{"id":430,"date":"2015-01-02T11:04:20","date_gmt":"2015-01-02T10:04:20","guid":{"rendered":"http:\/\/www.archipress.org\/wp\/?page_id=430"},"modified":"2015-01-20T09:08:45","modified_gmt":"2015-01-20T08:08:45","slug":"feux-de-lislam","status":"publish","type":"page","link":"https:\/\/www.archipress.org\/?page_id=430","title":{"rendered":"Feux de l’islam"},"content":{"rendered":"
PERSPECTIVES HISTORIQUES<\/p>\n
Par Maurice Lombard<\/strong><\/p>\n L’auteur des ces lignes est d\u00e9c\u00e9d\u00e9 en 1965. Mais sa vision nous est apparue si forte, si originale, en ces temps d’anti-islamisme primaire, que nous avons d\u00e9cid\u00e9 d’en donner ici un aper\u00e7u. Pour Maurice Lombard en effet, \u00e0 l’\u00e9poque o\u00f9, en Europe, nous vivions notre haut Moyen Age, L’islam, lui, r\u00e9ussissait \u00e0 fondre dans son creuset les restes des plus hautes cultures de l’Orient, et ranimait par contrecoup notre civilisation occidentale, alors gravement affaiblie par les invasions barbares. Nous inaugurons avec ce texte, sous le label \u00ab\u00a0Classiques\u00a0\u00bb, la pr\u00e9sentation, qui sera \u00e9pisodique, de textes d\u00e9j\u00e0 publi\u00e9s ailleurs, mais riches en enseignements pour notre temps.<\/strong><\/p>\n Le monde musulman du VIIIe au XIe si\u00e8cle n’est pas seulement le point de d\u00e9part d’une longue histoire: celle des civilisations musulmanes. Il est aussi le point d’arriv\u00e9e – et jusqu’\u00e0 pr\u00e9sent- d’apog\u00e9e d’une histoire encore plus longue: celle des civilisations urbaines de l’Orient antique, les plus vieilles civilisations connues de l’humanit\u00e9 d\u00e9j\u00e0 un moment regroup\u00e9es dans l’empire d’Alexandre…<\/p>\n Jetons d’abord un regard vers l’\u00e9poque des conqu\u00eates arabes (milieu du VIIe-milieu du VIIIe si\u00e8cle). C’est alors que le monde musulman prend ses visages essentiels.<\/p>\n Ces conqu\u00eates sont, d’abord, le fait des Arabes d’Arabie, chameliers b\u00e9douins qui constitueront la premi\u00e8re force militaire de l’islam, sous la direction des chefs de La Mecque, eux-m\u00eames citadins commer\u00e7ants et armateurs des grandes caravanes. Hors du d\u00e9sert et des zones de p\u00e2turage de la p\u00e9ninsule arabique, les Arabes viseront les pays du Croissant fertile: M\u00e9sopotamie, Syrie, \u00c9gypte.<\/p>\n Les conqu\u00e9rants arabes? Mais, \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de cet \u00e9l\u00e9ment arabe, les arm\u00e9es de l’islam s’ouvriront aux contingents lev\u00e9s parmi les populations subjugu\u00e9es, contingents qui prolongeront le mouvement initial: c’est ainsi que les Iraniens pousseront vers l’Asie centrale, les Syro-\u00c9gyptiens vers l’Afrique du Nord, les Berb\u00e8res d’Afrique du Nord, \u00e0 leur tour, vers l’Espagne et la Sicile.<\/p>\n L’\u00e9l\u00e9ment arabe s’est donc limit\u00e9 \u00e0 une seule vague d’envahisseurs, partis d’un d\u00e9sert et non d’un de ces hinterlands de for\u00eats aux clairi\u00e8res cultiv\u00e9es (Europe centrale) ou de steppes \u00e0 p\u00e2turages (Asie) qui ont toujours constitu\u00e9 le r\u00e9servoir des envahisseurs barbares dont les vagues successives sont venues s’installer dans un Occident rural, forestier et peu peupl\u00e9. Ici, une poign\u00e9e de conqu\u00e9rants s’absorbe rapidement, se fond dans des foules urbaines de civilisation sup\u00e9rieure.<\/p>\n Comment expliquer la facilit\u00e9 et la rapidit\u00e9 de cette conqu\u00eate? Les Arabes avaient en fait toutes chances d’\u00eatre accueillis comme des lib\u00e9rateurs par les vieilles populations du monde s\u00e9mitique de Syrie et de M\u00e9sopotamie et par les \u00c9gyptiens. Ces peuples, outre la parent\u00e9 ethnique et linguistique qui liait certains d’entre eux aux Arabes, \u00e9taient soumis depuis longtemps \u00e0 Rome puis \u00e0 Byzance \u00e0 l’ouest, \u00e0 l’Empire perse sassanide \u00e0 l’est. Ils \u00e9taient en \u00e9tat de r\u00e9volte permanente contre les administrations de Constantinople et de Ct\u00e9siphon; r\u00e9volte, comme toujours en Orient, \u00e0 coloration religieuse et \u00e0 fond social. Le domaine byzantin est secou\u00e9 par des h\u00e9r\u00e9sies; le nestorianisme et le monophysisme surtout s’opposent \u00e0 l’orthodoxie dirigeante. Dans le domaine sassanide se d\u00e9veloppent le manich\u00e9isme, le juda\u00efsme et le christianisme, toutes confessions dirig\u00e9es contre la religion officielle, le mazd\u00e9isme.<\/p>\n Or, les tendances d\u00e9mocratiques, \u00e9galitaires et cosmopolites du message islamique r\u00e9pondaient \u00e0 ces mouvements de r\u00e9volte sociale et religieuse. D’o\u00f9, partiellement du moins, la facilit\u00e9 de la conqu\u00eate.<\/p>\n Le souci d’ordre et de paix pousse aussi les populations citadines \u00e0 se rallier au conqu\u00e9rant, dont elles attendent une protection contre l’anarchie et les d\u00e9pr\u00e9dations des nomades. La seule r\u00e9sistance opini\u00e2tre viendra finalement des Berb\u00e8res qui, comme ils s’\u00e9taient jadis soulev\u00e9s face \u00e0 Carthage et face \u00e0 Rome, et comme ils se soul\u00e8veront plus tard face aux Turcs, resteront toujours, face \u00e0 la domination musulmane, en \u00e9tat de r\u00e9sistance ouverte ou larv\u00e9e.<\/p>\n Les rapports avec les peuples soumis ont \u00e9t\u00e9, dans tous les cas, facilit\u00e9s par la tol\u00e9rance des envahisseurs, gens assez indiff\u00e9rents religieusement, voire sceptiques. Aussi pas de pers\u00e9cutions, pas de conversions forc\u00e9es. La seule exigence manifest\u00e9e par les vainqueurs est d’ordre fiscal: un trait\u00e9 de capitulation en bonne et due forme, pass\u00e9 avec les autorit\u00e9s religieuses, garantit, en \u00e9change de la lev\u00e9e de l’imp\u00f4t par les notables des diff\u00e9rentes communaut\u00e9s, la libert\u00e9 du culte et la poursuite de l’activit\u00e9 \u00e9conomique.<\/p>\n La conqu\u00eate a \u00e9t\u00e9 si rapide qu’il n’y a pas eu hiatus, coupure, mais bien continuation de l’\u00e9tat pr\u00e9existant, dans tous les domaines: institutions, rouages et personnel administratifs, proc\u00e9dures, bureaux, imp\u00f4ts et, enfin, monnaies.<\/p>\n La conqu\u00eate ne s’est pas non plus traduite par des destructions. Il n’y a pas eu de villes br\u00fbl\u00e9es ou mises \u00e0 sac, la seule exception notable \u00e9tant le pillage des palais sassanides riches d’or. Donc, pas de d\u00e9sorganisation: les populations soumises fournirent tout naturellement les cadres de l’administration, l’outillage mental de peuples cultiv\u00e9s. Les nouveaux convertis chr\u00e9tiens, juifs ou perses, ces mawali<\/em> (clients) comme on les appelle alors, vont jouer un r\u00f4le d\u00e9cisif dans l’\u00e9laboration de cette civilisation syncr\u00e9tique qu’est la civilisation \u00ab\u00a0musulmane\u00a0\u00bb. M\u00eame dans la codification de la grammaire arabe, m\u00eame dans l’\u00e9tablissement du texte d\u00e9finitif du Coran, interviendront les non-Arabes, fils des vieux peuples de l’Orient rompus aux techniques intellectuelles.<\/p>\n L’Orient musulman, c’est-\u00e0-dire les anciens territoires sassanides (M\u00e9sopotamie et Iran) et byzantins (Syrie et \u00c9gypte), se comporte ainsi comme le creuset d’une civilisation de synth\u00e8se qui s’\u00e9tendra ensuite sur l’ensemble du domaine de l’islam: du c\u00f4t\u00e9 oriental, vers l’Asie centrale, du c\u00f4t\u00e9 occidental, vers l’Ifriqiya\u00a0<\/em>(Tunisie et Est alg\u00e9rien), le Maghrib al-aqsa<\/em> (Extr\u00eame-Occident), la Berb\u00e9rie, l’Espagne et la Sicile.<\/p>\n Au vrai, la conqu\u00eate musulmane a sauv\u00e9 Contrairement \u00e0 la th\u00e8se de Henri Pirenne, c’est, je crois, gr\u00e2ce \u00e0 la conqu\u00eate musulmane que l’Occident a repris contact avec les civilisations orientales et, \u00e0 travers elles, avec les grands mouvements mondiaux de commerce et de culture. Alors que les grandes invasions barbares des IVe et Ve si\u00e8cles avaient entra\u00een\u00e9 la r\u00e9gression \u00e9conomique de l’Occident m\u00e9rovingien puis carolingien, la cr\u00e9ation du nouvel empire islamique entra\u00eena, pour ce m\u00eame Occident, un \u00e9tonnant d\u00e9veloppement et la relance de sa civilisation.<\/p>\n Si l’on consid\u00e8re maintenant les cons\u00e9quences profondes de la conqu\u00eate, trois probl\u00e8mes doivent \u00eatre pos\u00e9s nettement et s\u00e9par\u00e9ment: l’islamisation, l’arabisation, la s\u00e9mitisation.<\/p>\n L’islamisation c’est la conversion des anciennes populations \u00e0 la nouvelle religion, l’islam, conversion favoris\u00e9e par les avantages fiscaux que retiraient de leur ralliement les nouveaux convertis: la suppression de la jizya<\/em> ou capitation.<\/p>\n L’arabisation doit se comprendre uniquement dans le sens linguistique. Il n’y a pas eu d’infusion notable de sang \u00ab\u00a0arabe\u00a0\u00bb. Tr\u00e8s peu de traditions proprement \u00ab\u00a0arabes\u00a0\u00bb se sont implant\u00e9es dans les pays conquis. Ce que l’on appelle souvent \u00e0 tort l’arabisation, c’est la s\u00e9mitisation, l’orientalisation, c’est-\u00e0-dire l’adoption d’un ensemble de concepts de morale, de tabous, de cosmogonies, de cadres mentaux et de pratiques, qui est celui des populations s\u00e9mitiques (ou, mieux, s\u00e9mitis\u00e9es) de Syrie-M\u00e9sopotamie, et surtout de la partie de ces populations qui est motrice, pilote: les populations urbaines, sur lesquelles se sont accumul\u00e9es les strates de toutes les vieilles civilisations depuis l’antiquit\u00e9 la plus recul\u00e9e, civilisations qui leur ont communiqu\u00e9 la finesse et le raffinement, les techniques intellectuelles et commerciales, le besoin d’un ordre solidement \u00e9tabli, mais le manque de \u00ab\u00a0vertus guerri\u00e8res\u00a0\u00bb – si g\u00e9n\u00e9ral parmi les populations de la basse Antiquit\u00e9 – qui n\u00e9cessite l’appel aux mercenaires.<\/p>\n La civilisation musulmane? Les conqu\u00eates musulmanes, ce sont d’abord les batailles remport\u00e9es par les b\u00e9douins d’Arabie sortant de leurs d\u00e9serts par des routes d\u00e9j\u00e0 nettement trac\u00e9es et fon\u00e7ant sur les agglom\u00e9rations grouillantes du pourtour, noyaux de citadins avec, pour subvenir \u00e0 leurs besoins, un cercle de fellahs. Par la suite, elles seront le fait des Berb\u00e8res, nomades Sanhaja ou solides montagnards Kut\u00e2ma, et, plus tard, le fait des Turcs, des Kurdes, des Dayl\u00e9mites. C’est dans ces r\u00e9servoirs de guerriers mercenaires que l’islam a puis\u00e9 sa force militaire.<\/p>\n La s\u00e9mitisation, c’est tout autre chose: c’est la civilisation urbaine du vieil Orient syncr\u00e9tique – empire perse puis royaumes hell\u00e9nistiques -, diffus\u00e9e hors du domaine s\u00e9mitique par plusieurs canaux et par plusieurs moyens. Tout d’abord par le truchement de la langue arabe, langue religieuse du Coran, langue de gouvernement, langue officielle et de bureau, langue du grand commerce et des \u00e9changes lointains, langue de civilisation litt\u00e9raire et scientifique. Les pens\u00e9es grecque, iranienne, indienne, chinoise, nous ont \u00e9t\u00e9 transmises en grande partie par des traductions en arabe, c’est-\u00e0-dire par un instrument s\u00e9mitique. S\u00e9mitisation aussi par les routes de la diaspora commerciale levantine, depuis la r\u00e9gion des isthmes, gr\u00e2ce, en somme, \u00e0 la dispersion, \u00e0 la migration de petits effectifs et \u00e0 la constitution de communaut\u00e9s religieuses aux points strat\u00e9giques du grand commerce. Ces petits groupes de pionniers se gonflent peu \u00e0 peu gr\u00e2ce \u00e0 de nouveaux arrivants. En m\u00eame temps, ils prolif\u00e8rent, poussent vers l’avant, prospectent, \u00e9tablissent de nouveaux centres tout en conservant \u00e0 l’arri\u00e8re des positions de repli assur\u00e9 avec lesquelles ils maintiennent des liens plus ou moins l\u00e2ches, parfois rompus par des schismes, parfois renforc\u00e9s par des regroupements ou leur rattachement \u00e0 un m\u00eame centre. Ainsi naissent les communaut\u00e9s juives dont la langue \u00e9crite est l’h\u00e9breu ou l’aram\u00e9en, la langue parl\u00e9e l’arabe, et les communaut\u00e9s nestoriennes dont la langue \u00e9crite est le syriaque et la langue parl\u00e9e l’arabe.<\/p>\n Par sa position centrale au coeur de l’Ancien Monde, par sa domination de la r\u00e9gion des isthmes entre les deux grands domaines maritimes – oc\u00e9an Indien et M\u00e9diterran\u00e9e -, par sa possession de la grande route continentale, route des steppes, des d\u00e9serts et des oasis qui depuis l’Asie centrale m\u00e8ne \u00e0 l’Afrique occidentale, le monde musulman est alors en rapport direct avec d’autres grands centres urbains et civilis\u00e9s. Il entretient des \u00e9changes fructueux, d’\u00e9gal \u00e0 \u00e9gal, avec l’Inde, la Chine et Byzance. Mais il est aussi en rapport direct avec des mondes jeunes – nomades ou forestiers – encore barbares ou barbaris\u00e9s: steppes turques, r\u00e9gions des fleuves russes, monde noir, Occident chr\u00e9tien, sur lesquels il fera sentir son rayonnement tout en leur empruntant leurs forces vives. Il est un pont entre des mondes p\u00e9riph\u00e9riques.<\/p>\n D’o\u00f9 l’importance des routes qui rendent compte de la marche, de la progression rapide ou lente, continue ou interrompue, des influences \u00e0 travers cette zone de passage privil\u00e9gi\u00e9e que constitue le monde musulman jusqu’au XIe si\u00e8cle. Diffusion vers l’ouest – Occident musulman et au-del\u00e0 – des r\u00e9sultats acquis par les vieux pays d’Orient, modifi\u00e9s et enrichis par la confrontation \u00e0 l’int\u00e9rieur d’une m\u00eame aire spatiale, cheminement de nouvelles influences apport\u00e9es par les routes du commerce lointain, depuis l’Inde, l’Asie centrale et la Chine.<\/p>\n D’o\u00f9 l’importance \u00e9galement du r\u00e9seau urbain. De ville \u00e0 ville se tendent les liens des relations \u00e9conomiques et culturelles. La route sert au transport d’influences urbaines. C’est le r\u00e9seau des m\u00e9tropoles qui constitue l’armature \u00e9conomique, sociale, culturelle du monde musulman. Du VIIIe au XIe si\u00e8cle, les points forts de ce grand axe, Bagdad, Damas, Le Caire, Kairouan F\u00e8s, Palerme: grands relais sur la route qui va de Samarkand \u00e0 Cordoue, t\u00e9moignent de l’extraordinaire unit\u00e9 d’une civilisation syncr\u00e9tique, o\u00f9 circulent largement les hommes, les marchandises et les id\u00e9es et qui se surimpose au vieux fond r\u00e9gional rural ou nomade.<\/p>\n D’o\u00f9, enfin, l’importance de l’\u00e9conomie mon\u00e9taire: frappe abondante de dinars due \u00e0 l’afflux d’or neuf d’Afrique du sud-est et du Soudan et essor du cr\u00e9dit qui double la circulation des esp\u00e8ces. Au IXe si\u00e8cle, Ibn Khurdadhbeh note que le d\u00e9veloppement de la richesse et des transactions commerciales est si grand qu’on peut voir des pi\u00e8ces de num\u00e9raire circuler dans les plus petites bourgades, l\u00e0 o\u00f9 jusqu’alors le simple troc \u00e9tait seul pratiqu\u00e9. Ainsi, \u00e0 la zone de circulation mon\u00e9taire agrandie correspond le pouvoir plus grand des villes sur les campagnes.<\/p>\n Au XIe si\u00e8cle, la crise \u00e9conomique (d\u00e9j\u00e0!) Mais l’\u00e9conomie du dinar a sa force et sa faiblesse. Elle d\u00e9pend du commerce. Elle est accroch\u00e9e au maintien des routes, li\u00e9e \u00e0 la domination du r\u00e9seau de relations lointaines gr\u00e2ce auxquelles le monde musulman peut et doit se procurer les produits dont il manque et qui sont indispensables \u00e0 son \u00e9conomie et \u00e0 sa civilisation en expansion -or, avant tout, bois, m\u00e9taux et armes, esclaves – \u00e9conomie et civilisation habitu\u00e9es \u00e0 tout acheter \u00e0 prix d’or et au loin. Que les relations lointaines viennent \u00e0 s’affaiblir: routes d\u00e9tourn\u00e9es ou interrompues, que l’or arrive moins r\u00e9guli\u00e8rement et c’est la baisse du tonus g\u00e9n\u00e9ral, les crises en cha\u00eene, la r\u00e9gression urbaine et, d\u00e8s lors, l’impossibilit\u00e9 de r\u00e9sister \u00e0 la convoitise des Barbares li\u00e9e \u00e0 l’introduction de mercenaires dans les arm\u00e9es, la remont\u00e9e des routes de commerce par les invasions, la dislocation de l’ensemble.<\/p>\n Et, de fait, dans la seconde moiti\u00e9 du XIe si\u00e8cle, surviennent les crises, les troubles, les invasions et, avec eux, le d\u00e9clin urbain et l’interruption des courants \u00e9conomiques: des quartiers de Bagdad et du Caire sont en ruine; Kairouan est abandonn\u00e9 pour Mahdiyya, la Qal’a des Banu Hammad pour Bougie; F\u00e8s est pris par les Almoravides; au califat de Cordoue d\u00e9membr\u00e9 succ\u00e8dent les Reyes de Taifas. A la rupture des routes correspond la cassure du monde musulman en un islam turc, un islam \u00e9gyptien, un islam maghr\u00e9bien, un islam espagnol. Les particularismes sous-jacents resurgissent et les vieux fonds, pr\u00e9existants \u00e0 la conqu\u00eate musulmane mais refondus par elle, donnent les<\/em> civilisations musulmanes.<\/p>\n Apr\u00e8s le XIe si\u00e8cle, le centre de gravit\u00e9 de l’Ancien Monde bascule. D\u00e9sormais, les centres moteurs et rayonnants d’une \u00e9conomie en expansion continue ne sont plus en Orient, dans les grandes villes du monde musulman; ils ont \u00e9migr\u00e9 en Occident et sont maintenant fix\u00e9s dans les cit\u00e9s marchandes d’Italie et des Flandres et, \u00e0 mi-chemin sur la grande route commerciale qui les relie, dans les foires de Champagne, o\u00f9 s’\u00e9changent les produits des pays nordiques et des pays m\u00e9diterran\u00e9ens. Avec des \u00e0-coups, des heurts, des p\u00e9riodes triomphales et des moments de d\u00e9pression, la puissance \u00e9conomique, la force d’expansion mat\u00e9rielle, l’activit\u00e9 cr\u00e9atrice seront d\u00e8s lors – et pour des si\u00e8cles – le privil\u00e8ge de l’Europe occidentale.<\/p>\n Pourtant, m\u00eame en son d\u00e9clin \u00e9conomique, l’aire musulman continuera longtemps encore de rayonner intellectuellement sur le monde par ses sciences, sa philosophie: pour la m\u00e9decine notamment, il jouera un r\u00f4le important non seulement dans le mouvement de la Renaissance, mais jusqu’au XIXe si\u00e8cle.<\/p>\n Entre la Chine, l’Inde, Byzance et les barbaries m\u00e9di\u00e9vales – turque, noire et occidentale -, de la fin des empires antiques \u00e0 l’\u00e9veil des \u00c9tats modernes, la civilisation musulmane dans sa premi\u00e8re grandeur aura \u00e9t\u00e9 un creuset chronologique et g\u00e9ographique, un plan d’intersection, une immense conjoncture, un fabuleux rendez-vous.<\/p>\n <\/p>\n Islam. From the Prophet Muhammad to the Capture of Constantinople<\/strong>, \u00e9d. par Bernard Lewis. Londres, Macmillan, 1976-1979, 2 vol.<\/p>\n L’islam des origines au d\u00e9but de l’empire ottoman<\/strong>, par Claude Cahen. Paris, Bordas, 1970.<\/p>\n Histoire du commerce du Levant au Moyen Age<\/strong>, par W. Heyd. Leipzig, Harrassowitz, 1936.<\/p>\n L’Islam et sa civilisation<\/strong>, par Andr\u00e9 Miquel. Paris, A. Colin, 1968.<\/p>\n La Civilisation de l’Islam classique<\/strong>, par D. et J. Sourdel. Paris, Arthaud, 1968.<\/p>\n The Islamic City<\/strong>, par A. Hourani et S. M. Stern. Oxford, B. Cassirer, 1970.<\/p>\n Encyclop\u00e9die de l’Islam<\/strong>, Leyde, E. J. Br. Paris, GP Maisonneuve, Max Besson, Succr, 1960. Quatre volumes tr\u00e8s complets sur l’histoire et la th\u00e9ologie islamiques.<\/em><\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":" PERSPECTIVES HISTORIQUES Nous vivions dans des clairi\u00e8res. L’Islam, lui, brillait de tous ses feux… Par Maurice Lombard L’auteur des ces lignes est d\u00e9c\u00e9d\u00e9 en 1965. Mais sa vision nous est apparue si forte, si originale, en ces temps d’anti-islamisme primaire, que nous avons d\u00e9cid\u00e9 d’en donner ici un aper\u00e7u. 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Le texte pr\u00e9sent\u00e9 ici est extrait de son ouvrage posthume<\/em> L’islam dans sa premi\u00e8re grandeur (Paris, Flammarion, 1971). Parmi ses autres ouvrages importants on notera<\/em> Espaces et r\u00e9seaux du haut Moyen Age (Paris, Mouton, 1972) et<\/em> Monnaie et Histoire d’Alexandre \u00e0 Mahomet (Paris, Mouton, 1971).<\/em><\/p>\n
\nUne poign\u00e9e de chameliers re\u00e7us
\nen lib\u00e9rateurs<\/span><\/strong><\/p>\n
\nl’Occident de sa nuit barbare!<\/span><\/strong><\/p>\n
\nUn creuset o\u00f9 se sont fondus Arabes,
\nChr\u00e9tiens, Juifs et Perses<\/span><\/strong><\/p>\n
\nfit \u00e9clater le monde musulman.
\nLe temps de l’Europe \u00e9tait venu…<\/span><\/strong><\/p>\n
\n<\/span>\u00a9 Le Temps strat\u00e9gique, No 20, Gen\u00e8ve, printemps 1987.<\/p>\n