A propos de la sonate pour piano n\u00b0 29, opus 106, Hammerklavier, de Beethoven<\/span> <\/strong><\/div>\n <\/p>\n
Oeuvre de commande, \u00e9crite en 1818 \u2013 ann\u00e9e de grande mis\u00e8re pour son auteur \u2013 la sonate n\u00b0 29, op. 106, d\u00e9di\u00e9e \u00e0 l\u2019Archiduc Rodolphe, partage avec les 33 Variations sur un th\u00e8me de Diabelli, le sommet de la difficult\u00e9 dans l\u2019\u0153uvre de piano de Beethoven.<\/p>\n
Ses dimensions exceptionnelles, la richesse de sa substance musicale et du t\u00e9moignage humain et spirituel dont elle garde le secret, font de cet ouvrage de haut bord l\u2019un des monuments de la litt\u00e9rature pianistique de tous les temps, l\u2019un des plus respectables, l\u2019un des plus \u00e9trange aussi \u2026 sorte de sphinx sonore d\u2019une haute, d\u2019une myst\u00e9rieuse signification.<\/p>\n
Le langage est celui du dernier Beethoven, intellectuel et sensible, fort complexe bien que parfois r\u00e9duit \u00e0 l\u2019essentiel gr\u00e2ce au d\u00e9pouillement de l\u2019\u00e9criture. Pens\u00e9e \u00e9pur\u00e9e ayant fr\u00e9quemment recours aux formes fugu\u00e9es pour se mat\u00e9rialiser en \u00e9nergie \u2013 Langage qui appara\u00eet comme l\u2019ultime cons\u00e9quence d\u2019un travail int\u00e9rieur sans rel\u00e2che, d\u2019une progressive spiritualisation.<\/p>\n
Ici se livrent des luttes d\u2019une port\u00e9e vitale, mais dont le sens demeure captif des symboles musicaux.<\/p>\n
Quatre mouvements dont nous parlerons bri\u00e8vement :<\/p>\n
L\u2019ALLEGRO initial, v\u00e9ritable mouvement de symphonie, s\u2019impose d\u2019embl\u00e9e, abruptement, par un foudroyant motif rythmique qui reviendra plusieurs fois au cours du morceau.<\/p>\n
Un long \u00e9pisode en sol majeur (qui r\u00e9appara\u00eetra plus tard dans le ton initial) r\u00e9v\u00e8le, en pleine lumi\u00e8re, tout un jeu m\u00e9lodique sensible sous-tendu d\u2019activit\u00e9 rythmique. C\u2019est ensuite un fugato indomptable, qui atteint \u00e0 l\u2019\u00e2pret\u00e9 ; puis, avant la r\u00e9exposition, une lumineuse modulation en si majeur \u2013 \u00e0 remarquer une curieuse \u00e9quivoque entre si b\u00e9mol majeur et la \u00ab noire tonalit\u00e9 \u00bb de si mineur, que l\u2019on retrouvera ailleurs au cours de l\u2019\u0153uvre.<\/p>\n
Ce premier mouvement se termine sur les r\u00e9percussions de plus en plus estomp\u00e9es du premier motif, sur des registres diff\u00e9rents, comme des forces mena\u00e7antes qui battent en retraite dans un lointain inconnaissable.<\/p>\n
Le SCHERZO, ASSAI VIVACE, preste et vif, appara\u00eet, de prime \u00e0 bord, inoffensif ; mais, \u00e0 le mieux observer, on remarque, d\u2019une part, le caract\u00e8re myst\u00e9rieux, quelque peu fantomal, du trio, o\u00f9 passent et se m\u00ealent des ombres ; et, d\u2019autre part, cette \u00e9quivoque entre si b\u00e9mol et si naturel, qui conf\u00e8re \u00e0 la fin de cette page une si curieuse h\u00e9sitation tonale. Le presto final, sur des octaves r\u00e9p\u00e9t\u00e9es de si naturel, pr\u00e9sente la lividit\u00e9 de l\u2019\u00e9clair, avant que ne soit enfin touch\u00e9 le si b\u00e9mol sur lequel va se consommer sa disparition \u2026<\/p>\n
L\u2019ADAGIO SOSTENUTO, pens\u00e9 dans l\u2019esprit de la grande variation, se situe \u00e0 un niveau exceptionnel d\u2019\u00e9l\u00e9vation et d\u2019int\u00e9riorit\u00e9. Cette immense fresque, o\u00f9 le temps est comme suspendu, donne des aper\u00e7us, des perspectives insoup\u00e7onn\u00e9es sur la ferveur, la richesse d\u2019une vie int\u00e9rieure d\u2019exception. Certes, la souffrance y est pr\u00e9sente, mais aussi une lumi\u00e8re qui semble venir d\u2019ailleurs \u2026
\nLa Messe en R\u00e9, en chantier \u00e0 cette \u00e9poque, n\u2019est sans doute pas \u00e9trang\u00e8re \u00e0 ce climat d\u2019un autre monde o\u00f9 se perd la notion commune du temps.<\/p>\n
Dans le LARGO qui pr\u00e9c\u00e8de l\u2019entr\u00e9e de la fugue, il faut, en quelque sorte, cr\u00e9er le n\u00e9ant \u2026 De ces limbes montent au jour, par trois fois, des \u00e9bauches d\u2019id\u00e9es qui, sit\u00f4t n\u00e9es, retournent au vide. Le d\u00e9paysement est grand en ces \u00ab terrae incognitae \u00bb.<\/p>\n
Tout se passe alors (si je puis me permettre une comparaison aussi audacieuse) comme si une formidable pulsion d\u2019\u00e9nergie lib\u00e9rait la Fugue de la pesanteur, la laissant en gravitation.<\/p>\n
Mais le tout n\u2019est pas de la laisser graviter \u2026 il faut accomplir ce parcours terrible, tout en sinuosit\u00e9s, en retours sur soi-m\u00eame ; il faut s\u2019y retrouver dans ce labyrinthe redoutable ponctu\u00e9 de trilles \u00e9lectris\u00e9s.<\/p>\n
Terrible jeu de l\u2019esprit, non, lutte sans merci contre quelque tourment harcelant dont on veut se d\u00e9livrer \u2026<\/p>\n
L\u2019intellect et la volont\u00e9 y sont en jeu, et une charge de malaise et de souffrance s\u2019y fait sentir \u2026 Ce serait, \u00e0 mon sens, une grave erreur de la \u00ab d\u00e9dramatiser \u00bb comme on l\u2019entend faire parfois. Ce serait acte de banalisation. La tension, l\u2019opini\u00e2tret\u00e9 doivent \u00eatre maintenues.<\/p>\n
Cette fugue contient des hardiesses d\u2019\u00e9criture, des dissonances, des chocs, qui l\u2019apparentent presque \u00e0 la musique d\u2019un Bartok, par exemple.<\/p>\n
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Il faudrait dominer suffisamment ces pages terribles pour prendre une distance et les interpr\u00e9ter en visionnaire \u2026<\/p>\n
Le parcours de la Sonate op. 106 est tr\u00e8s impressionnant \u00e0 effectuer pour l\u2019ex\u00e9cutant, mais combien de forces vives il re\u00e7oit dans le contact et l\u2019intimit\u00e9 d\u2019une \u0153uvre aussi puissante, dont on peut arriver \u00e0 se faire une alli\u00e9e.<\/p>\n
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Pierre Froment, pianiste<\/span><\/div>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":"A travers ce titre L’Odyss\u00e9e de la complexit\u00e9 emprunt\u00e9 au travail de R\u00e9da Benkirane, Giovanni Bellucci, pianiste italien, a voulu synth\u00e9tiser le contenu qui anime le programme de son deuxi\u00e8me r\u00e9cital du cycle beethov\u00e9nien int\u00e9gral \u00ab\u00a0Klaviersonaten und Symphonien\u00a0\u00bb – une int\u00e9grale qui, d’apr\u00e8s le pianiste, se configure comme un long \u2026 Lire plus \/ Read more<\/a><\/p>\n","protected":false},"author":1,"featured_media":1282,"parent":43,"menu_order":1,"comment_status":"closed","ping_status":"closed","template":"","meta":{"ngg_post_thumbnail":0,"footnotes":""},"class_list":["post-53","page","type-page","status-publish","has-post-thumbnail","hentry"],"_links":{"self":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/53","targetHints":{"allow":["GET"]}}],"collection":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages"}],"about":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/types\/page"}],"author":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/users\/1"}],"replies":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=%2Fwp%2Fv2%2Fcomments&post=53"}],"version-history":[{"count":15,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/53\/revisions"}],"predecessor-version":[{"id":2038,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/53\/revisions\/2038"}],"up":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/43"}],"wp:featuredmedia":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/media\/1282"}],"wp:attachment":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=%2Fwp%2Fv2%2Fmedia&parent=53"}],"curies":[{"name":"wp","href":"https:\/\/api.w.org\/{rel}","templated":true}]}}