{"id":577,"date":"2015-01-05T13:40:48","date_gmt":"2015-01-05T12:40:48","guid":{"rendered":"http:\/\/www.archipress.org\/wp\/?page_id=577"},"modified":"2015-01-25T00:24:32","modified_gmt":"2015-01-24T23:24:32","slug":"previsions-technologiques-4","status":"publish","type":"page","link":"https:\/\/www.archipress.org\/?page_id=577","title":{"rendered":"Pr\u00e9visions technologiques 4"},"content":{"rendered":"

PR\u00c9VISIONS TECHNOLOGIQUES (IV)<\/p>\n

\n

SEPT CONSEILS
\nPOUR LE CAS OU VOUS VOUDRIEZ
\nVOUS METTRE UN PEU DE PLOMB DANS LA CERVELLE<\/h3>\n<\/div>\n

<\/h2>\n
Soyez un brin pessimiste. Gardez un oeil sur les outsiders. Attendez-vous \u00e0 des surprises. Ne croyez pas que les inventeurs savent \u00e0 quoi leurs inventions vont servir. Pr\u00e9parez-vous \u00e0 traverser des d\u00e9serts. Attendez surtout que les temps soient m\u00fbrs.<\/strong><\/div>\n
Par Steven Schnaars<\/div>\n

 <\/p>\n

\"S<\/span>‘il est difficile de faire des pr\u00e9visions justes, dans le domaine notamment des inventions cens\u00e9es changer notre vie, c’est que, dans ce monde (Lapalisse n’eut pas dit mieux) les choses ne se passent jamais comme on croit qu’elles vont se passer!<\/p>\n

<\/p>\n

Mais enfin, comment se passent-elles? Peut-on mettre en \u00e9vidence certaines lois stables que les faiseurs de pr\u00e9visions auraient int\u00e9r\u00eat \u00e0 garder pr\u00e9sentes \u00e0 l’esprit? Quelques le\u00e7ons de bon sens au moins?<\/p>\n

Consid\u00e9rez le cas fameux de l’avion scolaire. En 1960, avions \u00e0 r\u00e9action et t\u00e9l\u00e9vision \u00e9taient des technologies qui faisaient encore r\u00eaver les foules. Un expert proposa donc qu’un DC-6 volant \u00e0 7500 m\u00e8tres d’altitude tourne \u00e0 journ\u00e9es faites au-dessus de l’\u00c9tat d’Indiana, pour diffuser un programme \u00e9ducatif aux \u00e9coles de six \u00c9tats du Midwest. L’homme ne manquait pas d’arguments. \u00ab\u00a0La ma\u00eetresse d’\u00e9cole, lib\u00e9r\u00e9e du souci de pr\u00e9parer ses classes, pourra suivre de plus pr\u00e8s chacun de ses \u00e9l\u00e8ves\u00a0\u00bb, disait-il. Il ajoutait que son id\u00e9e n’\u00e9tait pas sans pr\u00e9c\u00e9dent, puisqu’en 1948 les R\u00e9publicains avaient diffus\u00e9 de la m\u00eame mani\u00e8re (une technique qu’ils avaient nomm\u00e9e alors \u00ab\u00a0Stratovision\u00a0\u00bb) des reflets de leur Convention nationale et obtenu un grand succ\u00e8s. Et bien s\u00fbr, ultima ratio,<\/em> que la t\u00e9l\u00e9vision a\u00e9rodiffus\u00e9e, parce qu’elle combinait deux technologies d’avenir, ne pouvait que d\u00e9boucher sur un march\u00e9 nouveau et formidable.<\/p>\n

Nul besoin d’\u00eatre sorti de Harvard pour comprendre ce qui a fait de ce projet un bide total. Fascin\u00e9 par les technologies en vogue, son auteur avait n\u00e9glig\u00e9 le fait que les ma\u00eetres sont pay\u00e9s pour pr\u00e9parer leurs cours, et que cette pr\u00e9paration n’est en aucun cas une esp\u00e8ce d’effet secondaire ind\u00e9sirable du processus scolaire. Son projet aurait pr\u00e9sent\u00e9 des avantages incontestables pour les ma\u00eetres, mais aucun pour les \u00e9l\u00e8ves, qui n’auraient rien gagn\u00e9 \u00e0 regarder un ma\u00eetre virtuel leur faire la le\u00e7on \u00e0 la t\u00e9l\u00e9 en lieu et place de leur ma\u00eetre en chair et en os. Un cas extr\u00eame, en somme, d’innovation technologique pour le seul amour de la technologie.<\/p>\n

Et je ne dis rien du co\u00fbt de cette \u00e9cole a\u00e9rodiffus\u00e9e! Compte tenu de la faiblesse des salaires des enseignants, un exploit technologique aussi co\u00fbteux \u00e9tait d’\u00e9vidence d\u00e9plac\u00e9. A moins que le propos e\u00fbt \u00e9t\u00e9 de r\u00e9aliser des \u00e9conomies d’\u00e9chelle… ce que j’ai de la peine \u00e0 croire.<\/p>\n

Attention excessive port\u00e9e \u00e0 l’esprit du temps, fascination aveugle pour les technologies \u00e0 la mode, \u00e9vocation abusive d’un pr\u00e9c\u00e9dent historique: on trouve r\u00e9unis l\u00e0 tous les poncifs du genre. N’emp\u00eache que ce projet d\u00e9sastreux \u00e9tait \u00e0 deux doigts de voir juste, mais deux doigts qui comptent.<\/p>\n

Il imaginait des avions diffusant des cours t\u00e9l\u00e9vis\u00e9s… Il avait au fond raison, \u00e0 ceci pr\u00e8s que ce sont des satellites et non des avions qui assurent aujourd’hui le gros des t\u00e9l\u00e9communications mondiales (le march\u00e9 des satellites ne cesse de cro\u00eetre, alors que les avions, eux, continuent \u00e0 tourner comme des frelons au-dessus des a\u00e9roports engorg\u00e9s, pour le plus grand \u00e9nervement des passagers qu’ils transportent). Et que ce que les satellites diffusent, aujourd’hui, d’un seul coup sur l’ensemble du territoire am\u00e9ricain, ce ne sont pas des cours mais des jeux et des quiz t\u00e9l\u00e9vis\u00e9s.<\/p>\n

Les sp\u00e9cialistes des pr\u00e9visions avait donc bien \u00ab\u00a0senti\u00a0\u00bb que quelque chose allait advenir, mais ils n’ont pas r\u00e9ussi \u00e0 percevoir pas ce qui allait vraiment se passer. Ils se sont au fond tromp\u00e9s de technologie, n’ont pas su voir \u00e0 quoi elle allait vraiment servir, ni quels march\u00e9s elle allait conqu\u00e9rir. Quelles le\u00e7ons peut-on tirer de cette histoire quelque peu rocambolesque? J’en vois sept.<\/p>\n

L<\/span>e\u00e7on no.1: Une invention point n’aura automatiquement de succ\u00e8s commercial.<\/strong> La plupart des pr\u00e9visions \u00e9chouent parce qu’elles sont beaucoup trop optimistes. On a tant \u00e9crit sur l’innovation, la mani\u00e8re dont elle se r\u00e9pand, les courbes de croissance, le cycle de vie des produits, et bien s\u00fbr les techniques de pr\u00e9vision, que l’on en vient \u00e0 croire, malgr\u00e9 soi, qu’une technologie nouvelle conduit forc\u00e9ment au succ\u00e8s commercial. A tort, \u00e9videmment.<\/p>\n

Du Pont de Nemours r\u00e9ussit, \u00e0 la veille de la Deuxi\u00e8me guerre, un coup fumant avec le nylon. Il se convainquit donc qu’il pourrait r\u00e9\u00e9diter cet exploit avec le Kevlar, mais ce fut un \u00e9chec. En r\u00e9trospective, il appara\u00eet que le Kevlar \u00e9tait plut\u00f4t la r\u00e8gle, et le nylon l’exception!<\/p>\n

Le Kevlar est pourtant une fibre remarquable, tr\u00e8s l\u00e9g\u00e8re et cinq fois plus r\u00e9sistante que l’acier. N’emp\u00eache qu’apr\u00e8s vingt-cinq ans d’efforts, 700 millions de dollars d’investissements et 200 millions de dollars de pertes, sans rien dire du temps colossal consacr\u00e9 au produit, le Kevlar n’a trouv\u00e9 que des usages et des march\u00e9s ultra-marginaux. Pour le Corfam, une autre fibre de Du Pont, ce fut encore pire. Ah! il est difficile de trouver un autre nylon!<\/p>\n

Malgr\u00e9 cela, beaucoup de gens pensent que pour arriver \u00e0 des inventions qui \u00ab\u00a0marchent\u00a0\u00bb il faut laisser les inventeurs fous \u00eatre fous. Il est vrai d’ailleurs que lorsque l’on \u00e9tudie en d\u00e9tail les inventions \u00e0 succ\u00e8s, leurs cr\u00e9ateurs apparaissent comme des hommes qui ont des esp\u00e8ces de visions et s’acharnent \u00e0 les mat\u00e9rialiser. Mais peut-on en peut d\u00e9duire que tous les inventeurs ayant des visions et de l’acharnement vont produire des inventions \u00e0 succ\u00e8s? Bien s\u00fbr que non.<\/p>\n

La plupart du temps, les inventeurs fous produisent des id\u00e9es folles, des id\u00e9es qui ne connaissent aucun lendemain. Pour une id\u00e9e sortie de leur t\u00eate qui conna\u00eet le succ\u00e8s, les \u00e9checs se comptent par myriades. En \u00e9tudiant toujours les succ\u00e8s, jamais les \u00e9checs, nous nous condamnons nous-m\u00eames \u00e0 de perp\u00e9tuelles erreurs de perspectives.<\/p>\n

Le\u00e7on no. 2: L’invention efficace jamais ne viendra de l\u00e0 o\u00f9 elle aurait d\u00fb venir.<\/strong> Curieux mais vrai: les innovations technologiques qui \u00ab\u00a0marchent\u00a0\u00bb sortent rarement des entreprises qui eussent sembl\u00e9 leurs g\u00e9nitrices naturelles. Les entreprises dominantes d’une industrie donn\u00e9e ont, dans leur propre domaine, beaucoup moins de clairvoyance pr\u00e9visionnelle que les outsiders. Il arrive m\u00eame souvent qu’elles soient les derni\u00e8res \u00e0 percevoir le danger que certaines innovations ext\u00e9rieures font courir \u00e0 leurs grands produits gagne-pain.<\/p>\n

Voyez le cas (extr\u00eame) des calculatrices \u00e9lectroniques, des machines \u00e0 calculer et des r\u00e8gles \u00e0 calcul. En 1967, Keuffel & Esser, un fabricant leader dans le domaine des r\u00e8gles \u00e0 calcul, re\u00e7ut mandat de faire une \u00e9tude sur l’avenir de la branche. Il r\u00e9digea un rapport plein de conclusions int\u00e9ressantes, dont quelques-unes se r\u00e9alis\u00e8rent, et la plupart pas. Ce rapport omettait cependant de pr\u00e9dire l’essentiel, \u00e0 savoir que la calculatrice \u00e9lectronique allait tuer la r\u00e8gle \u00e0 calcul dans les cinq ans, de sorte qu’\u00e0 la fin des ann\u00e9es 70, un manager de Keuffel & Esser allait devoir reconna\u00eetre: \u00ab\u00a0Si nous vendons maintenant 200 r\u00e8gles \u00e0 calcul par an, c’est un maximum.\u00a0\u00bb Des r\u00e8gles vendues comme autant de souvenirs d’une \u00e8re r\u00e9volue.<\/p>\n

Si le cas est extr\u00eame, il n’est pas rare. Tant que tout va bien pour eux, les leaders d’un march\u00e9 c\u00e8dent \u00e0 l’autosatisfaction. Ils se concentrent sur les produits qu’ils fabriquent, et n\u00e9gligent les tendances de fond qui pourraient les mettre en cause. Des menaces objectivement imminentes ne leur paraissent ni imminentes ni mena\u00e7antes. Ils s’offrent donc sans protection aux attaques de nouveaux venus, qui ont plus d’oeil et de nez qu’eux.<\/p>\n

Quant aux grands fabricants de machines \u00e0 calculer \u00e9lectrom\u00e9caniques, ils avaient plus encore \u00e0 perdre de l’av\u00e8nement des calculatrices \u00e9lectroniques que Keuffel & Esser. Pourtant aucun d’entre eux n’en prit conscience. Et lorsqu’ils finirent par se lancer dans l’\u00e9lectronique, comme il e\u00fbt \u00e9t\u00e9 naturel qu’ils fassent d’embl\u00e9e, il \u00e9tait trop tard, la place \u00e9tait d\u00e9j\u00e0 prise.<\/p>\n

Ce sch\u00e9ma troublant on le retrouve dans toutes les industries. Le stylo \u00e0 bille n’a pas \u00e9t\u00e9 lanc\u00e9 par les grands fabricants de plume r\u00e9servoir, mais par les fr\u00e8res Biro, de Hongrie, qui d\u00e9velopp\u00e8rent leur invention… en Argentine. Bien que le brevet pour les \u00c9tats-Unis ait \u00e9t\u00e9 achet\u00e9 par un grand fabricant de stylos classiques, Eversharp and Eberhard Faber, il fut repris par un industriel ext\u00e9rieur \u00e0 la branche, Milton Reynolds, qui avait vu le produit \u00e0 Buenos Aires et l’avait trouv\u00e9 g\u00e9nial. L’histoire se r\u00e9p\u00e9ta plusieurs ann\u00e9es plus tard: le stylo \u00e0 bille jetable ne fut en effet pas lanc\u00e9 par les grands fabricants de stylos \u00e0 bille, \u00e0 leur tout bien install\u00e9s, mais par l’industriel fran\u00e7ais Marcel Bich, le cr\u00e9ateur des stylos Bic.<\/p>\n

Dans les ann\u00e9es 70, trois fr\u00e8res install\u00e9s \u00e0 Brooklyn jug\u00e8rent que le temps \u00e9tait venu de dessiner des jeans sp\u00e9cialement pour les femmes. Ils lanc\u00e8rent donc leurs jeans mode, auxquels ils s’efforc\u00e8rent de donner une image de prestige, avec une campagne de publicit\u00e9 majeure. Levis, le cr\u00e9ateur du jeans, ne bougea pas, se contentant de produire, \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de ses jeans, des pantalons classiques hauts de gamme, mais ne portant pas sa marque. Peu apr\u00e8s. les hauts de gamme Levis s’effondr\u00e8rent alors que les jeans mode des trois fr\u00e8res Jordache triomphaient. Levis avait rat\u00e9 le coche m\u00eame dont il aurait d\u00fb \u00eatre le conducteur.<\/p>\n

La liste est infinie. Les livres de poche ne furent pas lanc\u00e9s par de grands \u00e9diteurs, mais par un outsider qui leur parut si peu mena\u00e7ant qu’ils lui vendirent leurs droits de r\u00e9\u00e9dition pour trois fois rien. Les envois expr\u00e8s priv\u00e9s ne furent pas lanc\u00e9s aux \u00c9tats-Unis par la poste, les compagnies d’aviation ou les transporteurs, qui ne voyaient pas l’int\u00e9r\u00eat de garantir la remise d’un pli sous vingt-quatre heures et trouvaient m\u00eame idiote l’id\u00e9e de concentrer tous les envois dans une ville avant de les redistribue, mais par un nouveau venu, Fred Smith, fondateur de Federal Express. Les pneus radiaux ne furent pas lanc\u00e9s par les g\u00e9ants Goodyear, Firestone ou Goodrich, mais par le petit Michelin. Les montres digitales, lorsqu’elles apparurent sur le march\u00e9, furent snob\u00e9es par les horlogers suisses. Les boissons \u00e0 basses calories et celles sans caf\u00e9ine ne furent lanc\u00e9es ni par Coca, ni par Pepsi.<\/p>\n

Les leaders d’un march\u00e9 semblent frapp\u00e9s d’une \u00e9trange myopie pour ce qui se passe dans leur propre arri\u00e8re-cour.<\/p>\n

L<\/span>e\u00e7on no.3: Jamais ne devineras \u00e0 quoi telle ou telle invention finira par servir.<\/strong> Lorsqu’une invention para\u00eet, personne ne sait quoi en faire ni, a fortiori, \u00e0 quoi elle finira par servir vraiment (si tant est qu’elle survive).<\/p>\n

Comment se passent les choses en pratique? Une invention jug\u00e9e int\u00e9ressante est test\u00e9e sur le march\u00e9 sous diff\u00e9rentes formes. La plupart de ces test sont n\u00e9gatifs, jusqu’\u00e0 ce qu’un jour quelqu’un, par flair ou par chance, d\u00e9busque un usage qui trouve du r\u00e9pondant sur le march\u00e9. A partir de ce point, le produit se transforme peu \u00e0 peu dans son contenu et son usage jusqu’\u00e0 atteindre sa configuration optimale.<\/p>\n

Prenez les h\u00e9licopt\u00e8res. Jusqu’\u00e0 la fin des ann\u00e9es 50, on ne voyait pas tr\u00e8s bien ce qu’allait \u00eatre leur usage final. Le premier h\u00e9licopt\u00e8re vraiment op\u00e9rationnel vola en 1948 et s\u00e9duisit l’arm\u00e9e am\u00e9ricaine. Qui n’en fit vraiment un usage massif qu’une dizaine d’ann\u00e9es plus tard, au cours de la guerre du Vietnam. Parall\u00e8lement, l’h\u00e9licopt\u00e8re se r\u00e9v\u00e9la un moyen avantageux de transporter des passagers civils sur de courtes distances, alors que l’on avait cru longtemps que ce march\u00e9 sp\u00e9cifique serait r\u00e9serv\u00e9 aux avions \u00e0 d\u00e9collage vertical ou tr\u00e8s court (les VSTOL). Les h\u00e9licopt\u00e8res, comme tant d’autres innovations, se sont donc infiltr\u00e9s dans leur march\u00e9 r\u00e9el comme l’eau s’infiltre dans les fissures du sol… Fissures dont personne n’avait vraiment pr\u00e9vu ni la forme ni la nature.<\/p>\n

Les inventeurs eux-m\u00eames ont de la peine \u00e0 imaginer ce que sera l’usage final de leur invention. Voyez le cas d’Univac, pionnier dans la fabrication des ordinateurs commerciaux, qui dut c\u00e9der tr\u00e8s vite sa place de t\u00eate \u00e0 IBM. En 1950, les marketeurs d’Univac avaient pr\u00e9dit qu’en l’an 2000 il y aurait en Am\u00e9rique quelque mille ordinateurs et pr\u00e9voyaient dans l’imm\u00e9diat d’en vendre une douzaine, au Bureau am\u00e9ricain du recensement, aux Laboratoires Bell, \u00e0 la Commission de l’\u00c9nergie atomique, et quelques autres gros utilisateurs de ce genre. Les pr\u00e9visions d’Univac se r\u00e9v\u00e9l\u00e8rent compl\u00e8tement fausses (en 1984, il y avait aux \u00c9tats-Unis plus d’un million d’ordinateurs) parce que l’entreprise avait fond\u00e9 ses pr\u00e9visions sur l’id\u00e9e (fausse) que son principal march\u00e9 potentiel serait le milieu de la recherche scientifique de pointe. Alors que dans les faits, ce sont les entreprises, sur lesquelles misa IBM, qui s’amourach\u00e8rent des ordinateurs et en firent le plus grand usage.<\/p>\n

Quant au Kevlar, la fibre de Du Pont \u00ab\u00a0plus r\u00e9sistante que l’acier\u00a0\u00bb, dont j’ai d\u00e9j\u00e0 parl\u00e9, elle en est aujourd’hui encore \u00e0 tester sur le march\u00e9 des usages divers, et n’a pas trouv\u00e9 sa vraie utilisation finale: on en fait ainsi des couvertures militaires pesant huit kilos, sous lesquelles se blottissent des soldats fatigu\u00e9s d’avoir d\u00fb les trimbaler; des c\u00e2bles qui ont la f\u00e2cheuse manie casser quand on s’y attend le moins; des voiles de bateaux qui se laissent d\u00e9chirer par la temp\u00eate, etc. Un des managers de Du Pont r\u00e9sume ainsi la difficult\u00e9 qu’il y a \u00e0 trouver le march\u00e9 final du produit: \u00ab\u00a0Kevlar \u00e9tait la r\u00e9ponse, mais la r\u00e9ponse \u00e0 quelle question, \u00e7a nous l’ignorions.\u00a0\u00bb<\/p>\n

Dernier exemple, les conditionneurs d’air. Ils furent invent\u00e9s au d\u00e9but du si\u00e8cle par Willis Haviland Carrier non pour rafra\u00eechir les maisons et les lieux publics durant les grandes chaleurs, mais pour ass\u00e9cher l’air d’une imprimerie de Brooklyn dont le stock de papier \u00e9tait si humide en \u00e9t\u00e9 qu’il devenait inutilisable…<\/p>\n

L<\/span>e\u00e7on no. 4: Jamais ne devineras la forme qu’un produit finira par prendre.<\/strong> Consid\u00e9rez le cas de la TV projet\u00e9e sur grand \u00e9cran, un march\u00e9 qui se d\u00e9veloppe tr\u00e8s rapidement. L’un des pionniers du domaine, Kloss Video, tenait en 1987, avec le Novabeam Model 100, un syst\u00e8me de projection frontale, 40 \u00e0 50 % du march\u00e9 des projecteurs frontaux. Mais cette disposition changea peu \u00e0 peu au profit d’une projection depuis l’arri\u00e8re de l’\u00e9cran, qui \u00e9vite de devoir planter une machine au milieu des spectateurs. Le syst\u00e8me frontal devint tr\u00e8s vite obsol\u00e8te et Kloss se retrouva avec 50 % d’un march\u00e9 r\u00e9tr\u00e9cissant comme peau de chagrin, ou mieux dit: avec 50 % de rien! Le produit original de Kloss avait trouv\u00e9 son juste usage, mais point encore sa juste forme. Tout pionni\u00e8re qu’elle \u00e9tait, l’entreprise s’est retrouv\u00e9e au bord de la faillite.<\/p>\n

Le\u00e7on no.5: Jamais ne devineras qui seront finalement les consommateurs d’un produit.<\/strong> Le destin des fours \u00e0 micro-ondes et des enregistreurs vid\u00e9o en donne une illustration typique, puisqu’ils avaient \u00e9t\u00e9 con\u00e7us \u00e0 l’origine pour des march\u00e9s industriels, et non la grande consommation. Pareil cheminement est souvent n\u00e9cessaire d’ailleurs: au d\u00e9but le produit est co\u00fbteux et ne peut int\u00e9resser que de gros utilisateurs, et ce n’est que lorsque son co\u00fbt baissera, qu’il pourra int\u00e9resser le march\u00e9 de la grande consommation.<\/p>\n

Un autre cheminement conduit de l’usage de technologies de pointe par les militaires et les lanceurs d’engins spatiaux, aux utilisateurs industriels puis, enfin, aux consommateurs. Bien que ce cheminement particulier soit souvent invoqu\u00e9e pour justifier d\u00e9penses spatiales et militaires, les r\u00e9sultats pratiques pour le consommateur (les chaussures de course \u00e0 coussins d’air Kangaroo par exemple, copi\u00e9es de chaussures utilis\u00e9es par les astronautes) sont bien maigres compte tenu des d\u00e9penses initialement engag\u00e9es.<\/p>\n

Le\u00e7on no.6: Rien n’ira aussi vite que tu ne l’imagines. <\/strong>La tarte \u00e0 la cr\u00e8me c’est de dire que le monde ne cesse de changer, et le fait de plus en plus vite. Or l’exp\u00e9rience prouve juste le contraire. Les innovations \u00e0 sensation sont comme les spectacles de cabaret, ils doivent faire des ann\u00e9es de night-clubs miteux avant de triompher dans des \u00e9tablissements de premi\u00e8re classe.<\/p>\n

Le transistor, un des plus grand succ\u00e8s commerciaux du 20\u00e8 si\u00e8cle, fut invent\u00e9 il y a plus de quarante ans dans les Laboratoires Bell. Il fallut une d\u00e9cennie, pratiquement, avant qu’il ne soit utilis\u00e9 dans les ordinateurs, et une d\u00e9cennie suppl\u00e9mentaire pour qu’il soit int\u00e9gr\u00e9 dans des produits de grande consommation. M\u00eame chose pour les fours \u00e0 micro-ondes, qui tard\u00e8rent vingt ans pour s’imposer, frein\u00e9s notamment par une publicit\u00e9 adverse les accusant de laisser \u00e9chapper des radiations dangereuses.<\/p>\n

Une \u00e9tude de l’Institut Battelle sugg\u00e8re qu’une innovation technologique prend en moyenne 19.2 ans pour trouver son march\u00e9. Patience et pers\u00e9v\u00e9rance sont donc indispensables pour lancer une nouveaut\u00e9 technologique. Les sp\u00e9cialistes des pr\u00e9visions seraient bien inspir\u00e9s d’en tenir compte au moment de formuler leurs verdicts.<\/p>\n

Dans le m\u00eame ordre d’id\u00e9e, on constate qu’\u00e0 l’inverse les produits bien \u00e9tablis r\u00e9sistent extr\u00eamement bien aux al\u00e9as du march\u00e9 et ne disparaissent que lentement. Sur les vingt-cinq marques am\u00e9ricaines qui \u00e9taient en t\u00eate de leur cat\u00e9gorie dans les ann\u00e9es 20, vingt-trois le sont encore aujourd’hui.<\/p>\n

Le\u00e7on no.7: Rien ne sert d’inventer si les temps ne sont pas m\u00fbrs.<\/strong> Les marketeurs peuvent h\u00e2ter l’\u00e9mergence d’un nouveau march\u00e9, mais le ph\u00e9nom\u00e8ne de l’\u00e9mergence elle-m\u00eame ob\u00e9it \u00e0 des lois myst\u00e9rieuses que personne ne contr\u00f4le. Ainsi les fours \u00e0 micro-ondes, pour les mentionner de nouveau, stagn\u00e8rent jusqu’\u00e0 ce que se multiplient les petites restreintes o\u00f9 tant le mari que la femme travaillent, familles auxquelles cette nouvelle technologie apparut particuli\u00e8rement pratique. Dans un autre ordre d’id\u00e9e, le succ\u00e8s de l’eau min\u00e9rale Perrier aux \u00c9tats-Unis est une cons\u00e9quence \u00e9vidente du souci de se bien porter qui y est d\u00e9sormais en vogue. Des exemples innombrables prouvent qu’il est impossible de conqu\u00e9rir un march\u00e9 avec une technologie nouvelle avant que ce march\u00e9 ne soit \u00ab\u00a0m\u00fbr\u00a0\u00bb pour elle.<\/p>\n

Derek Abell dit qu’\u00e0 mesure que le temps passe, des opportunit\u00e9s (ou \u00ab\u00a0fen\u00eatres strat\u00e9giques\u00a0\u00bb) s’ouvrent pour certaines entreprises et se ferment pour d’autres. Il conseille donc aux entreprises de surveiller attentivement leur environnement pour rep\u00e9rer aussi t\u00f4t que possible l’ouverture d’\u00e9ventuelles \u00ab\u00a0fen\u00eatres strat\u00e9giques\u00a0\u00bb. Ce qui implique, le point est central, que les entreprises, loin de cr\u00e9er les march\u00e9s, comme on le croit parfois, ne font que les rep\u00e9rer.<\/p>\n

Pour entrer sur un march\u00e9 avec un produit nouveau, l’art du \u00ab\u00a0timing\u00a0\u00bb est donc essentiel. Les chaussures de course Nike n’auraient jamais connu un succ\u00e8s aussi foudroyant si elles n’\u00e9taient apparues au milieu des ann\u00e9es 70, juste au d\u00e9but de la vogue du fitness. Une fen\u00eatre strat\u00e9gique s’\u00e9tait ouverte pour les produits de sant\u00e9, Nike s’y est pr\u00e9cipit\u00e9, cependant qu’une autre se fermait pour les marchands de tabac et de boissons alcooliques, contraints d\u00e8s lors de p\u00e9daler \u00e0 contre-pente par vent debout.<\/p>\n

\u00a9 Le Temps strat\u00e9gique, No 36, Gen\u00e8ve, Octobre 1990.<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":"

PR\u00c9VISIONS TECHNOLOGIQUES (IV) SEPT CONSEILS POUR LE CAS OU VOUS VOUDRIEZ VOUS METTRE UN PEU DE PLOMB DANS LA CERVELLE Soyez un brin pessimiste. Gardez un oeil sur les outsiders. Attendez-vous \u00e0 des surprises. Ne croyez pas que les inventeurs savent \u00e0 quoi leurs inventions vont servir. Pr\u00e9parez-vous \u00e0 traverser \u2026 Lire plus \/ Read more<\/a><\/p>\n","protected":false},"author":1,"featured_media":1770,"parent":556,"menu_order":0,"comment_status":"closed","ping_status":"closed","template":"","meta":{"ngg_post_thumbnail":0,"footnotes":""},"class_list":["post-577","page","type-page","status-publish","has-post-thumbnail","hentry"],"_links":{"self":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/577","targetHints":{"allow":["GET"]}}],"collection":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages"}],"about":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/types\/page"}],"author":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/users\/1"}],"replies":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=%2Fwp%2Fv2%2Fcomments&post=577"}],"version-history":[{"count":2,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/577\/revisions"}],"predecessor-version":[{"id":590,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/577\/revisions\/590"}],"up":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/556"}],"wp:featuredmedia":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/media\/1770"}],"wp:attachment":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=%2Fwp%2Fv2%2Fmedia&parent=577"}],"curies":[{"name":"wp","href":"https:\/\/api.w.org\/{rel}","templated":true}]}}