{"id":360,"date":"2015-01-01T15:52:08","date_gmt":"2015-01-01T14:52:08","guid":{"rendered":"http:\/\/www.archipress.org\/wp\/?page_id=360"},"modified":"2015-01-18T21:51:57","modified_gmt":"2015-01-18T20:51:57","slug":"entretien-avec-lanthropologue-jeremy-narby","status":"publish","type":"page","link":"https:\/\/www.archipress.org\/?page_id=360","title":{"rendered":"Entretien avec l’anthropologue Jeremy Narby"},"content":{"rendered":"

R\u00e9da Benkirane: Comment situer la r\u00e9flexion sur le \u00ab\u00a0Serpent cosmique\u00a0\u00bb par rapport \u00e0 votre exp\u00e9rience, d\u00e9j\u00e0 ancienne et disons plus conventionnelle, d’anthropologue des populations indig\u00e8nes d’Amazonie? Quelle est la nouveaut\u00e9 et \u00e9ventuellement les ruptures par rapport \u00e0 vos travaux pr\u00e9c\u00e9dents?<\/strong>
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\n<\/span><\/span>Jeremy Narby: Pendant le long processus d’acquisition d’un doctorat en anthropologie dans une universit\u00e9 d’\u00e9lite aux \u00c9tats-Unis, j’ai vu que mes professeurs en anthropologie nous formaient, moi et mes camarades doctorants, pour devenir… d’autres professeurs en anthropologie. Au plus haut niveau, le serpent se mordait la queue, et la discipline tournait dans le vide, flottant au-dessus de la r\u00e9alit\u00e9, qu’elle \u00e9tait pourtant sens\u00e9e \u00e9tudier. Entre-temps, les Indiens Ashaninca, avec qui j’avais v\u00e9cu, m’avait marqu\u00e9 par leur mise en exergue de la pratique, qu’ils consid\u00e9raient comme la forme la plus avanc\u00e9e de la th\u00e9orie. Leur point de vue \u00e9tait clair: si une id\u00e9e est vraiment bonne, c’est qu’elle est r\u00e9alisable. A mon retour d’Amazonie, j’ai propos\u00e9 cette mani\u00e8re de voir \u00e0 mes camarades, mais j’ai vite compris qu’ils n’avaient qu’un int\u00e9r\u00eat distant pour le concret. D\u00e8s que j’avais le doctorat en poche, j’ai tourn\u00e9 le dos \u00e0 toute cette sc\u00e8ne, et je me suis dirig\u00e9 vers la pratique, convaincu que j’allais aller plus loin avec mon anthropologie (= \u00e9tude de l’humain).<\/p>\n

Je cherchais \u00e0 rendre utiles mes \u00e9tudes de l’\u00e9cologie indig\u00e8ne amazonienne. Des 1989, l’organisation d’entraide suisse Nouvelle Plan\u00e8te m’a donn\u00e9 l’occasion de r\u00e9colter des projets de d\u00e9marcation territoriale en Amazonie, et de les pr\u00e9senter pour financement ici en Europe au nom de la sauvegarde de la for\u00eat amazonienne. Je devais donc utiliser le savoir que j’avais acquis pour trouver des bons projets en Amazonie, puis pour expliquer leur pertinence \u00e0 des publics europ\u00e9ens essentiellement non-sp\u00e9cialistes. Dans un contexte des plus r\u00e9els, il s’agissait d’expliquer aux Indiens qui \u00e9taient ces blancs qui voulaient aider (pour une fois), et d’expliquer aux Europ\u00e9ens que les indig\u00e8nes n’\u00e9taient pas des (nobles) sauvages, mais des gens munis d’un savoir certain par rapport \u00e0 leur milieu ancestral. C’\u00e9tait de l’anthropologie \u00e0 double sens. J’ai plus ou moins bien fait mon boulot, puisque j’ai r\u00e9ussi \u00e0 r\u00e9colter des fonds consid\u00e9rables ici, et que leur utilisation s’est faite \u00e0 bon escient l\u00e0-bas. En quatre ans de travail, une surface totale \u00e9quivalente aux deux tiers de la Suisse \u00e0 \u00e9t\u00e9 titularis\u00e9e au nom des peuples amazoniens, essentiellement au P\u00e9rou.<\/p>\n

La premi\u00e8re rupture avec la trajectoire conventionnelle d’un anthropologue se situe l\u00e0: en agissant dans la r\u00e9alit\u00e9 des budgets, des versements d’argent, de l’organisation du travail topographique, du suivi bureaucratique des dossiers, du bouclement des comptes, etc., les Indiens \u00e9taient tellement au point que les financeurs suisses \u00e0 l’autre bout n’avaient rien \u00e0 redire. Autrement dit, les Indiens \u00e9taient op\u00e9rationnels sur le plan de la \u00ab\u00a0vraie\u00a0\u00bb r\u00e9alit\u00e9, celle de chez nous, celle des cash-flow. Ils ne parlaient pas en m\u00e9taphores. Ils disaient \u00ab\u00a0nous avons besoin de tant pour d\u00e9marquer tant d’hectares\u00a0\u00bb. Et lorsqu’on leur envoyait la somme en question, la surface correspondante se trouvait titularis\u00e9e peu de temps apr\u00e8s.<\/p>\n

J’ai donc vu ce que mes coll\u00e8gues acad\u00e9miques ne voient pas, lorsqu’ils m\u00e8nent des d\u00e9marches abstraites \u00ab\u00a0sur le terrain\u00a0\u00bb, puis rentrent \u00e0 leur universit\u00e9 pour \u00e9crire des articles que seuls d’autres anthropologues liront.<\/p>\n

Et chaque fois que je retournais en Amazonie pour v\u00e9rifier les projets, je parlais avec les Indiens dans les communaut\u00e9s, pas seulement Ashaninca, mais aussi Bora, Machiguenga, Shipibo, en tous une dizaine de peuples, et ils m’affirmaient invariablement que leur savoir \u00e9cologique provenait de leurs chamanes, qui buvaient une d\u00e9coction v\u00e9g\u00e9tale hallucinog\u00e8ne, et conversaient dans leurs visions avec les esprits de la nature.<\/p>\n

A cet \u00e9gard, il y avait un autre point de rupture, qui s’\u00e9tait produit tout au d\u00e9but de ma trajectoire d’anthropologue. J’avais essay\u00e9 \u00e0 plusieurs reprises cette d\u00e9coction, et j’avais vu que ce n’\u00e9tait pas de la plaisanterie. Par contre, je ne savais pas du tout de quoi il s’agissait, et j’avais peur que mes coll\u00e8gues ne me prennent point au s\u00e9rieux. Mais huit ans plus tard, ayant acquis de la \u00ab\u00a0bouteille\u00a0\u00bb, et ayant vu que mes coll\u00e8gues acad\u00e9miques vivaient dans un monde \u00e0 moiti\u00e9 divorc\u00e9 de la r\u00e9alit\u00e9, je n’avais plus peur de consid\u00e9rer les donn\u00e9es en elles-m\u00eames: les Indiens d’Amazonie occidentale, dont le savoir \u00e9cologique est admir\u00e9 par la communaut\u00e9 scientifique et pharmaceutique internationale, affirment qu’ils acqui\u00e8rent une partie de leur savoir gr\u00e2ce aux hallucinations induites par une d\u00e9coction v\u00e9g\u00e9tale. Je ne pouvais plus simplement me dire qu’il s’agissait de m\u00e9taphores, parce que mon travail pratique m’avait appris \u00e0 ne pas me contenter de telles explications.<\/p>\n

Au fond, j’ai innov\u00e9 en prenant les Indiens au mot, tout simplement. Que cette d\u00e9marche l\u00e0 constitue une rupture, en dit long sur les pr\u00e9suppos\u00e9s des \u00ab\u00a0sciences de l’homme\u00a0\u00bb.<\/p>\n

Vous d\u00e9crivez l’ayahuasca comme tour \u00e0 tour le microscope, la t\u00e9l\u00e9vision, l’Internet de la for\u00eat. Cet hallucinog\u00e8ne ouvre-t-il la voie \u00e0 une observation, un acc\u00e8s \u00e0 l’information comparable \u00e0 nos d\u00e9ambulations (pour l’heure au stade de balbutiements) dans l’univers cybern\u00e9tique? Quel type d’information peut-on chercher – et trouver – par ce biais? La notion d’interactivit\u00e9 est-elle concevable pour un ayahuasquero?<\/strong><\/p>\n

JN: J’embrasse les m\u00e9taphores comme voie de compr\u00e9hension, mais il s’agit de les manier avec soin. L’ayahuasca donne acc\u00e8s \u00e0 des images sonores tri-dimensionnelles, ultra-color\u00e9es et capables de d\u00e9filer \u00e0 une vitesse ahurissante; ces images sonores semblent contenir de l’information bio-mol\u00e9culaire et curative, entre autres, et elles sont essentiellement interactives. Le travail du chamane consiste \u00e0 interagir avec ces images de fa\u00e7on \u00e0 en ramener de l’information utile et v\u00e9rifiable dans la r\u00e9alit\u00e9 quotidienne. Cette interaction s’articule autour de la voix, du son, du chant — et de la m\u00e9moire, avec le chant, encore une fois, comme support mn\u00e9monique. Notez qu’il ne s’agit pas de texte, et qu’il n’y a ni claviers, ni \u00e9crans, comme avec l’Internet: voici les limites de la m\u00e9taphore. Durant les visions, il n’y a pas besoin d’attendre que les images s’inscrivent sur l’\u00e9cran; au contraire, on fait face \u00e0 un trop plein, un d\u00e9fil\u00e9 vertigineux. Le d\u00e9bit des images est d’un autre ordre. Par contre, de la m\u00e9taphore je retiens le c\u00f4t\u00e9 \u00ab\u00a0world wide web\u00a0\u00bb, parce que, d’apr\u00e8s mon hypoth\u00e8se, c’est le r\u00e9seau biosph\u00e9rique de la vie \u00e0 base d’ADN qui est la source des images.<\/p>\n

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\"Pablo<\/div>\n


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Peinture de Pablo Amaringo<\/div>\n
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Cinq apr\u00e8s le Sommet de la Terre de Rio et le 500e anniversaire de la \u00ab\u00a0d\u00e9couverte\u00a0\u00bb de Colomb, quels ont \u00e9t\u00e9 les impacts de ces deux \u00e9v\u00e9nements sur les populations amazoniennes? Quels le\u00e7ons ces soci\u00e9t\u00e9s ont-elles pu tirer, donner en cette occasion o\u00f9, pour une fois, le monde occidental focalisa en leur direction?<\/strong><\/p>\n

JN: Ce genre d’\u00e9v\u00e9nement n’agit pas tout de suite au niveau o\u00f9 l’on voudrait voir le changement, c’est-\u00e0-dire sur le terrain, dans la r\u00e9alit\u00e9 v\u00e9cue par les gens. A Rio par exemple, on a d\u00e9cr\u00e9t\u00e9 l’importance du savoir des peuples indig\u00e8nes; les gouvernements du monde ont sign\u00e9 des accords affirmant leur volont\u00e9 de r\u00e9mun\u00e9rer ce savoir \u00ab\u00a0\u00e9quitablement\u00a0\u00bb. Or, rien n’a chang\u00e9 depuis. La propri\u00e9t\u00e9 intellectuelle des peuples indig\u00e8nes demeure sans protection, et ceux qui l’exploitent ne sont pas press\u00e9s de voir \u00e9voluer la situation. On \u00e9vacue la question en disant qu’il y a d’autres priorit\u00e9s, ou que les Indiens pourront se contenter de ce que telle compagnie pharmaceutique voudra bien leur offrir.<\/p>\n

Dans un cas que je connais bien, nous essayons depuis deux ans, avec les organisations non-gouvernementales suisses qui soutenons les peuples indig\u00e8nes, d’interpeller la DDC (Coop\u00e9ration technique suisse) pour qu’elle mette en place une politique interne concernant les peuples indig\u00e8nes. Les accords de Rio, sign\u00e9s par la Suisse, stipulent que l’on ne peut aborder des questions de biodiversit\u00e9 ou de d\u00e9veloppement durable sans se r\u00e9f\u00e9rer aux peuples indig\u00e8nes. En Amazonie, par exemple, o\u00f9 poussent la moiti\u00e9 de toutes les esp\u00e8ces v\u00e9g\u00e9tales de la plan\u00e8te, il y a dix fois plus de plantes ayant un nom dans les langues indig\u00e8nes que les scientifiques n’ont pu en r\u00e9pertorier et auxquelles ils ont pu attribuer un nom latin -ce qui signifie que la connaissance de la diversit\u00e9 biologique est entre les mains des peuples indig\u00e8nes. Eh bien, pour parler poliment et concisement, on peut dire que nous avons rencontr\u00e9 toutes sortes de r\u00e9sistances de la part de la DDC; nous nous sommes m\u00eame fait trait\u00e9s d'\u00a0\u00bbapartheidistes\u00a0\u00bb par une haut-fonctionnaire (pour qui il est dangereux de soutenir des causes \u00ab\u00a0ethniques\u00a0\u00bb…). Mais les accords de Rio nous ont \u00e9t\u00e9 tr\u00e8s utiles pour faire avancer ce dialogue pr\u00e9cis. Il suffit d’en citer certains passages. Ainsi, selon le principe 22 de la D\u00e9claration de Rio: \u00ab\u00a0Les populations et communaut\u00e9s autochtones […] ont un r\u00f4le vital \u00e0 jouer dans la gestion de l’environnement et le d\u00e9veloppement du fait de leurs connaissances du milieu et de leurs pratiques traditionnelles. Les \u00c9tats devraient reconna\u00eetre leur identit\u00e9, leur culture et leurs int\u00e9r\u00eats, leur accorder tout l’appui n\u00e9cessaire et leur permettre de participer efficacement \u00e0 la r\u00e9alisation d’un d\u00e9veloppement durable\u00a0\u00bb.<\/p>\n

En l’occurrence, je suis confiant que les choses vont avancer avec la DDC, et que d’ici cinq ans peut-\u00eatre, la Coop\u00e9ration suisse soutiendra des initiatives indig\u00e8nes sur le terrain. A ce moment-l\u00e0, on pourra dire que le Sommet de la Terre de Rio commence \u00e0 avoir un impact concret.<\/p>\n

Une remarque finale: la science \u00e0 \u00e9tabli depuis des d\u00e9cades que les peuples indig\u00e8nes disposent de savoirs tout \u00e0 fait remarquables. Mais le monde industriel a une attitude immature, et ne re\u00e7oit de le\u00e7ons de personne, surtout pas d’Indiens vivant pied nus dans la for\u00eat. Il y a une sorte de racisme \u00e9pist\u00e9mologique qui op\u00e8re, dans nos universit\u00e9s, dans nos laboratoires, et dans nos t\u00eates. Ce racisme est plus tenace, parce que plus cach\u00e9, que celui qui concerne la couleur de la peau.<\/p>\n


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JN: Vous imaginez que si les entreprises locales en Europe ont de la peine a \u00e9chapper \u00e0 la mondialisation \u00e9conomique et \u00e0 la pure logique marchande, il sera d’autant plus difficile pour les populations amazoniennes de le faire. Pourtant, c’est le pari qu’ils font. Parce que ce sont eux qui envisagent d\u00e9j\u00e0 les solutions, plut\u00f4t que les anthropologues comme moi. C’est l\u00e0 un des d\u00e9veloppements les plus \u00e9tonnants des derni\u00e8res quinze ann\u00e9es: des centaines de peuples indig\u00e8nes, \u00e9parpill\u00e9s \u00e0 travers l’immensit\u00e9 de la for\u00eat amazonienne, sans moyens de communication modernes, se sont \u00e9lev\u00e9s d’une seule voix, et ont commenc\u00e9 \u00e0 s’organiser ensemble, \u00e0 envoyer des repr\u00e9sentants dans le monde, \u00e0 Lima, Washington et Gen\u00e8ve, pour exiger le respect de leurs territoires, dans un premier temps. Et ces repr\u00e9sentants indig\u00e8nes nous ont \u00e9tudi\u00e9s. Il ne faut pas oublier que ces peuples sont des chasseurs, fin strat\u00e8ges, utilisant \u00e9claireurs, imitant les sons des animaux qu’ils chassent pour mieux les attirer. Ainsi, les peuples amazoniens ont appris notre langage; ils ont vu qu’en Occident, il y a des \u00e9cologistes, des compagnies pharmaceutiques, des organismes de d\u00e9veloppement, etc., et ils ont appris \u00e0 manoeuvrer ici, et \u00e0 nous diagnostiquer. Maintenant ils savent ce qu’ils veulent: ne plus \u00eatre exploit\u00e9s par nous.<\/p>\n

Tout cela a mis les anthropologues sur la touche, ce qui est, je crois, notre juste place, comme des soigneurs, des coaches, ou des conseillers.<\/p>\n

Avec la trajectoire que les Indiens ont montr\u00e9 au cours des derniers 15 ans, je suis confiant qu’ils vont tr\u00e8s bien se d\u00e9brouiller. Mais la r\u00e9alit\u00e9 est ultra-complexe. Dans un premier temps, il s’agit d’\u00e9tablir une reconnaissance d\u00e9taill\u00e9e, officielle et financi\u00e8re de la propri\u00e9t\u00e9 intellectuelle des peuples indig\u00e8nes. Tr\u00e8s bien, direz-vous, mais que feront les peuples de l’Amazonie p\u00e9ruvienne lorsque Novartis leur versera 100 millions de dollars pour tel rem\u00e8de? N’est-ce pas l\u00e0 que les v\u00e9ritables probl\u00e8mes commenceront? Bien s\u00fbr. Voil\u00e0 la complexit\u00e9. Chaque pas en avant m\u00e8ne \u00e0 des probl\u00e8mes d’un autre ordre. Mais le retour en arri\u00e8re n’est pas possible, et n’est souhait\u00e9 par personne. Les Indiens ont le droit de faire des erreurs. J’estime que ce que nous pouvons faire de mieux pour que cette situation pr\u00e9cise progresse est de leur donner libre acc\u00e8s au march\u00e9 et de les r\u00e9mun\u00e9rer comme n’importe quel autre acteur; c’est-\u00e0-dire que s’ils ont un rem\u00e8de qui marche, qu’ils puissent le breveter et en tirer profit. Pour l’instant, ce droit, pourtant basique en capitalisme, leur est prohib\u00e9. Dr\u00f4le de monde, quand m\u00eame.<\/p>\n

La propri\u00e9t\u00e9 intellectuelle est une notion rendue de plus en plus floue par la digitalisation du monde, ou tout est r\u00e9duit en cha\u00eenes binaires de 0 et 1, virtuellement partout et nulle part, pouvant \u00eatre dupliqu\u00e9 \u00e0 l’infini, sans possibilit\u00e9 aucune de distinguer l’original de la copie … Une des voies susceptibles de prot\u00e9ger la propri\u00e9t\u00e9 intellectuelle \u00e0 l’\u00e8re cybern\u00e9tique s’inspirerait de la biologie. Consid\u00e9rer par exemple que la fonction \u00ab\u00a0copier-coller\u00a0\u00bb si famili\u00e8re de nos programmes informatiques trouve ses origines dans le traitement du texte g\u00e9n\u00e9tique de l’ADN (r\u00e9plication, transcription, traduction). Nous retournons \u00e0 l’hypoth\u00e8se du serpent cosmique. Que vous inspire votre croisement des savoirs des cultures amazoniennes et de la biologie mol\u00e9culaire par rapport \u00e0 cette question -peut-\u00eatre aussi \u00e9minemment philosophique- du droit d’auteur<\/em> ?<\/strong><\/p>\n

JN: Les chamanes disent que les essences anim\u00e9es communes \u00e0 toutes les formes de vie sont vivantes, et que la nature est intelligente. Les biologistes mol\u00e9culaires pr\u00e9supposent qu’elle ne l’est pas. Mais l’existence m\u00eame de l’ADN, qui est un \u00ab\u00a0texte\u00a0\u00bb, ou un \u00ab\u00a0programme\u00a0\u00bb ou un \u00ab\u00a0ensemble de donn\u00e9es\u00a0\u00bb selon les diff\u00e9rentes m\u00e9taphores utilis\u00e9es par les biologistes mol\u00e9culaires, me pousse \u00e0 pencher pour l’hypoth\u00e8se d’une intelligence dans la nature. Je ne parle pas m\u00e9taphoriquement, mais bien mol\u00e9culairement: une intelligence qui se manifeste, entre autres, par l’existence mol\u00e9culaire d’un \u00ab\u00a0texte\u00a0\u00bb en ADN. De ce point de vue, breveter des s\u00e9quences en ADN est donc une double imposture: d’une part, le lecteur du texte n’en est pas l’auteur, et d’autre part, la d\u00e9couverte de la s\u00e9quence n’est pas une invention -alors que les brevets ne sont reconnus que pour les inventions en temps normal.<\/p>\n

Vous dites qu’il s’agit d’une question possiblement philosophique. On peut m\u00eame dire religieux. Je consid\u00e8re l’ath\u00e9isme mat\u00e9rialiste qui r\u00e8gne dans les laboratoires comme une foi, jeune, intol\u00e9rante et z\u00e9l\u00e9e. Qui peut prouver que l’ADN n’est qu’une mol\u00e9cule -surtout quand on nous la d\u00e9crit par la m\u00eame occasion comme un support informatique capable d’auto-duplication? Accepter que l’ADN n’est qu’un produit chimique inerte (et que ses s\u00e9quences sont brevetables), est un acte de foi. Et nous sommes bien d’accord: science et religion se m\u00e9langent difficilement, surtout lorsqu’il y a des milliards de dollars en jeu.<\/p>\n

Si on daignait dialoguer \u00e0 ce sujet avec des chamanes, qui parlent avec les essences anim\u00e9es de la nature depuis des mill\u00e9naires (alors que nous ne connaissons le r\u00f4le de l’ADN que depuis 44 ans), on pourrait peut-\u00eatre tirer cette affaire au clair. Selon les chamanes, les essences anim\u00e9es sont essentiellement doubles, sources de pouvoir b\u00e9n\u00e9fique, mais aussi mal\u00e9fique. Traiter avec ces essences exige une d\u00e9marche \u00e9thique, car l’utilisation \u00e0 des fins personnelles du savoir qui s’y rapporte est non seulement la d\u00e9finition m\u00eame de la magie noire, mais aussi suicidaire pour la personne qui s’y engage.<\/p>\n

Quant aux peuples indig\u00e8nes, ils devraient pouvoir breveter leurs recettes, leurs rem\u00e8des, leurs techniques, et en tirer profit, au m\u00eame titre que les autres. C’est d’ailleurs ce qu’ils demandent. Reconnaissons leur expertise en nos termes, c’est-\u00e0-dire financi\u00e8rement, aussi.<\/p>\n

En quoi converge et diverge votre travail avec les \u00e9crits de Casta\u00f1eda et les autres \u00e9tudes sur l’usage de plantes hallucinog\u00e8nes chez les peuples am\u00e9rindiens?<\/strong><\/p>\n

JN: Casta\u00f1eda a compris avant beaucoup d’anthropologues que la meilleure fa\u00e7on de rendre compr\u00e9hensible la r\u00e9alit\u00e9 souvent abracadabrante des chamanes \u00e9tait de raconter une histoire v\u00e9cue \u00e0 la premi\u00e8re personne. Il a montr\u00e9 que lorsque l’anthropologue arr\u00eate de se retrancher derri\u00e8re la troisi\u00e8me personne, et s’implique \u00e0 la premi\u00e8re personne dans la r\u00e9alit\u00e9 qu’il d\u00e9crit et dans laquelle il participe qu’il le veuille ou non, sa version des faits est plus compr\u00e9hensible, et plus vraisemblable. C’est une question essentiellement \u00e9pist\u00e9mologique: le chamanisme travaille centralement avec l’imagerie interne et subjective; la seule fa\u00e7on de savoir de quoi il s’agit est d’impliquer son \u00ab\u00a0je\u00a0\u00bb. Il n’est pas possible de nager sans mouiller son propre corps. L’\u00e9tude \u00ab\u00a0objective\u00a0\u00bb du chamanisme est un contresens, comme parler de natation sans jamais se lancer \u00e0 l’eau.<\/p>\n

Par contre, Casta\u00f1eda a certainement fini par tomber dans la marmite sur laquelle il se penchait. Il a cess\u00e9 d’\u00eatre un anthropologue, et il est devenu un trickster, un fripon, un joueur de tours; comme tous les chamanes, il s’est mis \u00e0 raconter des mythes, qui sont des histoires fantastiques \u00e0 propos du savoir -mais qu’il ne faut pas confondre avec des r\u00e9cits v\u00e9ridiques qui respectent le canon de l’acad\u00e9misme. On peut juger ce choix de plusieurs fa\u00e7ons, et on peut m\u00eame le justifier jusqu’\u00e0 un certain point. Comme le chanteur britannique Sting, qui a fait des fictions t\u00e9l\u00e9visuelles pour mieux sensibiliser les millions de t\u00e9l\u00e9spectateurs: il a bafou\u00e9 la r\u00e9alit\u00e9 ethnographique, mais la fin justifiait les moyens en l’occurrence. Personnellement, je regrette que Casta\u00f1eda ait quitte le niveau de la r\u00e9alit\u00e9 des faits; ses derniers livres ne m’int\u00e9ressent gu\u00e8re.<\/p>\n

De Casta\u00f1eda, je retiens le ton narratif, et l’expression \u00e0 la premi\u00e8re personne. Par contre, je fais tout ce que je peux pour rester factuel, et pour coller aux donn\u00e9es \u00e9tablies par la science. J’essaie de combiner le meilleur des deux mondes: narratif ET rigueur, donc.<\/p>\n

Concernant les autres \u00e9tudes sur l’usage des plantes hallucinog\u00e8nes, il convient de relever les travaux anthropologiques de Michael Harner et de Gerardo Reichel-Dolmatoff, deux v\u00e9ritables pr\u00e9curseurs, et de Jean-Pierre Chaumeil, Angelika Gebhart-Sayer, et Luis Eduardo Luna; en ethnobotanique, Richard Evans Schultes et Albert Hofmann ont fait du grand travail, sans oublier Gordon Wasson et Humphry Osmond. Tous ces chercheurs ont fait un travail excellent, d’abord concernant la r\u00e9colte de donn\u00e9es. Sans eux, je n’aurais jamais pu faire ce que j’ai fait. Ce serait possible de parler longuement de chacun d’eux. Et il y en a d’autres qu’il ne faudrait pas oublier si on cherchait \u00e0 r\u00e9pondre exhaustivement. Dans mon livre, j’ai essay\u00e9 de n’oublier personne, en particulier dans les notes.<\/p>\n

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\n<\/span><\/span>Sur un plan plus g\u00e9n\u00e9ral, comment situez-vous votre approche du r\u00e9el par rapport \u00e0 la \u00ab\u00a0voie\u00a0\u00bb du Nouvel Age?<\/strong><\/p>\n

JN: Le New Age? Vos questions sont si vastes. J’essaie de parler seulement de ce que j’ai v\u00e9cu. Or, je n’ai jamais assist\u00e9 \u00e0 un cours qu’on pourrait qualifier de New Age. Par contre, il est \u00e9vident que lorsque je donne des conf\u00e9rences ou il est question de chamanisme, je croise des gens qui s’int\u00e9ressent au \u00ab\u00a0n\u00e9o-chamanisme\u00a0\u00bb, au \u00ab\u00a0channeling\u00a0\u00bb, etc. La plupart du temps, ce sont des personnes sensibles qui sont \u00e0 la recherche de sens, dans un monde ou il faut en convenir, le sens n’est pas si facile \u00e0 trouver. Il me semble qu’il ne faut pas en vouloir \u00e0 ces occidentaux qui cherchent du sens, en t\u00e2tonnant certes. Par contre, ceux qui transforment cette recherche en un business, ou pire, dans une escroquerie mortelle comme avec le Temple Solaire, sont \u00e0 juger s\u00e9v\u00e8rement. Une chose que je constate \u00e0 regret dans bon nombre de personnes \u00ab\u00a0New Age\u00a0\u00bb que je croise est le manque d’humour. C’est une chose qui frappe chez les chamanes amazoniens: plus ils sont avanc\u00e9s dans leurs recherches, plus ils ont d’humour, d’auto-d\u00e9rision et de modestie gnos\u00e9ologique. Dans le New Age, il semble que ce soit le contraire. Au fond, la pr\u00e9sence d’humour est la preuve par neuf qu’on a \u00e0 faire au v\u00e9ritable produit.<\/p>\n

La pr\u00e9sence d’humour que vous observez chez les chamanes amazoniens rompt en effet avec l’image que l’on se fait – aust\u00e8re, asc\u00e9tique, voire impeccable – des hommes spirituellement inspir\u00e9s. L’humour est effectivement peu \u00e9voqu\u00e9 dans les exp\u00e9riences spirituelles plus \u00ab\u00a0classiques\u00a0\u00bb… y aurait-il d’autres facettes qui permettent au chamane d’entretenir, devant les voyages de son \u00e2me, une \u00ab\u00a0modestie gnos\u00e9ologique\u00a0\u00bb?<\/strong><\/p>\n

JN: Je constate que l’humour n’est pas si d\u00e9tach\u00e9 du spirituel, puisque le mot \u00ab\u00a0spirituel\u00a0\u00bb signifie aussi \u00ab\u00a0dr\u00f4le, relatif \u00e0 la plaisanterie\u00a0\u00bb -mais de nombreuses d\u00e9marches spirituelles sont plut\u00f4t asc\u00e9tiques, il est vrai.<\/p>\n

En Amazonie occidentale, les chamanes utilisent surtout une d\u00e9coction v\u00e9g\u00e9tale hallucinog\u00e8ne, l’ayahuasca. Ce breuvage pharmacologiquement sophistiqu\u00e9 permet d’acc\u00e9der \u00e0 des transes hallucinatoires tr\u00e8s visuelles, mais reste inoffensif, semble-t-il, sur le plan physiologique.<\/p>\n

Par contre, certaines soci\u00e9t\u00e9s indig\u00e8nes, en Am\u00e9rique du nord par exemple, utilisaient traditionnellement l’\u00e9preuve physique pour atteindre les visions, leurs chamanes se suspendant par les pectoraux \u00e0 des crochets, pendant des heures, jusqu’\u00e0 halluciner. D’autres pr\u00e9f\u00e9raient je\u00fbner dans le d\u00e9sert pendant 40 jours. Ce genre de technique chamanique consiste \u00e0 tester les limites de la physiologie -soit tout le contraire de la d\u00e9marche amazonienne.<\/p>\n

Le chamanisme \u00e0 base d’ayahuasca est donc ouvert aux praticiens qui ne sont pas n\u00e9cessairement des asc\u00e8tes, ou des personnes capables d’endurer les pires douleurs. C’est aussi pour cela peut-\u00eatre que les chamanes amazoniens sont souvent plus \u00ab\u00a0dr\u00f4les\u00a0\u00bb qu’ailleurs.<\/p>\n

Pour r\u00e9pondre \u00e0 la derni\u00e8re partie de votre question, je ne crois pas que l’humour soit \u00ab\u00a0une facette permettant au chamane d’entretenir une modestie gnos\u00e9ologique\u00a0\u00bb, mais plut\u00f4t le r\u00e9sultat du savoir qu’ils atteignent. Mais je dis ceci sans avoir parl\u00e9 explicitement avec un ayahuasquero de son sens de l’humour. Je souligne que dans le paragraphe qui suit, je ne parle que de mon interpr\u00e9tation de leur humour.<\/p>\n

Je crois que leur utilisation du son, lorsqu’ils chantent dans leurs transes, leur apprend que le langage, ou les mots, sont tordables, qu’on peut leur donner un double sens, ou d\u00e9former leur son pour arriver \u00e0 un autre sens, et que les mots qu’on peut utiliser dans le quotidien ne seront jamais plus que des mots, et que l’essentiel s’exprime mieux dans le non-dit, ou dans le chant, ou dans l’image, que dans le dit, avec ses mots descriptifs et frontaux. La m\u00e9taphore est ce qui permet de nommer les choses correctement, c’est-\u00e0-dire indirectement. C’est le langage double et entrelac\u00e9 des chamanes, tsai yoshto yoshto comme disent les Yaminahua, language-twisting-twisting.<\/p>\n

Dans la r\u00e9alit\u00e9 quotidienne, cette mani\u00e8re d’appr\u00e9hender le monde m\u00e8ne \u00e0 un certain humour, souvent espi\u00e8gle.<\/p>\n


\nEn s’int\u00e9ressant de plus en plus \u00e0 la complexit\u00e9 dans ses diff\u00e9rentes manifestations (chaos, auto-organisation, vie artificielle, r\u00e9seaux de neurones, etc.), les sciences dites exactes entreprennent ce qu’il est convenu d’appeler un changement de paradigme. A l’heure ou des chercheurs abordent une neurochimie de la Conscience, quelle pourrait \u00eatre la place de votre hypoth\u00e8se (\u00e9tablissant un lien entre des visions mystiques et mythiques et l’ADN) dans le d\u00e9bat sur les sciences?<\/strong><\/p>\n

JN: La place d’une hypoth\u00e8se est invariablement de proposer de nouvelles avenues d’investigation. En l’occurrence, mon hypoth\u00e8se sugg\u00e8re que le chamanisme est une exploration de la conscience par sa modification (que ce soit par l’utilisation d’hallucinog\u00e8nes, de rythmes sonores ou d’autres techniques qui aient un impact sur la neurochimie). En science, il est tout \u00e0 fait basique de modifier les choses pour l’\u00e9tudier; par exemple, en g\u00e9n\u00e9tique, on modifie un g\u00e8ne dans la s\u00e9quence en ADN pour voir le r\u00e9sultat de cette modification sur l’organisme, et pour en d\u00e9duire la fonction du g\u00e8ne. Dans ce sens, on peut dire que les chamanes sont de v\u00e9ritables savants de la conscience, qu’ils \u00e9tudient par modification depuis des mill\u00e9naires. Mais, pour l’instant, la science \u00ab\u00a0officielle\u00a0\u00bb (celle publi\u00e9e dans Nature, Science et La Recherche, par exemple) ne veut rien savoir d’un v\u00e9ritable dialogue avec des Indiens vivant pieds nus dans la for\u00eat et consommant des \u00ab\u00a0drogues\u00a0\u00bb. Faut-il rappeler que la plupart des plantes hallucinog\u00e8nes sont ill\u00e9gales dans le monde occidental, et que, m\u00eame dans le nouveau domaine de la science de la conscience, personne ne fait carri\u00e8re en proposant l’utilisation de ces outils? Il existe donc une sorte de racisme \u00e9pist\u00e9mologique qui fait que les voies de connaissance \u00e9tablies par d’autres cultures sont tout simplement ignor\u00e9es. Les chamanes amazoniens \u00e9tudient la conscience depuis au moins cinq mille ans; la science de la conscience existe depuis moins de cinq ans; et pourtant, aucun de nos chercheurs officiels ne daignent entrer en dialogue avec ceux qui d\u00e9tiennent encore les cl\u00e9s de ce savoir ancien. Toutefois, il ne s’agit pas seulement d’un blocage \u00e9pist\u00e9mologique, mais de carri\u00e8res, de comit\u00e9s \u00e9ditoriaux, d’organismes de financement, et de tous ces facteurs \u00e9conomico-politico-institutionnels qui articulent notre monde scientifique.<\/p>\n

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Dans l’\u00e9tat actuel des choses, mon hypoth\u00e8se ne semble pas avoir une place dans les d\u00e9bats de la science: elle est de l’autre cot\u00e9 de la limite de ce qui est acceptable. Mais, ici dans la marge, il y a plus de place; et les choses \u00e9voluent tellement rapidement que tout semble possible dans peu de temps.<\/p>\n

JN: La pratique de l’anthropologie au sein d’une tribu amazonienne m’a bien pr\u00e9par\u00e9 pour la longue exploration que j’ai entreprise dans le monde des biologistes mol\u00e9culaires. J’ai pass\u00e9 des mois \u00e0 lire des textes biologiques sans comprendre grand-chose, comme s’il s’agissait d’une langue autochtone; je regardais les dessins, j’essayais de deviner le sens des discours. Finalement, le miracle de la m\u00e9thode anthropologique eut lieu: \u00e0 force d’immersion dans leur monde, j’ai commenc\u00e9 \u00e0 voir les choses du point de vue des biologistes mol\u00e9culaires.<\/p>\n

Et c’est \u00e0 ce moment-l\u00e0 que j’ai compris que la m\u00e9taphore \u00ab\u00a0biologistes mol\u00e9culaires = dr\u00f4les d’Indiens\u00a0\u00bb avait des limites. Car, contrairement aux Indiens, les biologistes sont pauvres en mythes. Ils n’ont pas de r\u00e9cits qui donnent un sens au monde -alors que leurs donn\u00e9es leur permettrait d’en tisser plus d’un. Sur ce point, il s’agit donc de \u00ab\u00a0remythifier\u00a0\u00bb la science plut\u00f4t que de la \u00ab\u00a0d\u00e9mystifier\u00a0\u00bb. Comme l’a dit Claude Levi-Strauss: \u00ab\u00a0[…] la pens\u00e9e mythique est destin\u00e9e \u00e0 servir de m\u00e9diation entre les d\u00e9couvertes des scientifiques et l’homme de la rue, incapable de comprendre de telles d\u00e9couvertes de l’int\u00e9rieur, et r\u00e9duit par la m\u00eame \u00e0 les apercevoir seulement sous la forme d’un monde imaginaire paradoxal, \u00e9trange et d\u00e9routant, qui pr\u00e9sente \u00e0 ses yeux les m\u00eames propri\u00e9t\u00e9s que celui des mythes\u00a0\u00bb.<\/p>\n

La culture occidentale actuelle manque d’histoires \u00e0 propos de son savoir. Il y a du terrain \u00e0 d\u00e9fricher du c\u00f4t\u00e9 du narratif scientifique.<\/p>\n

Mais l’anthropologie invers\u00e9e dont je r\u00eave consisterait \u00e0 faire un livre pour les Indiens d’Amazonie, qui raconte le savoir occidental, en particulier la biologie mol\u00e9culaire. Pour une fois, il ne s’agirait pas d’extraire les mati\u00e8res premi\u00e8res (les donn\u00e9es) du sud, pour les transformer, et les transf\u00e9rer au nord, mais le contraire. Le but de l’exercice serait d’aider les Indiens \u00e0 mieux nous comprendre, m\u00eame si nous n’arrivons pas \u00e0 les comprendre. Parce que les ponts se construisent depuis les deux rives, et que le changement viendra du savoir.<\/p>\n

Je n’aime pas me r\u00e9clamer d’un mouvement ou d’un autre -mais je suis certainement issu d’une anthropologie interpr\u00e9tative et autocritique, qui essaie d’objectiver son rapport d’objectivation, qui reconna\u00eet l’\u00e9motion, qui consid\u00e8re les paroles des gens comme des donn\u00e9es \u00e0 part enti\u00e8re, etc. C’est une anthropologie qui n’est pas une science, mais une forme interpr\u00e9tation. J’essaie d’y ajouter un d\u00e9vouement \u00e0 l’indiscipline, c’est-\u00e0-dire le non-respect syst\u00e9matique des barri\u00e8res entre les \u00ab\u00a0disciplines\u00a0\u00bb. Pourquoi nos repr\u00e9sentations du r\u00e9el auraient-elles des barri\u00e8res, lorsque le r\u00e9el lui-m\u00eame n’en a pas?<\/p>\n

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Propos recueillis par R\u00e9da Benkiran<\/em>e<\/em><\/span><\/span><\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":"

R\u00e9da Benkirane: Comment situer la r\u00e9flexion sur le \u00ab\u00a0Serpent cosmique\u00a0\u00bb par rapport \u00e0 votre exp\u00e9rience, d\u00e9j\u00e0 ancienne et disons plus conventionnelle, d’anthropologue des populations indig\u00e8nes d’Amazonie? Quelle est la nouveaut\u00e9 et \u00e9ventuellement les ruptures par rapport \u00e0 vos travaux pr\u00e9c\u00e9dents? Jeremy Narby: Pendant le long processus d’acquisition d’un doctorat en \u2026 Lire plus \/ Read more<\/a><\/p>\n","protected":false},"author":1,"featured_media":1321,"parent":0,"menu_order":0,"comment_status":"closed","ping_status":"closed","template":"","meta":{"ngg_post_thumbnail":0,"footnotes":""},"class_list":["post-360","page","type-page","status-publish","has-post-thumbnail","hentry"],"_links":{"self":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/360","targetHints":{"allow":["GET"]}}],"collection":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages"}],"about":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/types\/page"}],"author":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/users\/1"}],"replies":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=%2Fwp%2Fv2%2Fcomments&post=360"}],"version-history":[{"count":3,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/360\/revisions"}],"predecessor-version":[{"id":1323,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/360\/revisions\/1323"}],"wp:featuredmedia":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/media\/1321"}],"wp:attachment":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=%2Fwp%2Fv2%2Fmedia&parent=360"}],"curies":[{"name":"wp","href":"https:\/\/api.w.org\/{rel}","templated":true}]}}