{"id":427,"date":"2015-01-02T10:57:16","date_gmt":"2015-01-02T09:57:16","guid":{"rendered":"http:\/\/www.archipress.org\/wp\/?page_id=427"},"modified":"2015-01-20T09:10:14","modified_gmt":"2015-01-20T08:10:14","slug":"lemir-leclair-et-sa-fulgurance","status":"publish","type":"page","link":"https:\/\/www.archipress.org\/?page_id=427","title":{"rendered":"L’Emir. L’Eclair et sa fulgurance"},"content":{"rendered":"

Abdelkader Al Jaza\u00efri (Mascara, 1808- Damas, 1883)<\/h3>\n

Ce n\u2019est pas par nationalisme ou panarabisme qu’il faudrait approcher cette figure exceptionnelle de l\u2019\u00c9mir, mais par universalisme. Et comme le dit Ibn \u2018Arabi, le plus grand des cheikhs qui l\u2019avait tant inspir\u00e9:<\/p>\n

\"\u00ab\u00a0 Qui voit l\u2019\u00e9clair surgir \u00e0 l\u2019Orient, aspire apr\u00e8s l\u2019Orient\u00a0;
\ns\u2019il \u00e9clate pour lui \u00e0 l\u2019Occident, qu\u2019il aspire donc \u00e0 l\u2019Occident.
\nMon d\u00e9sir c\u2019est l\u2019\u00e9clair dans sa fulgurance
\net non pas l\u2019endroit qu\u2019il a touch\u00e9.\u00a0\u00bb<\/p>\n

\u0631\u0623\u0649 \u0627\u0644\u0628\u0631\u0642\u064e \u0634\u0631\u0642\u064a\u0627\u064b\u060c \u0641\u062d\u0646\u0651\u064e \u0625\u0644\u0649 \u0627\u0644\u0634\u0631\u0642\u060c
\n<\/em><\/strong>\u00a0\u0648 \u0644\u0648 \u0644\u0627\u062d\u064e \u063a\u0631\u0628\u064a\u0627\u064b \u0644\u062d\u0646\u0651\u064e \u0625\u0644\u0649 \u0627\u0644\u063a\u0631\u0628\u0650
\n<\/em><\/strong>\u00a0\u0641\u0625\u0646\u0651 \u063a\u0631\u0627\u0645\u064a \u0628\u0627\u0644\u0628\u064f\u0631\u064e\u064a\u0652\u0642 \u0648 \u0644\u0645\u062d\u0650\u0647\u0650
\n<\/em><\/strong>\u00a0\u0648 \u0644\u064a\u0633\u064e \u063a\u0631\u0627\u0645\u064a \u0628\u0627\u0644\u0623\u0645\u0627\u0643\u0650\u0646 \u0648 \u0627\u0644\u062a\u0631\u0652\u0628\u0650<\/p>\n

C\u2019est la fulgurance de l\u2019Homme et tout ce qu\u2019il a \u00e9clair\u00e9 sur son passage qui importent. Au-del\u00e0 de la dimension nationale de l\u2019\u00c9mir \u2013 <\/strong>dimension fondamentale qui a enfant\u00e9 la lign\u00e9e des leaders de la R\u00e9volution alg\u00e9rienne et sa modernit\u00e9 pour les peuples du Sud \u2013<\/strong>, il reste une des plus hautes figures \u2013 <\/strong>bien que largement m\u00e9connue \u2013 <\/strong>de l\u2019humanit\u00e9. Sa vie, ses actes, son \u0153uvre feront l\u2019objet de nombreuses relectures \u00e0 venir. C\u2019est une figure exemplaire de combat et de r\u00e9sistance mais aussi un \u00eatre arch\u00e9typal de r\u00e9conciliation entre les peuples, entre les confessions religieuses.<\/p>\n

\u00ab Tout \u00eatre est mon \u00eatre \u00bb<\/a><\/b><\/p>\n

L\u2019\u00c9mir n\u2019est pas une ombre mythique ou mystique, il est une figure somme toute proche de nous; il a assist\u00e9 \u00e0 la mont\u00e9e de la civilisation de la machine, du nombre et du quantum<\/em>. Son courage dans la guerre, son sens de l\u2019action, son intelligence et son go\u00fbt du savoir pourraient inspirer ces \u00eatres libres (les Ahrars<\/em>) qui cherchent \u00e0 se d\u00e9gager des mar\u00e9cages mentaux dans lesquels, h\u00e9las, nous n’en finissons pas de nous \u00e9battre et\u00a0 de nous enfoncer. L’attitude de l’Emir face \u00e0 l\u2019adversit\u00e9 et \u00e0 l\u2019alt\u00e9rit\u00e9, sa compr\u00e9hension de la r\u00e9alit\u00e9 et la mani\u00e8re dont il a dans ses actes et sa pens\u00e9e liquid\u00e9 le dilemme du conflit entre le neuf et l\u2019ancien, le mat\u00e9riel et l\u2019immat\u00e9riel, le visible et l\u2019invisible peuvent \u00e9clairer nos possibilit\u00e9s de devenir<\/em> et nous sortir \u2013 <\/strong>alors qu’enfonc\u00e9s dans la gueule du Monstre, nous nous croyons le phare de l\u2019Humanit\u00e9 \u2013 <\/strong>du cul-de-sac m\u00e9taphysique dans lequel nous nous sommes enferr\u00e9s.<\/p>\n

R\u00e9da Benkirane<\/p>\n

 <\/p>\n

Extrait de \u00ab Les cent-trente-deux ann\u00e9es coloniales \u00bb, R\u00e9da Benkirane, Le D\u00e9sarroi identitaire. Jeunesse, islamit\u00e9 et arabit\u00e9 contemporaines<\/em>, Cerf, 2004.<\/p>\n

Le bel \u00c9mir.<\/em><\/p>\n

Bien avant l\u2019administration par et pour des ignorants, juste avant la longue occupation coloniale, r\u00e9gna dans ce pays le Royaume de la loi et de la science. Comment \u00e9voquer ce pays jeune sans reconna\u00eetre son jeune \u00c9mir, guerrier contemplatif qui permit la destin\u00e9e, br\u00e8ve et brave, d\u2019une nation arabe en devenir\u00a0?<\/p>\n

N\u00e9 au d\u00e9but du xixe<\/sup> si\u00e8cle, aux alentours de Mascara dans l\u2019ouest alg\u00e9rien, d\u2019une lign\u00e9e proph\u00e9tique(cherifa)<\/em>, Abdelkader consacra toute son enfance au savoir et \u00e0 l\u2019apprentissage du Coran. \u00c2g\u00e9 de quatorze ans, il devient un hafiz <\/em>(sa m\u00e9moire poss\u00e8de le Livre). Ayant grandi \u00e0 l\u2019ombre du marabout de la confr\u00e9rie(tariqa)<\/em> Qadiriya<\/em>, le lettr\u00e9 se marie \u00e0 l\u2019adolescence et se cantonne dans l\u2019approfondissement des sciences religieuses, de la philosophie sp\u00e9culative et se livre \u00e0 la retraite m\u00e9ditative (khalwa)<\/em>. L\u2019asc\u00e8te est aussi athl\u00e8te\u00a0: il excelle dans l\u2019art de la cavalerie et alterne la lecture d\u2019Aristote, de Platon et de Pythagore avec la chasse. Sa vie, d\u00e9butante fid\u00e8le, est essentiellement occup\u00e9e \u00e0 conna\u00eetre Dieu. Tout jeune, Mahi-ed-Dine part avec son p\u00e8re pendant deux ann\u00e9es, au cours desquelles ils accomplissent le p\u00e8lerinage de la Mecque puis sillonnent le Machreq, se rendant notamment en Irak sur la tombe d\u2019Abdelkader al Jilali, le saint v\u00e9n\u00e9r\u00e9 du xiie<\/sup> si\u00e8cle, de qui proc\u00e8de la confr\u00e9rie Qadiriya<\/em>.<\/p>\n

Ainsi vivait en sa jeunesse pieuse et studieuse le gymnaste asc\u00e8te de Mascara. La gnose, d\u00e9j\u00e0, l\u2019habite, mais elle ne va se d\u00e9ployer que plus tard, durant l\u2019exil oriental.<\/p>\n

L\u2019Homme est beau, d\u2019une beaut\u00e9 qui capte l\u2019attention en admiration\u00a0: l\u2019Europ\u00e9en qui l\u2019approche, \u00e0 son apog\u00e9e ou plus tard, durant son \u00e9loignement, objective son rapport d\u2019ami ou d\u2019adversaire, ne pouvant s\u2019emp\u00eacher de d\u00e9crire longuement, comme pour t\u00e9moigner \u00e0 ses cong\u00e9n\u00e8res\u00a0: cette physionomie est le reflet d\u2019une noblesse de c\u0153ur, d\u2019une force int\u00e9rieure si peu communes\u00a0!<\/p>\n

Dieu offre aux hommes de superbes paraboles qui disent tant et plus que les le\u00e7ons d\u2019histoire, si peu v\u00e9cues, tant apprises. Par un concours de circonstances li\u00e9es \u00e0 la proche et d\u00e9sormais insistante pr\u00e9sence des Fran\u00e7ais sur la c\u00f4te oranaise, Abdelkader est proclam\u00e9 en 1832 Sultan des Arabes<\/em>. Arrach\u00e9 \u00e0 la vie contemplative \u00e0 l\u2019\u00e2ge de vingt-quatre ans, l\u2019Homme vient de prendre en charge sa nouvelle fonction, politique et l\u00e9gif\u00e9rante, initialement d\u00e9volue \u00e0 son p\u00e8re qui a pr\u00e9f\u00e9r\u00e9 abdiquer. Mahi-ed-Dine (litt\u00e9ralement leVivificateur de la religion<\/em>) va se soumettre totalement \u00e0 sa nouvelle fonction. Dans la campagne des hauteurs de Mascara, un sultan alg\u00e9rien est n\u00e9 qui va d\u00e9sormais se battre sur deux fronts\u00a0: l\u2019ennemi fran\u00e7ais, dont la pr\u00e9sence, peu inqui\u00e9tante au d\u00e9but, aura, apr\u00e8s d\u2019\u00e2pres combats, finalement raison de lui\u00a0; et surtout l\u2019ennemi int\u00e9rieur, compos\u00e9 de ces tribus b\u00e9douines dissidentes ou alli\u00e9es \u00e0 l\u2019occupant et qu\u2019il faut constamment convaincre, battre pour int\u00e9grer, soumettre au royaume arabe nouvellement proclam\u00e9.<\/p>\n

L\u2019Abdelkader <\/em>a h\u00e9rit\u00e9 d\u2019une force d\u2019\u00e2me exceptionnelle, elle ne conna\u00eet de Seigneur que son Dieu. D\u00e8s ses premiers faits d\u2019armes, ses premiers discours, l\u2019\u00ab\u00a0esclave du Tout-Puissant\u00a0\u00bb (\u2018abd el Qadir)<\/em>impressionne alentour chefs de tribus et g\u00e9n\u00e9raux fran\u00e7ais. Le saint guerrier, ombre de Dieu sur terre, sait aussi rendre justice\u00a0: il est tol\u00e9rant, et souvent cl\u00e9ment vis-\u00e0-vis de ses prisonniers, mais sa main ne faiblit pas\u00a0; il n\u2019h\u00e9site pas \u00e0 trancher avec son sabre quelques t\u00eates tra\u00eetresses \u00e0 la Loi (Shari\u2018a)<\/em>. Sa renomm\u00e9e va grandissant, d\u00e9passant les fronti\u00e8res de l\u2019ouest alg\u00e9rien pour se r\u00e9pandre partout o\u00f9 les Arabes per\u00e7oivent les d\u00e9buts d\u2019un grand leader en leur sein. Le personnage n\u2019est pas, et de loin, le potentat oriental, aspirant monarque qu\u2019on peut abuser ou mettre sur la touche par l\u2019artifice d\u2019un trait de plume, et pour cause. Sa parole prime sur ses faits d\u2019armes. C\u2019est ainsi qu\u2019Abdelkader refuse de reconsid\u00e9rer un mot du trait\u00e9 de la Tafna (fawq<\/em>, \u00ab\u00a0au-dessus\u00a0\u00bb de l\u2019oued Khudra) \u00e9tabli en 1839 et, apr\u00e8s maintes tentatives et lettres adress\u00e9es au roi de France et demandant le respect des clauses initiales, l\u2019\u00c9mir n\u2019h\u00e9site plus. La guerre reprend.<\/p>\n

Jette-toi dans la m\u00eal\u00e9e
\n<\/em>Et coupe le fer avec le fer
\n<\/em>Celui qui cherche \u00e0 ne jamais mourir
\n<\/em>Verra toujours ses v\u0153ux tromp\u00e9s.<\/em><\/p>\n

Abdelkader Al Jaza\u00efri<\/p>\n

Ce royaume arabe, mobile, d\u00e9ploie un \u00c9tat \u00e9trange, fait de constants d\u00e9placements, r\u00e9unifications puis retournements, ainsi que d\u2019innombrables combats. Tekedemt est pour un temps la capitale de l\u2019Alg\u00e9rie ind\u00e9pendante. La cit\u00e9 en ruines se r\u00e9veille d\u2019un long sommeil de pr\u00e8s de neuf si\u00e8cles. Mais elle sera finalement abandonn\u00e9e, car la force r\u00e9elle d\u2019Abdelkader est son ubiquit\u00e9. La capitale se d\u00e9place et accompagne le sultan. C\u2019est la Smala<\/em>, ville nomade \u00e0 l\u2019envi, compos\u00e9e de pr\u00e8s de vingt mille \u00e2mes, avec ses avenues \u00e0 chaque fois recompos\u00e9es, son march\u00e9, ses artisans, ses troupeaux. Un jour, un tra\u00eetre r\u00e9v\u00e8le \u00e0 l\u2019ennemi son emplacement. C\u2019est une perte irr\u00e9m\u00e9diable pour Abdelkader, qui sait d\u00e9sormais qu\u2019il lui faut se battre avec l\u2019\u00e9nergie du condamn\u00e9.<\/p>\n

Le chef alg\u00e9rien n\u2019est pas si fort face aux dizaines de milliers d\u2019hommes d\u00e9ploy\u00e9s par la France sur le terrain ; il est surtout l\u2019intr\u00e9pide, insaisissable, mirage de la guerre de harc\u00e8lement qu\u2019il m\u00e8ne en virtuose de la cavalerie. L\u2019homme voit mais reste le plus souvent invisible, sillonne de toutes parts son royaume, ravivant la coh\u00e9sion en ses bordures fluctuantes, d\u00e9boulant \u00e0 l\u2019improviste sur les colonnes de Bugeaud et Lamorici\u00e8re, stigmatisant les vell\u00e9it\u00e9s s\u00e9cessionnistes de quelques plateaux, ralliant par s\u00e9duction et conviction profondes les hauteurs de Kabylie, guerroyant dans l\u2019espace saharien contre les tribus r\u00e9fractaires \u00e0 l\u2019imp\u00f4t. Les Fran\u00e7ais le pistent en permanence, mais il est toujours dans leur dos, les prenant \u00e0 contre-pied, coupant en plein milieu de leurs colonnes, traversant par enjamb\u00e9es nocturnes de vastes territoires. Pris, \u00e0 deux reprises, dans des embuscades, Abdelkader se bat et s\u2019en sort indemne, comme par miracle. Sa cavalerie conte \u00e0 elle seule toute l\u2019\u00e9pop\u00e9e du pur-sang arabe. Car le cheval est partie prenante dans la bataille\u00a0: il meurt plus d\u2019\u00e9talons que d\u2019hommes dans l\u2019arm\u00e9e d\u2019Abdelkader. Tel de ses lieutenants eut, au cours de sa carri\u00e8re militaire, dix-sept chevaux abattus sous lui\u00a0; il n\u2019est pas rare qu\u2019au cours d\u2019un seul affrontement, l\u2019\u00c9mir ait deux chevaux tu\u00e9s sous lui.<\/p>\n

L\u2019obstacle principal qui ne cesse de r\u00e9duire le royaume de l\u2019\u00c9mir est l\u2019ennemi int\u00e9rieur\u00a0; s\u00e9ditions, potentats locaux, d\u00e9sordres des tribus qui n\u2019en finissent pas de faire et d\u00e9faire l\u2019unit\u00e9 du royaume quand, en face, les Fran\u00e7ais jouent, de bonne guerre, la partition des uns contre les autres. Les B\u00e9douins, comme le signale Ibn Khaldoun dans ses Prol\u00e9gom\u00e8nes<\/em>, sont aussi ceux par qui advient le malheur.<\/p>\n

 <\/p>\n

D\u00e9faite des armes, l\u2019exil de l\u2019\u00e2me.<\/em><\/p>\n

L\u2019Homme gouverne, disions-nous, arm\u00e9 d\u2019une foi qui saisit th\u00e9ologiens et juristes par la longueur du souffle, l\u2019\u00e9tendue de l\u2019\u00e9rudition. Assur\u00e9ment, une dimension proph\u00e9tique transpara\u00eet, pour cette fois \u00e0 si juste titre, dans la lign\u00e9e agnatique de l\u2019\u00c9mir. Ses batailles, comment\u00e9es dans la presse internationale, lui valent respect et admiration en Europe. Dans la Maison de l\u2019Islam, l\u2019\u00c9mir est l\u2019objet d\u2019une pieuse d\u00e9f\u00e9rence. Bugeaud, son adversaire, compare son regard \u00e0 celui de J\u00e9sus et d\u2019autres \u00e9voquent sa foi comme celle du christianisme des premiers Saints. M\u00eame le roi du Maroc, qui, alors, n\u2019est plus qu\u2019une p\u00e2le copie de ses anc\u00eatres, lui demande une de ses tuniques comme relique sainte pour son temple fassi<\/em>, dor\u00e9, capitonn\u00e9.<\/p>\n

Il \u00e9tait \u00e9crit que cet \u00c9tat, mouvant dans l\u2019espace nord-africain, ne serait qu\u2019une exp\u00e9rience provisoire dans le si\u00e8cle o\u00f9 triomphait l\u2019industrie et d\u00e9butait la prolif\u00e9ration de la mati\u00e8re ; peut-\u00eatre le royaume n\u2019exista-t-il que pour donner \u00e0 voir, une quinzaine d\u2019ann\u00e9es durant, ce que pouvait \u00eatre une nation alg\u00e9rienne, r\u00e9unie, gouvern\u00e9e par une mystique, les principes et un chevalier (futuwa)<\/em> de l\u2019islam. Dieu voulut cette exp\u00e9rience, br\u00e8ve et belle comme un jet de lumi\u00e8re, avant la longue, la tr\u00e8s longue nuit aux cent trente-deux ann\u00e9es coloniales. L\u2019\u00c9mir \u00e9tait l\u2019instrument de cette volont\u00e9 divine. C\u2019est dans l\u2019\u00e9preuve, en silence et sans proclamation, qu\u2019il fit conna\u00eetre sa mission au monde. Il r\u00e9unissait dans l\u2019impeccabilit\u00e9 de sa personne la totalit\u00e9 des r\u00e9alit\u00e9s spirituelles\u00a0: V\u00e9rit\u00e9 (Haqiqa)<\/em>, Voie (Tariqa)<\/em> et Loi (Shari\u2018a)<\/em>. Dans l\u2019\u00e2ge moderne, nous ne conna\u00eetrons plus pareille synth\u00e8se monoth\u00e9iste, l\u2019int\u00e9gralit\u00e9 de l\u2019exp\u00e9rience religieuse.<\/p>\n

En exil, l\u2019\u00c9mir n\u2019\u00e9tait pas seulement le vieil extatique qui r\u00e9sida deux ann\u00e9es au c\u0153ur des lieux saints. Ayant parcouru l\u2019Europe, l\u2019ancien chef d\u2019\u00c9tat suivait avec attention ses d\u00e9veloppements industriel et technologique, comprenant le besoin imp\u00e9rieux d\u2019extraire les soci\u00e9t\u00e9s arabes de leur torpeur. Car d\u00e9j\u00e0 le monde arabe perdait son \u00e2me, exclu de l\u2019histoire et de la g\u00e9ographie, il n\u2019\u00e9tait plus qu\u2019un vaste objet, large bande g\u00e9opolitique, \u00e0 l\u2019usage exclusif des puissantes mains \u00e9trang\u00e8res.<\/p>\n

Permanence du Jihad<\/em>. \u00c0 l\u2019autre bord du monde musulman, sur les hauts sommets o\u00f9 se s\u00e9parent Europe et Asie, un autre \u00c9mir poursuit, pareillement, la lutte admirable. Depuis ses nids d\u2019aigle (aoul)<\/em> du Daghestan, l\u2019Imam Chamyl tient en \u00e9chec depuis pr\u00e8s de trente ann\u00e9es les arm\u00e9es du Tsar. Mais lui aussi finit vaincu par la technologie militaire. Chamyl se rend au Tsar pour retourner \u00e0 son sort d\u2019humble p\u00e8lerin de Dieu, avant de s\u2019\u00e9teindre \u00e0 la Mecque en 1870. Dix ans plus t\u00f4t, il avait \u00e9crit \u00e0 Abdelkader, apr\u00e8s que l\u2019Alg\u00e9rien et ses hommes exil\u00e9s \u00e0 Damas eurent sauv\u00e9 du massacre pr\u00e8s de quinze mille chr\u00e9tiens, et parmi eux les membres des ambassades europ\u00e9ennes, vou\u00e9s \u00e0 la furie des Druzes.<\/p>\n

Parenth\u00e8ses d\u00e9voil\u00e9es du Jihad<\/em>. Apr\u00e8s la petite guerre sainte qui le fit combattre les Fran\u00e7ais quinze ann\u00e9es durant, voil\u00e0 pour l\u2019\u00c9mir alg\u00e9rien l\u2019heure du grand Jihad <\/em>(dont la signification litt\u00e9rale est l\u2019\u00ab\u00a0effort\u00a0\u00bb), celui de la guerre de l\u2019\u00e2me contre l\u2019ego et ses d\u00e9mons.<\/p>\n

Quand Dieu veut perdre la fourmi, il lui donne des ailes.
\n<\/em>Pleine de joie et d\u2019orgueil, elle s\u2019envole\u00a0;
\n<\/em>un petit oiseau passe, la voit et la croque.<\/em><\/p>\n

Abdelkader Al Jaza\u00efri<\/p>\n

Abdelkader \u00e9crit, m\u00e9dite, lucide lieutenant de Dieu, sur la destin\u00e9e humaine. Vaincu, captif trois ann\u00e9es en France, il rayonne encore, dans le r\u00e8gne de l\u2019apparence, dans les cercles politiques et les cours royales, de l\u2019aura de ses aventures alg\u00e9riennes.<\/p>\n

Mais l\u2019homme veut retourner en terre d\u2019Islam, au s\u00e9minaire entam\u00e9 d\u00e8s sa toute premi\u00e8re jeunesse.<\/p>\n

Au soir de sa vie, apr\u00e8s avoir r\u00e9gn\u00e9 et l\u00e9gif\u00e9r\u00e9, vaincu puis perdu, lu, \u00e9crit et enseign\u00e9, Abdelkader s\u2019extasie \u00e0 l\u2019ombre des Demeures mecquoise et m\u00e9dinoise. L\u2019ouverture \u00e0 l\u2019Autre prend alors, chez lui, un \u00e9clairage spirituel universel, explicit\u00e9e par la langue du Livre, enrichie par sa propre \u2013\u00a0petite\u00a0\u2013 guerre sainte.<\/p>\n

Il n\u2019y a pas au monde un seul \u00eatre \u2013\u00a0f\u00fbt-il de ceux qu\u2019on appelle \u00ab\u00a0naturalistes\u00a0\u00bb, \u00ab\u00a0mat\u00e9rialistes\u00a0\u00bb ou autrement\u00a0\u2013 qui soit v\u00e9ritablement ath\u00e9e. Si ses propos te font penser le contraire, c\u2019est ta mani\u00e8re de les interpr\u00e9ter qui est mauvaise. L\u2019infid\u00e9lit\u00e9 (kufr) <\/em>n\u2019existe pas dans l\u2019univers, si ce n\u2019est en mode relatif. Si tu es capable de comprendre, tu verras qu\u2019il y a l\u00e0 un point subtil\u00a0: \u00e0 savoir que quiconque ne conna\u00eet pas Dieu de cette connaissance v\u00e9ritable n\u2019adore en r\u00e9alit\u00e9 qu\u2019un seigneur conditionn\u00e9 par la croyance qu\u2019il a \u00e0 son sujet, et qui ne peut donc se r\u00e9v\u00e9ler \u00e0 lui que dans la forme de sa croyance. Mais le v\u00e9ritable Ador\u00e9 est au-del\u00e0 de tous les \u00ab\u00a0seigneurs\u00a0\u00bb\u00a0!<\/p>\n

Abdelkader Al Jaza\u00efri, Kitab al Mawaqif.<\/em><\/p>\n

L\u2019Homme r\u00e9dige un monumental recueil de commentaires de versets coraniques qu\u2019il appelle le Livre des Stations<\/em> (Kitab al Mawaqif)<\/em>. Le titre reprend celui d\u2019une \u0153uvre unique datant du Xe<\/sup> si\u00e8cle et dont l\u2019auteur est Al Niffari. Ce dernier, avec un rythme intenable, m\u00e8ne un face-\u00e0-face, entretien terrassant, avec le Dieu des monoth\u00e9ismes. Dans ces territoires m\u00e9taphysiques, le p\u00e8lerin assiste \u00e0 la mort de toutes les mythologies\u00a0; seuls s\u2019expriment le d\u00e9nuement absolu de l\u2019humain face au Ma\u00eetre des Mondes et le d\u00e9voilement de Dieu, Lui aussi mis en solitude, \u00e0 travers cette \u00e9preuve du dialogue. Le livre d\u2019Abdelkader s\u2019\u00e9loigne, quant \u00e0 lui, en contenu de celui d\u2019Al Niffari pour rejoindre l\u2019effluve andalou, \u00e0 l\u2019audace \u00e9l\u00e9gante mais rigoureuse de Muhyi-ed-Dine Ibn \u2018Arabi\u00a0: commentaire \u00e9sot\u00e9rique de versets coraniques \u00e0 partir de leur compr\u00e9hension strictement litt\u00e9rale et de leur symbolique profonde. Car enfin, l\u2019\u00c9mir soutient au monde musulman qu\u2019il est l\u2019h\u00e9ritier spirituel d\u2019Ibn \u2018Arabi, dit le Cheikh al Akbar<\/em>. A Damas, il \u00e9dite encore Al Futuhat al Makkiya <\/em>(Les illuminations mecquoises), la somme spirituelle du ma\u00eetre andalou \u2013\u00a0contest\u00e9 par les puritains\u00a0\u2013 qu\u2019il cite et commente encore dans ses Stations<\/em>, et aupr\u00e8s de qui l\u00e0, d\u00e9sormais, \u00e0 six si\u00e8cles d\u2019intervalles, il repose.<\/p>\n

Extrait de \u00ab Les cent-trente-deux ann\u00e9es coloniales \u00bb, R\u00e9da Benkirane, Le D\u00e9sarroi identitaire. Jeunesse, islamit\u00e9 et arabit\u00e9 contemporaines<\/em>, Cerf, 2004.<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":"

Abdelkader Al Jaza\u00efri (Mascara, 1808- Damas, 1883) Ce n\u2019est pas par nationalisme ou panarabisme qu’il faudrait approcher cette figure exceptionnelle de l\u2019\u00c9mir, mais par universalisme. Et comme le dit Ibn \u2018Arabi, le plus grand des cheikhs qui l\u2019avait tant inspir\u00e9: \u00ab\u00a0 Qui voit l\u2019\u00e9clair surgir \u00e0 l\u2019Orient, aspire apr\u00e8s l\u2019Orient\u00a0; \u2026 Lire plus \/ Read more<\/a><\/p>\n","protected":false},"author":1,"featured_media":1438,"parent":0,"menu_order":0,"comment_status":"closed","ping_status":"closed","template":"","meta":{"ngg_post_thumbnail":0,"footnotes":""},"class_list":["post-427","page","type-page","status-publish","has-post-thumbnail","hentry"],"_links":{"self":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/427","targetHints":{"allow":["GET"]}}],"collection":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages"}],"about":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/types\/page"}],"author":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/users\/1"}],"replies":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=%2Fwp%2Fv2%2Fcomments&post=427"}],"version-history":[{"count":4,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/427\/revisions"}],"predecessor-version":[{"id":1440,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/427\/revisions\/1440"}],"wp:featuredmedia":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/media\/1438"}],"wp:attachment":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=%2Fwp%2Fv2%2Fmedia&parent=427"}],"curies":[{"name":"wp","href":"https:\/\/api.w.org\/{rel}","templated":true}]}}