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Dictionnaire élémentaire de l'Islam

par Tahar Gaïd

[extraits]


CLASSES SOCIALES
L'inégalité des fortunes est inscrite dans la nature humaine. Les hommes différencient les uns des autres par leur force physique, leur force de caractère, leur capacité de produire des biens matériels... Une hiérarchie dans le domaine social se forme inévitablement. Cependant, devant Dieu, la puissance matérielle ne donne aucun droit politique. L'Islam n'agrée qu'un seul critère : la piété. Ce sont les valeurs morales qui distinguent les hommes entre eux. L'individu pauvre et pieux a plus de mérite que l'individu riche mais de convictions religieuses moins fermes.

Le Coran fait état de l'existence des classes sociales ; elles sont voulues par le Créateur : " Dieu a favorisé certains d'entre vous plus que d'autres, dans la répartition de ses dons " (S. XVI, 71).

Les différences de fortune sont donc explicitement reconnues. L'inégalité matérielle a été décrétée par Dieu ; c'est Lui qui détermine la richesse des uns et la pauvreté des autres : " Dieu dispense largement ou mesure ses dons à qui il veut " (S. XIII, 26).

Le Coran signale cependant que le comportement de ce que nous appelons la bourgeoisie et le salariat ne fut pas identique à l'égard de la Révélation. Le Livre saint dit clairement qu'au cours des temps, les nantis dans leur majorité, s'étaient chaque fois montrés hostiles aux prophètes, porteurs d'un message de justice sociale ; ils faisaient davantage confiance au pouvoir de l'argent qu'au salut de l'âme. Leur attachement au culte des ancêtres n'était en fait qu'un argument fallacieux pour justifier leur refus de la Vérité : " Nous n'avons jamais envoyé d'avertisseur à une cité sans que ceux qui y vivent dans l'aisance ne disent : Nous sommes incrédules envers vos messages ", " et sans qu'ils ne disent : nous sommes abondamment pourvus de richesses et d'enfants, nous ne serons donc pas châtiés " (S. XXXIV, 34, 35), "Ainsi, nous n'avons envoyé avant toi aucun avertisseur à une cité sans que ceux qui y vivaient dans l'aisance ne disent : oui, nous avons trouvé nos pères suivant tous la même voie et nous marchons sur leurs traces " " (S. XLIII, 23).

La mission du Prophète illustre également les réactions négatives de la classe aisée. Elle s'était effectivement heurtée à ses débuts à une violente opposition de la bourgeoisie mercantile aussi bien arabe que juive. La politique sociale préconisée par l'Islam dénonçait l'idée que les gens fortunés se faisaient de la richesse amassée par des moyens sans aucun rapport avec la notion de justice. Les privilèges acquis par les riches, incompatibles avec l'intérêt général, étaient flétris par la religion, ce qui ne manquait pas d'irriter la bourgeoisie menacée par les nouvelles perspectives. Cette épée de Damoclès brandie sur leurs têtes incita les idolâtres arabes et les monothéistes juifs " qui écoutent habituellement le mensonge " et " dévorent des gains illicites" (S. V, 42) à nouer une alliance à caractère capitaliste contre la montée d'un mouvement social qui mettait en cause leur pouvoir et compromettait leurs biens.

Cette attitude s'expliquait d'un point de vue moral et matériel. La bourgeoisie avait peur, d'une part, de perdre son prestige politique puisque l'Islam imposait aux croyants une stricte égalité politique du moment que la piété était le seul critère de supériorité de l'homme sur son semblable, et d'autre part, de grever sa fortune du fait que Dieu rappelle que les biens accordés à Ses créatures lui appartiennent et que les pauvres y avaient droit.

Quant au salariat, l'histoire nous enseigne que la majorité des premiers convertis à l'Islam était issue des classes déshéritées. Les idées sociales de la Révélation n'étaient pas étrangères à ces adhésions. On distinguait parmi les adeptes de la première heure : des jeunes appartenant à l'oligarchie mekkoise ou à des familles sans influence dans le milieu païen (ils avaient pour la plupart moins de trente ans), les faibles, nommés ainsi parce qu'ils n'étaient rien sans la protection d'un clan, des étrangers rattachés à un clan en tant que client ou djar dont la position sociale n'avait aucune prise sur la vie mekkoise, les couches défavorisées, les sans ressources et les esclaves. A son origine, l'Islam était donc un mouvement de jeunes, d'économiquement faibles et d'hommes sans influence politique.

L'Islam est foncièrement égalitariste dans sa substance. Les structures de la société à édifier se fondent sur la piété et la justice sociale. Sa doctrine vise à l'éradication de la pauvreté. Elle fait de l'aide aux moins favorisés une obligation de façon à réduire au maximum les différences matérielles. Elle ne vise pas moins à la suppression des stratifications sociales trop criardes. En résumé, elle a pour objet de maintenir l'équilibre économique comme l'indique clairement ce verset coranique relatif à la répartition du butin : " Ce que Dieu a octroyé à son Prophète comme butin pris sur les habitants des cités appartient à Dieu et à son Prophète, à ses proches, aux orphelins, aux pauvres, au voyageur, afin que ce ne soit pas attribué à ceux d'entre vous qui sont riches " (S. LIX, 7).

Le Prophète, avant sa mission, était un salarié, employé par sa future épouse Khadija. La condition de celui qui n'a pour capital que la force de ses bras et de son cerveau ne pouvait donc qu'être protégée par l'Islam qui d'ailleurs est sévère à l'égard du patronat, celui qui ne paie pas l'ouvrier à sa juste valeur : " Donnez à l'ouvrier, dit le Prophète, son salaire, avant que la sueur ne sèche."

L'Islam s'oppose à la thésaurisation, à la concentration du capital, aux monopoles. Il condamne les exploiteurs et toutes les formes d'exploitation : " Nul ne mange jamais quelque chose de meilleur que ce qu'il mange après l'avoir gagné du travail de ses mains. "

Si la Loi coranique ne prévoit pas clairement la nécessité de briser les structures économiques exploiteuses, la jurisprudence islamique, à la lumière de l'interprétation du Livre Saint et de l'enseignement du Prophète, précise que les pauvres qui se voient refuser leur droit de partager le repas du riche sont autorisés à recourir aux méthodes coercitives ; ils sont considérés comme des martyrs s'ils périssent au cours de cette épreuve de force.

A son origine, les idées conscientes d'une lutte de classes n'existaient pas. En tout cas, l'Islam ne se déclara pas comme tel. Il prit l'apparence d'une opposition de gens de petite et moyenne conditions, influencés par les aspects sociaux du Message, aux gros possédants dotés d'un pouvoir coercitif. Cette apparence disparaîtra à la veille de la mort du Prophète. L'adhésion massive des Mekkois était acquise sans considération du milieu social auquel appartenaient les nouveaux convertis.

Il est indéniable que l'Islam dès sa naissance prit en considération les maux politiques et sociaux avec la volonté d'opérer une révolution au sein de la société. Ce serait néanmoins une erreur d'attribuer l'adhésion des premiers hommes à des aspirations essentiellement politiques et économiques. La pierre angulaire du ralliement était bien l'Unicité de Dieu. Omar fut d'abord envoûté par la lecture des versets coraniques. Hamza se convertit au moment où il répara l'offense subie par son neveu. " S'attarder sur les conséquences économiques de la prédication de Mohammad, dit Jean During, ne doit pas nous faire perdre de vue que son action se situe sur le plan religieux dans toute son ampleur. Quant à ses disciples, il ne semble pas non plus qu'ils aient eu des motivations sociales ou politiques. Les membres des couches défavorisées cherchaient et trouvaient dans l'Islam une paix intérieure garantie par la protection morale de la communauté naissante, sans parler de l'apport spirituel proprement dit dont ils bénéficiaient. "

 

'Ilm al Yaqin

'Ayn al Yaqin

 

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Extraits de Dictionnaire élémentaire de l'Islam, par Tahar Gaïd (Alger, Office des publications universitaires, 2e édition, 1986).


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