{"id":1232,"date":"2012-07-18T14:44:23","date_gmt":"2012-07-18T13:44:23","guid":{"rendered":"http:\/\/www.archipress.org\/?page_id=1232"},"modified":"2015-01-19T18:11:34","modified_gmt":"2015-01-19T17:11:34","slug":"de-la-question-coloniale-a-la-crise-identitaire-lettre-au-president-francois-hollande","status":"publish","type":"page","link":"https:\/\/www.archipress.org\/?page_id=1232","title":{"rendered":"De la question coloniale \u00e0 la crise identitaire, lettre au pr\u00e9sident Fran\u00e7ois Hollande"},"content":{"rendered":"
par R\u00e9da Benkirane<\/p>\n
Sur la crise identitaire, la peur de \u00ab l\u2019ins\u00e9curit\u00e9 culturelle \u00bb et autres impens\u00e9s (post)coloniaux en France.<\/p>\n <\/p>\n [playerzbr url=\u00a0\u00bbhttps:\/\/www.archipress.org\/audio\/mp3\/Franceinter_rp5juillet2012.mp3″]<\/p>\n <\/p>\n Monsieur le Pr\u00e9sident, les cinq prochaines ann\u00e9es de votre mandat seront l’occasion de traiter une pathologie qui n\u2019en finit pas de miner les principes universels de la soci\u00e9t\u00e9 fran\u00e7aise, de freiner son dynamisme interne et de contrarier son rayonnement international. Plus que la crise \u00e9conomique, une crise identitaire affecte le devenir d\u2019une soci\u00e9t\u00e9 qui, depuis pr\u00e8s d\u2019un demi-si\u00e8cle, n\u2019est plus de substrat rural, ni \u00e0 vocation coloniale. Ce sont d\u00e9sormais des antagonismes exclusifs de type dedans-dehors qui structurent les rapports entre ville et banlieue, entre centre et p\u00e9riph\u00e9rie, entre soi et non-soi.<\/p>\n Le constat clinique de cette psychopathologie identitaire est vite \u00e9tabli. Rappelons tout d\u2019abord que l\u2019identit\u00e9 a m\u00eame \u00e9t\u00e9 \u00e9rig\u00e9e en Minist\u00e8re. Depuis trop d\u2019ann\u00e9es, la politique, l\u2019intelligentsia et les grands m\u00e9dias fran\u00e7ais manifestent ce trouble obsessionnel consistant \u00e0 essentialiser l\u2019origine et la religion de certains des citoyens de la R\u00e9publique. Au niveau de la citoyennet\u00e9 ordinaire, beaucoup ne comprennent pas pourquoi leurs rues sont anim\u00e9es de concitoyens dont la couleur de la peau, la texture et la coiffe des cheveux, le v\u00eatement, l\u2019accent, l\u2019odeur, le bruit d\u00e9rangent et d\u00e9rogent \u00e0 leur vision id\u00e9alis\u00e9e de la francit\u00e9. La crainte incessante d\u2019une immigration galopante et d\u00e9bordante, la hantise de la religion islamique et de sa visibilit\u00e9, le rejet panique face \u00e0 toute demande de reconnaissance des maux caus\u00e9s par le colonialisme et l\u2019esclavage, tout cela fonde une v\u00e9ritable pathologie identitaire.<\/p>\n Comment donc d\u00e9passer des rapports inconciliables entre un \u00ab nous \u00bb mythifi\u00e9 et des \u00ab autres \u00bb diff\u00e9r\u00e9s pas plus loin que l\u2019autre versant du boulevard p\u00e9riph\u00e9rique ? O\u00f9 pr\u00e9cis\u00e9ment op\u00e9rer la suture mentale des diverses facettes de la francit\u00e9 contemporaine ? Comment faire admettre la normalit\u00e9, les potentialit\u00e9s d\u2019un \u00ab nous autres Fran\u00e7ais \u00bb ?<\/p>\n Entreprendre un processus de gu\u00e9rison du dysfonctionnement identitaire passe d\u2019abord par un geste de reconnaissance de la question coloniale pour ses aspects refoul\u00e9s relatifs en premier lieu \u00e0 l\u2019histoire de l\u2019Alg\u00e9rie fran\u00e7aise. Un d\u00e9ni d\u2019histoire persiste et insiste dans la culture fran\u00e7aise contemporaine. Pour conjurer le mal-\u00eatre fran\u00e7ais face \u00e0 l\u2019\u00e9trang\u00e9it\u00e9 d\u2019une partie de sa propre population, le temps est venu de faire remonter en surface un certain nombre d\u2019impens\u00e9s sur le pass\u00e9 ant\u00e9rieur. Nous \u00e9voquons un temps o\u00f9, pour paraphraser P\u00e9guy, la surface de la terre o\u00f9 la langue fran\u00e7aise \u00e9tait parl\u00e9e se mesurait aux canons et aux mitraillettes.<\/p>\n A l’occasion du cinquantenaire de l’ind\u00e9pendance de l’Alg\u00e9rie, le 5 juillet 1962, il est en votre pouvoir, Monsieur le Pr\u00e9sident, d\u2019adresser au peuple alg\u00e9rien un message de fraternit\u00e9 pour les malheurs qu\u2019il a endur\u00e9s, tout en assumant la responsabilit\u00e9 historique de la France. Si la France est rest\u00e9e 132 ans en Alg\u00e9rie, c\u2019est qu\u2019il y eut identification compl\u00e8te : \u00ab L\u2019Alg\u00e9rie, c\u2019est la France \u00bb. Ce geste de reconnaissance et d\u2019excuse, que la France devra t\u00f4t ou tard accomplir vis-\u00e0-vis d\u2019un peuple colonis\u00e9 comme rarement dans l\u2019histoire, a \u00e9t\u00e9 attendu des d\u00e9cennies durant. Mais il manquait des hommes et des femmes d’\u00c9tat pour porter cette parole de v\u00e9rit\u00e9 au nom du peuple fran\u00e7ais et de ses id\u00e9aux universels. On ne peut pas rester ind\u00e9finiment otage d\u2019un pass\u00e9 auquel on n\u2019a pas particip\u00e9 et dont pour l\u2019essentiel plus personne ou presque ne peut endosser le projet imp\u00e9rialiste : vous avez la l\u00e9gitimit\u00e9, l’ind\u00e9pendance et, je crois aussi, le courage pour clamer cette parole de v\u00e9rit\u00e9.<\/p>\n Certes l’administration coloniale de dizaines de peuples n’entra\u00eena pas que ruines et d\u00e9solation : une loi positive a d\u2019ailleurs \u00e9t\u00e9 approuv\u00e9e en ce sens au parlement fran\u00e7ais. Et ceux qui d’ailleurs s’engag\u00e8rent, y compris les armes \u00e0 la main, contre le colonialisme sont g\u00e9n\u00e9ralement de culture fran\u00e7aise et ont fait la diff\u00e9rence entre la France et sa politique coloniale. Aujourd\u2019hui, la surface de la terre o\u00f9 l\u2019on parle fran\u00e7ais pourrait repr\u00e9senter un p\u00f4le g\u00e9oculturel qui se mesure en termes de chantiers \u00e9ducatifs, de r\u00e9seaux universitaires, d\u2019outils de savoir et de faisceaux d\u2019entre-connaissance.<\/p>\n En tant que culture de la domination, le colonialisme fut un viol qui n\u2019a laiss\u00e9 indemnes ni les colonis\u00e9s ni les colonisateurs. Si l\u2019Alg\u00e9rie ind\u00e9pendante a elle aussi op\u00e9r\u00e9 un refoulement de certains \u00e9pisodes de sa guerre de lib\u00e9ration, si elle a connu la dictature puis la guerre civile, cela montre que l\u2019on ne sort pas facilement de plus d\u2019un si\u00e8cle de colonialisme et qu\u2019elle aussi, t\u00f4t ou tard, devra affronter ses propres d\u00e9mons du pass\u00e9 et du pr\u00e9sent, et mettre des mots pour traiter sa propre crise identitaire.<\/p>\n Pour ce qui est de l\u2019\u00c9tat fran\u00e7ais, tant qu\u2019il n\u2019aura pas clairement expliqu\u00e9 ce qui s\u2019est pass\u00e9 durant des d\u00e9cennies et des si\u00e8cles, condamn\u00e9 ce qui aujourd\u2019hui rel\u00e8ve de crimes de guerre et contre l\u2019humanit\u00e9, la discorde identitaire, le rejet et la discrimination trouveront un champ fertile dans le refoulement du pass\u00e9. Ce que vous pouvez entreprendre par ce geste et l\u2019expression de regrets, Monsieur le Pr\u00e9sident, est une identification qui replace l\u2019histoire du colonialisme, de ses manifestations et ses cons\u00e9quences contemporaines dans une destin\u00e9e commune. Ceci permettrait d\u2019expliquer justement pourquoi un Corse, un Kabyle, un Martiniquais, un Basque, un Sah\u00e9lien, un Alsacien se retrouvent partager un devenir commun au sein de l\u2019espace national.<\/p>\n Reconnaissez, Monsieur le Pr\u00e9sident, au nom de toutes les victimes \u2013 civils alg\u00e9riens, pieds noirs, harkis, soldats fran\u00e7ais \u2013 l\u2019expropriation et la d\u00e9portation, les massacres de S\u00e9tif et Guelma, l\u2019usage du napalm et de la torture. Que votre pr\u00e9sidence soit aussi l\u2019occasion d\u2019ouvrir vos universit\u00e9s et vos laboratoires \u00e0 tous ces jeunes qui, issus de cette histoire occult\u00e9e, cherchent \u2013 dans le pass\u00e9 ou la religion \u2013 comment produire du savoir et du sens. Ce faisant, vous encouragerez et ins\u00e9minerez l\u2019esprit critique fran\u00e7ais pour repenser des questions aussi majeures que l\u2019\u00e9galit\u00e9 et la diversit\u00e9 des individus, le pluralisme culturel, le r\u00f4le et le devenir du fait religieux dans une mondialisation qui produit \u00e0 la fois standardisation et diff\u00e9renciation.<\/p>\n En vous adressant au peuple alg\u00e9rien au nom du peuple fran\u00e7ais, vous vous adresserez \u00e0 tous les autres peuples ayant subi le colonialisme, et avant cela la d\u00e9portation et l’esclavage. Cette d\u00e9marche solennelle, symbolique est une mani\u00e8re de poser un regard lucide et calme sur le pass\u00e9 et de prendre soin de l\u2019avenir. Pour en finir aussi avec le culte idol\u00e2tre de l\u2019identit\u00e9.<\/p>\n R\u00e9da Benkirane<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":" par R\u00e9da Benkirane \u00a0 \u00a0\u00a0\u00a0 \u00a0\u00a0\u00a0\u00a0 \u00a0 Lib\u00e9ration, 5 juillet 2012 (PDF) L’Humanit\u00e9, 4 juillet 2012 (PDF)\u00a0 Mediapart, 4 juillet 2012 (Web) Le Courrier,5 juillet 2012 (PDF)\u00a0 Le Soir Echos, 5 juillet 2012 (Web) Sur la crise identitaire, la peur de \u00ab l\u2019ins\u00e9curit\u00e9 culturelle \u00bb et autres impens\u00e9s (post)coloniaux en \u2026 Lire plus \/ Read more<\/a><\/p>\n","protected":false},"author":1,"featured_media":0,"parent":0,"menu_order":0,"comment_status":"closed","ping_status":"closed","template":"","meta":{"ngg_post_thumbnail":0,"footnotes":""},"class_list":["post-1232","page","type-page","status-publish","hentry"],"_links":{"self":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/1232","targetHints":{"allow":["GET"]}}],"collection":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages"}],"about":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/types\/page"}],"author":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/users\/1"}],"replies":[{"embeddable":true,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=%2Fwp%2Fv2%2Fcomments&post=1232"}],"version-history":[{"count":5,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/1232\/revisions"}],"predecessor-version":[{"id":1378,"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=\/wp\/v2\/pages\/1232\/revisions\/1378"}],"wp:attachment":[{"href":"https:\/\/www.archipress.org\/index.php?rest_route=%2Fwp%2Fv2%2Fmedia&parent=1232"}],"curies":[{"name":"wp","href":"https:\/\/api.w.org\/{rel}","templated":true}]}}\u00a0 \u00a0\u00a0
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