TEXTE FONDATEUR DU CYBERESPACE<\/p>\n
[Tel que nous pourrions penser]<\/strong><\/div>\n <\/p>\n Cet appareil se compose d’un bureau et bien que l’on puisse pr\u00e9sumer le faire fonctionner \u00e0 distance, c’est surtout le meuble o\u00f9 l’on travaille. Sur le dessus, on trouve des \u00e9crans translucides inclin\u00e9s sur lesquels des documents peuvent \u00eatre projet\u00e9s pour une lecture confortable. On y trouve un clavier et plusieurs ensembles de boutons et de leviers. Autrement, on dirait un bureau ordinaire.<\/p>\n A une extr\u00e9mit\u00e9 se trouve le stock de documents. La question du volume est ais\u00e9ment prise en charge par des microfilms am\u00e9lior\u00e9s. Une petite partie de l’int\u00e9rieur du memex seulement est consacr\u00e9e au stockage, le reste est utilis\u00e9 par le m\u00e9canisme. Pourtant si l’utilisateur entrait 5 000 pages de documents par jour, il lui faudrait des si\u00e8cles pour remplir cet entrep\u00f4t. Il peut donc utiliser l’espace sans parcimonie et ajouter des documents en toute libert\u00e9.<\/p>\n La plus grande partie des contenus du memex sont achet\u00e9s sur microfilm pr\u00eat \u00e0 l’emploi. Livres en tout genre, images, num\u00e9ros r\u00e9cents de revues, journaux, tout peut \u00eatre acquis et dispos\u00e9 au bon endroit. La correspondance d’affaires prend le m\u00eame chemin. Et il est pr\u00e9vu de pouvoir ajouter directement de l’information. Dans la partie sup\u00e9rieure du memex, un plateau transparent accueille les notes, les photos et les \u00e9l\u00e9ments les plus divers. Une fois le document en place, on actionne un levier pour le photographier et l’int\u00e9grer \u00e0 l’espace disponible le plus proche sur une section du film memex, en utilisant le proc\u00e9d\u00e9 de la photographie \u00e0 sec.<\/p>\n Il serait possible, bien s\u00fbr, de consulter les dossiers par le syst\u00e8me de classement habituel. Pour feuilleter un livre pr\u00e9cis, l’utilisateur tape le code de l’ouvrage sur son clavier et la page de titre appara\u00eet aussit\u00f4t devant lui, projet\u00e9e sur l’un de ses \u00e9crans de lecture. Les codes les plus utilis\u00e9s sont m\u00e9moris\u00e9s par un moyen mn\u00e9motechnique, pour que l’utilisateur n’ait pas \u00e0 consulter trop souvent le manuel des codes, qui peut cependant appara\u00eetre par simple pression d’une touche. D’autres leviers sont \u00e0 sa disposition. En inclinant l’un d’eux \u00e0 droite, le livre d\u00e9file devant lui, les pages apparaissent les unes apr\u00e8s les autres \u00e0 une vitesse qui permet un rapide coup d’oeil. En poussant le levier encore plus \u00e0 droite, tout le livre d\u00e9file dix pages par dix pages; encore plus \u00e0 droite, cent pages par cent pages. Vers la gauche, le levier op\u00e8re les m\u00eames op\u00e9rations en arri\u00e8re.<\/p>\n Un bouton sp\u00e9cial le ram\u00e8ne instantan\u00e9ment \u00e0 la premi\u00e8re page de l’index. Il peut ainsi appeler et consulter n’importe quel ouvrage de sa biblioth\u00e8que avec beaucoup plus de facilit\u00e9 que sur de vrais rayonnages. Comme il dispose de plusieurs postes de projection, il peut laisser un document en position pendant qu’il en appelle un autre. Il peut \u00e9galement ajouter des notes et des commentaires, utilisant pour cela un syst\u00e8me de photographie \u00e0 sec. Il se pourrait m\u00eame qu’il puisse le faire avec un syst\u00e8me de pointe de lecture comme sur les t\u00e9lautographes que l’on peut voir dans les salles d’attente des gares, exactement comme s’il avait une page r\u00e9elle devant lui.<\/p>\n Tout cela n’est que supposition, except\u00e9 en ce qui concerne la projection des m\u00e9canismes actuels et de tous les gadgets que nous connaissons d\u00e9j\u00e0. Une \u00e9tape s’av\u00e8re indispensable au classement par association, dont le principe reposerait sur un syst\u00e8me permettant \u00e0 tout article d’en s\u00e9lectionner imm\u00e9diatement et automatiquement un autre. C’est ce processus reliant deux articles l’un \u00e0 l’autre qui caract\u00e9rise le memex.<\/p>\n Quand l’utilisateur construit une piste, il lui donne d’abord un nom, qu’il note dans son manuel des codes avant de le composer sur son clavier. Devant lui, les deux documents \u00e0 assembler sont projet\u00e9s sur des \u00e9crans voisins. En bas de chacun, on peut voir un certain nombre d’espaces destin\u00e9s \u00e0 recevoir le code, et un curseur est pr\u00eat \u00e0 indiquer l’un d’eux sur chaque document. L’utilisateur n’a plus qu’\u00e0 appuyer sur une touche pour que les articles se trouvent d\u00e9finitivement rassembl\u00e9s Le mot de code appara\u00eet sur chaque espace pr\u00e9vu \u00e0 cet effet. Invisible, mais \u00e9galement dans l’espace destin\u00e9 aux codes, des pointill\u00e9s sont ins\u00e9r\u00e9s pour la visualisation de cellules photographiques et, sur chaque document, ces tirets indiquent, par leur position, le num\u00e9ro de classement des autres documents.<\/p>\n Ainsi, \u00e0 tout moment, quand l’un de ces documents est visible, l’autre peut \u00eatre rappel\u00e9 instantan\u00e9ment en pressant une touche sous l’espace du code correspondant. En outre, il est possible de les consulter tour \u00e0 tour, plus ou moins rapidement, en actionnant un levier tout comme celui qui permet de faire d\u00e9filer les pages d’un livre. C’est exactement comme si on avait rassembl\u00e9 les documents r\u00e9els pour faire un nouveau livre, en mieux car chaque article est reli\u00e9 \u00e0 une multitude de pistes.<\/p>\n Supposons que le propri\u00e9taire du memex s’int\u00e9resse aux origines et aux caract\u00e9ristiques de l’arc et de la fl\u00e8che et qu’il \u00e9tudie plus particuli\u00e8rement les raisons de la sup\u00e9riorit\u00e9 apparente du petit arc turc sur l’arc long des crois\u00e9s. Apr\u00e8s avoir entrepos\u00e9 des dizaines de livres et d’articles sur le sujet dans son memex, il commence par parcourir une encyclop\u00e9die o\u00f9 il trouve un document int\u00e9ressant mais trop g\u00e9n\u00e9ral; il le garde en projection.<\/p>\n Dans un livre d’histoire, il d\u00e9couvre un autre \u00e9l\u00e9ment pertinent qu’il joint au premier. Il avance ainsi, tra\u00e7ant une piste constitu\u00e9e de nombreux \u00e9l\u00e9ments. Il ajoute parfois ses propres commentaires, soit en les reliant directement \u00e0 la piste principale, soit en les rattachant par une piste secondaire \u00e0 un document pr\u00e9cis. Quand il appara\u00eet \u00e9vident que les propri\u00e9t\u00e9s \u00e9lastiques des mat\u00e9riaux disponibles sont inh\u00e9rentes \u00e0 la qualit\u00e9 de l’arc, il bifurque sur une piste lat\u00e9rale qui l’am\u00e8ne \u00e0 \u00e9tudier les ouvrages sur l’\u00e9lasticit\u00e9 et les constantes physiques. Il int\u00e8gre une page manuscrite de ses propres analyses. Il construit ainsi une piste d\u00e9termin\u00e9e par son sujet \u00e0 travers le labyrinthe des documents dont il dispose.<\/p>\n Et sa piste ne dispara\u00eet pas. Quelques ann\u00e9es plus tard, il discute avec un ami de l’\u00e9tonnante r\u00e9sistance des gens \u00e0 la nouveaut\u00e9, fut-elle d’un int\u00e9r\u00eat vital. Il a un exemple dans le fait que les Europ\u00e9ens, vaincus, ne parvinrent pas \u00e0 adopter l’arc des Turcs, il a m\u00eame une piste sur ce sujet. En appuyant sur une touche, il fait appara\u00eetre le manuel des codes puis, \u00e0 l’aide de quelques touches suppl\u00e9mentaires, il projette le d\u00e9but de la piste. Un levier lui permet de la parcourir, de s’arr\u00eater aux sujets qui l’int\u00e9ressent et d’explorer d’autres articles compl\u00e9tant la discussion. Il met alors en route un reproducteur qui photographie l’int\u00e9gralit\u00e9 de la piste. Son ami peut ensuite l’int\u00e9grer \u00e0 son propre memex, o\u00f9 il la reliera \u00e0 la piste g\u00e9n\u00e9rale.<\/p>\n Des formes enti\u00e8rement nouvelles d’encyclop\u00e9dies vont appara\u00eetre, pr\u00eates \u00e0 l’emploi avec un r\u00e9seau de pistes fonctionnant par association les traversant, pr\u00eates \u00e0 \u00eatre ins\u00e9r\u00e9es et amplifi\u00e9es dans le memex. Ainsi, l’avocat aura sous les doigts les opinions et les d\u00e9cisions accumul\u00e9es au cours de son exp\u00e9rience professionnelle, ainsi que de celles de ses amis et des pouvoirs publics. Le bureau des brevets disposera sur un simple appel des millions de brevets d’inventions, avec des pistes r\u00e9parties selon les sp\u00e9cialit\u00e9s de chacun. Le m\u00e9decin, perplexe face \u00e0 la r\u00e9action d’un patient, pourra suivre la piste \u00e9tablie lors de l’\u00e9tude ant\u00e9rieure d’un cas similaire et consulter rapidement l’histoire de cas analogues, avec la possibilit\u00e9 de consulter ses ouvrages de r\u00e9f\u00e9rence en mati\u00e8re d’anatomie et d’histologie. Le chimiste, se d\u00e9battant avec la synth\u00e8se d’un compos\u00e9 organique, aura \u00e0 sa disposition toutes les publications traitant de son sujet ainsi que des pistes secondaires concernant leurs caract\u00e9ristiques physiques et chimiques.<\/p>\n […] Ainsi la science peut-elle am\u00e9liorer la mani\u00e8re dont les hommes produisent, stockent et consultent les dossiers de l’esp\u00e8ce humaine. Il serait peut-\u00eatre plus efficace de d\u00e9crire de mani\u00e8re spectaculaire les instruments de l’avenir, au lieu de respecter scrupuleusement les m\u00e9thodes et les \u00e9l\u00e9ments non encore \u00e9labor\u00e9s qui subissent une \u00e9volution rapide, comme nous l’avons fait ici. Sans aucun doute, des difficult\u00e9s techniques de toutes sortes n’ont pas \u00e9t\u00e9 prises en consid\u00e9ration, de m\u00eame que l’on ignore les nouveaut\u00e9s qui peuvent surgir d’un jour \u00e0 l’autre et acc\u00e9l\u00e9rer le progr\u00e8s technique de mani\u00e8re aussi brutale que la d\u00e9couverte du tube thermionique. Pour que notre pr\u00e9sentation ne soit pas trop ennuyeuse, car trop proche des mod\u00e8les contemporains, il peut \u00eatre utile de mentionner une telle possibilit\u00e9, non pour jouer les proph\u00e8tes mais simplement pour sugg\u00e9rer, car toute proph\u00e9tie qui repose sur l’extrapolation de ce que l’on conna\u00eet a une certaine consistance tandis que celle qui est fond\u00e9e sur l’inconnu n’est qu’une double supposition.<\/p><\/div>\n As we may think <\/em>by Vannevar Bush. In: The Atlantic Monthly, juillet 1945, Trad. Ch. Monnatte.<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":" TEXTE FONDATEUR DU CYBERESPACE @s we may think [Tel que nous pourrions penser] Imaginons un appareil de l’avenir \u00e0 usage individuel, une sorte de classeur et de biblioth\u00e8que personnels et m\u00e9caniques. Il lui faut un nom et cr\u00e9ons-en un au hasard. \u00ab\u00a0Memex\u00a0\u00bb fera l’affaire. 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