{"id":566,"date":"2015-01-05T13:13:18","date_gmt":"2015-01-05T12:13:18","guid":{"rendered":"http:\/\/www.archipress.org\/wp\/?page_id=566"},"modified":"2015-01-19T23:28:08","modified_gmt":"2015-01-19T22:28:08","slug":"566-2","status":"publish","type":"page","link":"https:\/\/www.archipress.org\/?page_id=566","title":{"rendered":"M\u00e9thodes"},"content":{"rendered":"

M\u00c9THODES<\/p>\n

NOTE PLUS SAVANTE SUR LA MANI\u00c8RE
\nDONT LES \u00c9CONOMISTES FABRIQUENT LEURS \u00a0PR\u00c9VISIONS<\/h3>\n

<\/h2>\n
Par Fabrizio Carlevaro<\/div>\n
<\/div>\n

\"L<\/span>‘\u00e9conomiste, confront\u00e9 \u00e0 un probl\u00e8me de pr\u00e9vision, se forge, en g\u00e9n\u00e9ral, \u00e0 partir de quelques outils de base, une m\u00e9thodologie ad hoc, moins en fonction de crit\u00e8res th\u00e9oriques que des statistiques dont il dispose! Ce sont ces outils de base que je vais pr\u00e9senter ici, ainsi que le petit nombre d’id\u00e9es-force qui les fondent. Il va sans dire qu’une m\u00eame m\u00e9thode de pr\u00e9vision peut reposer sur plusieurs de ces id\u00e9es-force.<\/p>\n

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Id\u00e9e-force no.1: demander l’opinion d’un expert.<\/strong> Une id\u00e9e bien naturelle, la premi\u00e8re m\u00eame qui vient \u00e0 l’esprit de quiconque est confront\u00e9 \u00e0 un probl\u00e8me de pr\u00e9vision… Dans l’antiquit\u00e9, lorsqu’un individu voulait conna\u00eetre son sort, il s’adressait \u00e0 un devin, et lorsque le roi se pr\u00e9occupait de la destin\u00e9e de son royaume, il s’adressait \u00e0 un proph\u00e8te. Selon le livre de la Gen\u00e8se, Pharaon, apr\u00e8s avoir fait appel \u00e0 tous les devins et \u00e0 tous les sages de l’\u00c9gypte, demanda \u00e0 Joseph l’interpr\u00e9tation du songe o\u00f9 il avait vu sept vaches grasses et sept vaches maigres. Joseph expliqua que les premi\u00e8res pr\u00e9figuraient sept ann\u00e9es d’abondance, les secondes sept ann\u00e9es de famine. Cette pr\u00e9vision d’un cycle \u00e9conomique incita Pharaon \u00e0 stocker une partie des r\u00e9coltes des ann\u00e9es d’abondance pour conjurer la famine des ann\u00e9es suivantes.<\/p>\n

Bien entendu, pour faire aujourd’hui des pr\u00e9visions \u00e9conomiques, on choisit d’autres experts, que l’on peut classer en trois cat\u00e9gories: ceux qui experts sont par la force des choses, parce que l’\u00e9v\u00e9nement \u00e0 pr\u00e9voir d\u00e9pend de leur d\u00e9cision; ceux qui le sont malgr\u00e9 eux, parce que leurs craintes ou leurs espoirs d\u00e9terminent l’\u00e9v\u00e9nement; ceux enfin qui pr\u00e9tendent l’\u00eatre, c’est-\u00e0-dire les experts \u00e0 proprement parler!<\/p>\n

Si l’on doit par exemple pr\u00e9voir le volume des d\u00e9penses d’investissement d’un pays, on peut interroger sur leurs intentions<\/strong> les entreprises priv\u00e9es et les collectivit\u00e9s publiques qui vont faire ces d\u00e9penses, planifi\u00e9es, qu’il s’agisse de construction ou d’\u00e9quipement, plusieurs mois, voire plusieurs ann\u00e9es, \u00e0 l’avance. De m\u00eame pourra-t-on faire des pr\u00e9visions sur les ventes de voitures ou de frigos en interrogeant sur leurs intentions d’achat les m\u00e9nages. Les avis de de ces experts malgr\u00e9 eux, invit\u00e9s \u00e0 donner leur avis, conduisent \u00e0 des pr\u00e9visions d’une bonne fiabilit\u00e9, mais dont la pr\u00e9cision peut se d\u00e9t\u00e9riorer rapidement dans la mesure o\u00f9 la dur\u00e9e \u00e0 pr\u00e9voir est longue.<\/p>\n

On fait appel \u00e0 la deuxi\u00e8me cat\u00e9gorie d’experts non pas parce que l’on croit que leurs pr\u00e9visions se mat\u00e9rialiseront, mais parce que leurs anticipations sont un d\u00e9terminant majeur de la variable que l’on cherche \u00e0 pr\u00e9voir. Ces experts sont les m\u00eames entrepreneurs ou consommateurs que ceux de la premi\u00e8re cat\u00e9gorie, mais on leur demande un autre type d’opinion, appel\u00e9 attitude<\/strong>. En Suisse, par exemple, l’Office f\u00e9d\u00e9ral des questions conjoncturelles fait ex\u00e9cuter, chaque trimestre, une enqu\u00eate par t\u00e9l\u00e9phone pour d\u00e9terminer l’attitude des consommateurs face \u00e0 l’\u00e9volution de la situation \u00e9conomique g\u00e9n\u00e9rale, des prix, de l’emploi, etc., parce que la connaissance de ces anticipations (craintes ou espoirs) peut contribuer \u00e0 pr\u00e9voir la consommation des m\u00e9nages. Les r\u00e9ponses obtenues sont qualitatives (du type \u00ab\u00a0am\u00e9lioration\u00a0\u00bb, \u00ab\u00a0pas de changement\u00a0\u00bb ou \u00ab\u00a0d\u00e9t\u00e9rioration\u00a0\u00bb), mais elles peuvent \u00eatre traduites en chiffres, sous forme d’indices de diffusion, donnant le pourcentage de r\u00e9ponses favorables, ou de solde, diff\u00e9rence entre r\u00e9ponses favorables et d\u00e9favorables, exprim\u00e9 en pourcent du total des r\u00e9ponses. Ainsi chiffr\u00e9es, les attitudes sont corr\u00e9l\u00e9es avec la consommation pour \u00e9tablir une relation statistique permettant la pr\u00e9vision. L’apport de ces donn\u00e9es \u00e0 la pr\u00e9vision semble plut\u00f4t maigre et reste un sujet controvers\u00e9.<\/p>\n

Contrairement aux experts involontaires des deux premi\u00e8res cat\u00e9gories, les vrais experts peuvent \u00eatre consult\u00e9s sur toutes sortes de sujets de pr\u00e9vision et pour des horizons qui d\u00e9passent le court terme. Pour pr\u00e9voir la consommation d’\u00e9nergie des m\u00e9nages, par exemple, il faut conna\u00eetre, outre le nombre de m\u00e9nages et leur \u00e9quipement m\u00e9nager, le rendement \u00e9nerg\u00e9tique des appareils qui seront disponibles \u00e0 l’horizon de pr\u00e9vision. Si cet horizon est tr\u00e8s \u00e9loign\u00e9, on n’a d’autre choix que de recourir aux avis de sp\u00e9cialistes en technologie.<\/p>\n

Mais alors se pose une premi\u00e8re question: faut-il se fier \u00e0 un seul expert, ou en consulter plusieurs? Le bons sens sugg\u00e8re d’opter pour la seconde solution, car d\u00e9nicher l’expert \u00ab\u00a0le plus r\u00e9put\u00e9\u00a0\u00bb rel\u00e8ve de la gageure et qu’il y a souvent autant d’avis que d’experts. D’o\u00f9 une seconde question: comment extraire une pr\u00e9vision fiable des opinions souvent contradictoires donn\u00e9es par les membres d’un panel d’experts? On peut bien s\u00fbr les r\u00e9unir en commission dans l’espoir qu’ils aboutiront \u00e0 un consensus. H\u00e9las, le consensus peut \u00eatre compl\u00e8tement biais\u00e9, parce qu’une minorit\u00e9 de fortes personnalit\u00e9s subjugue toutes les autres par exemple ou que la minorit\u00e9 adh\u00e8re \u00e0 l’avis de la majorit\u00e9 \u00ab\u00a0par usure\u00a0\u00bb. Pour pallier ces inconv\u00e9nients, on peut proc\u00e9der \u00e0 une enqu\u00eate anonyme o\u00f9 chaque expert a le m\u00eame poids. Mais, dans ce cas, l’espoir d’atteindre un consensus s’\u00e9vanouit et l’on perd tout l’effet cyn\u00e9g\u00e9tique de la discussion en groupe.<\/p>\n

Une proc\u00e9dure interm\u00e9diaire a \u00e9t\u00e9 d\u00e9velopp\u00e9e dans les ann\u00e9es soixante \u00e0 la Rand Corporation. Appel\u00e9e Delphi (de Delphes, ville c\u00e9l\u00e8bre par son oracle), cette proc\u00e9dure pr\u00e9serve l’anonymat des experts et de leurs r\u00e9ponses par l’utilisation d’un questionnaire. mais les fait interagir par l’interm\u00e9diaire d’un coordinateur. Celui-ci d\u00e9pouille les questionnaires et les resoumet aux experts, pour r\u00e9vision, accompagn\u00e9s des r\u00e9sultats du d\u00e9pouillement. L’information statistique fournie est repr\u00e9sent\u00e9e par la m\u00e9diane des r\u00e9ponses et par l’intervalle interquartile, qui exprime la dispersion des r\u00e9ponses. Si un participant maintient son estimation en dehors de l’intervalle interquartile, on lui demande d’expliquer ses raisons. Tous ces arguments sont r\u00e9sum\u00e9s et soumis pour critique avec le troisi\u00e8me questionnaire. Cette forme d’interaction peut \u00eatre poursuivie mais, en pratique, elle s’arr\u00eate l\u00e0, soit que les r\u00e9ponses finissent par se cristalliser, soit que l’organisateur manque de temps pour faire un ou plusieurs tours suppl\u00e9mentaires!<\/p>\n

La m\u00e9thode Delphi, souvent critiqu\u00e9e parce qu’elle ne prend pas en compte les liens pouvant exister entre les diff\u00e9rentes pr\u00e9visions demand\u00e9es aux experts, reste tr\u00e8s utilis\u00e9e, ce qui t\u00e9moigne, sinon de sa fiabilit\u00e9, du moins de son utilit\u00e9.<\/p>\n

Id\u00e9e-force no. 2: guetter les signes avant-coureurs<\/strong>. Ce deuxi\u00e8me principe de pr\u00e9vision remonte, lui aussi, \u00e0 la nuit des temps. Les aruspices cherchaient des pr\u00e9sages dans les entrailles des animaux, les auspices dans le comportement des oiseaux, les empyromanciens dans l’auscultation des foyers… L’\u00e9conomie moderne recourt aux signes avant-coureurs pour pr\u00e9voir surtout l’\u00e9volution de la conjoncture, ses retournements en particulier.<\/p>\n

L’id\u00e9e de base est simple: les ordres pr\u00e9c\u00e8dent la production et les ventes; les entreprises r\u00e9duisent la dur\u00e9e du travail avant de licencier; le sens de variation d’un stock appara\u00eet avant que l’on ne connaisse le niveau de cette variation, et tous ces \u00e9l\u00e9ments sont faciles \u00e0 conna\u00eetre. Certains noient cependant cette id\u00e9e dans une grande sophistication th\u00e9orique. Je songe ici aux raisons invoqu\u00e9es pour justifier le choix des trois courbes du c\u00e9l\u00e8bre barom\u00e8tre de Harvard: l’indice du cours des actions (courbe A), en tant qu’indicateur avanc\u00e9; le volume des ch\u00e8ques tir\u00e9s sur les d\u00e9p\u00f4ts bancaires (courbe B), comme indicateur co\u00efncident; le taux d’int\u00e9r\u00eat (courbe C), comme indicateur retard\u00e9, destin\u00e9 \u00e0 contr\u00f4ler tout signal \u00e9mis par les deux autres. La th\u00e9orie de Harvard se r\u00e9sume ainsi: une augmentation du taux d’int\u00e9r\u00eat (courbe C) engendre un climat de pessimisme dans l’\u00e9conomie qui fait diminuer le cours des actions (courbe A), ce qui conduit \u00e0 une r\u00e9duction des investissements et donc \u00e0 une r\u00e9cession (courbe B). Cette derni\u00e8re produit une diminution des taux d’int\u00e9r\u00eat (courbe C), qui rend aux anticipations leur optimisme et pousse les prix des actions \u00e0 la hausse (courbe A), en g\u00e9n\u00e9rant, par l\u00e0, la reprise de l’activit\u00e9 \u00e9conomique (courbe B), c’est-\u00e0-dire le bouclement du cycle conjoncturel. Il faut noter que le barom\u00e8tre de Harvard s’est r\u00e9v\u00e9l\u00e9 incapable de pr\u00e9voir ou m\u00eame d’enregistrer la Grande d\u00e9pression des ann\u00e9es trente.<\/p>\n

En pratique, de nombreux pays disposent aujourd’hui d’une batterie d’indicateurs avanc\u00e9s qu’ils utilisent pour formuler leurs diagnostics conjoncturels. On constate, cependant, que les indicateurs avanc\u00e9s de conjoncture, s’ils pr\u00e9voient virtuellement tous les retournements, le font avec une avance tr\u00e8s variable et, parfois, annoncent des retournements qui ne se produisent pas. Pour r\u00e9duire le risque de fausses alertes, on pr\u00e9f\u00e8re donc recourir \u00e0 des agr\u00e9gats d’indicateurs avanc\u00e9s qui prennent la forme d’indices de diffusion<\/strong>(pourcentage d’indicateurs qui augmentent) ou d’indices composites<\/strong> (int\u00e9grant l’ampleur des variations des composants). Ces raffinements ne font pourtant qu’att\u00e9nuer les probl\u00e8mes, sans les \u00e9liminer, et le pr\u00e9visionniste doit, \u00e0 ce stade, porter un jugement subjectif, fond\u00e9 sur son exp\u00e9rience. C’est dire que la m\u00e9thode des indicateurs avanc\u00e9s rel\u00e8ve trop de l’art pour \u00eatre \u00e0 la port\u00e9e de chacun.<\/p>\n

Il ne faudrait pas conclure de cette pr\u00e9sentation un peu desabus\u00e9e que la pr\u00e9vision par indicateurs avanc\u00e9s se limite au seul domaine de la conjoncture ou du court terme. On l’a utilis\u00e9e avec succ\u00e8s dans d’autres domaines et pour des pr\u00e9visions \u00e0 moyen ou \u00e0 long terme, notamment dans le domaine technologique, qui fait l’objet de ce num\u00e9ro sp\u00e9cial.<\/p>\n

Id\u00e9e-force no. 3: exploiter les r\u00e9gularit\u00e9s temporelles.<\/strong> Cette troisi\u00e8me id\u00e9e est \u00e0 l’origine d’un tr\u00e8s grand nombre de techniques, de mod\u00e8les et m\u00eame de th\u00e9ories de pr\u00e9vision. Elle fascine des cohortes de statisticiens-math\u00e9maticiens et d’\u00e9conom\u00e8tres \u00e0 vocation statistico- math\u00e9matique, \u00e0 qui elle permet de s’adonner \u00e0 la volupt\u00e9 des raffinements \u00e9sot\u00e9riques… jusqu’\u00e0 l’orgasme intellectuel.<\/p>\n

On commence par porter les observations historiques de la grandeur \u00e9conomique \u00e0 pr\u00e9voir sur un graphique, dont l’axe vertical (l’ordonn\u00e9e) indique la valeur de la grandeur en question et l’axe horizontal (l’abscisse) la date \u00e0 laquelle elle a \u00e9t\u00e9 observ\u00e9e. On obtient ainsi une suite de points (une s\u00e9rie temporelle ou s\u00e9rie chronologique ou encore chronique) que l’on d\u00e9visage attentivement pour deviner si les points sont approximativement align\u00e9s sur une droite imaginaire. Si tel est le cas, ce qui en \u00e9conomie arrive plus souvent qu’on ne l’imagine, on prend une r\u00e8gle et on trace cette droite imaginaire sur le graphique, \u00e0 travers et au-del\u00e0<\/strong> des points. Pour formuler une pr\u00e9vision, on regarde ensuite quelle valeur indique cette droite \u00e0 la date choisie . C’est tout. La m\u00e9thode est simple, totalement explicite, donc \u00ab\u00a0objective\u00a0\u00bb parce que transmissible et reproductible. Tout cela est d’ailleurs bien connu: il s’agit de la tr\u00e8s banale extrapolation<\/strong>.<\/p>\n

Mais si l’on n’arrive pas \u00e0 imaginer une droite, que fait-on? On cherche \u00e0 imaginer une autre courbe \u00ab\u00a0r\u00e9guli\u00e8re\u00a0\u00bb. Pour peu que l’on soit un math\u00e9maticien chevronn\u00e9, on arrive facilement \u00e0 en trouver une et, de surcro\u00eet, \u00e0 l’\u00e9crire en formule, du style: y=f(x), o\u00f9 y d\u00e9signe la grandeur et x le temps. Une formule qui ne sera pas celle de la courbe passant r\u00e9ellement \u00e0 travers les points observ\u00e9s, mais de la famille des courbe ayant \u00e0 peu pr\u00e8s cette \u00ab\u00a0forme\u00a0\u00bb. Mais comment trouver la valeur des param\u00e8tres qui caract\u00e9risent la courbe particuli\u00e8re que l’on a per\u00e7ue \u00e0 travers les points? Ce probl\u00e8me est, en g\u00e9n\u00e9ral, difficile \u00e0 r\u00e9soudre graphiquement (sauf pour la droite), mais peut trouver une solution math\u00e9matique. Il suffit d’exprimer en formule la distance entre les points et une courbe quelconque de la famille, puis de d\u00e9cider que la courbe particuli\u00e8re que l’on cherche est celle qui minimise la distance. Ce n’est plus d\u00e8s lors qu’une affaire de calcul, dit de l’ajustement. Le hic c’est qu’il n’y a pas une d\u00e9finition unique de distance: elle peut \u00eatre euclidienne ou non-euclidienne. De sorte que chaque math\u00e9maticien en qu\u00eate d’originalit\u00e9 ou de reconnaissance par ses pairs peut proposer la sienne… et c’est \u00e9videmment ce qui se passe! D’o\u00f9 la prolif\u00e9ration des m\u00e9thodes d’ajustement, conduisant \u00e0 autant de pr\u00e9visions diff\u00e9rentes \u00e0 partir du m\u00eame principe. La situation est devenue si confuse qu’il a fallu concevoir une th\u00e9orie statistico-math\u00e9matique, dite de l’estimation, qui trie le bon grain de l’ivraie en attribuant aux \u00e9carts entre les valeurs historiques et les valeurs de la courbe \u00e0 la m\u00eame date les caract\u00e9ristiques d’une variable stochastique (al\u00e9atoire) \u00e0 laquelle s’applique le calcul des probabilit\u00e9s… La terreur de mes \u00e9tudiants en \u00e9conomie!<\/p>\n

Mais la f\u00e9condit\u00e9 du principe ne s’arr\u00eate pas l\u00e0. Il incite aussi \u00e0 rechercher un invariant temporel de la grandeur \u00e9conomique, sur lequel asseoir la pr\u00e9vision. Par exemple, dans le cas o\u00f9 les points historiques sont sur une droite, l’invariant temporel est la variation entre deux dates successives (la vitesse), qui est constante. Souvent, on est oblig\u00e9 de fouiller plus avant pour d\u00e9nicher l’invariant: taux de variation, diff\u00e9rence seconde (l’acc\u00e9l\u00e9ration) ou troisi\u00e8me, et j’en passe… Le r\u00e9sultat des courses c’est que l’on se retrouve avec une formule, appel\u00e9e \u00e9quation de r\u00e9currence (bien entendu stochastique), qui relie la valeur courante (date t) de la grandeur \u00e0 une suite plus ou moins longue de valeurs pass\u00e9es (dates t-1, t-2,…). Cette formule permet de calculer, pas \u00e0 pas (on dit par r\u00e9currence ou it\u00e9rativement), la pr\u00e9vision pour la date t+1, puis t+2, et ainsi de suite, \u00e0 partir de l’observation la plus r\u00e9cente et des observations pour les dates ant\u00e9rieures figurant dans la formule. Pour faire bref: ce type de mod\u00e8le a \u00ab\u00a0fait un tabac\u00a0\u00bb chez les \u00e9conomistes d’entreprise (notamment pour pr\u00e9voir l’\u00e9volution \u00e0 court terme des ventes) et assur\u00e9 la fortune acad\u00e9mique, ou parfois financi\u00e8re, de quelques statisticiens qui, comme le couple Box et Jenkins ont su vanter les m\u00e9rites de leur variante.<\/p>\n

Tous ces d\u00e9veloppements emp\u00eachent surtout ceux qui s’y livrent de se poser la question fondamentale: est-ce que tout cela est bien utile? Question \u00e0 laquelle on est bien oblig\u00e9 de r\u00e9pondre par un oui et par non.<\/p>\n

Non: parce que pr\u00e9voir une variable \u00e9conomique, quelle qu’elle soit, sans faire r\u00e9f\u00e9rence aux autres variables (\u00e9conomiques ou non) avec lesquelles elle interagit dans la r\u00e9alit\u00e9, est insens\u00e9 ou du moins os\u00e9. Cette fa\u00e7on outranci\u00e8rement m\u00e9caniste de pr\u00e9voir, qui postule l’autonomie de la variable par rapport \u00e0 son environnement, repose sur l’hypoth\u00e8se implicite de la constance de cet environnement (le fameux \u00ab\u00a0toutes choses \u00e9gales par ailleurs\u00a0\u00bb des \u00e9conomistes th\u00e9oriciens) ou plut\u00f4t sur l’hypoth\u00e8se d’une \u00e9volution qui se poursuivra comme par le pass\u00e9. La pr\u00e9vision sera donc fond\u00e9e sur un acte de foi, sans souci d’explication ou de compr\u00e9hension. Ces mod\u00e8les sont bien s\u00fbr incapables de pr\u00e9voir les points de retournement conjoncturels.<\/p>\n

Oui: parce que la s\u00e9rie historique sur laquelle repose l’extrapolation est parfois tout ce dont on dispose pour pr\u00e9voir. Faute de mieux, la pr\u00e9vision par extrapolation a au moins l’avantage d’\u00eatre praticable. D’ailleurs, tant que l’environnement \u00e9conomique se trouve en \u00ab\u00a0r\u00e9gime de croisi\u00e8re\u00a0\u00bb, les pr\u00e9visions par extrapolation sont loin d’\u00eatre d\u00e9cevantes.<\/p>\n

Id\u00e9e-force no. 4: expliquer pour pr\u00e9voir.<\/strong> Rem\u00e8de \u00e0 la tentation de la pr\u00e9vision m\u00e9caniste, il s’agit l\u00e0 du quatri\u00e8me et dernier principe de pr\u00e9vision que je discuterai, \u00e9tant entendu qu’il en est d’autres encore, que je garde en r\u00e9serve pour mes \u00e9tudiants, tels ceux d’analogie, de conformisme, ou celui dit de \u00ab\u00a0la voie de chemin de fer\u00a0\u00bb.<\/p>\n

La m\u00e9t\u00e9orologie, qui est soeur de l’\u00e9conomie par l’int\u00e9r\u00eat qu’elle porte au d\u00e9veloppement de m\u00e9thodes de pr\u00e9vision fiables, a fait en la mati\u00e8re ses progr\u00e8s les plus d\u00e9cisifs lorsque Lewis Richardson introduisit, en 1922, la pr\u00e9vision dite num\u00e9rique. L’id\u00e9e \u00e9tait de formuler, en utilisant les lois de la m\u00e9canique des fluides et de la thermodynamique, un mod\u00e8le math\u00e9matique de l’atmosph\u00e8re. L’\u00e9tat de l’atmosph\u00e8re \u00e9tant connu \u00e0 un instant donn\u00e9, on pouvait alors d\u00e9duire de cet \u00e9tat une pr\u00e9vision de l’\u00e9volution future. La m\u00eame d\u00e9marche avait \u00e9t\u00e9 utilis\u00e9e par les astronomes, bien plus t\u00f4t, pour pr\u00e9voir avec succ\u00e8s la position future des plan\u00e8tes. Pour formuler ce type de pr\u00e9visions scientifiques<\/strong>, on d\u00e9crit d’abord le comportement du syst\u00e8me \u00e0 pr\u00e9voir \u00e0 travers un ensemble de lois scientifiques (qui sont des propositions g\u00e9n\u00e9rales, explicatives, valid\u00e9es empiriquement par l’exp\u00e9rimentation ou l’observation), puis, par d\u00e9duction, on cherche \u00e0 quelle conclusion conduisent ces lois, lorsqu’on les applique \u00e0 un \u00ab\u00a0\u00e9tat initial\u00a0\u00bb donn\u00e9.<\/p>\n

Les \u00e9conom\u00e8tres ont essay\u00e9 de d\u00e9velopper une m\u00e9thode de pr\u00e9vision de m\u00eame nature. Leur premi\u00e8re tentative est \u00e0 peine plus r\u00e9cente que celle de Richardson en m\u00e9t\u00e9orologie: Jan Tinbergen (qui re\u00e7ut le premier Nobel d’\u00e9conomie) construisit le premier mod\u00e8le \u00e9conom\u00e9trique d’une \u00e9conomie nationale en 1935. Mais comme en m\u00e9t\u00e9orologie, il fallut attendre l’apr\u00e8s-guerre pour que la m\u00e9thode devienne op\u00e9ratoire, sous l’impulsion de Lawrence Klein (un autre Nobel d’\u00e9conomie), gr\u00e2ce \u00e0 l’introduction des calculateurs \u00e9lectroniques et \u00e0 une observation plus pr\u00e9cise de l'\u00a0\u00bb\u00e9tat\u00a0\u00bb des \u00e9conomies.<\/p>\n

Cette m\u00e9thode sugg\u00e8re d’inscrire les diverses grandeurs \u00e9conomiques \u00e0 pr\u00e9voir dans un syst\u00e8me d’\u00e9quations simultan\u00e9es o\u00f9 elles figurent au titre d’inconnues du syst\u00e8me (on les appelle les variables endog\u00e8nes). Chaque \u00e9quation doit repr\u00e9senter l’un des comportements des agents \u00e9conomiques, l’une des contraintes techniques ou institutionnelles ou encore l’un des m\u00e9canismes d’ajustement, qui tous assembl\u00e9s constituent l’\u00e9conomie. Par exemple, une \u00e9quation exprimera comment les m\u00e9nages d\u00e9cident de leurs achats, une autre quel processus de production on utilise pour produire telle cat\u00e9gorie de biens. Ces \u00e9quations \u00e9tablissent des liens d’interd\u00e9pendance entre les variables endog\u00e8nes \u00e0 une m\u00eame \u00e9poque (l’ann\u00e9e, par exemple), mais elles font intervenir aussi d’autres \u00e9l\u00e9ments explicatifs. D’abord des variables endog\u00e8nes d\u00e9cal\u00e9es, c’est-\u00e0-dire d’ann\u00e9es ant\u00e9rieures, pour traduire des effets d’habitude, des anticipations fond\u00e9es sur l’\u00e9volution historique, etc.; puis des variables exog\u00e8nes (courantes et retard\u00e9es), exprimant l’\u00e9tat de l’environnement de l’\u00e9conomie (prix internationaux, population, taux d’imposition fiscale); enfin, des param\u00e8tres, c’est-\u00e0-dire des constantes empiriques (\u00e9lasticit\u00e9 prix, propension \u00e0 \u00e9pargner, productivit\u00e9 du travail), ainsi que des perturbations stochastiques, traduisant l’effet de facteurs non identifi\u00e9s. Pour d\u00e9duire de ce syst\u00e8me l’\u00e9volution de l’\u00e9conomie, il faut alors calculer la solution de ces \u00e9quations (les inconnues sont les variables endog\u00e8nes) apr\u00e8s avoir introduit l’observation historique des variables endog\u00e8nes et exog\u00e8nes et chiffr\u00e9 la valeur future des variables exog\u00e8nes et, si possible, des perturbations.<\/p>\n

Cette m\u00e9thode poss\u00e8de deux atouts majeurs, par rapport \u00e0 celles d\u00e9j\u00e0 pr\u00e9sent\u00e9es. D’une part, elle permet d’analyser s\u00e9par\u00e9ment les diff\u00e9rentes sources d’incertitude qui affectent la pr\u00e9vision. D’autre part, elle est assez g\u00e9n\u00e9rale pour permettre d’int\u00e9gration des autres m\u00e9thodes \u00e9voqu\u00e9es, les renseignements notamment tir\u00e9s des enqu\u00eates sur les intentions ou les attitudes, ainsi que ceux fournis par l’appr\u00e9ciation subjective des experts. Elle prend en compte cinq sources d’incertitude: les \u00e9quations, les constantes empiriques, les observations historiques, l’\u00e9volution future des variables exog\u00e8nes et celle des perturbations. Aucune n’est n\u00e9gligeable, chacune contribue aux erreurs de pr\u00e9vision.<\/p>\n

La quatri\u00e8me de ces sources d’incertitude permet de distinguer la m\u00e9thodologie de la pr\u00e9vision \u00e9conom\u00e9trique de celle de la pr\u00e9vision m\u00e9t\u00e9orologique. Le m\u00e9t\u00e9orologue peut pr\u00e9voir en supposant constants les \u00ab\u00a0param\u00e8tres\u00a0\u00bb de ses \u00e9quations qui d\u00e9crivent l’\u00e9tat de l’atmosph\u00e8re, sa composition physico-chimique par exemple. L’\u00e9conom\u00e8tre, lui, ne le peut pas. Il est donc oblig\u00e9 d’anticiper l’\u00e9volution de ses variables exog\u00e8nes… \u00e0 moins que sa m\u00e9galomanie ne le pousse \u00e0 \u00e9largir le syst\u00e8me jusqu’\u00e0 \u00e9tablir un mod\u00e8le de l’\u00e9conomie mondiale, et rendre ainsi la notion d’environnement sans objet!<\/p>\n

Selon que cette anticipation rel\u00e8ve du probable (ce qui n’est g\u00e9n\u00e9ralement possible qu’\u00e0 court terme) ou de la simple conjecture, on parlera de pr\u00e9vision tout court ou de pr\u00e9vision conditionnelle<\/strong> (lire: r\u00e9aliste si la conjecture sur les variables exog\u00e8nes se concr\u00e9tise). C’est selon cette deuxi\u00e8me acception qu’il faut en g\u00e9n\u00e9ral interpr\u00e9ter les pr\u00e9visions \u00e9conomiques \u00e0 moyen et \u00e0 long terme \u00e9labor\u00e9es par l’approche \u00e9conom\u00e9trique. L’\u00e9volution attribu\u00e9e aux variables exog\u00e8nes n’est alors qu’un simple \u00ab\u00a0sc\u00e9nario\u00a0\u00bb, pour utiliser le jargon des strat\u00e8ges, c’est-\u00e0-dire une \u00e9volution admissible de l’environnement, mais sur la plus ou moins grande vraisemblance de laquelle on ne se prononce pas. De telles pr\u00e9visions ne rel\u00e8vent plus de la volont\u00e9 de fournir une pr\u00e9diction \u00e9quivalente \u00e0 une proph\u00e9tie, mais sont faites dans l’intention d’explorer l’avenir, dans une attitude prospective. Suivant cette conception, le futur est constitu\u00e9, \u00e0 c\u00f4t\u00e9 d’\u00e9l\u00e9ments in\u00e9luctables et d’\u00e9l\u00e9ments impr\u00e9visibles, d’un \u00ab\u00a0espace libre\u00a0\u00bb, \u00e0 construire par l’action volontaire de l’homme (le futur volontaire), qu’il convient d’orienter pr\u00e9cis\u00e9ment par des pr\u00e9visions conditionnelles.<\/p>\n

Des \u00e9tudes comparatives portant sur les erreurs des pr\u00e9visions macro\u00e9conomiques \u00e0 court terme, r\u00e9alis\u00e9es sur plusieurs p\u00e9riodes et pour plusieurs pays, ont montr\u00e9 que la pr\u00e9cision des m\u00e9thodes \u00e9conom\u00e9triques est l\u00e9g\u00e8rement meilleure que la pr\u00e9cision des pr\u00e9visions r\u00e9alis\u00e9es par d’autres m\u00e9thodes, formelles ou informelles. En l’\u00e9tat, l’avantage de l’approche \u00e9conom\u00e9trique ne r\u00e9side pas tant dans ses capacit\u00e9s pr\u00e9visionnelles que dans son potentiel d’outil de simulation des effets de politiques, que les autres m\u00e9thodes sont incapables de prendre en compte.<\/p>\n

S’int\u00e9resser aux m\u00e9thodes de la pr\u00e9vision \u00e9conomique, c’est ouvrir une bo\u00eete de Pandore recelant un ensemble h\u00e9t\u00e9roclite d’outils dont l’utilisation apporte surtout des d\u00e9ceptions. Mais le besoin de pr\u00e9voir la chose \u00e9conomique est si puissant, la pr\u00e9vision si indispensable au fonctionnement de notre soci\u00e9t\u00e9 rationnelle, technologique et marchande, que l’on ne peut y renoncer. Certes, elle la pr\u00e9vision ne sera jamais le corollaire noble et fiable de la connaissance scientifique dont r\u00eavent tant d’\u00e9conomistes. Mais, au fond de la bo\u00eete, demeure l’espoir que, toujours plus proche de la d\u00e9marche scientifique, elle nous donne les moyens de mieux ma\u00eetriser nos destins.<\/p>\n

\u00a9 Le Temps strat\u00e9gique, No 36, Gen\u00e8ve, Octobre 1990.<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":"

M\u00c9THODES NOTE PLUS SAVANTE SUR LA MANI\u00c8RE DONT LES \u00c9CONOMISTES FABRIQUENT LEURS \u00a0PR\u00c9VISIONS Par Fabrizio Carlevaro L‘\u00e9conomiste, confront\u00e9 \u00e0 un probl\u00e8me de pr\u00e9vision, se forge, en g\u00e9n\u00e9ral, \u00e0 partir de quelques outils de base, une m\u00e9thodologie ad hoc, moins en fonction de crit\u00e8res th\u00e9oriques que des statistiques dont il dispose! \u2026 Lire plus \/ Read more<\/a><\/p>\n","protected":false},"author":1,"featured_media":1431,"parent":0,"menu_order":0,"comment_status":"closed","ping_status":"closed","template":"","meta":{"ngg_post_thumbnail":0,"footnotes":""},"class_list":["post-566","page","type-page","status-publish","has-post-thumbnail","hentry"],"_links":{"self":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/566","targetHints":{"allow":["GET"]}}],"collection":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages"}],"about":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/types\/page"}],"author":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/users\/1"}],"replies":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=%2Fwp%2Fv2%2Fcomments&post=566"}],"version-history":[{"count":3,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/566\/revisions"}],"predecessor-version":[{"id":594,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/566\/revisions\/594"}],"wp:featuredmedia":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/media\/1431"}],"wp:attachment":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=%2Fwp%2Fv2%2Fmedia&parent=566"}],"curies":[{"name":"wp","href":"https:\/\/api.w.org\/{rel}","templated":true}]}}