{"id":365,"date":"2015-01-01T16:03:11","date_gmt":"2015-01-01T15:03:11","guid":{"rendered":"http:\/\/www.archipress.org\/wp\/?page_id=365"},"modified":"2015-01-18T21:48:52","modified_gmt":"2015-01-18T20:48:52","slug":"des-plantes-sorcieres-damazonie","status":"publish","type":"page","link":"https:\/\/www.archipress.org\/?page_id=365","title":{"rendered":"Des \u00ab\u00a0plantes sorci\u00e8res\u00a0\u00bb d’Amazonie"},"content":{"rendered":"
TEMOIGNAGE<\/p>\n
Exp\u00e9rience chamanique chez les Indiens conibos Par Michael Harner<\/strong><\/p>\n <\/br><\/p>\n J’ai men\u00e9 mes premi\u00e8res recherches anthropologiques, il y a maintenant quarante ans, chez les Indiens jivaros, ou Untsuri Shuar<\/em>, sur les pentes bois\u00e9es des Andes \u00e9quatoriales. A cette \u00e9poque, les Jivaros \u00e9taient c\u00e9l\u00e8bres parce qu’ils r\u00e9duisaient les t\u00eates, une coutume qu’ils ont pratiquement abandonn\u00e9e depuis lors, mais aussi parce qu’ils pratiquaient le chamanisme, une habitude qu’ils maintiennent vivante de nos jours. Durant les ann\u00e9es 1956 et 1957, je recueillis de nombreuses informations sur la culture des Jivaros, mais restai un observateur ext\u00e9rieur du monde des chamanes.<\/p>\n Deux ans plus tard, le Mus\u00e9e Am\u00e9ricain d’Histoire Naturelle m’ayant propos\u00e9 d’entreprendre une exp\u00e9dition en Amazonie p\u00e9ruvienne pour y \u00e9tudier la culture des Indiens conibos de la r\u00e9gion d’Uyucali, j’acceptai, enchant\u00e9 par l’id\u00e9e de conduire de plus amples recherches sur les cultures fascinantes des for\u00eats de la Haute-Amazonie. Je menai ces recherches en 1960 et 1961.<\/p>\n A l’origine de ma d\u00e9couverte de la voie du chamane, il y a une exp\u00e9rience que je fis avec les Conibos et que j’aimerais partager ici avec vous.<\/p>\n J’avais d\u00e9j\u00e0 pass\u00e9 pr\u00e8s d’une ann\u00e9e dans un village conibo situ\u00e9 sur les rives d’un lac proche de l’un des affluents du R\u00edo Ucayali. Les recherches que je menais sur la culture des Conibos me donnaient pleine satisfaction, en revanche mes efforts pour obtenir des informations sur leur religion ne rencontraient gu\u00e8re de succ\u00e8s. Certes, les gens \u00e9taient amicaux, mais ils h\u00e9sitaient \u00e0 me parler de surnaturel. Finalement, ils me dirent que si je voulais vraiment apprendre, il fallait que je boive la boisson sacr\u00e9e des chamanes, une potion \u00e0 base d’ayahuasca, \u00a0\u00bb <\/em>la plante de l’\u00e2me\u00a0\u00bb. J’acceptai avec curiosit\u00e9 et inqui\u00e9tude, car ils m’avaient averti que l’exp\u00e9rience allait \u00eatre effrayante.<\/p>\n Le lendemain matin, mon ami Tom\u00e1s, l’ancien du village, partit cueillir les plantes dans la for\u00eat. Avant de me quitter, il me dit de manger tr\u00e8s peu: un d\u00e9jeuner l\u00e9ger et pas de lunch. A midi, il revint avec assez de plantes d’ayahuasca <\/em>et de feuilles de cawa <\/em>pour remplir une marmite d’une soixantaine de litres, qu’il mit \u00e0 bouillir tout l’apr\u00e8s-midi, jusqu’\u00e0 ce que ne restent plus que trois ou quatre litres d’un liquide noir\u00e2tre, dont il versa une partie dans une vieille bouteille, pour qu’il refroidisse jusqu’au cr\u00e9puscule, moment o\u00f9, disait-il, nous le boirions.<\/p>\n Je vis des dragons noirs Les Indiens musel\u00e8rent les chiens du village pour les emp\u00eacher d’aboyer parce que le bruit, m’expliqu\u00e8rent-ils, peut rendre fou un homme ayant pris de l’ayahuasca. <\/em>Ils recommand\u00e8rent en outre aux enfants de se tenir tranquilles. Si bien qu’au coucher du soleil, la petite communaut\u00e9 se trouva plong\u00e9e dans le silence.<\/p>\n A l’instant o\u00f9 le bref cr\u00e9puscule \u00e9quatorial fit place \u00e0 l’obscurit\u00e9, Tom\u00e1s versa un tiers de la bouteille dans une calebasse, et me tendit cette derni\u00e8re. Les autres Indiens nous observaient. Je me sentais comme Socrate acceptant la cigu\u00eb au milieu des Ath\u00e9niens – et soudain je me rappelai que les populations de l’Amazonie p\u00e9ruvienne donnent aussi \u00e0 l’ayahuasca <\/em>le nom de \u00ab\u00a0petite mort\u00a0\u00bb. Je bus la potion d’un trait. Son go\u00fbt \u00e9tait \u00e9trange, l\u00e9g\u00e8rement amer. Puis j’attendis que Tomas b\u00fbt \u00e0 son tour, mais il me d\u00e9clara qu’il avait finalement d\u00e9cid\u00e9 de s’abstenir.<\/p>\n Les Indiens m’avaient fait allonger sur la plate-forme de bambou sous le grand toit de chaume de la maison communautaire. On n’entendait aucun bruit, hormis le gr\u00e9sillement des criquets et l’appel d’un singe hurleur loin dans la jungle.<\/p>\n Alors que je regardais vers le haut, dans l’obscurit\u00e9, des traits de lumi\u00e8re \u00e0 peine perceptibles m’apparurent. Brusquement, ils augment\u00e8rent de nettet\u00e9 et de complexit\u00e9, puis \u00e9clat\u00e8rent en couleurs brillantes.<\/p>\n Je vis un crocodile g\u00e9ant De tr\u00e8s loin, un son me parvint semblable \u00e0 celui d’une chute d’eau. Il augmenta progressivement, jusqu’\u00e0 m’emplir les oreilles. Quelques minutes auparavant j’\u00e9prouvais de la d\u00e9ception, persuad\u00e9 que l’ayahuasca<\/em>n’aurait aucun effet sur moi. Mais \u00e0 pr\u00e9sent, le bruit du torrent imp\u00e9tueux inondait mon cerveau. Mes m\u00e2choires commen\u00e7aient \u00e0 s’engourdir. L’engourdissement gagna mes tempes.<\/p>\n Au-dessus de ma t\u00eate, les traits de lumi\u00e8re devinrent plus brillants. Ils s’entrelac\u00e8rent, jusqu’\u00e0 former une vo\u00fbte semblable \u00e0 la mosa\u00efque g\u00e9om\u00e9trique d’un vitrail. Un cama\u00efeu de violet \u00e9clatant forma au-dessus de moi un toit qui ne cessait de s’\u00e9tendre. Au coeur de cette caverne c\u00e9leste, le bruit de l’eau devint de plus en plus fort, et je percus de p\u00e2les figures se mouvant comme des ombres.<\/p>\n Comme si mes yeux s’accoutumaient aux t\u00e9n\u00e8bres, cette sc\u00e8ne mouvante se transforma en une sorte de foire, en un carnaval surnaturel de d\u00e9mons. Au milieu, pr\u00e9sidant aux activit\u00e9s, regardant droit dans ma direction, une gigantesque t\u00eate de crocodile grima\u00e7ait, dont les m\u00e2choires caverneuses laissaient jaillir un flot torrentiel. Lentement, les eaux et la vo\u00fbte s’\u00e9lev\u00e8rent, jusqu’\u00e0 ce que la sc\u00e8ne se m\u00e9tamorphosa en une simple image divis\u00e9e en deux: le ciel bleu en haut, la mer en bas. Toutes les cr\u00e9atures s’\u00e9taient \u00e9vanouies.<\/p>\n Alors, d’une position proche de la surface de l’eau, je commen\u00e7ai \u00e0 apercevoir deux bateaux \u00e9tranges qui flottaient dans l’air et qui, tout en se balan\u00e7ant d’avant en arri\u00e8re, se rapprochaient de plus en plus de moi. Alors, lentement, ils se fondirent l’un dans l’autre pour devenir un seul vaisseau, orn\u00e9 \u00e0 sa proue d’une \u00e9norme t\u00eate de dragon, un peu comme sur les navires vikings. Au milieu du bateau, se dressait une voile carr\u00e9e. A mesure que le bateau flottait doucement, en avant, en arri\u00e8re, au-dessus de moi, j’en vins \u00e0 entendre un chuintement rythm\u00e9. Je me rendis compte qu’il s’agissait du bruit cadenc\u00e9 de centaines de rames qui faisaient avancer une gal\u00e8re g\u00e9ante.<\/p>\n Dans le m\u00eame temps, je pris conscience du plus beau chant que j’aie entendu de ma vie, aigu, \u00e9th\u00e9r\u00e9. Il \u00e9manait de myriades de voix \u00e0 bord de la gal\u00e8re. En examinant plus attentivement le pont du navire, je pus discerner un grand nombre de personnages \u00e0 t\u00eate de geai bleu et corps d’\u00eatre humain, semblables aux dieux \u00e0 t\u00eate d’oiseau figurant sur les peintures anciennes des tombes \u00e9gyptiennes. Dans le m\u00eame temps, une sorte d’essence-\u00e9nergie commenca \u00e0 sortir de ma poitrine et \u00e0 flotter vers le navire. Moi qui me croyais un ath\u00e9e, j’\u00e9prouvai \u00e0 cet instant la certitude absolue que j’\u00e9tais en train de mourir et que les personnages \u00e0 t\u00eate d’oiseaux \u00e9taient venus afin d’emporter mon \u00e2me sur leur navire.<\/p>\n Alors que les flots de mon \u00e2me continuaient \u00e0 me sortir de la poitrine, je sentais que mes bras et mes jambes s’engourdissaient et que mon corps se transformait en b\u00e9ton. Je ne pouvais plus ni bouger ni parler. Lorsque l’engourdissement commen\u00e7a \u00e0 gagner ma poitrine et mon coeur, j’essayai d’ordonner \u00e0 ma bouche d’appeler \u00e0 l’aide, de demander aux Indiens de me donner un antidote. Mais j’eus beau essayer, je ne parvins pas \u00e0 rassembler suffisamment de forces pour prononcer un seul mot. Simultan\u00e9ment, il me sembla que mon abdomen se transformait en pierre, et je dus faire des efforts d\u00e9mesur\u00e9s pour que mon coeur continue \u00e0 battre. Je me mis \u00e0 parler \u00e0 mon coeur, \u00e0 l’appeler \u00ab\u00a0mon ami\u00a0\u00bb, \u00ab\u00a0mon ami le plus cher\u00a0\u00bb, et, de toute l’\u00e9nergie qui me restait, \u00e0 l’encourager de continuer \u00e0 battre.<\/p>\n Je pris conscience de mon cerveau. Je sentais – physiquement – qu’il avait \u00e9t\u00e9 divis\u00e9 en quatre niveaux distincts. Sur le niveau \u00e9lev\u00e9, la plus proche de la surface, se trouvait l’observateur-commandant, conscient de la condition de mon corps et responsable de la tentative de continuer \u00e0 faire battre mon coeur. Ce niveau percevait, en tant que spectateur uniquement, les visions \u00e9manant de ce qui semblait \u00eatre les niveaux inf\u00e9rieurs de mon cerveau. Juste au-dessous du niveau le plus \u00e9lev\u00e9, je sentais une couche engourdie, qui paraissait avoir \u00e9t\u00e9 mise hors service par la drogue; elle \u00e9tait tout simplement absente. Mes visions, y compris mes visions du bateau aux \u00e2mes, \u00e9manaient du niveau juste en dessous de celui-l\u00e0.<\/p>\n Oui, \u00e0 ce moment-l\u00e0, j’\u00e9tais pratiquement certain de mourir. Mais alors que j’essayai de me faire \u00e0 cette id\u00e9e, un niveau de mon cerveau encore plus profond commen\u00e7a \u00e0 me transmettre d’autres visions, d’autres informations. J’entendis que l’on me \u00ab\u00a0disait\u00a0\u00bb que je pouvais recevoir ces r\u00e9v\u00e9lations sans risque de les trahir puisque j’\u00e9tais en train de mourir. J’entendis que l’on me \u00ab\u00a0disait\u00a0\u00bb que ces secrets \u00e9taient r\u00e9serv\u00e9s aux mourants et aux morts. Je percevais tr\u00e8s confus\u00e9ment que ces pens\u00e9es m’\u00e9taient inspir\u00e9es par des cr\u00e9atures reptiliennes g\u00e9antes reposant mollement sur les couches les plus profondes de mon cerveau, l\u00e0 o\u00f9 ce dernier rejoint le sommet de la colonne vert\u00e9brale.<\/p>\n Je discernais vaguement ces cr\u00e9atures au coeur de gouffres lugubres et t\u00e9n\u00e9breux. Elles projet\u00e8rent alors une sc\u00e8ne devant mes yeux. Elles commenc\u00e8rent par me montrer la plan\u00e8te Terre telle qu’elle \u00e9tait il y a une \u00e9ternit\u00e9, avant que n’y apparaisse la vie. Je vis un oc\u00e9an, une terre aride, et un ciel bleu lumineux.<\/p>\n Puis, par centaines, des grains noirs se mirent \u00e0 tomber du ciel sur le paysage d\u00e9sol\u00e9 en face de moi. Je vis alors que ces \u00ab\u00a0grains\u00a0\u00bb \u00e9taient en r\u00e9alit\u00e9 de grandes cr\u00e9atures noires et brillantes aux larges ailes de pt\u00e9rodactyle et au corps de baleine. Je ne pouvais voir leur gueule. Elles s’affal\u00e8rent, \u00e9puis\u00e9es par leur voyage, reposant pour une \u00e9ternit\u00e9. Elles m’expliqu\u00e8rent en une sorte de langage mental qu’elles fuyaient quelque chose situ\u00e9 loin dans l’espace. Qu’elles \u00e9taient venues sur Terre pour \u00e9chapper \u00e0 leur ennemi.<\/p>\n Elles me montr\u00e8rent de quelle mani\u00e8re elles avaient cr\u00e9\u00e9 la vie sur la plan\u00e8te afin de se cacher au sein de formes multiples et dissimuler ainsi leur pr\u00e9sence. Devant moi, la magnificence de la cr\u00e9ation et de la diff\u00e9renciation des animaux et des plantes en esp\u00e8ces – le r\u00e9sultat de centaines de millions d’ann\u00e9es d’activit\u00e9 – s’imposa avec une force et un \u00e9clat impossibles \u00e0 d\u00e9crire. J’appris que les cr\u00e9atures-dragons r\u00e9sidaient \u00e0 l’int\u00e9rieur de toutes les formes de vie, homme y compris. Je dirais en r\u00e9trospective qu’elles \u00e9taient presque comme de l’ADN, mais en ce temps-l\u00e0, en 1961, je ne savais rien de l’ADN.<\/p>\n Elles \u00e9taient les vraies ma\u00eetresses de l’humanit\u00e9 et de la plan\u00e8te, m’expliqu\u00e8rent-elles. Nous autres humains n’\u00e9tions que leurs r\u00e9ceptacles et leurs serviteurs. C’est pourquoi elles pouvaient me parler de l’int\u00e9rieur de moi-m\u00eame.<\/p>\n Ces r\u00e9v\u00e9lations, jaillissant des profondeurs de mon esprit, alternaient avec les visions de la gal\u00e8re dont l’\u00e9quipage \u00e0 t\u00eate de geai bleu avait presque fini de hisser mon \u00e2me \u00e0 bord. Le bateau s’\u00e9loignait peu \u00e0 peu vers un large fjord flanqu\u00e9 de collines arides et us\u00e9es, entra\u00eenant ma force vitale. Je savais qu’il ne me restait qu’un instant \u00e0 vivre. Etrangement, les hommes \u00e0 t\u00eate d’oiseau ne me faisaient pas peur; je n’avais pas d’objection \u00e0 ce qu’ils prennent mon \u00e2me, s’ils \u00e9taient capables de la garder. Mais je craignais que d’une fa\u00e7on ou d’une autre, mon \u00e2me ne p\u00fbt demeurer sur le plan horizontal du fjord, mais que, par un processus inconnu, mais pressenti et redoutable, elle f\u00fbt captur\u00e9e ou recaptur\u00e9e par les dragons habitant les profondeurs.<\/p>\n J’appelai mon coeur Je ressentis brusquement ce qui faisait mon humanit\u00e9, le contraste entre mon esp\u00e8ce et nos lointains anc\u00eatres reptiliens. Je commen\u00e7ai \u00e0 me battre pour ne pas retourner chez eux; je les ressentais de plus en plus comme \u00e9trangers, et peut-\u00eatre malfaisants. Chaque battement de mon coeur repr\u00e9sentait pour moi un effort \u00e9norme. Je cherchai une aide humaine.<\/p>\n Au prix d’un effort inimaginable et ultime, je parvins \u00e0 murmurer aux Indiens un mot: \u00ab\u00a0m\u00e9dicament\u00a0\u00bb. Je les vis se pr\u00e9cipiter pour pr\u00e9parer un antidote, mais savais qu’ils n’y parviendraient pas \u00e0 temps. J’avais besoin d’un gardien capable de d\u00e9faire les dragons et essayai fr\u00e9n\u00e9tiquement de faire surgir un \u00eatre puissant qui me prot\u00e8ge des cr\u00e9atures reptiliennes \u00e9trang\u00e8res. Un tel \u00eatre apparut devant moi; c’est le moment o\u00f9 les Indiens ouvrirent ma bouche de force et me contraignirent \u00e0 boire l’antidote. Progressivement, les dragons retourn\u00e8rent dans leurs profondeurs; le navire des \u00e2mes et le fjord s’\u00e9taient \u00e9vanouis. Je me d\u00e9tendis, soulag\u00e9.<\/p>\n L’antidote m’apaisa compl\u00e8tement, mais j’eus n\u00e9anmoins de nombreuses autres visions, d’une nature plus superficielle, ma\u00eetrisables et agr\u00e9ables. Je fis \u00e0 volont\u00e9 des voyages fabuleux \u00e0 travers des r\u00e9gions lointaines, aux confins m\u00eames de la galaxie; je cr\u00e9ai d’incroyables architectures; j’utilisai des d\u00e9mons grima\u00e7ants et sardoniques pour r\u00e9aliser des fantasmes. Souvent, je me surpris \u00e0 rire de l’incongruit\u00e9 de mes aventures.<\/p>\n Enfin, je m’endormis.<\/p>\n Lorsque je me r\u00e9veillai, les rayons du soleil per\u00e7aient le toit de palme au-dessus de moi. J’\u00e9tais toujours allong\u00e9 sur la plate-forme de bambou, et entendais les bruits usuels du matin: les Indiens parlant entre eux, des b\u00e9b\u00e9s en pleurs, un coq qui chantait. Je fus surpris de me d\u00e9couvrir revigor\u00e9 et paisible. Alors que je reposais l\u00e0, contemplant le magnifique r\u00e9seau tiss\u00e9 du toit, les souvenirs de la nuit pr\u00e9c\u00e9dente d\u00e9riv\u00e8rent \u00e0 travers mon esprit. Cessant momentan\u00e9ment de solliciter ma m\u00e9moire, j’allai chercher un magn\u00e9tophone dans mon sac marin. Comme je fouillais dans le sac, plusieurs Indiens me salu\u00e8rent en souriant. Une vieille femme, l’\u00e9pouse de Tom\u00e1s, me donna comme d\u00e9jeuner un bol de soupe de poisson et de plantain. Le go\u00fbt en \u00e9tait extraordinaire. Puis je retournai sur la plate-forme, impatient d’enregistrer mes exp\u00e9riences de la nuit avant d’oublier l’un ou l’autre d\u00e9tail.<\/p>\n Le travail de rem\u00e9moration fut ais\u00e9, sauf pour une p\u00e9riode de la transe que je n’arrivais pas \u00e0 me rappeler: elle restait vide, comme si la bande avait \u00e9t\u00e9 effac\u00e9e. Je luttai des heures pour me souvenir de ce qui s’\u00e9tait produit durant cette partie de l’exp\u00e9rience; je dus litt\u00e9ralement extraire cette \u00e9vocation de force des profondeurs de ma conscience. Ce dont j’avais tant de peine \u00e0 me souvenir, c’\u00e9taient les r\u00e9v\u00e9lations que m’avaient faites les cr\u00e9atures \u00e0 forme de dragon, sur leur r\u00f4le dans l’\u00e9volution de la vie sur cette plan\u00e8te et sur leur contr\u00f4le inn\u00e9 de toute mati\u00e8re vivante, homme compris. La rem\u00e9moration de cet \u00e9pisode me mit dans un \u00e9tat de grande excitation, et je ne pus m’emp\u00eacher de ressentir que je n’aurais peut-\u00eatre pas d\u00fb le rapporter des r\u00e9gions inf\u00e9rieures de mon esprit.<\/p>\n J’\u00e9prouvais m\u00eame une sentiment \u00e9trange de crainte pour ma s\u00e9curit\u00e9, puisque je poss\u00e9dais \u00e0 pr\u00e9sent un secret dont les cr\u00e9atures m’avaient indiqu\u00e9 qu’il \u00e9tait r\u00e9serv\u00e9 aux mourants. Je d\u00e9cidai sur-le-champ de partager cette connaissance avec d’autres afin que le \u00ab\u00a0secret\u00a0\u00bb ne r\u00e9side pas chez moi seul et \u00e9viter que ma vie soit mise en p\u00e9ril. Je fixai mon moteur hors-bord sur une pirogue et partit pour une mission \u00e9vang\u00e9lique am\u00e9ricaine proche du village, o\u00f9 j’arrivai vers midi.<\/p>\n Ath\u00e9e complet, j’eus Le couple qui tenait la mission, Bob et Millie, accueillants, pleins d’humour, compatissants, sortait du lot des \u00e9vang\u00e9listes ordinairement envoy\u00e9s par les Etats-Unis. Je leur racontai mon histoire. Lorsque j’en vins \u00e0 la description du reptile de la gueule duquel jaillissaient des flots, ils \u00e9chang\u00e8rent un regard, prirent leur Bible et me lurent le verset suivant, extrait du chapitre XII de l’Apocalypse:<\/p>\n Alors le serpent vomit comme un fleuve d’eau.<\/em><\/p>\n Ils m’expliqu\u00e8rent que dans la Bible le mot \u00ab\u00a0serpent\u00a0\u00bb \u00e9tait un synonyme des mots \u00ab\u00a0dragon\u00a0\u00bb et \u00ab\u00a0Satan\u00a0\u00bb. Je continuai mon r\u00e9cit. Lorsque j’en arrivai aux cr\u00e9atures \u00e0 forme de dragon fuyant des ennemis situ\u00e9s au-del\u00e0 de la Terre et atterrissant sur notre plan\u00e8te pour s’y cacher, Bob et Millie, surexcit\u00e9s, me lurent \u00e0 nouveau un extrait du m\u00eame passage de l’Apocalypse:<\/p>\n Il y eut alors un combat dans le ciel: Micha\u00ebl et ses anges combattirent contre le dragon. Et le dragon lui aussi combattait avec ses anges, mais il n’eut pas le dessus; il ne se trouva plus de place pour eux dans le ciel. Il fut pr\u00e9cipit\u00e9 le grand dragon, celui qu’on nomme Diable et Satan, le s\u00e9ducteur du monde entier, il fut pr\u00e9cipit\u00e9 sur la terre et ses anges avec lui.<\/em><\/p>\n J’\u00e9coutais avec surprise et \u00e9merveillement. Les deux missionnaires semblaient impressionn\u00e9s, quant \u00e0 eux, par le fait qu’un breuvage de \u00ab\u00a0sorciers\u00a0\u00bb ait apparemment pu r\u00e9v\u00e9ler certains \u00e9l\u00e9ments sacr\u00e9s de l’Apocalypse. Lorsque j’eus termin\u00e9 mon r\u00e9cit, je me sentis soulag\u00e9 d’avoir partag\u00e9 ma nouvelle connaissance, mais j’\u00e9tais aussi \u00e9puis\u00e9. Je m’endormis sur le lit des missionnaires, les laissant poursuivre leur conversation \u00e0 propos de mon exp\u00e9rience.<\/p>\n Ce soir-l\u00e0, alors que je retournais au village, ma t\u00eate commen\u00e7a \u00e0 battre au m\u00eame rythme que le bruit du hors-bord; je pensai que je devenais fou; je dus me boucher les oreilles pour que cette impression cesse. Je dormis bien, mais le lendemain matin, remarquai un engourdissement, une sorte de pression dans ma t\u00eate.<\/p>\n J’\u00e9tais \u00e0 pr\u00e9sent press\u00e9 de solliciter l’opinion professionnelle de l’Indien le plus inform\u00e9 de ces choses surnaturelles, un chamane aveugle qui, \u00e0 l’aide de l’ayahuasca, <\/em>avait fait maintes incursions dans le monde des esprits. <\/em>Il me semblait judicieux qu’un aveugle f\u00fbt mon guide au pays des ten\u00e8bres.<\/p>\n Je me rendis dans sa hutte et, \u00e0 l’aide de mes notes, lui d\u00e9crivis mes visions point par point. Au d\u00e9but, je lui parlai seulement des moments les plus spectaculaires; en \u00e9voquant les cr\u00e9atures \u00e0 forme de dragon, j’omis donc de lui dire qu’elles arrivaient de l’espace et expliquai seulement: \u00ab\u00a0C’\u00e9taient des animaux noirs g\u00e9ants, quelque chose comme de grandes chauves-souris, plus longues que la longueur de cette maison. Ils disaient \u00eatre les vrais ma\u00eetres du monde.\u00a0\u00bb En conibo, il n’y a pas de mot pour dragon; \u00ab\u00a0chauve-souris g\u00e9ante\u00a0\u00bb me semblait \u00eatre l’image la plus pr\u00e9cise pour d\u00e9crire ce que j’avais vu.<\/p>\n Le chamane leva vers moi ses yeux aveugles et dit avec un sourire narquois: \u00ab\u00a0Oh, ils disent toujours \u00e7a. Mais ils sont seulement les Ma\u00eetres des T\u00e9n\u00e8bres Ext\u00e9rieures.\u00a0\u00bb D\u00e9sinvolte, il d\u00e9signa le ciel de la main. Je sentis un frisson monter dans ma colonne vert\u00e9brale: je ne lui avais pas encore dit que j’avais vu, dans ma transe, les dragons venir de l’espace intersid\u00e9ral.<\/p>\n J’\u00e9tais abasourdi. Ce que j’avais \u00e9prouv\u00e9 \u00e9tait d\u00e9j\u00e0 connu de cet aveugle aux pieds nus, qui l’avait d\u00e9couvert en explorant le m\u00eame monde o\u00f9 je venais de m’aventurer. C’est \u00e0 ce moment que je d\u00e9cidai d’apprendre tout ce qu’il me serait possible d’apprendre sur le chamanisme.<\/p>\n \u00a9 1982 Albin Michel.<\/p>\n * Cet article est paru dans Le Temps strat\u00e9gique<\/em>, No 73, d\u00e9cembre 1996.<\/p>\n <\/p>\n <\/p>\n Casta\u00f1eda va tirer de cette immersion culturelle sa th\u00e8se de doctorat en anthropologie (L’Herbe du Diable et la petite fum\u00e9e, une voie Yaqui de la connaissance<\/em>, Paris, Soleil Noir, 1975) La subjectivit\u00e9 assum\u00e9e du chercheur et son observation participante vont susciter dans les milieux acad\u00e9miques de nombreux d\u00e9bats, quand bien m\u00eame Casta\u00f1eda a pos\u00e9 des questions nouvelles et utiles en sciences sociales.<\/p>\n Apr\u00e8s quoi, Casta\u00f1eda publie plusieurs volumes (de Voir: Les enseignements d’un <\/em>sorcier yaqui [1971 en anglais, 1973 en fran\u00e7ais chez Galllimard\/NRF] jusqu’\u00e0 La force <\/em>du silence [1977\/NRF 1978]), en passant parLe voyage \u00e0 Ixtlan<\/em>, Histoires de pouvoir<\/em>, Le second anneau de pouvoir<\/em>, Le Don de l’Aigle<\/em> et Le feu du dedans<\/em>] dans lesquels il \u00e9voque douze ann\u00e9es de ses relations avec Don Juan. Ces ouvrages furent de v\u00e9ritables best-sellers litt\u00e9raires et d\u00e9clench\u00e8rent, dans la mouvance de la contre-culture, un v\u00e9ritable culte de Casta\u00f1eda, dont le principal int\u00e9ress\u00e9 joue en entretenant autour de lui un myst\u00e8re savamment dos\u00e9.<\/p>\n L’exp\u00e9rience chamanique de Michael Harner peut \u00eatre compar\u00e9e \u00e0 celle de Casta\u00f1eda. Tous deux affirment avoir explor\u00e9 des champs de la r\u00e9alit\u00e9 non ordinaire tels que le font depuis des mill\u00e9naires les chamanes, et concluent que la \u00ab\u00a0r\u00e9alit\u00e9 de consensus\u00a0\u00bb n’est qu’un petit segment (occidental) du spectre de ce que l’homme (universel) peut percevoir du r\u00e9el. Si les deux anthropologues ont vulgaris\u00e9 le chamanisme, leurs d\u00e9marches diff\u00e8rent toutefois: Michael Harner a d\u00e9velopp\u00e9 une m\u00e9thode permettant \u00e0 chacun de s’exercer \u00e0 des techniques chamaniques d’alt\u00e9ration de la conscience [The Foundation for Shamanic Studies, P.O. Pox 1939, Mill Valley, California 94942; sur Internet: http:\/\/www.shamanism.org\/<\/a>], au risque de d\u00e9velopper des esp\u00e8ces de \u00ab\u00a0recettes\u00a0\u00bb chamaniques, tandis que Casta\u00f1eda continue de distiller par \u00e9crit les enseignements d’un vieil indien Yaqui, Don Juan, un v\u00e9ritable gourou.<\/p>\n Bibliographie<\/strong><\/p>\n<\/div>\n La voie spirituelle du chamane<\/strong>, par Michael Harner. Paris, Albin Michel, 1982.<\/p>\n La voie des chamans<\/strong>, sous la direction de Gary Doore. Paris, J’ai Lu, 1989.<\/p>\n Hallucinogens and Shamanism<\/strong>, \u00e9d. par J. M. Harner. New York, Oxford University Press, 1973.<\/p>\n Et pour conna\u00eetre les Indiens d’Amazonie \u00ab\u00a0Chez les indiens la drogue structure, chez nous elle d\u00e9truit…\u00a0\u00bb<\/strong>, par Michel Perrin. \u00ab\u00a0Le Temps strat\u00e9gique\u00a0\u00bb, No 12, printemps 1985.<\/p>\n \u00ab\u00a0Rufino Sarrasara, indien jivaro\u00a0\u00bb<\/strong>, par Paulus Drost. \u00ab\u00a0Le Temps strat\u00e9gique\u00a0\u00bb No 10, automne 1984.<\/p>\n \u00ab\u00a0Ce que les Jivaros m’ont appris\u00a0\u00bb<\/strong>, par Philippe Descola, \u00ab\u00a0Le Temps strat\u00e9gique\u00a0\u00bb No 70, juin 1996.<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":" TEMOIGNAGE Ce que les \u00ab\u00a0plantes sorci\u00e8res\u00a0\u00bb\u00a0d’Amazonie m’ont fait voir * Exp\u00e9rience chamanique chez les Indiens conibos d’Amazonie p\u00e9ruvienne. Un classique Par Michael Harner Michael Harner, anthopologue am\u00e9ricain, a fait le r\u00e9cit de son s\u00e9jour chez les Indiens jivaros d’Amazonie p\u00e9ruvienne dans Chamane, Paris, Albin Michel, 1982, (traduction, par Z\u00e9no Bianu, \u2026 Lire plus \/ Read more<\/a><\/p>\n","protected":false},"author":1,"featured_media":1317,"parent":0,"menu_order":0,"comment_status":"closed","ping_status":"closed","template":"","meta":{"ngg_post_thumbnail":0,"footnotes":""},"class_list":["post-365","page","type-page","status-publish","has-post-thumbnail","hentry"],"_links":{"self":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/365","targetHints":{"allow":["GET"]}}],"collection":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages"}],"about":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/types\/page"}],"author":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/users\/1"}],"replies":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=%2Fwp%2Fv2%2Fcomments&post=365"}],"version-history":[{"count":5,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/365\/revisions"}],"predecessor-version":[{"id":1318,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/365\/revisions\/1318"}],"wp:featuredmedia":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/media\/1317"}],"wp:attachment":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=%2Fwp%2Fv2%2Fmedia&parent=365"}],"curies":[{"name":"wp","href":"https:\/\/api.w.org\/{rel}","templated":true}]}}
\nd’Amazonie p\u00e9ruvienne. Un classique<\/strong><\/p>\n
\n\u00e9chapp\u00e9s de l’espace
\nqui dirent \u00eatre les ma\u00eetres
\nde toute vie sur la Terre<\/strong><\/p>\n
\ndont les m\u00e2choires
\nlaissaient \u00e9chapper
\nun flot tumultueux<\/strong><\/p>\n
\n\u00ab\u00a0mon ami le plus cher\u00a0\u00bb
\net le suppliai de
\ncontinuer \u00e0 battre<\/strong><\/p>\n
\nen v\u00e9rit\u00e9, et sans le savoir,
\nles m\u00eames visions que
\nJean dans l’Apocalypse…<\/strong><\/p>\n
\ncomparaison entre deux \u00ab\u00a0visionnaires\u00a0\u00bb<\/strong><\/div>\n
\n<\/em>\u00ab\u00a0Setuuma, chamane indien\u00a0\u00bb<\/strong>, par Michel Perrin. \u00ab\u00a0Le Temps strat\u00e9gique\u00a0\u00bb, hors-s\u00e9rie No 3, novembre 1985.<\/p>\n