{"id":317,"date":"2015-01-01T13:09:43","date_gmt":"2015-01-01T12:09:43","guid":{"rendered":"http:\/\/www.archipress.org\/wp\/?page_id=317"},"modified":"2015-01-18T11:27:41","modified_gmt":"2015-01-18T10:27:41","slug":"luniversel-sans-totalite","status":"publish","type":"page","link":"https:\/\/www.archipress.org\/?page_id=317","title":{"rendered":"L’universel sans totalit\u00e9"},"content":{"rendered":"
[extraits]<\/p>\n
Pour bien comprendre la mutation contemporaine, il faut passer par un retour r\u00e9flexif Dans les soci\u00e9t\u00e9s orales, les messages linguistiques \u00e9taient toujours re\u00e7us dans le L’\u00e9criture a ouvert un espace de communication inconnu des soci\u00e9t\u00e9s orales, dans Subsistant hors de leurs conditions d’\u00e9mission et de r\u00e9ception, les messages \u00e9crits se Il est difficile de comprendre un message quand il est s\u00e9par\u00e9 de son contexte vivant La philosophie et la science classiques, chacune \u00e0 leur mani\u00e8re, visent l’universalit\u00e9. Comme les textes scientifiques ou philosophiques qui sont cens\u00e9s rendre raison Notons au passage que \u00ab\u00a0l’auteur\u00a0\u00bb (typique des cultures \u00e9crites) est, \u00e0 l’origine, la Dans l’universel fond\u00e9 par l’\u00e9criture, ce qui doit se maintenir inchang\u00e9 par M\u00e9dias de masse et totalit\u00e9<\/strong><\/p>\n Les m\u00e9dias de masse : presse, radio, cin\u00e9ma, t\u00e9l\u00e9vision, tout au moins dans leur Cependant, les m\u00e9dias \u00e9lectroniques portent une deuxi\u00e8me tendance, compl\u00e9mentaire La v\u00e9ritable rupture avec la pragmatique de la communication instaur\u00e9e par l’\u00e9criture Complexit\u00e9 des modes de totalisation<\/strong><\/p>\n Nombre de formes culturelles d\u00e9riv\u00e9es de l’\u00e9criture ont vocation \u00e0 l’universalit\u00e9, La cyberculture ou l’universel sans totalit\u00e9<\/strong><\/p>\n En effet, l’\u00e9v\u00e9nement culturel majeur annonc\u00e9 par l’\u00e9mergence du cyberespace est le La Poste, le T\u00e9l\u00e9phone, la Presse, l’\u00c9dition, les Radios, les innombrables cha\u00eenes de L’interconnexion g\u00e9n\u00e9ralis\u00e9e, utopie minimale et moteur primaire de la croissance de L’universel n’est pas le plan\u00e9taire<\/strong><\/p>\n On dira peut-\u00eatre qu’il ne s’agit pas l\u00e0 proprement de l’universel mais du plan\u00e9taire, En somme, le cyberespace donne forme \u00e0 une nouvelle esp\u00e8ce d’universel : Plus c’est universel, moins c’est totalisable<\/strong><\/p>\n Par l’interm\u00e9diaire des ordinateurs et des r\u00e9seaux, les gens les plus divers peuvent Une nouvelle \u00e9cologie des m\u00e9dias s’organise autour de l’extension du cyberespace. De nouveau : plus se concr\u00e9tise ou s’actualise le nouvel universel et moins il est Pourquoi inventer un \u00ab\u00a0universel sans totalit\u00e9\u00a0\u00bb quand nous disposons d\u00e9j\u00e0 du riche Qu’est-ce que l’universel ? C’est la pr\u00e9sence (virtuelle) \u00e0 soi-m\u00eame de l’humanit\u00e9. Or la cyberculture montre pr\u00e9cis\u00e9ment qu’il existe une autre mani\u00e8re d’instaurer une Extraits de Cyberculture, rapport au Conseil de l’Europe<\/em> de Pierre L\u00e9vy. Paris, Odile Jacob, 1998.<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":" L’universel sans totalit\u00e9 par Pierre L\u00e9vy [extraits] L’\u00e9criture et l’universel totalisant Pour bien comprendre la mutation contemporaine, il faut passer par un retour r\u00e9flexif sur la premi\u00e8re grande transformation dans l’\u00e9cologie des m\u00e9dias : le passage des cultures orales aux cultures de l’\u00e9criture. L’\u00e9mergence du cyberespace aura probablement a m\u00eame \u2026 Lire plus \/ Read more<\/a><\/p>\n","protected":false},"author":1,"featured_media":1191,"parent":0,"menu_order":0,"comment_status":"closed","ping_status":"closed","template":"","meta":{"ngg_post_thumbnail":0,"footnotes":""},"class_list":["post-317","page","type-page","status-publish","has-post-thumbnail","hentry"],"_links":{"self":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/317","targetHints":{"allow":["GET"]}}],"collection":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages"}],"about":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/types\/page"}],"author":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/users\/1"}],"replies":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=%2Fwp%2Fv2%2Fcomments&post=317"}],"version-history":[{"count":3,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/317\/revisions"}],"predecessor-version":[{"id":1193,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/317\/revisions\/1193"}],"wp:featuredmedia":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/media\/1191"}],"wp:attachment":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=%2Fwp%2Fv2%2Fmedia&parent=317"}],"curies":[{"name":"wp","href":"https:\/\/api.w.org\/{rel}","templated":true}]}}L’\u00e9criture et l’universel totalisant<\/strong><\/p>\n
\nsur la premi\u00e8re grande transformation dans l’\u00e9cologie des m\u00e9dias : le passage des
\ncultures orales aux cultures de l’\u00e9criture. L’\u00e9mergence du cyberespace aura
\nprobablement a m\u00eame d\u00e9j\u00e0 aujourd’hui sur la pragmatique des communications
\nun effet aussi radical que l’eut en son temps l’invention de l’\u00e9criture.<\/p>\n
\ntemps et le lieu o\u00f9 ils \u00e9taient \u00e9mis. \u00c9metteurs et r\u00e9cepteurs partageaient une identique
\nsituation et, la plupart du temps, un semblable univers de signification. Les acteurs
\nde la communication plongeaient dans le m\u00eame bain s\u00e9mantique, dans le m\u00eame
\ncontexte, dans le m\u00eame flux vivant d’interaction.<\/p>\n
\nlequel il devenait possible de prendre connaissance de messages produits par des
\npersonnes situ\u00e9es \u00e0 des milliers de kilom\u00e8tres, ou mortes depuis des si\u00e8cles, ou bien
\ns’exprimant depuis d’\u00e9normes distances culturelles ou sociales. D\u00e9sormais, les
\nacteurs de la communication ne partageaient plus n\u00e9cessairement la m\u00eame situation,
\nils n’\u00e9taient plus en interaction directe.<\/p>\n
\ntiennent \u00ab\u00a0hors contexte\u00a0\u00bb. Cet \u00ab\u00a0hors contexte\u00a0\u00bb qui ne rel\u00e8ve d’abord que de
\nl’\u00e9cologie des m\u00e9dias et de la pragmatique de la communication a \u00e9t\u00e9 l\u00e9gitim\u00e9,
\nsublim\u00e9, int\u00e9rioris\u00e9 par la culture. Il deviendra le noyau d’une certaine rationalit\u00e9 et
\nm\u00e8nera finalement \u00e0 la notion d’universalit\u00e9.<\/p>\n
\nde production. C’est pourquoi, du c\u00f4t\u00e9 de la r\u00e9ception, on inventa les arts de
\nl’interpr\u00e9tation, de la traduction, toute une technologie linguistique (grammaires,
\ndictionnaires…). Du c\u00f4t\u00e9 de l’\u00e9mission, on s’effor\u00e7a de composer des messages qui
\nsoient capables de circuler partout, ind\u00e9pendants de leurs conditions de production,
\nqui contiennent autant que possible en eux-m\u00eames leurs cl\u00e9s d’interpr\u00e9tation, ou leur
\n\u00ab\u00a0raison\u00a0\u00bb. \u00c0 cet effort pratique correspond l’Id\u00e9e de l’Universel. En principe, il
\nn’est pas besoin de faire appel \u00e0 un t\u00e9moignage vivant, \u00e0 une autorit\u00e9 ext\u00e9rieure, \u00e0
\ndes habitudes ou \u00e0 des \u00e9l\u00e9ments d’un environnement culturel particulier pour
\ncomprendre et admettre les propositions \u00e9nonc\u00e9es dans Les \u00c9l\u00e9ments d’Euclide. Ce
\ntexte comprend en lui-m\u00eame les d\u00e9finitions et les axiomes \u00e0 partir desquels d\u00e9coulent
\nn\u00e9cessairement les th\u00e9or\u00e8mes. Les \u00c9l\u00e9ments sont un des meilleurs exemples du type
\nde message autosuffisant, auto-explicatif, enveloppant ses propres raisons, qui serait
\nsans pertinence dans une soci\u00e9t\u00e9 orale.<\/p>\n
\nNous faisons l’hypoth\u00e8se que c’est parce qu’elles ne peuvent \u00eatre s\u00e9par\u00e9es du
\ndispositif de communication instaur\u00e9 par l’\u00e9crit. Les religions \u00ab\u00a0universelles\u00a0\u00bb (et je
\nne parle pas seulement des monoth\u00e9ismes : pensons au Bouddhisme) sont toutes
\nfond\u00e9es sur des textes. Si je veux me convertir \u00e0 l’Islam, je peux le faire \u00e0 Paris, \u00e0
\nNew-York ou \u00e0 la Mecque. Mais si je veux pratiquer la religion Bororo (\u00e0 supposer
\nque ce projet ait un sens) je n’ai pas d’autre solution que d’aller vivre avec les
\nBororos. Les rites, mythes, croyances et modes de vie Bororo ne sont pas
\n\u00ab\u00a0universels\u00a0\u00bb mais contextuels ou locaux. Ils ne reposent en aucune mani\u00e8re sur
\nun rapport aux textes \u00e9crits. Ce constat n’implique \u00e9videmment aucun jugement de
\nvaleur ethnocentrique : un mythe Bororo appartient au patrimoine de l’humanit\u00e9 et
\npeut virtuellement \u00e9mouvoir n’importe quel \u00eatre pensant. Par ailleurs, des religions
\nparticularistes ont aussi leurs textes : l’\u00e9criture ne d\u00e9termine pas automatiquement
\nl’universel, elle le conditionne (pas d’universalit\u00e9 sans \u00e9criture).<\/p>\n
\nd’eux-m\u00eames, contenir leurs propres fondements et porter avec eux leurs conditions
\nd’interpr\u00e9tation, les grands textes des religions universalistes enveloppent par
\nconstruction la source de leur autorit\u00e9. En effet, l’origine de la v\u00e9rit\u00e9 religieuse est la
\nr\u00e9v\u00e9lation. Or la Thora, les \u00c9vangiles, le Coran, sont la r\u00e9v\u00e9lation elle-m\u00eame ou le
\nr\u00e9cit authentique de la r\u00e9v\u00e9lation. Le discours ne se place plus sur le fil d’une
\ntradition qui tient son autorit\u00e9 du pass\u00e9, des anc\u00eatres ou de l’\u00e9vidence partag\u00e9e d’une
\nculture. Le texte seul (la r\u00e9v\u00e9lation) fonde la v\u00e9rit\u00e9, \u00e9chappant ainsi \u00e0 tout contexte
\nconditionnant. Gr\u00e2ce au r\u00e9gime de v\u00e9rit\u00e9 qui s’appuie sur un texte r\u00e9v\u00e9lation, les
\nreligions du livre se lib\u00e8rent de la d\u00e9pendance \u00e0 un milieu particulier et deviennent
\nuniverselles.<\/p>\n
\nsource de l’autorit\u00e9, tandis que \u00ab\u00a0l’interpr\u00e8te\u00a0\u00bb (figure centrale des traditions orales)
\nne fait qu’actualiser ou moduler une autorit\u00e9 qui vient d’ailleurs. Gr\u00e2ce \u00e0 l’\u00e9criture,
\nles auteurs, d\u00e9miurgiques, inventent l’autoposition du vrai.<\/p>\n
\ninterpr\u00e9tations, traductions, translations, diffusions, conservations, c’est le sens. La
\nsignification du message doit \u00eatre la m\u00eame ici et l\u00e0, aujourd’hui et nagu\u00e8re. Cet
\nuniversel est indissociable d’une vis\u00e9e de cl\u00f4ture s\u00e9mantique. Son effort de
\ntotalisation lutte contre la pluralit\u00e9 ouverte des contextes travers\u00e9s par les messages,
\ncontre la diversit\u00e9 des communaut\u00e9s qui les font circuler. De l’invention de l’\u00e9criture
\ns’ensuivent les exigences tr\u00e8s sp\u00e9ciales de la d\u00e9contextualisation des discours.
\nDepuis cet \u00e9v\u00e9nement, la ma\u00eetrise englobante de la signification, la pr\u00e9tention au
\n\u00ab\u00a0tout\u00a0\u00bb, la tentative d’instaurer en chaque lieu le m\u00eame sens (ou, pour la science, la
\nm\u00eame exactitude) est pour nous associ\u00e9 \u00e0 l’universel.<\/p>\n
\nconfiguration classique, poursuivent la lign\u00e9e culturelle de l’universel totalisant
\niniti\u00e9e par l’\u00e9crit. Comme le message m\u00e9diatique sera lu, \u00e9cout\u00e9, regard\u00e9 par des
\nmilliers ou des millions de personnes dispers\u00e9es, on le compose de telle sorte qu’il
\nrencontre le \u00ab\u00a0commun d\u00e9nominateur\u00a0\u00bb mental de ses destinataires. Il vise les
\nr\u00e9cepteurs au minimum de leur capacit\u00e9 interpr\u00e9tative. Ce n’est pas ici le lieu de
\nd\u00e9velopper tout ce qui distingue les effets culturels des m\u00e9dias \u00e9lectroniques de ceux
\nde l’imprimerie. Je veux seulement souligner ici une similitude. Circulant dans un
\nespace priv\u00e9 d’interaction, le message m\u00e9diatique ne peut exploiter le contexte
\nparticulier o\u00f9 plonge le r\u00e9cepteur, il n\u00e9glige sa singularit\u00e9, ses adh\u00e9rences sociales,
\nsa micro-culture, son moment et sa situation sp\u00e9ciale. C’est ce dispositif \u00e0 la fois
\nr\u00e9ducteur et conqu\u00e9rant qui fabrique le \u00ab\u00a0public\u00a0\u00bb indiff\u00e9renci\u00e9, la \u00ab\u00a0masse\u00a0\u00bb des
\nm\u00e9dias de masse. Universalisants par vocation, les m\u00e9dias totalisent mollement sur
\nl’attracteur \u00e9motionnel et cognitif le plus bas, pour le \u00ab\u00a0spectacle\u00a0\u00bb contemporain,
\nou , de mani\u00e8re beaucoup plus violente, sur la propagande du parti unique, pour les
\ntotalitarismes classiques du XXe si\u00e8cle : fascisme, nazisme et stalisnisme.<\/p>\n
\nde la premi\u00e8re. La d\u00e9contextualisation que nous venons d’\u00e9voquer instaure
\nparadoxalement un autre contexte, holistique, quasi tribal, mais \u00e0 plus grande \u00e9chelle
\nque dans les soci\u00e9t\u00e9s orales. La t\u00e9l\u00e9vision, en interaction avec les autres m\u00e9dias, fait
\nsurgir un plan d’existence \u00e9motionnel qui r\u00e9unit les membres de la soci\u00e9t\u00e9 dans une
\nsorte de macro-contexte fluctuant, sans m\u00e9moire, en \u00e9volution rapide. Cela se
\nper\u00e7oit notamment dans les ph\u00e9nom\u00e8nes de \u00ab\u00a0direct\u00a0\u00bb et en g\u00e9n\u00e9ral lorsque
\n\u00ab\u00a0l’actualit\u00e9\u00a0\u00bb se fait br\u00fblante. Il faut reconna\u00eetre \u00e0 McLuhan d’avoir le premier
\nd\u00e9crit ce caract\u00e8re des soci\u00e9t\u00e9s m\u00e9diatiques. La principale diff\u00e9rence entre le contexte
\nm\u00e9diatique et le contexte oral est que les t\u00e9l\u00e9spectateurs, s’ils sont impliqu\u00e9s
\n\u00e9motionnellement dans la sph\u00e8re du spectacle ne peuvent jamais l’\u00eatre pratiquement.
\nPar construction, sur le plan d’existence m\u00e9diatique, ils ne sont jamais acteurs.<\/p>\n
\nne peut se faire jour avec la radio ou la t\u00e9l\u00e9vision, car ces instruments de diffusion
\nmassive ne permettent ni de v\u00e9ritable r\u00e9ciprocit\u00e9, ni d’interactions transversales entre
\nparticipants. Le contexte global instaur\u00e9 par les m\u00e9dias, au lieu d’\u00e9merger des
\ninteractions vivantes d’une ou plusieurs communaut\u00e9s, se tient hors de port\u00e9e de
\nceux qui n’en consomment que la r\u00e9ception passive, isol\u00e9e.<\/p>\n
\nmais chacune totalise sur un attracteur diff\u00e9rent : les religions universelles sur le
\nsens, la philosophie (y compris la philosophie politique) sur la raison, la science sur
\nl’exactitude reproductible (les faits), les m\u00e9dias sur une captation dans un spectacle
\nsid\u00e9rant baptis\u00e9e \u00ab\u00a0communication\u00a0\u00bb. Dans tous les cas la totalisation s’op\u00e8re sur
\nl’identit\u00e9 de la signification. Chacune \u00e0 leur mani\u00e8re, ces machines culturelles tentent
\nde rejouer, sur le plan de r\u00e9alit\u00e9 qu’elles inventent, une mani\u00e8re de co\u00efncidence avec
\neux-m\u00eames des collectifs qu’ils rassemblent. L’universel? Une sorte d’ici et
\nmaintenant virtuel de l’humanit\u00e9. Or, quoiqu’elles aboutissent \u00e0 une r\u00e9union par un
\naspect de leur action, ces machines \u00e0 produire de l’universel d\u00e9composent par
\nailleurs une multitude de micro-totalit\u00e9s contextuelles : paganismes, opinions,
\ntraditions, savoirs empiriques, transmissions communautaires et artisanales. Et ces
\ndestructions de local sont elles-m\u00eames imparfaites, ambigu\u00ebs, car les produits des
\nmachines universelles sont en retour presque toujours phagocyt\u00e9s, relocalis\u00e9s,
\nm\u00e9lang\u00e9s aux particularismes qu’ils voudraient transcender. Quoique l’universel et la
\ntotalisation (la totalisation, c’est-\u00e0-dire la cl\u00f4ture s\u00e9mantique, l’unit\u00e9 de la raison, la
\nr\u00e9duction au commun d\u00e9nominateur, etc.) aient depuis toujours partie li\u00e9e, leur
\nconjonction rec\u00e8le de fortes tensions, de douloureuses contradictions que la nouvelle
\n\u00e9cologie des m\u00e9dias polaris\u00e9e par le cyberespace permettra peut-\u00eatre de d\u00e9nouer. Un
\ntel d\u00e9nouement, soulignons-le avec force, n’est en aucune mani\u00e8re garanti ni
\nautomatique. L’\u00e9cologie des techniques de communication propose, les acteurs
\nhumains disposent. Ce sont eux qui d\u00e9cident en dernier ressort, d\u00e9lib\u00e9r\u00e9ment ou
\ndans la semi-inconscience des effets collectifs, de l’univers culturel qu’ils
\nconstruisent ensemble. Encore faut-il qu’ils aient aper\u00e7u la possibilit\u00e9 de nouveaux
\nchoix.<\/p>\n
\nd\u00e9brayage entre ces deux op\u00e9rateurs sociaux ou machines abstraites (bien plus que
\ndes concepts!) que sont l’universalit\u00e9 et la totalisation. La cause en est simple : le
\ncyberespace dissout la pragmatique de communication qui, depuis l’invention de
\nl’\u00e9criture, avait conjoint l’universel et la totalit\u00e9. Il nous ram\u00e8ne, en effet, \u00e0 la
\nsituation d’avant l’\u00e9criture mais \u00e0 une autre \u00e9chelle et sur une autre orbite dans la
\nmesure o\u00f9 l’interconnexion et le dynamisme en temps r\u00e9el des m\u00e9moires en ligne fait
\nde nouveau partager le m\u00eame contexte, le m\u00eame immense hypertexte vivant aux
\npartenaires de la communication. Quel que soit le message abord\u00e9, il est connect\u00e9 \u00e0
\nd’autres messages, \u00e0 des commentaires, \u00e0 des gloses en \u00e9volution constante, aux
\npersonnes qui s’y int\u00e9ressent, aux forums o\u00f9 l’on en d\u00e9bat ici et maintenant.
\nN’importe quel texte est le fragment qui s’ignore peut-\u00eatre de l’hypertexte mouvant
\nqui l’enveloppe, le connecte \u00e0 d’autres textes et sert de m\u00e9diateur ou de milieu \u00e0 une
\ncommunication r\u00e9ciproque, interactive, ininterrompue. Sous le r\u00e9gime classique de
\nl’\u00e9criture, le lecteur est condamn\u00e9 \u00e0 r\u00e9actualiser le contexte \u00e0 grands frais, ou bien \u00e0
\ns’en remettre au travail des \u00c9glises, des institutions ou des \u00c9coles, acharn\u00e9es \u00e0
\nressusciter et boucler le sens. Or aujourd’hui, techniquement, du fait de l’imminente
\nmise en r\u00e9seau de toutes les machines de la plan\u00e8te, il n’y a quasiment plus de
\nmessages \u00ab\u00a0hors contexte\u00a0\u00bb, s\u00e9par\u00e9s d’une communaut\u00e9 active. Virtuellement, tous
\nles messages sont plong\u00e9s dans un bain communicationnel grouillant de vie, incluant
\nles personnes elles-m\u00eames, dont le cyberespace appara\u00eet progressivement comme le
\ncoeur.<\/p>\n
\nT\u00e9l\u00e9vision forment d\u00e9sormais la frange imparfaite, les appendices partiels et tous
\ndiff\u00e9rents d’un espace d’interconnexion ouvert, anim\u00e9 de communications
\ntransversales, chaotique, tourbillonnant, fractal, m\u00fb par des processus magmatiques
\nd’intelligence collective. Certes, on ne se baigne jamais deux fois dans le m\u00eame
\nfleuve informationnel, mais la densit\u00e9 des liens et la rapidit\u00e9 des circulations sont
\ntelles que les acteurs de la communication n’ont plus de difficult\u00e9 majeure \u00e0 partager
\nle m\u00eame contexte, m\u00eame si cette situation est quelque peu glissante, floue et souvent
\nbrouill\u00e9e.<\/p>\n
\nl’Internet, \u00e9merge comme une forme nouvelle de l’universel. Attention! Le
\nprocessus en cours d’interconnexion mondiale r\u00e9alise bel et bien une forme de
\nl’universel, mais ce n’est pas la m\u00eame qu’avec l’\u00e9criture statique. Ici, l’universel ne
\ns’articule plus sur la cl\u00f4ture s\u00e9mantique appel\u00e9e par la d\u00e9contextualisation, tout au
\ncontraire. Cet universel ne totalise plus par le sens, il relie par le contact, par
\nl’interaction g\u00e9n\u00e9rale.<\/p>\n
\ndu fait g\u00e9ographique brut de l’extension des r\u00e9seaux de transport mat\u00e9riel et
\ninformationnel, du constat technique de la croissance exponentielle du cyberespace.
\nPire encore, sous couvert d’universel, n’est-il pas seulement question du pur et
\nsimple \u00ab\u00a0global\u00a0\u00bb, celui de la \u00ab\u00a0globalisation\u00a0\u00bb de l’\u00e9conomie ou des march\u00e9s
\nfinanciers? Certes, ce nouvel universel contient une forte dose de global et de
\nplan\u00e9taire, mais il ne s’y limite pas. L’ universel par \u00ab\u00a0contact\u00a0\u00bb est encore de
\nl’universel, au sens le plus profond, parce qu’il est indissociable de l’id\u00e9e
\nd’humanit\u00e9. M\u00eame les plus farouches contempteurs du cyberespace rendent
\nhommage \u00e0 cette dimension lorsqu’ils regrettent, \u00e0 juste titre, que le plus grand
\nnombre en soit exclu ou que l’Afrique n’y ait aucune part. Que r\u00e9v\u00e8le la
\nrevendication de \u00ab\u00a0l’acc\u00e8s \u00e0 tous\u00a0\u00bb ? Elle montre que la participation \u00e0 cet espace qui
\nrelie chaque \u00eatre humain \u00e0 n’importe quel autre, qui peut faire communiquer les
\ncommunaut\u00e9s entre elles et avec elles-m\u00eames, qui supprime les monopoles de
\ndiffusion et autorise chacun \u00e0 \u00e9mettre pour qui est concern\u00e9 ou int\u00e9ress\u00e9, cette
\nrevendication r\u00e9v\u00e8le, dis-je, que la participation \u00e0 cet espace rel\u00e8ve d’un droit, et que
\nsa construction s’apparente \u00e0 une sorte d’imp\u00e9ratif moral.<\/p>\n
\nl’universel sans totalit\u00e9. Et, r\u00e9p\u00e9tons-le, c’est encore d’universel qu’il s’agit,
\naccompagn\u00e9 de toutes les r\u00e9sonances que l’on voudra avec la philosophie des
\nlumi\u00e8res, parce qu’il entretient un profond rapport avec l’id\u00e9e d’humanit\u00e9. En effet,
\nle cyberespace n’engendre pas une culture de l’universel parce qu’il est partout en
\nfait, mais parce que sa forme ou son id\u00e9e implique en droit l’ensemble des \u00eatres
\nhumains.<\/p>\n
\nentrer en contact, se tenir la main tout autour du monde. Plut\u00f4t que de se construire
\nsur l’identit\u00e9 du sens, le nouvel universel s’\u00e9prouve par immersion. Nous sommes
\ntous dans le m\u00eame bain, dans le m\u00eame d\u00e9luge de communication. Il n’est donc plus
\nquestion de cl\u00f4ture s\u00e9mantique ou de totalisation.<\/p>\n
\nNous pouvons maintenant \u00e9noncer son paradoxe central : plus c’est universel
\n(\u00e9tendu, interconnect\u00e9, interactif), moins c’est totalisable. Chaque connexion
\nsuppl\u00e9mentaire ajoute encore de l’h\u00e9t\u00e9rog\u00e8ne, de nouvelles sources d’information, de
\nnouvelles lignes de fuites, si bien que le sens global est de moins en moins lisible,
\nde plus en plus difficile \u00e0 circonscrire, \u00e0 clore, \u00e0 ma\u00eetriser. Cet universel donne acc\u00e8s
\n\u00e0 une jouissance du mondial, \u00e0 l’intelligence collective en acte de l’esp\u00e8ce. Il nous
\nfait participer plus intens\u00e9ment \u00e0 l’humanit\u00e9 vivante, mais sans que cela soit
\ncontradictoire, au contraire, avec la multiplication des singularit\u00e9s et la mont\u00e9e du
\nd\u00e9sordre.<\/p>\n
\ntotalisable. On est tent\u00e9 de dire qu’il s’agit enfin du v\u00e9ritable universel, parce qu’il ne
\nse confond plus avec du local gonfl\u00e9 ou avec l’exportation forc\u00e9e des produits d’une
\nculture particuli\u00e8re. Anarchie? D\u00e9sordre? Non. Ces mots ne refl\u00e8tent que la nostalgie
\nde la cl\u00f4ture. Accepter de perdre une certaine forme de ma\u00eetrise, c’est se donner une
\nchance de rencontrer le r\u00e9el. Le cyberespace n’est pas d\u00e9sordonn\u00e9, il exprime la
\ndiversit\u00e9 de l’humain. Qu’il faille inventer les cartes et les instruments de navigation
\nde ce nouvel oc\u00e9an, voil\u00e0 ce dont chacun peut convenir. Mais il n’est pas n\u00e9cessaire
\nde figer, de structurer a priori, de b\u00e9tonner un paysage par nature fluide et vari\u00e9 :
\nune excessive volont\u00e9 de ma\u00eetrise ne conduirait, comme souvent, qu’\u00e0 l’aveuglement
\net \u00e0 la destruction. Les tentatives de fermeture deviennent pratiquement impossibles
\nou trop \u00e9videmment abusives.<\/p>\n
\nconcept de postmodernit\u00e9? C’est qu’il ne s’agit justement pas de la m\u00eame chose. La
\nphilosophie postmoderne a bien d\u00e9crit l’\u00e9clatement de la totalisation. En trois mots,
\net pour reprendre l’expression bien venue de Lyotard : la fin des grands r\u00e9cits. La
\nmultiplicit\u00e9 et l’enchev\u00eatrement radical des \u00e9poques, des points de vue et des
\nl\u00e9gitimit\u00e9s, trait distinctif du postmoderne, est d’ailleurs nettement accentu\u00e9e et
\nencourag\u00e9e dans le cyberespace. Mais la philosophie postmoderne a confondu
\nl’universel et la totalisation. Son erreur fut de jeter le b\u00e9b\u00e9 de l’universel avec l’eau
\nsale de la totalit\u00e9.<\/p>\n
\nQuant \u00e0 la totalit\u00e9, on peut la d\u00e9finir comme le rassemblement stabilis\u00e9 du sens d’une
\npluralit\u00e9 (discours, situation, ensemble d’\u00e9v\u00e9nements, syst\u00e8me, etc.). Cette identit\u00e9
\nglobale peut se boucler \u00e0 l’horizon d’un processus complexe, r\u00e9sulter du
\nd\u00e9s\u00e9quilibre dynamique de la vie, \u00e9merger des oscillations et contradictions de la
\npens\u00e9e. Mais quelle que soit la complexit\u00e9 de ses modalit\u00e9s, la totalit\u00e9 reste encore
\nsous l’horizon du m\u00eame.<\/p>\n
\npr\u00e9sence virtuelle \u00e0 soi de l’humanit\u00e9 (l’universel) que par une identit\u00e9 du sens (la
\ntotalit\u00e9).<\/p>\n