{"id":305,"date":"2015-01-01T12:54:20","date_gmt":"2015-01-01T11:54:20","guid":{"rendered":"http:\/\/www.archipress.org\/wp\/?page_id=305"},"modified":"2015-01-18T11:28:41","modified_gmt":"2015-01-18T10:28:41","slug":"le-nouveau-rapport-au-savoir","status":"publish","type":"page","link":"https:\/\/www.archipress.org\/?page_id=305","title":{"rendered":"Le nouveau rapport au savoir"},"content":{"rendered":"
L’articulation d’une multitude de points de vue<\/strong> L’ann\u00e9e derni\u00e8re, l’un d’eux me tend ses deux pages de r\u00e9sum\u00e9 en me disant d’un Au lieu d’un texte localis\u00e9, fig\u00e9 sur un support de cellulose, \u00e0 la place d’un petit \u00c0 partir de l’invention d’une petite \u00e9quipe du CERN, le World Wide Web s’est La page Web est un \u00e9l\u00e9ment, une partie du corpus insaisissable de l’ensemble des Sur le Web, tout est sur le m\u00eame plan. Et cependant tout est diff\u00e9renci\u00e9. Il n’y a pas Le deuxi\u00e8me d\u00e9luge et l’innaccessibilit\u00e9 du tout<\/strong> Le point de basculement historique du rapport au savoir se situe sans doute \u00e0 la fin L’\u00e9mergence du cyberespace ne signifie nullement que \u00ab\u00a0tout\u00a0\u00bb est enfin accessible, Les m\u00e9taphores centrales du rapport au savoir sont donc aujourd’hui la navigation et Qui sait? La r\u00e9incarnation du savoir<\/strong> De m\u00eame que la communication par t\u00e9l\u00e9phone n’a pas emp\u00each\u00e9 les gens de se Extraits de Cyberculture, rapport au Conseil de l’Europe<\/em> de Pierre L\u00e9vy. Paris, Odile Jacob, 1998.<\/p>\n \u00a0<\/strong><\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":" Le nouveau rapport au savoir par Pierre L\u00e9vy [extraits] L’articulation d’une multitude de points de vue Dans un de mes cours \u00e0 l’Universit\u00e9 de Paris VIII, intitul\u00e9 \u00ab\u00a0Technologies num\u00e9riques et mutations culturelles\u00a0\u00bb, je demande \u00e0 chaque \u00e9tudiant de faire \u00e0 la classe un expos\u00e9 de dix minutes. La veille de \u2026 Lire plus \/ Read more<\/a><\/p>\n","protected":false},"author":1,"featured_media":1191,"parent":0,"menu_order":0,"comment_status":"closed","ping_status":"closed","template":"","meta":{"ngg_post_thumbnail":0,"footnotes":""},"class_list":["post-305","page","type-page","status-publish","has-post-thumbnail","hentry"],"_links":{"self":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/305","targetHints":{"allow":["GET"]}}],"collection":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages"}],"about":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/types\/page"}],"author":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/users\/1"}],"replies":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=%2Fwp%2Fv2%2Fcomments&post=305"}],"version-history":[{"count":2,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/305\/revisions"}],"predecessor-version":[{"id":1194,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/305\/revisions\/1194"}],"wp:featuredmedia":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/media\/1191"}],"wp:attachment":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=%2Fwp%2Fv2%2Fmedia&parent=305"}],"curies":[{"name":"wp","href":"https:\/\/api.w.org\/{rel}","templated":true}]}}<\/strong>[extraits]<\/p>\n
\nDans un de mes cours \u00e0 l’Universit\u00e9 de Paris VIII, intitul\u00e9 \u00ab\u00a0Technologies
\nnum\u00e9riques et mutations culturelles\u00a0\u00bb, je demande \u00e0 chaque \u00e9tudiant de faire \u00e0 la
\nclasse un expos\u00e9 de dix minutes. La veille de l’expos\u00e9, ils doivent me rendre une
\nsynth\u00e8se de deux pages, avec une bibliographie, qui pourra \u00e9ventuellement \u00eatre
\nphotocopi\u00e9e par les autres \u00e9tudiants d\u00e9sireux d’approfondir le sujet.<\/p>\n
\nair un peu myst\u00e9rieux : \u00ab\u00a0Tenez! Il s’agit d’un expos\u00e9 virtuel!\u00a0\u00bb J’ai beau feuilleter
\nson travail sur les instruments de musique num\u00e9riques, je ne vois pas ce qui le
\ndistingue des synth\u00e8ses habituelles : un titre en gras, des sous-titres, des mots
\nsoulign\u00e9s dans un texte plut\u00f4t bien articul\u00e9, une bibliographie. S’amusant de mon
\nscepticisme, il m’entra\u00eene vers la salle des ordinateurs et, suivis par quelques autres
\n\u00e9tudiants, nous nous installons autour d’un \u00e9cran. Je d\u00e9couvre alors que les deux
\npages de r\u00e9sum\u00e9 que j’avais parcouru sur du papier \u00e9taient la projection imprim\u00e9e de
\npages Web.<\/p>\n
\nterritoire avec un auteur propri\u00e9taire, un d\u00e9but, une fin, des marges formant
\nfronti\u00e8res, j’\u00e9tais confront\u00e9 \u00e0 un document dynamique, ouvert, ubiquitaire, me
\nrenvoyant \u00e0 un corpus pratiquement infini. Le m\u00eame texte avait chang\u00e9 de nature. On
\nparle de \u00ab\u00a0page\u00a0\u00bb dans les deux cas, mais la premi\u00e8re page est un pagus, un champ
\nborn\u00e9, appropri\u00e9, sem\u00e9 de signes enracin\u00e9s, l’autre est une unit\u00e9 de flux, soumise
\naux contraintes du d\u00e9bit dans les r\u00e9seaux. M\u00eame si elle se r\u00e9f\u00e8re \u00e0 des articles ou \u00e0
\ndes livres, la premi\u00e8re page est physiquement close. La seconde, en revanche, nous
\nconnecte techniquement et imm\u00e9diatement \u00e0 des pages d’autres documents,
\ndispers\u00e9es partout sur la plan\u00e8te, qui renvoient elles-m\u00eames ind\u00e9finiment \u00e0 d’autres
\npages, \u00e0 d’autres gouttes du m\u00eame oc\u00e9an mondial de signes fluctuants.<\/p>\n
\npropag\u00e9 parmi les utilisateurs de l’Internet comme une tra\u00een\u00e9e de poudre pour
\ndevenir en quelques ann\u00e9es un des principaux axes de d\u00e9veloppement du
\ncyberespace. Cela n’exprime peut-\u00eatre qu’une tendance provisoire. Je fais cependant
\nl’hypoth\u00e8se que l’irr\u00e9pressible croissance du Web nous indique quelques traits
\nessentiels d’une culture qui veut na\u00eetre. Gardant cela en t\u00eate, poursuivons notre
\nanalyse.<\/p>\n
\ndocuments du World Wide Web. Mais par les liens qu’elle lance vers le reste du
\nr\u00e9seau, par les carrefours ou les bifurcations qu’elle propose, elle constitue aussi une
\ns\u00e9lection organisatrice, un agent structurant, un filtrage de ce corpus. Chaque
\n\u00e9l\u00e9ment de cette pelote incirconscriptible est \u00e0 la fois un paquet d’information et un
\ninstrument de navigation, une partie du stock et un point de vue original sur le dit
\nstock. Sur une face, la page web forme la gouttelette d’un tout fuyant, sur l’autre
\nface, elle propose un filtre singulier de l’oc\u00e9an d’information.<\/p>\n
\nde hi\u00e9rarchie absolue, mais chaque site est un agent de s\u00e9lection, d’aiguillage ou de
\nhi\u00e9rarchisation partielle. Loin d’\u00eatre une masse amorphe, le Web articule une
\nmultitude ouverte de points de vue, mais cette articulation s’op\u00e8re transversalement,
\nen rhizome, sans point de vue de Dieu, sans unification surplombante. Que cet \u00e9tat
\nde fait engendre de la confusion, chacun en convient. De nouveaux instruments
\nd’indexation et de recherche doivent \u00eatre invent\u00e9s, comme en t\u00e9moigne la richesse
\ndes travaux actuels sur la cartographie dynamique des espaces de donn\u00e9es, les
\n\u00ab\u00a0agents\u00a0\u00bb intelligents ou le filtrage coop\u00e9ratif des informations. Il est n\u00e9anmoins
\nfort probable que, quels que soient les progr\u00e8s \u00e0 venir des techniques de navigation,
\nle cyberespace gardera toujours son caract\u00e8re foisonnant, ouvert, radicalement
\nh\u00e9t\u00e9rog\u00e8ne et non totalisable.<\/p>\n
\nSans cl\u00f4ture s\u00e9mantique ou structurelle, le Web n’est pas non plus fig\u00e9 dans le
\ntemps. Il enfle, bouge et se transforme en permanence. Le World Wide Web est en
\nflux, en flot. Ses sources innombrables, ses turbulences, son irr\u00e9sistible mont\u00e9e
\noffrent une saisissante image de la crue d’information contemporaine. Chaque
\nr\u00e9serve de m\u00e9moire, chaque groupe, chaque individu, chaque objet peut devenir
\n\u00e9metteur et faire gonfler le flot. \u00c0 ce sujet, Roy Ascott parle, d’une mani\u00e8re imag\u00e9e,
\ndu deuxi\u00e8me d\u00e9luge. Le D\u00e9luge d’informations. Pour le meilleur ou pour le pire, ce
\nD\u00e9luge-l\u00e0 ne sera suivi d’aucune d\u00e9crue. Nous devons nous habituer \u00e0 cette
\nprofusion et \u00e0 ce d\u00e9sordre. Sauf catastrophe culturelle, aucune grande remise en
\nordre, aucune autorit\u00e9 centrale ne nous ram\u00e8nera \u00e0 la terre ferme ni aux paysages
\nstables et bien balis\u00e9s d’avant l’inondation.<\/p>\n
\ndu XVIIIe si\u00e8cle, en ce moment d’\u00e9quilibre fragile o\u00f9 l’ancien monde jetait ses plus
\nbeaux feux tandis que les fum\u00e9es de la r\u00e9volution industrielle commen\u00e7aient \u00e0
\nchanger la couleur du ciel. Quand Diderot et d’Alembert publiaient leur grande
\nEncyclop\u00e9die. Jusqu’\u00e0 ce temps, un petit groupe d’hommes pouvait esp\u00e9rer
\nma\u00eetriser l’ensemble des savoirs (ou tout au moins les principaux) et proposer aux
\nautres l’id\u00e9al de cette ma\u00eetrise. La connaissance \u00e9tait encore totalisable, sommable. \u00c0
\npartir du XIXe si\u00e8cle, avec l’\u00e9largissement du monde, la d\u00e9couverte progressive de
\nsa diversit\u00e9, la croissance toujours plus rapide des connaissances scientifiques et
\ntechniques, le projet de ma\u00eetrise du savoir par un individu ou un petit groupe devint
\nde plus en plus illusoire. Aujourd’hui, il est devenu \u00e9vident, tangible pour tous, que
\nla connaissance est d\u00e9finitivement pass\u00e9e du c\u00f4t\u00e9 de l’intotalisable, de
\nl’imma\u00eetrisable.<\/p>\n
\nmais bien plut\u00f4t que le Tout est d\u00e9finitivement hors d’atteinte. Que sauver du
\nd\u00e9luge? Penser que nous pourrions construire une arche contenant le \u00ab\u00a0principal\u00a0\u00bb serait justement c\u00e9der \u00e0 l’illusion de la totalit\u00e9.
\nNous avons tous besoin, institutions, communaut\u00e9s, groupes humains, individus,
\nde construire du sens, de nous am\u00e9nager des zones de familiarit\u00e9, d’apprivoiser le
\nchaos ambiant. Mais, d’une part, chacun doit reconstruire des totalit\u00e9s partielles \u00e0 sa
\nmani\u00e8re, suivant ses propres crit\u00e8res de pertinence. D’autre part, ces zones de
\nsignification appropri\u00e9es devront forc\u00e9ment \u00eatre mobiles, changeantes, en devenir.
\nSi bien qu’\u00e0 l’image de la grande Arche nous devons substituer celle d’une flottille de
\npetites arches, barques ou sampans, une myriade de petites totalit\u00e9s, diff\u00e9rentes,
\nouvertes et provisoires, s\u00e9cr\u00e9t\u00e9es par filtrage actif, perp\u00e9tuellement remises sur le
\nm\u00e9tier par les collectifs intelligents qui se croisent, se h\u00e8lent, se heurtent ou se
\nm\u00ealent sur les grandes eaux du D\u00e9luge informationnel.<\/p>\n
\nle surf, qui impliquent une capacit\u00e9 d’affronter les vagues, les remous, les courants
\net les vents contraires sur une \u00e9tendue plane, sans fronti\u00e8res et toujours changeante.
\nEn revanche, les vieilles m\u00e9taphores de la pyramide (gravir la pyramide du savoir)
\nde l’\u00e9chelle ou du cursus (d\u00e9j\u00e0 tout trac\u00e9) fleurent bon les hi\u00e9rarchies immobiles
\nde jadis.<\/p>\n
\nLes pages Web expriment les id\u00e9es, les d\u00e9sirs, les savoirs, les offres de transaction de personnes et de groupes humains. Derri\u00e8re le grand hypertexte grouille la multitude et ses rapports. Dans le
\ncyberespace, le savoir ne peut plus \u00eatre con\u00e7u comme quelque chose d’abstrait ou de
\ntranscendant. Il devient de plus en plus visible et m\u00eame tangible en temps r\u00e9el
\nqu’il exprime une population. Les pages Web sont non seulement sign\u00e9es, comme
\nles pages de papier, mais elles d\u00e9bouchent souvent sur une communication directe,
\ninteractive, par courrier num\u00e9rique, forum \u00e9lectronique, ou autres formes de
\ncommunication par mondes virtuels comme les MUDs ou les MOOs. Ainsi,
\ncontrairement \u00e0 ce que laisse croire la vulgate m\u00e9diatique sur la pr\u00e9tendue
\n\u00ab\u00a0froideur\u00a0\u00bb du cyberespace, les r\u00e9seaux num\u00e9riques interactifs sont des facteurs
\npuissants de personnalisation ou d’incarnation de la connaissance.<\/p>\n
\nrencontrer physiquement, puisqu’on se t\u00e9l\u00e9phone pour prendre rendez-vous, la
\ncommunication par messages \u00e9lectroniques pr\u00e9pare bien souvent des voyages
\nphysiques, des colloques ou des r\u00e9unions d’affaires. M\u00eame lorsqu’elle
\nn’accompagne pas de rencontre mat\u00e9rielle, l’interaction dans le cyberespace reste une
\nforme de communication. Mais, entend-on parfois argumenter, \u00ab\u00a0certaines personnes
\nrestent des heures devant leur \u00e9cran\u00a0\u00bb, s’isolant ainsi des autres. Les exc\u00e8s ne
\ndoivent certes pas \u00eatre encourag\u00e9s. Mais dit-on de quelqu’un qui lit qu’il \u00ab\u00a0reste des
\nheures devant du papier\u00a0\u00bb. Non. Parce que la personne qui lit n’est pas en rapport
\navec une feuille de cellulose, elle est en contact avec un discours, des voix, un
\nunivers de signification qu’elle contribue \u00e0 construire, \u00e0 habiter par sa lecture. Que le
\ntexte s’affiche sur un \u00e9cran ne change rien au fond de cette affaire. Il s’agit toujours
\nde lecture, m\u00eame si, comme nous l’avons vu, avec les hyperdocuments et l’interconnexion g\u00e9n\u00e9rale, les modalit\u00e9s de la lecture tendent \u00e0 se transformer.<\/p>\n