{"id":575,"date":"2015-01-05T13:37:45","date_gmt":"2015-01-05T12:37:45","guid":{"rendered":"http:\/\/www.archipress.org\/wp\/?page_id=575"},"modified":"2015-01-25T00:26:16","modified_gmt":"2015-01-24T23:26:16","slug":"previsions-technologiques-3","status":"publish","type":"page","link":"https:\/\/www.archipress.org\/?page_id=575","title":{"rendered":"Pr\u00e9visions technologiques 3"},"content":{"rendered":"
PR\u00c9VISIONS TECHNOLOGIQUES (III)<\/p>\n
<\/p>\n
<\/p>\n Il est effarant de constater que la plupart de ceux qui veulent lancer un produit nouveau oublient (ou refusent) de proc\u00e9der \u00e0 cette simple analyse prix\/performances. Presque toutes les pr\u00e9dictions mentionn\u00e9es dans ce num\u00e9ro sp\u00e9cial auraient \u00e9t\u00e9 \u00e9limin\u00e9es d’embl\u00e9e si leurs auteurs les avaient soumises \u00e0 ce test de bon sens.<\/p>\n Pour r\u00e9ussir commercialement, un produit nouveau doit en effet trouver au minimum un \u00e9quilibre subtil entre les b\u00e9n\u00e9fices qu’il offrira et le prix qui en sera demand\u00e9, par comparaison avec les prix de produits concurrents similaires. Les consommateurs, eux, font ce genre de comparaisons; il faut donc essayer de se mettre dans leur peau.<\/p>\n Lorsqu’une entreprise proc\u00e8de \u00e0 de telles analyses comparatives, pour savoir s’il existe un march\u00e9 pour son nouveau produit, si elle doit le lancer ou pas, la principale difficult\u00e9 qu’elle rencontre est d’\u00e9valuer la rapidit\u00e9 plus ou moins grande avec laquelle ses ventes \u00e9ventuelles vont cro\u00eetre et par cons\u00e9quent ses co\u00fbts de production d\u00e9cro\u00eetre. La plupart du temps elle fera des estimations d’un optimisme confondant. Si donc ses ventes se d\u00e9veloppent plus lentement que pr\u00e9vu, le prix de son produit nouveau restera d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9ment \u00e9lev\u00e9, et le produit lui-m\u00eame sera condamn\u00e9 \u00e0 la stagnation, pour ne pas dire au flop pur et simple.<\/p>\n Telle est, voyez-vous, la force perverse des technologies exotiques: elles font perdre \u00e0 l’entrepreneur le sens des r\u00e9alit\u00e9s \u00e9conomiques et formuler alors des pr\u00e9visions forc\u00e9ment erron\u00e9es. Alors qu’un peu de m\u00e9thode, quelques questions de base, lui auraient permis de garder les pieds sur terre. Voyez les cas qui suivent. Observez qu’il e\u00fbt \u00e9t\u00e9 \u00e0 chaque fois facile de pr\u00e9voir qu’ils allaient mal tourner.<\/p>\n A<\/span>u d\u00e9but des ann\u00e9es 60, plusieurs industriels se convainquirent qu’une nouvelle technique de conservation des aliments allait tout chambouler: la d\u00e9shydratation. Pensez! Plus besoin de r\u00e9frig\u00e9rateurs! United Fruit acheta donc une entreprise de vente de crevettes lyophilis\u00e9es, cependant qu’Armour et Swift, les g\u00e9ants de la conserverie, travaillaient \u00e0 la mise au point de viandes lyophilis\u00e9es. Le pr\u00e9sident d’Armour claironnait: \u00ab\u00a0Vous imaginez bien que nous n’investirions pas des sommes pareilles si nous n’\u00e9tions pas s\u00fbrs du succ\u00e8s de la lyophilisation.\u00a0\u00bb<\/p>\n Cela \u00e9tait bel et bon. Cependant il y avait un petit probl\u00e8me: la nourriture lyophilis\u00e9e n’avait pas tr\u00e8s bon go\u00fbt. Autrement dit, le proc\u00e9d\u00e9 n’offrait d’avantages, pour l’essentiel, qu’aux fabricants, ravis par l’id\u00e9e de pouvoir se d\u00e9barrasser bient\u00f4t d’\u00e9quipements de r\u00e9frig\u00e9ration malpratiques. C’est ainsi que la nourriture d\u00e9shydrat\u00e9e n’a jamais p\u00e9n\u00e9tr\u00e9 que des march\u00e9s minuscules, du genre rations de camping ou corned beef<\/em>.<\/p>\n D’ailleurs la plupart des pr\u00e9dictions en mati\u00e8re d’aliments \u00ab\u00a0miracle\u00a0\u00bb, en pilules ou synth\u00e9tiques, ont mis \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de la plaque. Il appara\u00eet en effet \u00e0 l’\u00e9vidence que ce que les consommateurs veulent (les consommateurs am\u00e9ricains tout au moins) c’est de pouvoir diposer d’un choix toujours plus large d’aliments congel\u00e9s et autres qui facilitent le travail de la ma\u00eetresse de maison, mais ne perdent pas leur saveur. Ils n’ont nul envie de se passer du plaisir de manger. C’est d’ailleurs pourquoi ils sont toujours dispos\u00e9 \u00e0 d\u00e9pensent le revenu d’une pleine journ\u00e9e de travail pour s’offrir le plaisir d’un repas excitant leurs sens.<\/p>\n Mais changeons de domaine. En 1972, lorsque les syst\u00e8mes quadriphoniques apparurent sur le march\u00e9, ils semblaient s’inscrire dans une suite logique: apr\u00e8s la mono la st\u00e9r\u00e9o, apr\u00e8s la st\u00e9r\u00e9o la quadriphonie! C’est l\u00e0 sans doute la raison pour laquelle un directeur de CBS crut pouvoir annoncer qu’un million de syst\u00e8mes quadriphoniques seraient vendus en 1973, et trois millions en 1974, et qu’ils remplaceraient les syst\u00e8mes st\u00e9r\u00e9o \u00ab\u00a0plus vite encore que la st\u00e9r\u00e9o n’avait remplac\u00e9 la mono\u00a0\u00bb. Perspectives excitantes pour l’industrie, on l’imagine, puisque les consommateurs allaient \u00eatre contraints d’acheter, d\u00e9sormais, quatre haut-parleurs au lieu de deux! Moins excitantes cependant pour les consommateurs, qui estim\u00e8rent que l’am\u00e9lioration sonore propos\u00e9e ne justifiait point une d\u00e9pense suppl\u00e9mentaire de cette importance. Pourtant, ce qui tua vraiment la quadriphonie fut l’incapacit\u00e9 des fabricants de se mettre d’accord sur des standards communs qui auraient rendu leurs appareils compatibles et le fait que la s\u00e9lection de disques propos\u00e9s \u00e9tait vraiment trop pauvre.<\/p>\n Les fabricants de disques compacts, qui entr\u00e8rent sur le march\u00e9 une dizaine d’ann\u00e9es plus tard, eurent, eux, la bonne id\u00e9e de tirer profit des erreurs de leurs pr\u00e9d\u00e9cesseurs. Ils d\u00e9finirent ensemble des standards communs et s’arrang\u00e8rent pour que les consommateurs puissent disposer d’une abondante production de disques compacts. Ils eurent encore une autre bonne id\u00e9e: celle de lancer leur nouvelle technologie sur le march\u00e9 en 1983, l’ann\u00e9e qui vit la conjoncture \u00e9conomique red\u00e9marrer en force!<\/p>\n Le vid\u00e9odisque, enfin, est l’exemple classique de l’innovation technologique superbe, mais n’offrant aucun avantage suppl\u00e9mentaire par rapport \u00e0 la technologie existante des enregistreurs vid\u00e9o qui, eux, permettent de faire des enregistrements. Le vid\u00e9odisque ne trouva donc jamais de march\u00e9, cependant que les enregistreurs vid\u00e9o faisaient un tabac.<\/p>\n Dans un domaine tout \u00e0 fait diff\u00e9rent, la Division des produits industriels de Goodyear crut avoir identifi\u00e9, en 1972, un march\u00e9 d’avenir pour les trottoirs roulants. Elle se convainquit que ses syst\u00e8mes \u00ab\u00a0Speedwalk\u00a0\u00bb et \u00ab\u00a0Speedramp\u00a0\u00bb allaient transporter dans le centre des villes acheteurs et autres badauds. Pour elle, le march\u00e9 des trottoirs roulants allait valoir, dans les ann\u00e9es 80, six milliards de dollars au moins. Un de ses directeurs, particuli\u00e8rement combatif, confiait m\u00eame: \u00ab\u00a0Si Goodyear n’arrive pas \u00e0 prendre 5 % au moins de ce march\u00e9, quelques t\u00eates tomberont -dont la mienne.\u00a0\u00bb<\/p>\n Inutile de pr\u00e9ciser que ces pr\u00e9dictions ne se r\u00e9alis\u00e8rent pas. Parce qu’elles se fondaient sur deux hypoth\u00e8ses erron\u00e9es, \u00e0 savoir qu’il existait un besoin pour des trottoirs roulants, et que les municipalit\u00e9s \u00e9taient pr\u00eates \u00e0 faire voter des cr\u00e9dits immenses pour les construire. Alors que des villes comme New York d\u00e9pensent des sommes colossales pour emp\u00eacher que leurs trottoirs craquel\u00e9s par le gel et le d\u00e9gel ne roulent tout seuls sous les pieds des gens! Sans rien dire du fait que le projet heurtait de front une nouvelle mode: celle du quart d’heure quotidien de marche rapide pour garder la forme. Les pr\u00e9dictions de Goodyear, moderne selon les crit\u00e8res des ann\u00e9es 60, s’av\u00e9ra ringarde selon les crit\u00e8res des d\u00e9cennies suivantes.<\/p>\n Dans le m\u00eame ordre d’id\u00e9e, on peut citer les pneus fantaisie, \u00e0 flancs translucides couleur pastel, \u00e9clair\u00e9s de l’int\u00e9rieur par une s\u00e9rie d’ampoules \u00e9lectriques. Une id\u00e9e de Goodyear encore, test\u00e9e au d\u00e9but des ann\u00e9es 60. La publicit\u00e9 disait: \u00ab\u00a0Les conductrices voudront que la couleur de leurs pneus soit assortie \u00e0 la couleur des si\u00e8ges , ou de leur tailleur favori…\u00a0\u00bb En fait, les conductrices ne voulurent rien de tout cela! Il est bien difficile de comprendre r\u00e9trospectivement comment Goodyear en arriva, \u00e0 l’\u00e9poque, \u00e0 se lancer dans cette aventure.<\/p>\n D<\/span>ans les ann\u00e9es 60 et 70, le premier gourou venu pouvait convaincre n’importe qui que le march\u00e9 de \u00ab\u00a0l’\u00e9ducation programm\u00e9e\u00a0\u00bb, par le biais de syst\u00e8mes \u00e9lectroniques, \u00e9tait \u00e0 la veille d’une croissance fabuleuse. La vogue que connaissaient alors le b\u00e9haviorisme (une sorte d’ing\u00e9nierie du comportement) et l’informatique confirmaient ce genre de pronostics. Les ventes, en revanche, rest\u00e8rent toujours \u00e0 la tra\u00eene. Et l’on voit bien aujourd’hui pourquoi: les machines propos\u00e9es n’\u00e9taient au fond que de co\u00fbteux gadgets \u00e0 tourner des pages ; elles n’offraient gu\u00e8re d’avantage par rapport \u00e0 la lecture de livres.<\/p>\n La t\u00e9l\u00e9vision interactive, cens\u00e9e donner aux programmes cathodiques des ann\u00e9es 80 une dimension nouvelle, ne prit pas davantage son envol. Warner Communications s’allia avec American Express pour former Warner Amex Cable Communications Inc., qui mit sur le march\u00e9 QUBE, un syst\u00e8me permettant de r\u00e9pliquer \u00e0 son t\u00e9l\u00e9viseur! Au prix d’une taxe mensuelle, les t\u00e9l\u00e9spectateurs int\u00e9ress\u00e9s pouvaient se livrer \u00e0 toutes sortes de distractions excitantes: r\u00e9pondre au travers de sa TV \u00e0 des sondages d’opinion, r\u00e9pondre \u00e0 des questionnaires publicitaires, commander des tas de choses… Cette derni\u00e8re possibilit\u00e9 plut surtout aux enfants qui, en manoeuvrant quelques touches, avaient la possibilit\u00e9 de se faire livrer \u00e0 domicile une mobylette de 350 dollars, au grand chagrin de leurs parents.<\/p>\n Au d\u00e9but, les consommateurs de la ville-test (Colombus, dans l’Ohio) furent enthousiastes et actifs. Mais, une fois que la nouveaut\u00e9 eut disparu, ils retourn\u00e8rent \u00e0 leurs anciennes amours: la t\u00e9l\u00e9 passive, ou disons plut\u00f4t: inactive. QUBE tira l’\u00e9chelle au milieu des ann\u00e9es 80.<\/p>\n Une le\u00e7on qui ne servit \u00e0 rien, apparemment, puisque quelques ann\u00e9es plus tard, en 1987, les fabricants de jouets crurent avoir d\u00e9couvert un march\u00e9 d’avenir dans les jeux, les jouets et les films qui, par le biais de leur TV, \u00ab\u00a0interagissaient\u00a0\u00bb avec les enfants. Mattel proposa \u00ab\u00a0Captain Power\u00a0\u00bb, gr\u00e2ce auquel les gosses pouvaient tirer sur les m\u00e9chants apparaissant sur l’\u00e9cran. Worlds of Wonder mit au point des aventures et des jeux de football dont l’issue pouvait \u00eatre chang\u00e9e \u00e0 volont\u00e9. Et ce n’est l\u00e0 qu’un d\u00e9but, jubilaient les proph\u00e8tes, car bient\u00f4t les adultes eux-m\u00eames passeraient leurs soir\u00e9es avec ces programmes: \u00ab\u00a0Ils choisiront soit de regarder passivement Les aventuriers de l’Arche perdue<\/em>, soit de faire eux-m\u00eames partie de l’aventure\u00a0\u00bb. Beaucoup d’observateurs se dirent sceptiques. Mais les fabricants avaient tellement peur de rater le train dor\u00e9 de l’avenir… H\u00e9las pour eux, le train n’a jamais quitt\u00e9 la gare. Pour la raison \u00e9vidente que la plupart des jeux interactifs impliquent l’acquisition de mat\u00e9riel sophistiqu\u00e9 valant plusieurs centaines de dollars, alors que les t\u00e9l\u00e9spectateurs (comme le montraient \u00e0 l’\u00e9poque d\u00e9j\u00e0 les \u00e9tudes de march\u00e9) pr\u00e9f\u00e8rent jouir passivement du spectacle que leur diffuse la t\u00e9l\u00e9. Ils n’ont pas envie de dialoguer avec leur poste, ni de se battre avec ses boutons pour essayer de le ma\u00eetriser.<\/p>\n Le videotex (voir \u00e0 son propos l’article de Liliane Jordi publi\u00e9 dans \u00ab\u00a0Le Temps strat\u00e9gique\u00a0\u00bb no. 32 d’avril 1990: \u00ab\u00a0O\u00f9 l’on voit les Romands se d\u00e9battre avec un vid\u00e9otex lent, idiot et germanomanique\u00a0\u00bb), annonc\u00e9 comme la bonne affaire des ann\u00e9es 80, est l’exemple le plus r\u00e9cent du m\u00eame syndrome. Le vid\u00e9otex a certes, sous sa version Minitel, massivement subsidi\u00e9e par le gouvernement, p\u00e9n\u00e9tr\u00e9 le march\u00e9 fran\u00e7ais. Aux \u00c9tats-Unis, en revanche, il ne va nulle part. Rares sont en effet les consommateurs am\u00e9ricains qui \u00e9prouvent l’irr\u00e9sistible envie de g\u00e9rer \u00e0 distance l’argent qu’ils ont d\u00e9pos\u00e9 \u00e0 la banque ou de visionner pendant leurs week-ends des bases de donn\u00e9es. Surtout ils n’ont pas envie de payer le prix (substantiel) du mat\u00e9riel vid\u00e9otex n\u00e9cessaire pour pouvoir faire toutes ces choses mirifiques. Les entreprises qui fournissent de l’information aux syst\u00e8mes vid\u00e9otex en sont d’ailleurs \u00e0 chercher encore, d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9ment, les services qu’ils pourraient bien rendre par son interm\u00e9diaire et que les consommateurs trouveraient vraiment<\/em> utiles.<\/p>\n Quelques mots maintenant \u00e0 propos de la \u00ab\u00a0voiture du futur\u00a0\u00bb, comme disent les constructeurs, pleine de gadgets technologique avanc\u00e9s dont on se demande souvent \u00e0 quoi ils peuvent bien servir. Ainsi, dans un mod\u00e8le r\u00e9cent de la Cadillac Voyage, le r\u00e9troviseur a \u00e9t\u00e9 remplac\u00e9 par une cam\u00e9ra fix\u00e9e sur le coffre arri\u00e8re reli\u00e9e un \u00e9cran du tableau de bord. Un deuxi\u00e8me \u00e9cran abrite un syst\u00e8me de navigation \u00e0 inertie, qui permet de d\u00e9terminer en permanence la position g\u00e9ographique exacte de la voiture. Une analyse prix\/performances m\u00eame sommaire aurait pourtant indiqu\u00e9 que ces innovations sont incapables de soutenir la comparaison avec le banal miroir argent\u00e9 d’un r\u00e9troviseur ext\u00e9rieur et la carte routi\u00e8re \u00e0 3 francs gliss\u00e9e dans le compartiment \u00e0 gants. Sans rien dire du fait que les consommateurs d’\u00e2ge m\u00fbr, ceux justement qui ach\u00e8tent des Cadillac, ne s’int\u00e9ressent gu\u00e8re aux gadget technologiques, surtout s’ils co\u00fbtent les yeux de la t\u00eate.<\/p>\n General Motors, pour sa part, va sans doute \u00ab\u00a0b\u00e2cher\u00a0\u00bb bient\u00f4t son syst\u00e8me de vision nocturne \u00e0 infrarouges. L’id\u00e9e de ce gadget est que les conducteurs roulent plus vite que ne le permet la portion de route r\u00e9ellement \u00e9clair\u00e9e par leurs phares. Un \u00e9cran, encore un, vient donc orner le tableau de bord, qui devrait permettre de voir \u00e0 travers la pluie, la neige, le brouillard et la fum\u00e9e. Le syst\u00e8me a quelques d\u00e9fauts cependant: il est log\u00e9 dans une grosse bo\u00eete fix\u00e9e sur le toit du v\u00e9hicule; et il doit \u00eatre r\u00e9frig\u00e9r\u00e9 par de du nitrog\u00e8ne liquide, qui d\u00e9passe de quelques dizaines de degr\u00e9s seulement le z\u00e9ro absolu. Ford et Chrysler, eux, ont eu le bon sens de laisser tomber ces syst\u00e8mes de vision nocturne.<\/p>\n Je citerai enfin un nouveau sport (nouveau pour les \u00c9tats-Unis, s’entend) qui a \u00e9chou\u00e9 parce qu’il n’offrait pas aux spectateurs d’avantages \u00e9vidents. En 1985, le New York Times<\/em> analysa dans un article le d\u00e9clin du football professionnel (de style europ\u00e9en) aux \u00c9tats-Unis, peu avant que les deux Ligues nationales du pays ne fassent faillite. \u00ab\u00a0Le football, faisait observer le journal, n’est pas une simple marchandise. Il a derri\u00e8re lui cent ann\u00e9es d’histoire humaine intense. Il exige donc de ses fans une implication particuli\u00e8rement intime et passionn\u00e9e. Il est \u00e9vident qu’une telle implication ne peut na\u00eetre instantan\u00e9ment.\u00a0\u00bb Conclusion: le football europ\u00e9en n’apporte rien aux Am\u00e9ricains qu’ils n’aient d\u00e9j\u00e0, et en mieux!D’autant que les scores du football europ\u00e9en, toujours tr\u00e8s faible, ne permettent pas l’excitation des scores tr\u00e8s \u00e9lev\u00e9s courants dans le football am\u00e9ricain. Le Times <\/em>concluait sa d\u00e9monstration par la phrase c\u00e9l\u00e8bre de Sam Goldwyn: \u00ab\u00a0S’ils ne veulent pas venir, vous ne pouvez les en emp\u00eacher\u00a0\u00bb (If they don’t wanna come, you can’t stop them<\/em>).<\/p>\n C<\/span>ela dit, certaines technologies nouvelles offrent quand m\u00eame, c’est \u00e9vident, des avantages suppl\u00e9mentaires r\u00e9els… H\u00e9las pas toujours suffisants cependant pour que les gens acceptent de payer plus cher pour en b\u00e9n\u00e9ficier!<\/p>\n Consid\u00e9rez le cas du visiophone d’AT&T, une technologie de pointe dont on disait qu’elle allait changer nos vies, mais qui pour l’heure est un flop spectaculaire. Le g\u00e9ant am\u00e9ricain travaillait sur le visiophone (qui est un t\u00e9l\u00e9phone-t\u00e9l\u00e9vision en quelque sorte) depuis les ann\u00e9es 30. L’invention du transistor, en 1948, lui permit de lui donner un format raisonnable. Il d\u00e9cider de le lancer commercialement en 1964.<\/p>\n Les avantages du visiophone pouvaient sembler clairs: les gens pouvaient enfin se parler et se voir sans les d\u00e9penses et les fatigues du voyage. A terme, annon\u00e7aient les sp\u00e9cialistes, le visiophone rendrait les r\u00e9unions d’affaires face \u00e0 face totalement inutiles. Les repr\u00e9sentants de commerce visiteraient leurs clients sans sortir de leur bureau. Les soci\u00e9t\u00e9s n’auraient plus \u00e0 budg\u00e9tiser des frais de voyage. La productivit\u00e9 de leurs employ\u00e9s cro\u00eetrait. Les entreprises s’\u00e9parpilleraient enfin dans la nature, condamnant \u00e0 terme les centres d’affaires situ\u00e9s au coeur des villes… au point de rendre probl\u00e9matique demain le financement des r\u00e9seaux de transports publics urbains.<\/p>\n Le visiophone fut install\u00e9 \u00e0 titre d’essai chez Union Carbide, qui s’en dit fort satisfait, puis pr\u00e9sent\u00e9 au public \u00e0 la Foire Mondiale de New York de 1964: les visiteurs furent \u00e9pat\u00e9s et les pr\u00e9visionnistes avec eux. Un article de1969 paru dans The Bell Laboratories Record<\/em> disait: \u00ab\u00a0Nombre d’entre nous aux Bell Labs croyons que le visiophone apportera aux humains des avantages r\u00e9volutionnaires du m\u00eame ordre d’importance qu’hier le t\u00e9l\u00e9phone\u00a0\u00bb.<\/p>\n Toutes les \u00e9tudes tapaient sur le m\u00eame clou: le visiophone c’\u00e9tait l’avenir, et un avenir dor\u00e9. Une enqu\u00eate command\u00e9e mi-69 par AT&T \u00e0 l’Institute for the Future <\/em>(\u00ab\u00a0A Long Look Ahead<\/em>\u00ab\u00a0) avertissait pompeusement qu’en 1985, \u00ab\u00a0le monde sera tr\u00e8s diff\u00e9rent de ce qu’il est aujourd’hui\u00a0\u00bb. Elle annon\u00e7ait qu’\u00e0 cette date, trois millions de visiophones seraient en service aux \u00c9tats-Unis, g\u00e9n\u00e9rant quelque 5 milliards de dollars de revenus; que la violence serait devenue telle (50 % de chances qu’il y ait en permanence, dans l’une ou l’autre des grandes villes am\u00e9ricaines, des \u00e9meutes et des combats de gu\u00e9rilla) que les gens, par peur de sortir de chez eux, multiplieraient les communications t\u00e9l\u00e9phoniques; que le gouvernement serait oblig\u00e9 d’intervenir davantage pour d\u00e9finir des objectifs nationaux; mais qu’heureusement il autoriserait des augmentations de tarifs pour que les compagnies comme AT&T puissent cro\u00eetre (!) Non seulement ces pr\u00e9dictions se sont r\u00e9v\u00e9l\u00e9es fausses, mais l’Institute of the Future<\/em> manqua compl\u00e8tement le coche, en n’ayant pas su voir venir le plus grand \u00e9v\u00e9nement de toute l’histoire d’AT&T, \u00e0 savoir son d\u00e9mant\u00e8lement par l’\u00c9tat, qui en fit plusieurs compagnies r\u00e9gionales ind\u00e9pendantes.<\/p>\n Quant au visiophone proprement dit, les consommateurs se rebiff\u00e8rent devant son prix. Au moment de passer \u00e0 la caisse, ils d\u00e9cid\u00e8rent qu’ils prendraient le t\u00e9l\u00e9phone, d’accord, mais sans l’image. Le projet ne mourut pas tout de suite, cependant. Au d\u00e9but des ann\u00e9es 80, il \u00e9volua en \u00ab\u00a0service de t\u00e9l\u00e9conf\u00e9rence\u00a0\u00bb. Des bureaux sp\u00e9ciaux destin\u00e9s aux entreprises \u00ab\u00a0avec un pied dans le futur\u00a0\u00bb furent \u00e9quip\u00e9s de visiophones afin de leur permettre de tenir des r\u00e9unions d’affaires \u00e0 distance. L’offre \u00e9tait donc la m\u00eame qu’avant. Le service de t\u00e9l\u00e9conf\u00e9rence fut dans une large mesure un \u00e9chec, les gens continuant \u00e0 pr\u00e9f\u00e9rer le contact humain r\u00e9el au contact \u00e9lectronique d\u00e9sincarn\u00e9. Comme dit John Naisbitt, l’av\u00e8nement des hautes technologies accro\u00eet les besoins de contacts humains personnels, au lieu de les r\u00e9duire.<\/p>\n Mais en dernier ressort, ce qui a tu\u00e9 le visiophone c’est qu’il proposait des avantages surprenants, amusants, mais qui n’\u00e9taient pas vraiment n\u00e9cessaires. Le t\u00e9l\u00e9phone classique suffit amplement \u00e0 la majorit\u00e9 des conversations. Le visiophone s’est donc retrouv\u00e9 en concurrence avec le t\u00e9l\u00e9phone classique, tout aussi efficace, mais beaucoup moins cher! Il ne pouvait gagner cette bataille.<\/p>\n L<\/span>es faiblesses d’analyse et de jugement \u00e9voqu\u00e9es dans cet article tiennent parfois \u00e0 la faiblesse des hommes, pr\u00e9visionnistes ou d\u00e9cideurs. Mais plus souvent que l’on croit \u00e0 l’influence persistante des ann\u00e9es 60, dont l’\u00e9conomie florissante et les exploits spatiaux d\u00e9termin\u00e8rent en Am\u00e9rique une esp\u00e8ce de m\u00e9pris g\u00e9n\u00e9ralis\u00e9 pour le co\u00fbt des choses. Personne ne trouvant plus utile de poser des questions aussi b\u00eates que: qui payera? A-t-on r\u00e9ellement besoin de ces innovations fantastiques? Y a-t-il vraiment un march\u00e9 pour des usines et des motels sous-marins? Pour quels consommateurs? Est-on s\u00fbr que les gens voudront vivre dans des maisons en plastique? \u00ab\u00a0Aujourd’hui, r\u00e9pliquait un expert, si un projet est valable, son co\u00fbt appara\u00eet secondaire.\u00a0\u00bb<\/p>\n Mais il y a mieux encore. \u00c9coutez Frank Davidson: \u00ab\u00a0La richesse, clamait-il, est un produit d’ing\u00e9nierie. Elle ne surgit pas de la science et de l’\u00e9conomie comme P\u00e9gase du sang de M\u00e9duse. Les tenants des vieilles professions lib\u00e9rales devront d\u00e9sormais, eux aussi, se doter d’une mentalit\u00e9 d’ing\u00e9nieurs.\u00a0\u00bb Sur cette base il proposa des id\u00e9es \u00e0 faire sauter n’importe quelle banque, la construction de villes off-shore ou le creusement d’un tunnel sous l’Atlantique Nord, notamment. Le tunnel, insistait-t-il, r\u00e9duirait la pollution, stabiliserait les prix du fret, et ferait faire des tas d’\u00e9conomies, puisqu’il n’y aurait plus besoin de construire autant de bateaux et d’avions! Le co\u00fbt colossal de ces r\u00e9alisations? Objection balay\u00e9e, Votre Honneur.<\/p>\n Mais heureusement il existe encore des esprits de bon sens, qui ne m\u00e9prisent pas les bonnes vieilles comparaisons prix\/performances. Au Congr\u00e8s, qui discutait, en 1987 encore, d’une \u00e9ventuelle d\u00e9pense de12 milliards de dollars pour construire une station spatiale dont le projet avait \u00e9t\u00e9 lanc\u00e9 au milieu des ann\u00e9es 60, John Spike, de la Federation of American Scientists<\/em>, un expert en mati\u00e8re spatiale, fit observer que \u00ab\u00a0la grande question \u00e0 propos des stations spatiales est de savoir si elles r\u00e9pondent \u00e0 une v\u00e9ritable demande et si les astronautes qui les habiteront auront autre chose \u00e0 faire qu’\u00e0 jouer aux cartes ou \u00e0 se prendre le pouls mutuellement.\u00a0\u00bb Question excellente, l’on en conviendra, m\u00e9ritant une vraie r\u00e9ponse.<\/p>\n \u00a9 Le Temps strat\u00e9gique, No 36, Gen\u00e8ve, Octobre 1990.<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":" PR\u00c9VISIONS TECHNOLOGIQUES (III) NE VOUS LAISSEZ PAS \u00c9BLOUIR ! DEMANDEZ TOUJOURS: \u00ab\u00a0CA CO\u00dbTE COMBIEN? ET CA APPORTE QUOI AUX GENS ?\u00a0\u00bb L’hyperoptimisme de nombreux chefs d’entreprises est confondant: ils vous dessinent de mirifiques courbes pr\u00e9visionnelles de vente pour des produits nouveaux dont le premier gamin venu sait que personne ne \u2026 Lire plus \/ Read more<\/a><\/p>\n","protected":false},"author":1,"featured_media":1770,"parent":556,"menu_order":0,"comment_status":"closed","ping_status":"closed","template":"","meta":{"ngg_post_thumbnail":0,"footnotes":""},"class_list":["post-575","page","type-page","status-publish","has-post-thumbnail","hentry"],"_links":{"self":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/575","targetHints":{"allow":["GET"]}}],"collection":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages"}],"about":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/types\/page"}],"author":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/users\/1"}],"replies":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=%2Fwp%2Fv2%2Fcomments&post=575"}],"version-history":[{"count":2,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/575\/revisions"}],"predecessor-version":[{"id":591,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/575\/revisions\/591"}],"up":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/556"}],"wp:featuredmedia":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/media\/1770"}],"wp:attachment":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=%2Fwp%2Fv2%2Fmedia&parent=575"}],"curies":[{"name":"wp","href":"https:\/\/api.w.org\/{rel}","templated":true}]}}T<\/span>rop souvent les pr\u00e9dictions courtisent le d\u00e9sastre parce qu’elles tablent sur des innovations offrant des avantages certes r\u00e9els, mais si co\u00fbteux que le consommateur renonce \u00e0 faire le saut. Pour \u00e9viter pareil g\u00e2chis, il aurait pourtant suffit, la plupart des fois, de poser quelques questions de bon sens. Quels avantages suppl\u00e9mentaires le nouveau produit propose-t-il? Pour acqu\u00e9rir ces avantages, les consommateurs devront-ils payer un prix lui aussi suppl\u00e9mentaire? Seront-ils dispos\u00e9s \u00e0 le payer? D’ailleurs, les avantages du nouveau produit justifient-t-ils ce surprix?<\/p>\n