Le soufisme ou l'ivresse
de Dieu
On entend par soufisme la mystique musulmane, soit l'expérience
spirituelle qui, dans le cadre de l'islam, permet à celui
qui la pratique de s'unir avec Dieu. Les soufis - de l'arabe
sûf, laine, à cause de la pauvreté et
du détachement du monde professés par les premiers
adhérents - s'organisèrent dès les débuts
de l'hégire (VIIe siècle) dans les villes d'Irak.
Le soufisme fut tantôt toléré, tantôt
proscrit par l'islam officiel qui doute qu'un croyant orthodoxe
puisse rechercher l'extase - la communion avec Dieu - par des
prières ou une ascèse spéciales.
La doctrine musulmane traditionnelle enseigne que la qualité
de musulman comprend trois éléments fondamentaux:
islam, la soumission, l'abandon à la Volonté divine;
imân, la foi en Dieu et en son Messager, ihsân,
la vertu, la sincérité, l'excellence. C'est sur
cette troisième qualité que les maîtres
soufis ont mis un accent particulier en instituant une méthode
de méditation - fiqr - qui permet de pénétrer
la vérité la plus profonde de l'islam. En pratique,
cette méditation se réduit souvent à la
technique de la litanie, qui consiste à invoquer et à
répéter inlassablement le nom de Dieu (dhikr).
Suivant les confréries, ces oraisons s'accompagnent de
battements de tambours, d'inspirations et d'expirations, de gestes
rythmés, voire de danse dans le cas des derviches tourneurs,
qui aident à atteindre l'extase. Mais elles peuvent très
bien être individuelles et silencieuses.
La voie soufique a inspiré un nombre considérable
de penseurs, de poètes et de théologiens musulmans
qui devinrent des saints et furent révérés
comme tels. Parmi les plus célèbres, on peut citer
Mansûr al-Hallâj (858-922), figure christique du
soufisme, supplicié pour avoir dit: "Je suis la Vérité",
soit "Je suis Dieu", pour signifier que Dieu parlait
par sa bouche: Muhammad al-Ghezâlî (1058-1111), qui
essaya de réconcilier la tradition, la raison et la mystique,
ce qui lui valut le nom de "Preuve de l'Islam"; Abd
al-Qâdir al-Jîlânî (1077-1166), appelé
le "Sultan des Saints", fondateur de l'ordre Qâdîri:
Muhy'id-Dîn Ibn Arabî (1165-1240),
initiateur de la doctrine de l'unicité de l'Être
suivant laquelle Dieu est omniprésent, tout émanant
de lui et tout y retournant; Jalal ad-Dîn Rûmî
(1207-1273), fondateur de l'ordre Mawlâwi, des derviches-tourneurs,
et qui a dit: "Tous les chemins mènent à Dieu:
j'ai choisi celui de la danse et de la musique."
"Une extase dont le feu ne s'éteint jamais..."
"Louable est mon ivresse licite est le nectar
Dont la vigne et son fruit n'ont pas eu de part.
A la coupe divine où je portai mes lèvres,
L'unique goutte bue, en mon âme soulève
Une extase dont le feu ne s'éteindra jamais. .
L'Amour! Lorsqu'il atteint le Coeur d'un amoureux
Fait que la nuit obscure pour lui devient clarté..."
(Al-Jîlânî) Roger Du Pasquier, Découverte
de l'Islam Paris, Seuil, 1984.
'Ayn
al Yaqin
© Le
Temps stratégique, No 22, Genève, automne1987.
le.temps@edipresse.ch
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