{"id":1824,"date":"2015-08-17T03:27:20","date_gmt":"2015-08-17T02:27:20","guid":{"rendered":"http:\/\/www.archipress.org\/?page_id=1824"},"modified":"2015-08-17T13:28:34","modified_gmt":"2015-08-17T12:28:34","slug":"ombre-et-lumiere-energie-et-perception-par-khadija-nekrouf","status":"publish","type":"page","link":"https:\/\/www.archipress.org\/?page_id=1824","title":{"rendered":"Ombre et lumi\u00e8re, \u00e9nergie et perception, par Khadija Nekrouf"},"content":{"rendered":"

L’ombre r\u00e9v\u00e9latrice de la lumi\u00e8re,\u00a0mobilisatrice d’\u00e9nergie et de perception
\npar Khadija Nekrouf<\/h3>\n

<\/center>
\"nekrouf\"<\/a><\/center><\/p>\n
\n

Dieu est Lumi\u00e8re des Cieux et de la Terre.
\nSa Lumi\u00e8re est semblable \u00e0 un Tabernacle o\u00f9 se trouve une Lampe;
\nla Lampe est dans un Verre;
\nLe Verre est comme un Astre brillant;
\nelle est allum\u00e9e gr\u00e2ce \u00e0 un Arbre b\u00e9ni,
\nun olivier, ni d’orient ni d’occident,
\ndont l’Huile \u00e9clairerait, ou peu s’en faut, m\u00eame si nul feu ne la touchait.
\nLumi\u00e8re sur lumi\u00e8re.
\nDieu guide vers Sa Lumi\u00e8re ceux qu’il veut.
\nDieu propose des paraboles aux hommes.
\nEt Dieu est de toute chose Savant.<\/p>\n

Coran<\/i>, XXIV, 35.<\/p>\n


\n

\"\"Qui ne conna\u00eet ce malaise violent face \u00e0 une surface \u00e0 remplir \u00e0 partir de l’imaginaire, ce monde int\u00e9rieur nourri de m\u00e9moire et de chaos, de lumi\u00e8re et d’obscurit\u00e9, de r\u00e9alit\u00e9s et d’invention, de v\u00e9cu et de non v\u00e9cu, bref le monde d’une libert\u00e9 qui jaillit de l’ombre ?<\/p>\n

C’est \u00e0 partir de cette banale exp\u00e9rience, perp\u00e9tuellement renouvel\u00e9e, que j’ai tent\u00e9 une r\u00e9flexion autour du th\u00e8me de l’ombre et la lumi\u00e8re. Car la d\u00e9marche de la peinture, suivant mon v\u00e9cu, est une composition de plusieurs stades de l’ombre pour parvenir \u00e0 une expression de la lumi\u00e8re ou de la clart\u00e9 (moins aveuglante, plus uniforme, plus rassurante). C’est dans un \u00e9tat d’ombre, je dirai m\u00eame d’obscurit\u00e9, que l’on se rapproche de la toile ou de la page \u00e0 remplir. Et c’est ainsi charg\u00e9 d’obscur que l’on scrute \u00e0 la fois l’int\u00e9rieur de soi, ce magma de visions, et la fameuse surface blanche, o\u00f9, semble-t-il, ruent d’invisibles \u00e9lans.<\/p>\n

\"nekrouf2\"L’obscure surface blanche et l’obscure int\u00e9riorit\u00e9, se rencontreront-elles ? C’est cette double inintelligibilit\u00e9 qui cr\u00e9e la terrible tension du peintre ou de l’\u00e9crivain. Tension faite d’\u00e9coute suraigu\u00eb, de concentration autour d’un myst\u00e8re o\u00f9 l’on ne discerne plus entre des z\u00e9brures de m\u00e9moire et des soifs d’inconnu, entre la raison qui organise une id\u00e9e et l’intuition qui s’engouffre dans le non encore v\u00e9cu. Et en m\u00eame temps il y a cette parcelle limit\u00e9e sur laquelle on cherche \u00e0 capturer ces franges d’ombre et de non-dit, tout en buttant sur la propre existence de ce vide \u00e0 remplir! De cette apparence de vide \u00e0 remplir… Se r\u00e9unir dans sa propre obscurit\u00e9, se tenir tant\u00f4t aux aguets de la m\u00e9moire lancinante, tant\u00f4t des gouffres brefs de la pr\u00e9monition, s’aiguiser au mutisme f\u00e9cond de la toile, au silence du blanc de la toile fr\u00e9missante comme un rideau qu’on s’appr\u00eate \u00e0 lever, puis revenir en soi, amoindri-grandi par le pressentiment de l’infiniment ext\u00e9rieur, et se rassembler dans un flash de lumi\u00e8re au bout des doigts pour un geste – le premier – qui tentera l’esquisse de la rencontre, c’est cela le parcours solitaire du peintre. Ses buts conscients sont souvent mis \u00e0 bas ou dilu\u00e9s par un t\u00e9lescopage avec le hasard et de cela d’informe peut na\u00eetre une clart\u00e9, une ligne, du signifiant. Par bribes, la lumi\u00e8re s’installe dans le tableau et par del\u00e0 le tableau, cette lumi\u00e8re qui est lien entre tous les \u00e9l\u00e9ments de l’oeuvre, c’est-\u00e0-dire le sens qui se d\u00e9gage du tout. Et ce sens, c’est \u00e0 dire cette lumi\u00e8re, est toujours \u00e9tranger \u00e0 celui que la conscience porte en elle avant le parcours vers la toile. Comme si la travers\u00e9e de l’ombre en \u00e9tat d’acuit\u00e9 pr\u00e9disposait enfin \u00e0 d’autres visions.<\/p>\n

Et lorsque l’ombre s’\u00e9vanouit, la lumi\u00e8re qui s’attarde derri\u00e8re elle
\ndevient l’ombre d’une autre lumi\u00e8re.<\/i><\/p>\n

Khalil Gibran<\/p>\n

\"nekrouf3\"<\/a>N’est-il pas \u00e9vident qu’une telle attitude ou d\u00e9marche est d’essence profond\u00e9ment m\u00e9taphysique? Basculer d’ombre en ombre, de nuit en nuit, vigilant et en alerte, effray\u00e9 et plein d’espoir pour saisir \u00e0 chaque fois un peu plus de myst\u00e8re, et l’habiller \u00e0 chaque fois de bribes de r\u00e9ponses, non pour l’identifier, mais pour habiter soi-m\u00eame l’axe d’un signifiant inaccessible ? Et c’est l\u00e0, au stade du r\u00e9pit, que s’invente la lumi\u00e8re. Car si l’ombre et la lumi\u00e8re ont, de mani\u00e8re \u00e9vidente, leurs significations au premier degr\u00e9 c’est \u00e0 dire l’ombre en tant que monde de la n\u00e9gation, de la peur, de l’ignorance, du mal, etc., et la lumi\u00e8re en tant que monde r\u00e9v\u00e9l\u00e9 \u00e0 la perception ou \u00e0 l’entendement, on peut aussi ais\u00e9ment d\u00e9noncer ces significations imm\u00e9diates.<\/p>\n

Et la premi\u00e8re question \u00e0 se poser est: qu’en est-il de ces significations pour un aveugle ? \u00e0 l’aide de quoi se dirige-t-il ? Comment est \u00ab\u00a0sa\u00a0\u00bb lumi\u00e8re ? Que contient \u00ab\u00a0son\u00a0\u00bb obscurit\u00e9 ?<\/p>\n

Deuxi\u00e8mement la lumi\u00e8re a aussi la capacit\u00e9 d’aveugler, c’est-\u00e0-dire de jeter hors de la vue une grande partie du monde; comme fixer le coeur d’un soleil ou d’une lampe n’apporte rien, sinon la cruaut\u00e9 d’une lumi\u00e8re aussi aveugle et aveuglante que la pire des t\u00e9n\u00e8bres Et m\u00eame si l’on observe ce qui est r\u00e9v\u00e9l\u00e9 alentour par cette lumi\u00e8re, ce qui surgit hors des creux d’ombre, ne peut-on se demander quel est cet univers que la nuit efface r\u00e9guli\u00e8rement?<\/p>\n

Le monde expose \u00e0 ta vue pendant le jour tout ce qu’il contient, mais la nuit soustrait tout.<\/i><\/p>\n

Farid\u00fbdin Attar, Le Livre Divin<\/i><\/p>\n

Sans nous attarder sur cet aspect m\u00e9taphysique que l’on peut d\u00e9velopper ind\u00e9finiment tant il reste sans r\u00e9ponse, on peut aussi remarquer comment l’habitude de la lumi\u00e8re \u00e9rode le comportement et comment l’ennui peut na\u00eetre de ce que l’on croit bien conna\u00eetre. Ainsi suivons-nous chaque jour des routes si connues gr\u00e2ce \u00e0 la lumi\u00e8re du jour que nous ne voyons plus rien. De m\u00eame combien d’entre nous remettent-ils en question des explications ou informations cens\u00e9es \u00e9clairer ? L’habitude de lumi\u00e8re distrait ainsi de ce qu’elle expose aux sens et \u00e0 l’intelligence, et bien souvent fait assoupir l’acuit\u00e9 de jugement. Ce dernier trait nous conduit \u00e0 r\u00e9fl\u00e9chir sur notre si\u00e8cle et \u00e0 nous demander s’il est r\u00e9ellement celui de la Lumi\u00e8re, et pour qui ?<\/p>\n

Si nous prenons l’exemple, tr\u00e8s bri\u00e8vement, de ce que sont devenues les connaissances et le savoir, il est \u00e9vident que leur avanc\u00e9e ph\u00e9nom\u00e9nale est un \u00e9clairage de domaines de plus en plus sp\u00e9cialis\u00e9s mais constitue un tel \u00e9loignement par rapport \u00e0 la notion de globalit\u00e9 -ce Tout que l’on retrouve au bout de toute d\u00e9marche si l’on reste vigilant et attentif- que l’on peut imputer \u00e0 ce processus bien des \u00e9checs et bien des malaises \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de ses ind\u00e9niables succ\u00e8s. On peut citer des exemples \u00e0 l’infini ….<\/p>\n

\"nekrouf4\"<\/a>A ce sujet, le livre du philosophe Michel Henry, La Barbarie<\/i>, conduit \u00e0 un constat terrible: notre si\u00e8cle (et \u00e9videment il parle de la civilisation occidentale du savoir, de la prouesse technique, du confort, des d\u00e9couvertes ou de la d\u00e9mocratie) notre si\u00e8cle est celui de la barbarie. Cela peut choquer bien des esprits mais lorsqu’on vient d’ailleurs, imbib\u00e9 d’une autre trajectoire, d’une autre m\u00e9moire, d’une autre configuration, on peut comprendre les manques et les erreurs d\u00e9nonc\u00e9s par Michel Henry, non pas que l’on vienne d’une civilisation plus accomplie mais peut-\u00eatre que d’\u00eatre sur le seuil seulement de cette spectaculaire mani\u00e8re de vivre vous laisse voir les ombres sculpt\u00e9es par les oublis vitaux de cette civilisation \u00e0 l’\u00e9clairage violent et qu’Henry nomme la Barbarie. Parmi ces oublis, donc dans une obscurit\u00e9, notre \u00e9nergie est domin\u00e9e, mise au pas et domestiqu\u00e9e, alors que nous la recevons pour fonctionner dans notre auto-d\u00e9veloppement, dans la souffrance bien souvent, car c’est la travers\u00e9e de l’inconnu, et surtout dans la notion de notre globalit\u00e9 au sein d’autres globalit\u00e9s. Ce qui fait dire \u00e0 Henry: \u00ab\u00a0La Barbarie est une \u00e9nergie inemploy\u00e9e\u00a0\u00bb.<\/p>\n

Pour faire pendant \u00e0 ce monde de la science classique, il y a heureusement le domaine de l’art qui permet le fonctionnement et le d\u00e9ploiement de cette \u00c9nergie primordiale et ce, dans le respect de l’obscurit\u00e9, du non-codifi\u00e9, du non-dit. L’art en cr\u00e9ant une \u00ab\u00a0composition\u00a0\u00bb permet ce lien lumineux entre des \u00e9l\u00e9ments obscurs car partiels et comme le dit encore Henry : \u00ab\u00a0Toute oeuvre esth\u00e9tique se propose comme une totalit\u00e9 et n’est intelligible que comme telle.\u00a0\u00bb<\/p>\n

Autre exemple criant dans cette notion de civilisation de la Lumi\u00e8re: le domaine de l’information: C’est peut-\u00eatre l\u00e0 qu’appara\u00eet l’immensit\u00e9 de l’\u00e9chec (parall\u00e8lement bien s\u00fbr \u00e0 des succ\u00e8s). En 1990, l’information, dans tous les domaines, n’est-elle pas \u00e9clairage orient\u00e9 tel un spot sur telle ou telle partie du monde ou des \u00eatres, \u00e0 partir d’un besoin pr\u00e9cis, d’int\u00e9r\u00eats \u00e9vidents socio-politico-culturels ?<\/p>\n

L’information aujourd’hui braque son faisceau bref et grossier parfois sur des univers inconnus, diff\u00e9rents, myst\u00e9rieux et tente – en y r\u00e9ussissant la plupart du temps – une interpr\u00e9tation, d’une part h\u00e2tive et partielle, d’autre part \u00e0 partir d’un regard qui s’est pr\u00e9-pos\u00e9 un but. La m\u00e9diatisation aidant, nous assistons, effar\u00e9s lorsque conscients, \u00e0 cette \u00e9norme faillite morale et \u00e9thique. \u00c9clairer ce que l’on veut, maintenir dans l’ombre ce qui g\u00eane ou peut g\u00eaner: on peut, en une phrase lapidaire, r\u00e9sumer ce qui a suivi l’\u00e8re des croisades d’un certain orientalisme, de la colonisation, et aujourd’hui de l’asservissement des trois-quarts de l’humanit\u00e9 par le quart restant. Lumi\u00e8re crue, parfois vulgaire, sur soi-m\u00eame, avec un discours l\u00e9nifiant, faisceau ramenant vers soi par bribes et telle une proie \u00e0 sa propre angoisse, des lambeaux de r\u00e9alit\u00e9s muettes et lointaines, que l’on habille d’explications aberrantes, voici la d\u00e9marche grandissante et \u00e9chevel\u00e9e d’une civilisation qui, en laissant \u00ab\u00a0l’autre\u00a0\u00bb dans l’obscurit\u00e9, \u00e9claire sans le savoir sa propre brutalit\u00e9, sa propre ignorance, sa propre l\u00e2chet\u00e9. L’irruption de la t\u00e9l\u00e9vision dans ce monde de l’\u00e9clairage n’a fait qu’aggraver le processus de non-connaissance profonde, l’image ne laissant par le temps \u00e0 l’esprit de se ressaisir, et constituant aux yeux d’une soci\u00e9t\u00e9 passive une sorte de \u00ab\u00a0preuve\u00a0\u00bb. Cette passivit\u00e9 qui souvent a tu\u00e9 en occident la capacit\u00e9 de \u00ab\u00a0s’engager\u00a0\u00bb, c’est-\u00e0-dire de se livrer corps et \u00e2me \u00e0 une d\u00e9marche vers l’autre, au risque de perdre.<\/p>\n

Que se soit sur le plan politique – rapport d’un pouvoir \u00e0 son peuple, ou d’un groupe de nations \u00e0 un autre (Nord-Sud) – ou sur le plan individuel, les relations qui d\u00e9coulent du sch\u00e9ma lumi\u00e8re\/obscurantisme sont des relations de force, de domination et de f\u00e9roce impartialit\u00e9 qui ne peuvent que provoquer en r\u00e9action, un encha\u00eenement de r\u00e9voltes parfois jusqu’\u00e0 l’exc\u00e8s, d’o\u00f9 les extr\u00e9mismes. D’autant plus qu’il est m\u00e9connu, plong\u00e9 dans l’obscurit\u00e9 n\u00e9gative, l'\u00a0\u00bbautre\u00a0\u00bb se trouve sans reconnaissance possible, sans secours bien souvent et accul\u00e9 donc \u00e0 la mis\u00e8re ou \u00e0 la violence. C’est cela qui fut \u00e0 l’origine de la gestation du Tiers puis du Quart-Monde.<\/p>\n

Salah Steti\u00e9, dans La Uni\u00e8me Nuit<\/i> parle d’une \u00ab\u00a0… mise en contact de deux ali\u00e9nations […] l’une sous-estimant l’autre, l’autre surestimant l’une Formule instable et explosive – et qui explosera; alg\u00e8bre et valeur dont on ne saurait certifier qu’elles furent, qu’elles soient toujours morales\u00a0\u00bb.<\/p>\n

\"nekrouf5\"<\/a>La lumi\u00e8re de la connaissance et de la r\u00e9v\u00e9lation ne peut \u00eatre si elle est provoqu\u00e9e par une intention. Elle ne peut \u00eatre que si elle surgit d’elle-m\u00eame au d\u00e9tour d’un apparent chaos, d’une complexit\u00e9, reconnus comme tels, d’un hasard humblement assum\u00e9. L’ombre encore. C’est parce que certains physiciens pensaient que la science \u00e9tait dans une impasse que la sensation de l’existence d’un chaos leur parut ouvrir une issue \u00e0 cette science. Depuis une trentaine d’ann\u00e9es, on assiste \u00e0 la plong\u00e9e dans cette th\u00e9orie du chaos \u00e0 travers le monde des ph\u00e9nom\u00e8nes de la physique. Le livre de James Gleick nous donne \u00e0 ce niveau quelques id\u00e9es pour cerner cette notion de chaos: \u00ab\u00a0Nouvelle conception d’un ordre surgi du chaos … une r\u00e9volution en vue […] science de la nature globale des syst\u00e8mes, abolition des fronti\u00e8res entre disciplines scientifiques […] Forme n\u00e9e au sein de l’informe.\u00a0\u00bb<\/p>\n

Si nous ne voulons et ne pouvons (faute de sp\u00e9cialisation) parler de cette th\u00e9orie scientifique du chaos, nous pouvons du moins transposer sur d’autres plans ce vocabulaire du chaos et r\u00e9aliser une fois de plus que nous nous retrouvons encore dans la n\u00e9cessit\u00e9 de cette d\u00e9marche unique, qui a toujours \u00e9t\u00e9 celle des mystiques, des philosophes, des artistes, po\u00e8tes, musiciens, \u00e9crivains, cr\u00e9ateurs de toutes sortes, c’est-\u00e0-dire la travers\u00e9e de l’ombre o\u00f9 l’on se concentre pour recevoir des hachures de lumi\u00e8re qui fouettent l’espoir, \u00e9veillent l’amour, sculptent des solidarit\u00e9s, baignent des solitudes, conduisent vers l’irr\u00e9ductible notion de Lumi\u00e8re Divine; que des scientifiques rejoignent de nouveau et enfin cette d\u00e9marche-l\u00e0, voil\u00e0 qui pourrait ramener l’univers vers sa propre totalit\u00e9, gr\u00e2ce \u00e0 l’admission de l’obscur dans la recherche, du d\u00e9sordre, de l’inconnu et m\u00eame de l’inaccessible.<\/p>\n

Cela nous conduit \u00e0 une notion de la lumi\u00e8re qui n’appartiendrait qu’\u00e0 Dieu. Nous ne pourrions percevoir cette signification-l\u00e0 qu’\u00e0 l’aide de notre sensibilit\u00e9, en nous m\u00e9fiant de la signification intellectuelle de la lumi\u00e8re.<\/p>\n

Je pense \u00e0 ces vers de Claude Michel Cluny:<\/p>\n

Verbe venu de la profonde nuit , lampe sur la route.<\/i>
\nou
\nLa voie se trace dans l’ombre du coeur. Ne compte pas que l’esprit
\nl’\u00e9claire parfaitement.<\/i><\/p>\n

Cette lumi\u00e8re nous est promise; la fr\u00e9quence du th\u00e8me de la lumi\u00e8re dans la symbolique coranique est remarquable \u00e0 cet \u00e9gard. Mais il semble que nous devons habiter plusieurs sph\u00e8res d’ombre avant de la conna\u00eetre. Accepter l’\u00e9nigme, le myst\u00e8re tout en restant tendu vers leur fin. La R\u00e9v\u00e9lation est un constant rappel de la lumi\u00e8re et elle exige de nous cette tension perp\u00e9tuelle faite d’angoisses et d’espoirs autour d’une certitude: l’existence de Dieu et de sa lumi\u00e8re. Par-del\u00e0 nos sens, par-del\u00e0 notre intelligence et gr\u00e2ce \u00e0 une recherche incessante dont on sait qu’elle n’aura pas, ici-bas, de satisfaction; mains et coeurs tendus, regard \u00e9cartel\u00e9 dans l’obscur, livr\u00e9s \u00e0 la solitude du parcours, ne nous faut-il pas de plus nous v\u00eatir d’ignorance ?<\/p>\n

Et Pierre Jean Jouve \u00e9crira:<\/p>\n

J’ignore. Et tellement j’ignore que je sais.<\/i><\/p>\n

Omar Khayyam:<\/p>\n

Quand le rideau se l\u00e8vera, tu verras que nous ne savions rien,
\nni toi, ni\u00a0moi.<\/i><\/p>\n

C’est au sein de l’\u00e9motion que s’\u00e9tiolent les certitudes de la perception sensitive et intellectuelle, lorsque l’ombre modul\u00e9e de lueurs nous contient, que se taisent les intentions n\u00e9es de l’illusion de la lumi\u00e8re, et que s’affine l’attente. C’est dans la chair obscure du regard de \u00ab\u00a0l’autre\u00a0\u00bb que sourdent les \u00e9clats d’une R\u00e9alit\u00e9 silencieuse comme la nuit.<\/p>\n

Pr\u00e9parer son regard interne \u00e0 l’obscurit\u00e9 de l’ignorance, c’est se pr\u00e9parer \u00e0 une lumi\u00e8re progressive dans laquelle, dit Ghazali, dans le Tabernacle des Lumi\u00e8res<\/i> : apparaissent le monde cach\u00e9 et les choses que la raison n’atteint pas.<\/p>\n

\u00c9laborer son ignorance, celle qui relie ce qui semble \u00eatre \u00e0 ce qui est; se multiplier dans une notion grandissante de cette ignorance afin qu’elle devienne une Lumi\u00e8re sur la Lumi\u00e8re, for\u00eat de noms inconnus hissant vers le gouffre de l’\u00e9blouissement.<\/p>\n

Khadija Nekrouf
\nS\u00e9minaire Femmes d’ombre et de lumi\u00e8re,
\n<\/i>Grenoble, 26 Octobre 1990.<\/p>\n


\n

Extrait d’un documentaire de Guy Dussaule consacr\u00e9 au peintre marocain Khadija Nekrouf. Lumifilm 1988.<\/p>\n