e9narios des titres, dans le style: \u00ab\u00a0cas o\u00f9 le march\u00e9 r\u00e9agirait lentement\u00a0\u00bb, \u00ab\u00a0cas o\u00f9 surgirait une technologie concurrente\u00a0\u00bb, qui attirent l’attention sur les probl\u00e8mes qui risquent de surgir et non sur une illusoire \u00e9chelle de certitudes croissantes.<\/p>\n

Si l’usage de sc\u00e9narios ne suffit pas, on peut imaginer de t\u00e2ter d’une strat\u00e9gie pr\u00e9datrice. Certaines entreprise ne faisant elles-m\u00eames aucune recherche vont ainsi attendre qu’une entreprise innovatrice ait d\u00e9frich\u00e9 un nouveau march\u00e9, pour le lui \u00ab\u00a0voler\u00a0\u00bb alors gr\u00e2ce \u00e0 la puissance de leurs moyens financiers, l’extension de leurs r\u00e9seaux de distribution, le pouvoir de leur publicit\u00e9, etc. Comme le disait un responsable du marketing de Coca-Cola: \u00ab\u00a0Relax, en observateurs, nous laissons les autres sortir du bois, et alors nous d\u00e9cidons de faire ce qu’il faut pour leur prendre le march\u00e9\u00a0\u00bb (\u00ab\u00a0We let others come out, stand back and watch, and then see what it takes to take the category over<\/em>.\u00a0\u00bb)<\/p>\n

La strat\u00e9gie pr\u00e9datrice n’est pas tr\u00e8s morale, mais est appliqu\u00e9e souvent et avec succ\u00e8s, quand bien m\u00eame la \u00ab\u00a0sagesse des nations\u00a0\u00bb assure que l’entreprise osant se lancer la premi\u00e8re et s’emparer d’une large part du march\u00e9, a de bonnes chances de la conserver par la suite, pour le plus grand embarras de ses concurrents moins innovateurs, plus timides, contraints alors, para\u00eet-il, de \u00ab\u00a0payer un prix \u00e9lev\u00e9 pour s’\u00eatre r\u00e9veill\u00e9s trop tard\u00a0\u00bb. L’un des rares auteurs \u00e0 s’\u00eatre inscrit en faux contre cette mani\u00e8re de voir hyperclassique, Ted Levitt, \u00e9crivait avec humour, en 1965 d\u00e9j\u00e0, dans la Harvard Business Review:<\/em> \u00ab\u00a0L’ennui d’\u00eatre pionnier est que les pionniers sont tu\u00e9s par les Indiens.\u00a0\u00bb Une ann\u00e9e plus tard, il reconnaissait, dans la m\u00eame revue, que dire du mal de l’innovation \u00e9tait aussi mal vu que dire du mal de la maternit\u00e9 ou de la tarte aux pommes. \u00ab\u00a0N’emp\u00eache, insistait-il, l’imitation est non seulement plus fr\u00e9quente que l’innovation, mais elle conduit bien plus s\u00fbrement qu’elle \u00e0 la croissance et aux profits\u00a0\u00bb.<\/p>\n

L’Histoire conforte cette analyse. En 1947, Cott fut le pionnier des soft drinks sans sucre, qui ne connurent alors gu\u00e8re de succ\u00e8s. Dans les ann\u00e9es 50, Kirsch lan\u00e7a sa ligne de boissons \u00ab\u00a0No-Cal\u00a0\u00bb pour diab\u00e9tiques: il fit beaucoup de publicit\u00e9 et de marketing et d\u00e9couvrit que la moiti\u00e9 de ses clients \u00e9taient des gens qui n’\u00e9taient pas diab\u00e9tiques mais essayaient simplement de perdre du poids. En 1957, il vendait 7.5 millions de caisses de soft drink sans sucre. En 1962, Royal Crown lan\u00e7a son Diet Rite Cola, en en abaissant le prix au niveau de ceux des soft drinks sucr\u00e9s. Ce fut un assez grand succ\u00e8s: le timing, la forme du produit, les consommateurs, tout \u00e9tait favorable. En 1962, Royal Crown vendit 50 millions de caisses de Diet Rite Cola. Des concurrents r\u00e9gionaux surgirent. Coca-Cola et Pepsi continu\u00e8rent \u00e0 ne pas bouger, doutant du potentiel de ces boissons sans sucre. Une ann\u00e9e plus tard, cependant, les deux g\u00e9ants r\u00e9vis\u00e8rent leur jugement et lanc\u00e8rent, respectivement, Tab et Patio Cola. Patio Cola fut un \u00e9chec et remplac\u00e9 rapidement par Diet Pepsi. Gr\u00e2ce \u00e0 des campagnes publicitaires massives, Coca et Pepsi se retrouv\u00e8rent tr\u00e8s vite leaders du march\u00e9.<\/p>\n

Dans un tout autre domaine, l’enregistreurs vid\u00e9o, m\u00eame ph\u00e9nom\u00e8ne. Durant la d\u00e9cennie 60, diverses entreprises pionni\u00e8res essay\u00e8rent de le lancer, sans succ\u00e8s. En 1975, Sony leur vola le march\u00e9 avec le Betamax , puis se fit \u00e9jecter \u00e0 son tour par Matsushita.<\/p>\n

Cela prouve bien qu’\u00eatre pionnier est une d\u00e9marche lourde de risques. Le pionnier, outre le fait qu’il n’est, malgr\u00e9 les pr\u00e9visions et les pr\u00e9dictions des sp\u00e9cialistes de marketing, jamais s\u00fbr qu’un march\u00e9 existera vraiment pour son produit, va consacrer \u00e0 son aventure des sommes et une \u00e9nergie folles, qu’il aurait pu consacrer \u00e0 des ambitions plus classiques et plus avantageuses. Il paie la recherche, construit les premi\u00e8res fabriques, doit convaincre les consommateurs, et si, par chance, il tire le bon num\u00e9ro, doit d\u00e9fendre alors son march\u00e9 contre des imitateurs disposant d’une force de frappe marketing plus grande que la sienne, qui auront eu le temps d’am\u00e9liorer le produit original et le produiront en s\u00e9rie \u00e0 des co\u00fbts lim\u00e9s.<\/p>\n

Il y a une justice pourtant: une strat\u00e9gie pr\u00e9datrice ne met nullement \u00e0 l’abri de nouveaux nouveaux-venus plus pr\u00e9dateurs encore. Aussi longtemps que les ordinateurs personnels ont \u00e9volu\u00e9, IBM pouvait attendre que les innovateurs se lancent et leur voler alors le march\u00e9; mais aujourd’hui que les ordinateurs personnels sont des produits plus ou moins stabilis\u00e9s, IBM subit \u00e0 son tour la menace d’entreprises pr\u00e9datrices produisant \u00e0 l’\u00e9tranger des imitations \u00e0 bas prix.<\/p>\n

Une troisi\u00e8me mani\u00e8re de contourner l’impossibilit\u00e9 de pr\u00e9visions fiables est d’innover en permanence: faire de tout pour \u00eatre s\u00fbr de ne rien rater; agir sans cesse au lieu de mener des \u00e9tudes et de consulter des gourous.<\/p>\n

L’industrie de la chaussure de course applique cette strat\u00e9gie avec syst\u00e8me. Elle lance constamment de nouveaux mod\u00e8les -avec bulles de gaz, coussinets de collo\u00efde, pour toutes sortes de coureurs, souffrant de toutes sortes d’affections- qui ont une dur\u00e9e de vie tr\u00e8s courte. Certains, comme l’Air Max de Nike sont de fabuleux succ\u00e8s. D’autres ne quittent gu\u00e8re les entrep\u00f4ts de stockage. Mais l’industrie, plut\u00f4t que de se casser la t\u00eate \u00e0 pr\u00e9voir quels mod\u00e8les se vendront bien, en lance une multitude dont elle sait que deux ou trois seulement conna\u00eetront le boom.<\/p>\n

Une strat\u00e9gie d’innovation perp\u00e9tuelle r\u00e9ussira d’autant mieux qu’elle observera les trois r\u00e8gles de conduite suivantes: commencer petit, faire des tas d’essais, puis, une fois le temps venu d’entrer sur le march\u00e9, faire les choses en grand.<\/p>\n

Avec leurs produits nouveaux, plut\u00f4t que pr\u00e9tendre emporter le jackpot d’embl\u00e9e, les entreprises ont int\u00e9r\u00eat \u00e0 trouver des niches s\u00fbres, petites mais profitables. A partir de ces niches elles pourront alors se lanceront sur le march\u00e9 plus vaste, le jour o\u00f9 elles seront vraiment convaincues qu’un tel march\u00e9 existe.<\/p>\n

Voyez le cas des cellules photovolta\u00efques. Pour qu’elles puissent conqu\u00e9rir de vastes march\u00e9s, il e\u00fbt fallu que leur co\u00fbt de fabrication tombe de fa\u00e7on dramatique, ce qui n’est point encore produit. L’\u00e9lectricit\u00e9 photovolta\u00efque reste donc beaucoup plus ch\u00e8re que l’\u00e9lectricit\u00e9 classique. La chutes des prix du p\u00e9trole n’a fait qu’aggraver cette \u00e9vidence.<\/p>\n

Cela n’a pas emp\u00each\u00e9 le gouvernement am\u00e9ricain de consacrer \u00e0 la recherche dans ce domaine des fonds f\u00e9d\u00e9raux consid\u00e9rables, dans l’espoir de voir construites un jour de v\u00e9ritables usines photovolta\u00efques capables d’accro\u00eetre l’ind\u00e9pendance \u00e9nerg\u00e9tique du pays. L’industrie priv\u00e9e \u00e9tant, quant \u00e0 elle, plus int\u00e9ress\u00e9e \u00e0 obtenir ces fonds de recherche gouvernementaux qu’\u00e0 faire de l’argent avec les cellules photovolta\u00efques elles-m\u00eames! Devant le peu de r\u00e9sultats concrets de ces recherches grandioses, le public am\u00e9ricain finit par perdre son int\u00e9r\u00eat et l’argent f\u00e9d\u00e9ral par se faire rare.<\/p>\n

Dans le m\u00eame temps, les Japonais, int\u00e9ress\u00e9s eux aussi par cette technologie, au lieu d’afficher des ambitions mammouths, cherch\u00e8rent (et trouv\u00e8rent) des niches profitables: cellules photovolta\u00efques pour les montres, les calculatrices de poche et autres machines n\u00e9cessitant de tr\u00e8s faibles quantit\u00e9s d’\u00e9nergie. Si donc un jour le march\u00e9 des cellules photovolta\u00efques explose (ce que nul ne saurait pr\u00e9dire avec assurance aujourd’hui), les Japonais disposeront , pour le conqu\u00e9rir, d’une t\u00eate de pont toute pr\u00eate, alors que les Am\u00e9ricains, eux, se seront d\u00e9courag\u00e9s depuis longtemps.<\/p>\n

Partir petit est donc important. Mais il est au moins aussi important de financer \u00e0 la fois plusieurs projets de recherche limit\u00e9s, afin de n’\u00eatre jamais pris au d\u00e9pourvu par l’explosion (par d\u00e9finition inattendue) de nouveaux march\u00e9s. Bien qu’IBM, par exemple, ait attendu qu’Apple et Tandy et bien d’autres d\u00e9blaient le march\u00e9 des ordinateurs personnels avec de s’y lancer, il n’a cess\u00e9 de travaill\u00e9, durant toutes ces ann\u00e9es, sur des prototypes qui lui ont permis d’entrer sur le march\u00e9 le jour m\u00eame o\u00f9 il d\u00e9cida que, pour lui, la situation \u00e9tait m\u00fbre.<\/p>\n

Ce jour l\u00e0, IBM fit naturellement les choses en grand. Ce qui est le plus s\u00fbr moyen, et \u00e0 vrai dire le seul, on l’a vu plus haut, de d\u00e9loger les concurrents pionniers de leur position dominante.<\/p>\n

U<\/span>ne quatri\u00e8me et derni\u00e8re mani\u00e8re de se passer de pr\u00e9visions lors du lancement de produits technologiquement neufs est de modifier \u00e0 son avantage les conditions m\u00eames du jeu.<\/p>\n

D’abord en \u00e9tablissant des standards, dont l’existence limite pour le consommateur le risque de se retrouver avec une machine condamn\u00e9e \u00e0 une rapide obsolescence parce qu’incompatible avec d’autres machines ou d’autres syst\u00e8mes. Souvenez-vous des deux cas expos\u00e9s dans un article pr\u00e9c\u00e9dent: celui du syst\u00e8me de quadriphonie, qui se lan\u00e7a sur le march\u00e9 dans une incroyable confusion de standards concurrents, et connut l’\u00e9chec, et celui du tourne-disques pour disques compacts, qui fut l’un des grands succ\u00e8s commerciaux des ann\u00e9es 80 parce que les fabricants avaient r\u00e9ussi \u00e0 se mettre d’embl\u00e9e d’accord sur un standard pour l’ensemble de l’industrie.<\/p>\n

Les pr\u00e9c\u00e9dents historiques sont eux-m\u00eames innombrables. Dans les ann\u00e9es 1880, aux \u00c9tats-Unis, lorsque d\u00e9buta l’\u00e9lectrification des m\u00e9nages, la bataille \u00e9tait rude entre un George Westinghouse, qui pr\u00e9conisait le courant alternatif, et un Thomas Edison, qui ne jurait que par le courant continu. L’\u00e9lectrification stagna jusqu’au jour jusqu’au jour o\u00f9 fut enfin \u00e9tabli comme standard pour tout le pays le courant alternatif \u00e0 110 volts et 60 cycles.<\/p>\n

Les standards sont \u00e9tablis de mani\u00e8res tr\u00e8s vari\u00e9es. Le gouvernement peut les sugg\u00e9rer ou les imposer. Les entreprises d’une m\u00eame branche peuvent coop\u00e9rer pour en un d\u00e9finir un qui leur soit commun. Ce mode coop\u00e9ratif, courant en Europe et au Japon, est de plus en plus accept\u00e9 aux \u00c9tats-Unis par le gouvernement et par l’opinion publique. Les entreprises qui y recourent afin de contrebattre la concurrence transatlantique et transpacifique, risquent n\u00e9anmoins de se voir encore accus\u00e9es, au titre des lois antitrusts, de collusion en vue de faire obstacle au libre commerce.<\/p>\n

L’entreprise la plus forte peut enfin, par son seul poids sur la march\u00e9, imposer son propre standard. C’est ce qu’a fait IBM avec le standard MS-DOS pour les ordinateurs personnels, en d\u00e9pit du fait que le g\u00e9ant am\u00e9ricain ne soit entr\u00e9 sur ce march\u00e9 que bien des ann\u00e9es apr\u00e8s les entreprises pionni\u00e8res.<\/p>\n

Mais quelle que soit la m\u00e9thode utilis\u00e9e, l’\u00e9tablissement d’un standard est, pour une entreprise novatrice, une mani\u00e8re extr\u00eamement efficace de contr\u00f4ler autant que faire se peut un environnement toujours incertain et augmenter ainsi ses chances de r\u00e9ussite.<\/p>\n

Dans le m\u00eame ordre d’id\u00e9e, une fa\u00e7on radicale de contr\u00f4ler l’environnement est, lors le cas et la possibilit\u00e9 s’en pr\u00e9sentent, de cr\u00e9er soi-m\u00eame ex nihilo<\/em> toute l’infrastructure n\u00e9cessaire \u00e0 la nouvelle technologie. C’est ainsi que Thomas Edison, encore lui, organisa le financement du syst\u00e8me de distribution du courant \u00e9lectrique aux \u00c9tats-Unis, depuis les centrales \u00e0 l’ampoule, en passant par les poteaux et les c\u00e2bles \u00e9lectriques.<\/p>\n

Il arrive aussi que certaines innovations aient besoin, pour se d\u00e9velopper, d’autres produits, un probl\u00e8me que l’entreprise innovatrice aura souvent int\u00e9r\u00eat \u00e0 affronter carr\u00e9ment. La croissance du march\u00e9 des enregistreurs vid\u00e9o fut frein\u00e9e pendant pr\u00e8s d’une d\u00e9cennie parce que les fabricants potentiels se disaient: nous n’avons pas de films \u00e0 vendre avec nos machines. Certains d\u00e9cid\u00e8rent alors: faisons alliance avec une compagnie cin\u00e9matographique. CBS joua cette strat\u00e9gie au d\u00e9but de l’ann\u00e9e 70, proposant \u00e0 ses clients sa machine et des films pr\u00e9enregistr\u00e9s. Il perdit des dizaines de millions de dollars, et d\u00e9clara forfait en 1971. AVCO, Montgomery-Ward, t\u00e2t\u00e8rent ensuite de ce march\u00e9 et y \u00e9chou\u00e8rent aussi. Sony, consid\u00e9rant que ces \u00e9checs \u00e9taient dus au fait que le nombre des films propos\u00e9s aux acheteurs d’enregistreurs vid\u00e9o \u00e9tait trop faible, mit l’accent sur la capacit\u00e9 de son Betamax \u00e0 enregistrer des programmes TV et appuya ce positionnement par la plus grande campagne promotionnelle de son histoire. Gr\u00e2ce \u00e0 quoi elle domina ce march\u00e9 plusieurs ann\u00e9es durant… jusqu’\u00e0 ce que Matsushita, une nouvelle nouvelle-venue, lui vole sa place.<\/p>\n

Il arrive enfin que certains produits co\u00fbtent trop cher pour r\u00e9ussir \u00e0 conqu\u00e9rir le march\u00e9 qu’ils convoitaient. M\u00eame dans ce cas il est possible de contourner l’obstacle. Les machines \u00e0 photocopier lanc\u00e9es par Xerox co\u00fbtaient \u00e0 l’origine les yeux de la t\u00eate (quelque 4000 dollars, soit quelque 6500 francs suisses au cours actuel). A ce prix, faisaient remarquer les experts, il ne sera pas possible d’en vendre plus de quelques milliers d’exemplaires, la concurrence du papier carbone, qui ne co\u00fbte presque rien, \u00e9tant trop forte, et les entreprises n’ayant apr\u00e8s tout pas besoin de faire tant de copies… Xerox contourna la difficult\u00e9 en offrant ses photocopieuses en leasing, jusqu’\u00e0 ce que les utilisateurs, s\u00e9duits par la facilit\u00e9 d’emploi et la qualit\u00e9 des copies produites, mettent d’eux-m\u00eames les avantages du nouveau proc\u00e9d\u00e9 dans un plateau de la balance, son co\u00fbt dans l’autre, et cessent peu \u00e0 peu d’utiliser leur papier carbone. Pourtant m\u00eame cet \u00e9quilibre prix\/avantages n’a pas r\u00e9ussi \u00e0 faire d\u00e9marrer en fl\u00e8che les photocopieurs. Il fallut attendre que de nouvelles technologies ajoutent encore aux avantages offerts et permettent d’abaisser les prix pour que, tout \u00e0 coup, un juste \u00e9quilibre prix\/avantages soit trouv\u00e9 et le march\u00e9 des photocopieurs explose.<\/p>\n

L’ai-je assez r\u00e9p\u00e9t\u00e9, pr\u00e9visions et pr\u00e9dictions sont fausses neuf fois sur dix. J’ai sugg\u00e9r\u00e9 ici quelques moyens d’\u00e9chapper \u00e0 cette difficult\u00e9. Il en est un dernier, qui rel\u00e8ve de la philosophie plus que du marketing, par lequel j’aimerais conclure: contrairement \u00e0 ce que la plupart des gens, entra\u00een\u00e9 dans l’agitation de l’\u00e9poque, finissent par croire, demain, pour vous et moi, ne sera pas tr\u00e8s diff\u00e9rent d’hier. Il n’y aura pas de \u00ab\u00a0chocs du futur\u00a0\u00bb et autres \u00ab\u00a0changements d’\u00e9poques radicaux\u00a0\u00bb, en vogue dans les ann\u00e9es 60. Bien s\u00fbr il y aura des changements, mais bien moins profonds et, surtout, beaucoup plus lents, qu’on ne le croit encore aujourd’hui, intoxiqu\u00e9s que nous sommes par l’id\u00e9e que le monde change de plus en plus vite. L’inertie fondamentale des soci\u00e9t\u00e9s humaines suffit \u00e0 expliquer pourquoi les pr\u00e9visions et pr\u00e9dictions \u00e9voqu\u00e9es dans cette s\u00e9rie d’articles ratent presque toujours leur cible, et de beaucoup.<\/p>\n

Nos vies, demain, seront tr\u00e8s semblables \u00e0 ce qu’elles sont aujourd’hui. Les go\u00fbts et les styles changeront. Un certain nombre de d\u00e9couvertes et d’inventions in\u00e9dites nous rendront de r\u00e9els services. Mais nous ne vivrons pas de mani\u00e8re radicalement diff\u00e9rente. Nous dormirons dans des maisons en mat\u00e9riaux traditionnels. Nous porterons du coton et de la laine. Croire que le monde demain sera compl\u00e8tement diff\u00e9rent, en d\u00e9duire de formidables pr\u00e9visions, c’est s’emplir la t\u00eate de bulles de savon.<\/p>\n

\u00a9 Le Temps strat\u00e9gique, No 36, Gen\u00e8ve, Octobre 1990.<\/p>\n

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PR\u00c9VISIONS TECHNOLOGIQUES (V) POUR \u00c9VITER DE VOUS \u00ab\u00a0PLANTER\u00a0\u00bb COMPLETEMENT UNE SEULE METHODE: LA RUSE! Petite liste \u00ab\u00a0rusologique\u00a0\u00bb: inventez des tas de sc\u00e9narios; laissez vos concurrents essuyer les pl\u00e2tres, puis volez-leur le march\u00e9 (m\u00eame si \u00e7a n’est pas moral); ne perdez pas de temps \u00e0 consulter des gourous; innovez sans rel\u00e2che; \u2026 Lire plus \/ Read more<\/a><\/p>\n","protected":false},"author":1,"featured_media":1770,"parent":556,"menu_order":0,"comment_status":"closed","ping_status":"closed","template":"","meta":{"ngg_post_thumbnail":0,"footnotes":""},"class_list":["post-579","page","type-page","status-publish","has-post-thumbnail","hentry"],"_links":{"self":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/579","targetHints":{"allow":["GET"]}}],"collection":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages"}],"about":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/types\/page"}],"author":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/users\/1"}],"replies":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=%2Fwp%2Fv2%2Fcomments&post=579"}],"version-history":[{"count":3,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/579\/revisions"}],"predecessor-version":[{"id":589,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/579\/revisions\/589"}],"up":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/556"}],"wp:featuredmedia":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/media\/1770"}],"wp:attachment":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=%2Fwp%2Fv2%2Fmedia&parent=579"}],"curies":[{"name":"wp","href":"https:\/\/api.w.org\/{rel}","templated":true}]}}