{"id":570,"date":"2015-01-05T13:24:09","date_gmt":"2015-01-05T12:24:09","guid":{"rendered":"http:\/\/www.archipress.org\/wp\/?page_id=570"},"modified":"2015-01-25T00:30:55","modified_gmt":"2015-01-24T23:30:55","slug":"previsions-technologiques-1","status":"publish","type":"page","link":"https:\/\/www.archipress.org\/?page_id=570","title":{"rendered":"Pr\u00e9visions technologiques 1"},"content":{"rendered":"
PR\u00c9VISIONS TECHNOLOGIQUES (I)<\/p>\n
Steven Schnaars<\/em>, auteur des cinq articles centraux de ce num\u00e9ro sp\u00e9cial, est professeur associ\u00e9 de marketing au Baruch College de la City University of New York. Il a \u00e9crit notamment Megamistakes. Forecasting and the Myth of Rapid Technological Change<\/em> (New York, The Free Press, 1989).<\/p>\n <\/p>\n C’est pourquoi la plupart des pr\u00e9dictions technologiques ne sont pas seulement \u00ab\u00a0un peu \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de la plaque\u00a0\u00bb, mais carr\u00e9ment fausses, et, comme on peut le v\u00e9rifier plus tard, sans rapport aucun avec la mani\u00e8re dont les choses vont se passer r\u00e9ellement.<\/p>\n La raison essentielle en est que les pr\u00e9visionnistes tombent amoureux des innovations technologiques, et laissent alors voguer leur imagination. \u00ab\u00a0Telle invention, chantent-ils fous d’enthousiasme, est en passe d’affecter la vie quotidienne des hommes, et encore ne sera-ce l\u00e0 qu’un d\u00e9but…\u00a0\u00bb. Dans leur excitation, ils n\u00e9gligent cependant de se demander si le march\u00e9 a vraiment besoin et envie de cette technologie mirifique. Convaincus que si eux sont emball\u00e9s les consommateurs le seront aussi, ils tendent \u00e0 n\u00e9gliger grossi\u00e8rement toute consid\u00e9ration \u00e9conomique de bon sens.<\/p>\n Pour en convaincre le lecteur je citerai quelques exemples notoires. Et d’abord l’un des plus fascinants, celui de \u00ab\u00a0L’enqu\u00eate sur le futur\u00a0\u00bb (Probe of the Future<\/span><\/em>), r\u00e9alis\u00e9e en 1966 par TWR Inc. (………………………………………), dont \u00e0 l’\u00e9poque la presse \u00e9conomique am\u00e9ricaine avait fait ses gros titres. L’objectif de cette \u00e9tude \u00e9tait de mettre en \u00e9vidence ce qu’allaient \u00eatre les besoins et les d\u00e9sirs du monde en 1986, soit vingt ans plus tard. Business Week<\/em> notait avec ravissement que \u00ab\u00a0les produits du futur\u00a0\u00bb r\u00e9v\u00e9l\u00e9s par TWR ouvraient aux industries de \u00ab\u00a0formidables perspectives de croissance\u00a0\u00bb.<\/p>\n TWR mit en oeuvre une variante de la technique Delphi, qui consiste \u00e0 faire tomber d’accord sur les \u00e9volutions \u00e0 venir des experts, en l’esp\u00e8ce vingt-sept savants de haut vol. La compagnie \u00e9tait si convaincue de l’importance strat\u00e9gique de son \u00e9tude qu’elle n’en publia \u00e0 l’\u00e9poque qu’une version censur\u00e9e. Des 401 pr\u00e9dictions technologiques faites par son panel, elle en garda 66 secr\u00e8tes, pour son propre b\u00e9n\u00e9fice. Pratiquement toutes les pr\u00e9dictions publi\u00e9es se sont r\u00e9v\u00e9l\u00e9es erron\u00e9es.<\/p>\n Quel avenir d\u00e9crivait donc \u00ab\u00a0L’Enqu\u00eate sur le futur\u00a0\u00bb? Un avenir de pure merveille. Une base habit\u00e9e provisoire serait \u00e9tablie sur la Lune en 1977, et une base permanente en 1980, fournie en \u00e9nergie par un centrale nucl\u00e9aire lunaire de 500 kilowatts. Les vols commerciaux Terre-Lune seraient inaugur\u00e9s la m\u00eame ann\u00e9e. Et en 1983 une usine solaire serait plac\u00e9e sur orbite, qui transmettrait (sans fil bien s\u00fbr!) sa production de courant \u00e9lectrique \u00e0 la Terre.<\/p>\n En 1990, des soldats-robots intelligents auraient remplac\u00e9 sur les champs de bataille la plupart des soldats en chair et en os.<\/p>\n Et les transports! En 1977, les individus disposeraient de petits avions personnels \u00e0 envol vertical. Quant aux malheureux contraints de rouler encore voiture, ils b\u00e9n\u00e9ficieraient de la conduite automatique sur les autoroutes. En 1990, la conduite, le freinage et l’acc\u00e9l\u00e9ration des v\u00e9hicules seraient r\u00e9gul\u00e9s depuis des stations de contr\u00f4le. En 1995 enfin, l’automatisation serait compl\u00e8te: l’automobiliste n’aurait plus qu’\u00e0 indiquer sa destination et s’y laisser conduire. Pas un mot dans l’enqu\u00eate, bien s\u00fbr, \u00e0 propos d’\u00e9ventuels nids de poule et autres d\u00e9sagr\u00e9ables probl\u00e8mes d’entretien du r\u00e9seau routier.<\/p>\n Pour ce qui est de l’habitat, l’enqu\u00eate pr\u00e9voyait qu’au milieu des ann\u00e9es quatre-vingt des entreprises g\u00e9antes produiraient en masse des modules d’habitation bon march\u00e9, en plastique inject\u00e9. Ces \u00ab\u00a0maisons du futur\u00a0\u00bb seraient \u00e9videmment tr\u00e8s sophistiqu\u00e9es. Elles disposeraient de syst\u00e8mes de conditionnement d’air si parfaits que les germes pathog\u00e8nes eux-m\u00eames seraient \u00e9limin\u00e9s. Elles seraient anti-feu, anti-tremblements de terre, anti-ouragans et anti-radiations atomiques. Elles ex\u00e9cuteraient pour leurs habitants toutes les t\u00e2ches m\u00e9nag\u00e8res courantes. Et bien s\u00fbr elles pourraient \u00eatre transform\u00e9es en permanence pour s’adapter aux besoins changeants des familles.<\/p>\n Les communications seraient elles aussi boulevers\u00e9es. Les journaux seraient imprim\u00e9s en fac-simil\u00e9 au domicile de leurs abonn\u00e9s d\u00e8s 1978. Deux ans plus tard, les abonn\u00e9s auraient la possibilit\u00e9 de recevoir dans leur salon, toujours en fac-simil\u00e9, des journaux \u00e9tablis sur mesure, selon leurs voeux. En 1977, une TV couleur bon march\u00e9, avec une image en trois dimensions, permettrait d’organiser des t\u00e9l\u00e9conf\u00e9rences qui r\u00e9duiraient notablement le nombre des voyages d’affaires.<\/p>\n Quant aux centrales nucl\u00e9aires, quel futur! Elle fournirait au monde, en 1953, la moiti\u00e9 de son \u00e9nergie totale. La premi\u00e8re centrale \u00e0 fusion serait inaugur\u00e9e en 1984.<\/p>\n Les oc\u00e9ans, enfin, allaient jouer un r\u00f4le \u00e9conomique majeur. D\u00e8s 1981, la prospection mini\u00e8re sous-marine et l’aquaculture seraient choses courantes. Et 1990 verrait l’inauguration d’un parc d’attractions sous-marin aliment\u00e9 en \u00e9nergie par une centrale nucl\u00e9aire immerg\u00e9e. Pour les usines et les motels sous-marins, il faudrait patienter jusqu’en 1995… Il est vrai que depuis plusieurs ann\u00e9es d\u00e9j\u00e0 fonctionnent de confortables plateformes off-shore, mais pour l’heure elles sont encore au-dessus de l’eau.<\/p>\n Il tombe sous le sens que les auteurs de \u00ab\u00a0L’Enqu\u00eate sur le futur\u00a0\u00bb se sont tromp\u00e9s parce que les merveilles de la technologie les fascinaient. Qu’ils n’ont pas song\u00e9 un instant aux r\u00e9alit\u00e9s \u00e9conomiques des march\u00e9s qu’ils pr\u00e9tendaient \u00ab\u00a0servir\u00a0\u00bb. Qu’ils ont c\u00e9d\u00e9 sans autre \u00e0 leurs plus folles utopies. R\u00e9trospectivement on a de la peine \u00e0 comprendre comment, \u00e0 l’\u00e9poque, ont pu \u00eatre commises d’aussi patentes erreurs de jugement.<\/p>\n Mais, plus \u00e9tonnant encore, les recherches que j’ai effectu\u00e9es m’ont prouv\u00e9 que les pr\u00e9dictions de TRW \u00e9taient typiques des pr\u00e9dictions technologiques faites \u00e0 l’\u00e9poque! Personne n’a vu plus juste qu’elle. Tous les pr\u00e9visionnistes revenaient sans cesse avec les m\u00eames gadgets qui aujourd’hui nous paraissent farfelus. Tous s’\u00e9taient amourach\u00e9s de technologies exotiques simplement parce qu’elles \u00e9taient exotiques, n\u00e9gligeant les besoins r\u00e9els du march\u00e9.<\/p>\n A<\/span>insi par exemple le Wall Street Journal <\/em>interrogea en 1966 \u00ab\u00a0des experts nombreux et divers\u00a0\u00bb pour pour se faire la meilleur id\u00e9e possible des d\u00e9veloppements qui allaient prendre place entre cette date et l’an 2000 dans des domaines tels que la croissance d\u00e9mographique et \u00e9conomique, l’agriculture, les ordinateurs, l’\u00e9nergie, le transport a\u00e9rien. Le m\u00eame journal passa en revue en 1976, avec une honn\u00eatet\u00e9 remarquable, les pr\u00e9dictions qu’il avait publi\u00e9es dix ann\u00e9es auparavant. Force lui fut de conclure qu’elles \u00e9taient loin hors de la cible. Ce qui ne l’emp\u00eacha pas de s’essayer \u00e0 de nouvelles pr\u00e9dictions. Pr\u00e8s de vingt-cinq ans ont pass\u00e9 depuis son premier jeu de pr\u00e9dictions, quinze depuis le second. Voyez ce qu’ont \u00e9t\u00e9 les \u00e9volutions r\u00e9elles.<\/p>\n Le journal annon\u00e7ait en 1966 que les progr\u00e8s technologiques allaient r\u00e9volutionner l’agriculture et la p\u00eache. Un de ses experts disait: \u00ab\u00a0En l’an 2000, l’agriculteur sera un manager qui utilisera son ordinateur comme contrema\u00eetre.\u00a0\u00bb Un \u00e9conomiste de International Harvester voyait, lui, des fermes avec des \u00ab\u00a0tours \u00e9quip\u00e9es de scanners surveillant des tracteurs robotis\u00e9s\u00a0\u00bb. Le directeur d’une une fabrique d’engrais ajoutait que \u00ab\u00a0le propri\u00e9taire d’une ferme ne passerait pas plus de temps \u00e0 conduire son tracteur que le pr\u00e9sident de General Motors n’en passe \u00e0 serrer des boulons sur ses cha\u00eenes de montage\u00a0\u00bb.<\/p>\n Ces pr\u00e9dictions ont rat\u00e9 l’essentiel: la hausse vertigineuse des prix agricoles dans les ann\u00e9es 70 et leur effondrement dans les ann\u00e9es 80, qui ont marqu\u00e9 ces deux d\u00e9cennies. Il n’existe aucun tracteur-robot. Et si bien des tracteurs classiques ont disparu des fermes, c’est qu’ils ont \u00e9t\u00e9 vendus aux ench\u00e8res par des fermiers ruin\u00e9s d’avoir cru ceux qui leur pr\u00e9disaient que les prix des r\u00e9coltes et des terres n’allaient cesser de monter.<\/p>\n Le journal annon\u00e7ait aussi que la production mara\u00eech\u00e8re allait \u00eatre transform\u00e9e puisque Sylvania Electric allait d\u00e9velopper d’immenses halles de culture \u00e9clair\u00e9es \u00e0 la lumi\u00e8re artificielle. Personne n’expliqua en quoi ce syst\u00e8me serait sup\u00e9rieur \u00e0 une agriculture \u00e0 la lumi\u00e8re naturel, l\u00e0 au moins o\u00f9 le soleil brille abondamment.<\/p>\n Les s\u00e9cheresses seraient vaincues, gr\u00e2ce \u00e0 une d\u00e9salinisation massive de l’eau des oc\u00e9ans. Des projets hydrauliques mammouths, comme celui du barrage \u00e9gyptien d’Assouan, transformeraient les pays pauvres en autant de jardins. La mariculture, ou aquaculture marine, permettrait de d\u00e9velopper la production d’algues marines au go\u00fbt de haricot (\u00ab\u00a0les enfants adoreront \u00e7a\u00a0\u00bb), d’un hybride de truite et de saumon croissant 250 fois plus vite que les poissons ordinaires. Les ing\u00e9nieurs interrog\u00e9s affirmaient que le gros des probl\u00e8mes pos\u00e9s par ces projets \u00e9tait r\u00e9solu. Convaincre les consommateurs de manger des algues? Affaire marginale. pas leur probl\u00e8me en tout cas.<\/p>\n Des piscicultures marines \u00e9l\u00e8veraient couramment des saumons qui iraient se nourrir en mer ouverte, comme des ch\u00e8vres dans la garrigue, et reviendraient d’instinct \u00e0 la pisciculture une fois pr\u00eats \u00e0 \u00eatre p\u00each\u00e9s. Une fois pris ils seraient irradi\u00e9s (important de tuer tous les germes!) puis vaporis\u00e9s avec un pr\u00e9servateur chimique comestible qui servirait en m\u00eame temps d’emballage. Imaginez la simplification!<\/p>\n La viande de boeuf serait chass\u00e9e des tables par un plat synth\u00e9tique, \u00ab\u00a0l’analogue\u00a0\u00bb, sans viande, mais plein de prot\u00e9ines. General Foods annon\u00e7ait d’ailleurs travailler d’arrache-pied \u00e0 la mise au point \u00ab\u00a0d’analogues\u00a0\u00bb. Un de ses directeurs notait: \u00ab\u00a0Nous pourrons produire des analogues qui satisferont \u00e0 n’importe quelle exigence di\u00e9t\u00e9tique, religieuse, ethnique ou g\u00e9ographique…\u00a0\u00bb. Et les produire avec efficacit\u00e9 Efficacit\u00e9 convaincante pour le producteur, bien s\u00fbr, mais pas forc\u00e9ment pour le consommateur!<\/p>\n Les pr\u00e9visionnistes se voulaient cependant r\u00e9alistes: \u00ab\u00a0La plupart des experts tombent d’accord pour estimer que durant plusieurs ann\u00e9es encore la viande et les analogues coexisteront.\u00a0\u00bb Le directeur de la recherche chez Swift & Co, la grande conserverie de viande, affichait la s\u00e9r\u00e9nit\u00e9: \u00ab\u00a0Franchement je pense que les gens des analogues ne s’attaqueront pas directement \u00e0 nous les gens de la viande et pr\u00e9f\u00e9reront inventer des aliments auxquels nous n’avons simplement jamais pens\u00e9.\u00a0\u00bb Personne ne se souciait de savoir si les gens accepteraient ces inventions alimentaires. Pendant que les gens de la viande discouraient sur le danger que pourraient leur faire courir les \u00ab\u00a0analogues\u00a0\u00bb, les consommateurs, eux, se d\u00e9tournaient du boeuf, au profit du poulet et du poisson.<\/p>\n Le Wall Street Journal <\/em>annon\u00e7ait, dans ses pr\u00e9dictions de 1966, que quatre r\u00e9volutions a\u00e9ronautiques \u00e9clateraient avant la fin du si\u00e8cle. Le SST (supersonique) entrerait en service commercial en 1971. Le HST (hypersonique) emm\u00e8neraient ses passagers \u00e0 6500 kilom\u00e8tres \u00e0 l’heure d\u00e8s le d\u00e9but des ann\u00e9es 90. Mais, disait-il, le HST ne remplacerait pas totalement le SST, parce que \u00ab\u00a0m\u00eame avec la baisse probable du co\u00fbt du combustible et des mat\u00e9riaux, le HST sera tr\u00e8s cher \u00e0 construire et \u00e0 faire voler\u00a0\u00bb. Remarque judicieuse, qui ne suffit cependant pas \u00e0 d\u00e9courager les pr\u00e9visionnistes.<\/p>\n Le \u00ab\u00a0jumbo jet\u00a0\u00bb Boeing 747, pr\u00e9vu pour entrer en service en 1970, serait suivi par des avions d\u00e9riv\u00e9s des Lockheed C5A militaires, capables de transporter plus de 1000 passagers. Pan Am se d\u00e9clarait int\u00e9ress\u00e9. Personne ne prit la peine de signaler quelles routes pourraient avoir besoin de capacit\u00e9s aussi massives.<\/p>\n Et les VSTOL –Vertical or Short Takeoff and Landing Aircrafts<\/em> ou avions \u00e0 d\u00e9collage et atterrissage verticaux ou tr\u00e8s courts- feraient des navettes entre les centres des grandes villes. Dans les faits, h\u00e9las, difficult\u00e9s techniques et co\u00fbts astronomiques tu\u00e8rent les VSTOL.<\/p>\n Les investissements n\u00e9cessaires au d\u00e9veloppements des flottes a\u00e9riennes du futur seraient si massifs que de nombreux experts pr\u00e9voyaient que l’Etat serait contraint de s’en charger. Un directeur de United Airlines d\u00e9clarait ainsi dans l’enqu\u00eate de 1976: \u00ab\u00a0Je me demande si notre gouvernement r\u00e9alise que l’industrie a\u00e9ronautique des Etats-Unis est \u00e0 deux doigts de la nationalisation.\u00a0\u00bb Le gouvernement le r\u00e9alisait si peu, sans doute, que, quelques ann\u00e9es plus tard, il proc\u00e9da \u00e0 la \u00ab\u00a0d\u00e9r\u00e9gulation\u00a0\u00bb de l’industrie a\u00e9ronautique am\u00e9ricaine…<\/p>\n Pourtant le Wall Street Journal<\/em> se voulait prudent dans ses pr\u00e9dictions, \u00e9chaud\u00e9, selon lui, parce qu’\u00e0 la fin des ann\u00e9es 40, il avait \u00e9t\u00e9 pr\u00e9dit, notamment, que les Am\u00e9ricains disposeraient bient\u00f4t d’h\u00e9licopt\u00e8res personnels, et que la chose ne s’\u00e9tait jamais mat\u00e9rialis\u00e9e. Malgr\u00e9 cela, il ne put s’emp\u00eacher de d\u00e9clarer que l’avion \u00e0 propulsion nucl\u00e9aire, pourtant abandonn\u00e9 par le gouvernement am\u00e9ricain apr\u00e8s qu’il y eut investi 1 milliard de dollars parce que son blindage \u00e9tait d’un poids qui l’emp\u00eachait de voler, pourrait encore, allez savoir, int\u00e9resser le Pentagone.<\/p>\n Le m\u00eame journal pr\u00e9dit qu’en l’an 2000, il serait vendu aux \u00c9tats-Unis 22 millions de voitures. Aujourd’hui, on pense que ce seront plut\u00f4t 10 millions. Quoi qu’il en soit, les pr\u00e9visionnistes ont omis de mentionner la concurrence japonaise, qui est aujourd’hui le vrai probl\u00e8me des constructeurs automobiles am\u00e9ricains.<\/p>\n Il est un seul domaine, cependant, o\u00f9 la r\u00e9alit\u00e9 a non seulement confirm\u00e9 les pr\u00e9dictions les plus optimistes mais les a d\u00e9pass\u00e9es: celui des ordinateurs. En 1956, il y avait aux \u00c9tats-Unis 1000 ordinateurs. En 1966, ils \u00e9taient 30.000. RCA annon\u00e7a alors qu’ils seraient 85.000 en 1989, et 220.000 \u00e0 la fin du si\u00e8cle, une augmentation qui apparaissait \u00e0 peine croyable. Ces chiffres sont \u00e9videmment tr\u00e8s en dessous de la r\u00e9alit\u00e9. Depuis l’av\u00e8nement des ordinateurs personnels, ce sont des millions de machines qui sont vendues chaque ann\u00e9e.<\/p>\n E<\/span>n 1967, Fortune<\/em> publia une s\u00e9rie d’articles consacr\u00e9s \u00e0 l’\u00e9conomie, l’habitat, l’automobile, la d\u00e9mographie et les appareils domestiques. Cette enqu\u00eate, l’une des plus compl\u00e8tes publi\u00e9es \u00e0 cette \u00e9poque, \u00e9tait introduite par un rapport sur \u00ab\u00a0les industries qui feront les ann\u00e9es soixante-dix\u00a0\u00bb. Le pessimisme r\u00e9cent des pr\u00e9visionnistes, avertissait son auteur, n’a plus de raison d’\u00eatre: nous entrons dans un nouvel \u00e2ge qui sera domin\u00e9 par un complexe chimico-\u00e9lectronico-a\u00e9rospatial; deux ph\u00e9nom\u00e8nes majeurs contribueront \u00e0 repousser les limites m\u00eames du progr\u00e8s technologiques: 1) l’engagement croissant de l’Etat dans le financement de la recherche et du d\u00e9veloppement, 2) l’av\u00e8nement de l’analyse des syst\u00e8mes. (En 1957, General Electric avait utilis\u00e9 l’analyse des syst\u00e8mes pour \u00e9valuer la mesure dans laquelle les cargos \u00e0 propulsion nucl\u00e9aire affecterait l’\u00e9conomie de l’industrie maritime am\u00e9ricaine. General Electric aurait aussi bien pu utiliser une boule de cristal… La m\u00e9thode utilis\u00e9e n’a gu\u00e8re d’importance, en effet, si les questions pos\u00e9es sont mauvaises! Le transport maritime ne fut nullement affect\u00e9 par les cargos nucl\u00e9aires, mais par les prix lim\u00e9s de la concurrence internationale).<\/p>\n Mais avan\u00e7ons dans le temps. En 1981, Business Week<\/em> publia une \u00ab\u00a0cover story<\/em>\u00a0\u00bb sur \u00ab\u00a0Les technologies des ann\u00e9es 80\u00a0\u00bb. Que de merveilles nous attendaient! Le capital-risques, parce qu’il serait abondant, permettrait de d\u00e9velopper des technologies \u00ab\u00a0\u00e0 peine croyables\u00a0\u00bb, qui \u00ab\u00a0pourraient bouleverser la mani\u00e8re dont vivent les gens davantage que jadis la lumi\u00e8re \u00e9lectrique, la radio ou l’avion.\u00a0\u00bb L’exp\u00e9rience des d\u00e9cennies ant\u00e9rieures auraient d\u00fb mettre la puce \u00e0 l’oreille des r\u00e9dacteurs de la revue: il est rarement vrai qu’une nouveaut\u00e9 \u00ab\u00a0change la vie des gens\u00a0\u00bb. Il est rare aussi qu’une nouveaut\u00e9 permette \u00ab\u00a0des b\u00e9n\u00e9fices juteux\u00a0\u00bb: pour une nouveaut\u00e9 qui rapportera gros, cent ne rapporteront rien du tout, et pr\u00e9dire lesquelles tomberont dans la premi\u00e8re cat\u00e9gorie, lesquelles dans la seconde, est pratiquement impossible. Mais l\u00e0 o\u00f9 les pr\u00e9visionnistes peuvent \u00eatre s\u00fbrs de se trompera 100 % , c’est lorsqu’ils claironnent que les changements annonc\u00e9s vont se produire \u00ab\u00a0\u00e0 un rythme haletant\u00a0\u00bb. En effet lorsque de vrais changements se produisent, c’est presque toujours avec une majestueuse lenteur.<\/p>\n N’ayant donc rien appris des errements de leurs pr\u00e9d\u00e9cesseurs imm\u00e9diats, les r\u00e9dacteurs de la \u00ab\u00a0cover story<\/em>\u00a0\u00bb de Business Week<\/em> ne firent pas mieux qu’eux. Ils annonc\u00e8rent qu’en \u00e9lectronique, les changements seraient \u00ab\u00a0\u00e9tonnants\u00a0\u00bb. Dans la deuxi\u00e8me moiti\u00e9 des ann\u00e9es 80, les jonctions de Josephson seraient disponibles dans tous les commerces -d\u00e8s que serait r\u00e9solu le probl\u00e8me de son refroidissement cryog\u00e9nique. Au pire on mettrait ces superordinateurs en orbite (il fait froid l\u00e0 haut) et il leur suffirait de renvoyer leurs informations sur terre par radio. Bien s\u00fbr, ajoutaient les r\u00e9dacteurs, avec ce qu’ils semblaient prendre pour de la prudence, cette technologie ne servira que des march\u00e9s \u00e9troits, \u00e0 cause de son co\u00fbt, bien plus \u00e9lev\u00e9e que la technologie traditionnelle au silicone. En fait, il n’y avait, pour cette raison, aucun march\u00e9 du tout. Le silicone r\u00e8gne toujours en ma\u00eetre, et IBM tua le projet des jonctions de Josephson en 1983, deux ans apr\u00e8s la pr\u00e9diction de Business Week<\/em>.<\/span><\/p>\n Avec le m\u00eame enthousiasme, Business Week <\/em>pr\u00e9disait que l’intelligence artificielle allait \u00ab\u00a0avoir des cons\u00e9quences plus formidables pour les affaires et pour la soci\u00e9t\u00e9 dans son ensemble que toute technologie invent\u00e9e \u00e0 ce jour\u00a0\u00bb, et se d\u00e9velopper plus vite encore que l’industrie des ordinateurs (qui est un exemple d’autant plus remarquable d’innovation technologique ayant r\u00e9ussi \u00e0 cr\u00e9er un march\u00e9 en croissance continue qu’il est unique). La pr\u00e9diction de Business Week<\/em> s’est en effet r\u00e9v\u00e9l\u00e9e bien trop optimiste.<\/p>\n L’intelligence, disait la revue, permettrait la cr\u00e9ation d’industries enti\u00e8rement nouvelles, fond\u00e9es sur le \u00ab\u00a0g\u00e9nie de la connaissance\u00a0\u00bb: des \u00ab\u00a0amplificateurs de cerveaux\u00a0\u00bb permettraient aux chercheurs de discuter avec des ordinateurs superintelligents et d’explorer avec eux des r\u00e9gions qui autrement resteraient inaccessibles \u00e0 l’esprit humain. Ces d\u00e9veloppements chambouleraient \u00e0 leur tour l’organisation de la production industrielle, qui serait dirig\u00e9e par des robots prenant leurs propres d\u00e9cisions. Accessoirement, \u00e0 la fin des ann\u00e9es 80, des robots intelligents feraient tous les travaux domestiques, se chargeant m\u00eame de r\u00e9parer les appareils \u00e9lectrom\u00e9nagers en panne. Avec une apparente prudence, la revue notait que dans les ann\u00e9es 50, les pr\u00e9visionnistes s’\u00e9taient largement tromp\u00e9s sur les d\u00e9veloppements de l’intelligence artificielle. Mais encha\u00eenait aussit\u00f4t pour souligner qu’en 1980 les choses \u00e9taient tout \u00e0 fait diff\u00e9rentes, heureusement, parce qu’une \u00ab\u00a0explosion enti\u00e8rement nouvelle\u00a0\u00bb est en cours… En fait d’explosion, c’est la r\u00e9alit\u00e9 qui explosa \u00e0 la t\u00eate des pr\u00e9visionnistes. Chacune de leurs pr\u00e9dictions de d\u00e9tail se r\u00e9v\u00e9la, en termes de chronologie \u00e0 tout le moins, hyperoptimiste.<\/p>\n M\u00eames perspectives abusivement b\u00e9ates \u00e0 propos des nouveaux mat\u00e9riaux. Business Week <\/em>annon\u00e7ait qu’au cours des ann\u00e9es 80 les c\u00e9ramiques serviraient de conducteurs \u00e9lectriques et pourraient \u00eatre model\u00e9es comme du m\u00e9tal. Alcoa annon\u00e7ait qu’en projetant de l’aluminium liquide sur des surfaces refroidies cryog\u00e9niquement, il allait r\u00e9ussir \u00e0 accro\u00eetre leur r\u00e9sistance \u00e0 la corrosion et leur solidit\u00e9. Le march\u00e9 des fibres de graphite allait exploser. Des super-batteries et des mat\u00e9riaux conducteurs organiques allaient appara\u00eetre sur le march\u00e9.<\/p>\n Certaines pr\u00e9dictions dans le domaine de la biotechnologie \u00e9taient plus proches de la marque: il allait y avoir (et il y a aujourd’hui dans les faits) un march\u00e9 fantastique pour les hormones de croissance. D’autres \u00e9taient farfelues, telle la cr\u00e9ation annonc\u00e9e d’animaux sur mesure et m\u00eame, carr\u00e9ment, de nouvelles esp\u00e8ces animales.<\/p>\n Enfin la revue am\u00e9ricaine annon\u00e7ait en fanfare que la combinaison satellites\/ordinateurs\/intelligence artificielle allait aider grandement les g\u00e9ologues \u00e0 d\u00e9couvrir de nouvelles ressources. Exact. Ce que la pr\u00e9diction n’avait pas vu, c’est que le prix des \u00e9nergies fossiles et des minerais allait s’effondrer.<\/p>\n S<\/span>i l’on s’en tient aux quelques exemples de pr\u00e9dictions mentionn\u00e9es dans cet article, on peut dire que seuls 20 \u00e0 25 % d’entre se sont r\u00e9alis\u00e9es. Les enqu\u00eates r\u00e9alis\u00e9es sur le degr\u00e9 de justesse des pr\u00e9dictions sont rares. Dans une \u00e9tude de 1976, publi\u00e9e dans Futures<\/span>, Wise examinait 1556 pr\u00e9dictions technologiques \u00e9nonc\u00e9es entre 1890 et 1940, pour conclure que 60 % d’entre elles s’\u00e9taient r\u00e9v\u00e9l\u00e9es erron\u00e9es, et que les pr\u00e9dictions des non-experts \u00e9taient aussi fiables (ou disons: aussi peu fiables) que celles des experts, une remarque qui vaut parfaitement aujourd’hui encore. Une recherche que j’ai conduite avec Conrad Berenson en 1986 m’a donn\u00e9 des r\u00e9sultats comparables: sur l’ensemble des pr\u00e9dictions publi\u00e9es depuis 1960 dans la grande presse \u00e9conomique \u00e0 propos des technologies qui allaient bouleverser les march\u00e9s, pr\u00e8s de la moiti\u00e9 se sont r\u00e9v\u00e9l\u00e9es erron\u00e9es. Mais si l’on tient compte des doublons, des \u00e0 peu pr\u00e8s, des chiffres douteux, le taux de justesse r\u00e9el doit plut\u00f4t s’\u00e9tablir \u00e0 20 ou 25 %.<\/p>\n Essayer de rep\u00e9rer les technologies qui \u00ab\u00a0changeront le monde\u00a0\u00bb est une tentation irr\u00e9sistible, mais risqu\u00e9e, on l’a vu. Au fond personne, professionnel ou amateur, n’a la moindre id\u00e9e de l’allure technologique qu’aura le monde demain. Je crois que Frank Trippett avait raison, qui \u00e9crivait en 1980 dans le magazine Time<\/span>: \u00ab\u00a0Les graines d’o\u00f9 na\u00eetra l’avenir sont en terre aujourd’hui d\u00e9j\u00e0. Mais elles sont cach\u00e9es bien trop profond, et germent bien trop subtilement pour que de simples yeux humains, fussent-ils aid\u00e9s par des ordinateurs, puissent d\u00e9terminer tous les fruits qu’elles finiront par donner.\u00a0\u00bb<\/p>\n \u00a9 Le Temps strat\u00e9gique, No 36, Gen\u00e8ve, Octobre 1990.<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":" PR\u00c9VISIONS TECHNOLOGIQUES (I) LES PR\u00c9VISIONS ? FAUSSES 4 FOIS SUR 5 PARCE QUE CEUX QUI LES FONT SONT DES AMOUREUX FOUS… …des id\u00e9es et des technologies qu’ils d\u00e9couvrent. 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