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Emir Abdelkader

La vie d'Abd el Kader

CHAPITRE VIII
1837

 

 

Rien ne témoigne plus nettement de l'immense supériorité dont jouissait alors Abdel Kader, que le fait de pouvoir se targuer de telles prétentions et de formuler de telles exigences. Quelle en aurait été la conséquence réelle, évidente ? Il eut été reconnu comme le Sultan de l'Algérie, alors que les Français auraient vécu (et c'était en fait le cas), comme par tolérance, sur les marges de son empire, bénéficiant du seul avantage de commercer avec ses sujets.

Il faut en même temps se garder d'oublier qu'Abdel Kader était parfaitement au courant de l'état de l'opinion publique en France. Il recevait régulièrement les journaux français. On lui traduisait les débats parlementaires, les articles de fond sur le problème algérien. Il voyait le parti libéral approuvant et soutenant de tout cur le principe posé par son porte-parole, M. Dupin, qui dénonçait Alger comme un legs fatal de la Restauration, et qui devait être évacué, " si, s'écriait-il, nous ne voulons y laisser jusqu'à notre dernier homme, jusqu'à nos derniers fils ".

Du ton général des passages qui lui étaient lus, il concluait que nombreux étaient les hommes politiques français, et parmi les plus influents, qui considéraient la colonisation en Afrique comme une utopie, et regardaient toutes les opérations guerrières qu'on y poursuivait comme autant de sang et d'argent gaspillés, et fermement convaincus que la véritable politique de la France était simplement de tenir quelques points le long de la côte dans le but d'interdire le retour de la piraterie, et d'entretenir des relations paisibles et profitables avec les indigènes. Si nous ajoutons à cela qu'Abdel Kader voyait le Parlement français tirer la conclusion pratique de cette argumentation, en refusant d'autoriser, par ses votes, le dépassement d'un effectif de 30.000 hommes, qu'il apprenait qu'après la désastreuse retraite de Constantine, l'opinion en faveur d'une évacuation immédiate du pays prévalait plus que jamais, comment s'étonner qu'il en vint à penser qu'avec de l'obstination et un peu plus de persévérance, il parviendrait à obtenir des conditions qui le mettraient à même de réaliser l'idée qui lui était chère entre toutes: fonder un Royaume arabe indépendant ?

Les propositions exprimées par Abdel Kader parurent à Bugeaud si totalement incompatibles avec les intérêts français, qu'il décida de mettre en uvre le second terme de l'alternative,-un appel aux armes. Au début de mai 1837, il rassembla toutes ses forces, environ 12.000 hommes, au camp de la Tafna, pour s'y préparer à des opérations offensives. Mais quand il eut fait le compte des ressources dont il disposait, il estima que le service du train des équipages était tellement au-dessous de la tâche qui l'attendait qu'il se crut obligé de suspendre sa marche en avant.

Se procurer des animaux de bât dans l'intérieur du pays était impossible. Il n'y avait pas à espérer davantage d'un renfort expédié de France. Les chaleurs de l été, si fatales aux soldats en campagne, approchaient rapidement. Les délais fixés pour le second siège de Constantine se faisaient pressants. Et il avait promis de dégager, en vue de cette opération, un important contingent de sa petite armée. Le gouvernement de la métropole avait ordonné sa stratégie en se basant entièrement sur l'accomplissement de cette promesse. Aussi humiliante qu'elle fût, la paix avec Abdel Kader devenait une nécessité On informa celui-ci que la porte était encore ouverte aux négociations. Il demanda un délai de quelques jours pour réfléchir.

Devant une décision aussi importante que celle de faire de nouveau la paix avec les Français, bon nombre de raisons se conjuguaient pour persuader Abdel Kader de s'appuyer, dans son action, sur l'expression de la volonté des tribus les plus proches comme des plus lointaines. Le parti des fanatiques l'accusait de nourrir des ambitions personnelles, de sacrifier les principes de la Foi, qui ne souffraient pas de compromis, à des vues égoïstes d'agrandissement. Les rebelles, les hors-la-loi, tous ceux qui, en vérité, préféraient une liberté sans frein aux avantages substantiels résultant d'un pouvoir central bien établi, et qui sentaient que le retour de la paix les mettrait, sans réserve, et sans résistance possible, entre les mains de l'homme qui les réduirait bientôt à une inévitable obéissance - ne cherchaient qu'un prétexte pour s'abriter sous le manteau de la religion, et se rallier aux fanatiques. Avec une habileté qui témoignait de son esprit d'à-propos et de prévoyance, Abdel Kader résolut alors de couper l'herbe sous le pied de ces deux partis. Il émit l'opinion que la demande de la paix ou, plutôt son acceptation, devait être considérée comme une décision nationale. Une assemblée générale fut convoquée sur les rives de l'Abra, le 25 mai 1837; et là, se rendant à cette invitation, vinrent tous les grands Cheiks, les chefs des contingents de cavalerie, les vénérables marabouts, et les guerriers les plus distingués de la province d'Oran.

Voici comment le Sultan ouvrit la délibération:

" Que personne parmi vous ne vienne jamais m'accuser de vouloir faire la paix avec les chrétiens. C'est à vous de décider de la paix ou de la guerre ". Il poursuivit alors en précisant la nature de la correspondance qu'il avait échangée avec Bugeaud; les propositions et les ouvertures qui lui avaient été faites, celles qu'il avait faites de son côté. Il conclut en commentant avec précision chacun des articles de l'ultimatum, qu'il avait lui-même envoyé, le 12 mai, au général français.

Cet exposé fut suivi d'une longue, d'une orageuse discussion. Les fanatiques, et ceux qui étaient secrètement hostiles au Sultan, manifestèrent violemment en faveur de la guerre. Les Marabouts les firent taire en distinguant, avec une opportune subtilité, la paix acceptée de la paix sollicitée. Nulle part, dirent-ils, le Coran ne recommandait de verser le sang inutilement, quand l'infidèle, s'étant soumis, implorait que le sabre fût remis au fourreau. Les Français s'étaient soumis. Ils sollicitaient la paix. Le Sultan avait dicté ses propres termes.

Cette argumentation prévalut. Et c'est par une large majorité qu'il fut décidé que les avantages, dont un état de paix ferait bénéficier la communauté, justifiaient la remise de Blida et de la plaine d'Alger aux Français. Une légère extension des limites dans lesquelles le Sultan avait, dés l'abord, décidé de les contenir, ne présenterait aucun inconvénient pour ]es Arabes. D'autant plus que tout musulman, qui le désirerait, serait libre de quitter les possessions françaises pour le territoire de Sultan. Toutefois, l'exigence d'un tribut par le Gouvernement français fut jugé inadmissible. Peu de temps après, Sidi Sekkal fut envoyé au quartier général français sur la Tafna, porteur des conditions suivantes:

1. Abandon de Blidah;

2. Renonciation à tout pouvoir sur les Musulmans résidant en territoire français;

3. Une certaine extension des frontières françaises.
En même temps Sidi Sekkal fut chargé de faire préciser les limites proposées, et de donner toutes autres explications nécessaires. Bugeaud, convaincu que les nouveaux délais ne lui feraient pas obtenir de meilleures conditions, fut d'accord sur toute la ligne. Sur quoi, le traité devenu célèbre sous le nom de "Traité de la Tafna, " fut rédigé et signé par les deux partis le 30 mai 1837. En voici le texte:

Le traité qui suit a été convenu entre le lieutenant-général Bugeaud et l'Émir Abdel Kader.

Article Premier.
-L'Émir Abdel Rader reconnaît la souveraineté de la France.

Art. 2. -La France se réserve, dans la province d'Oran, Mostaganem, Mazagran, et leurs territoires, Oran Arzew, et un territoire, limité comme suit: A l'Est par la rivière Macta, et les marais dont elle sort; au Sud, par une ligne partant des marais précités, passant par les rives sud du lac, et se prolongeant jusqu'à l'oued Maleh dans la direction de Sidi Said; et de cette rivière jusqu'à la mer, appartiendra aux Français. Dans la province d'Alger, Alger, le Sahel, la plaine de la Metidja-limitée à l'Est par l'oued Khuddra, en aval; au Sud par la crête de la première chaîne du petit Atlas, jusqu'à la Chiffa jusqu'au saillant de Mazafran, et de là par une ligne directe jusqu'à la mer, 57 compris Coleah et son territoire - seront français.

Art. 3. -L'Émir aura l'administration de la province d'Oran, de celle du Tittery, et de cette partie de la province d'Alger qui n'est pas comprise, à l'Est, à l'intérieur des limites indiquées par l article 2. Il ne pourra pénétrer dans aucune autre partie de la régence.

Art. 4. - L'Émir n'aura aucune autorité sur les Musulmans qui désirent résider sur le territoire réservé à la France; mais ceux-ci seront libres d'aller résider sur le territoire sous l'administration de l'Emir; de la même façon, les habitants vivant sous l'administration de l'Emir pourront s'établir sur le territoire français.

Art. 5. - Les Arabes habitant sur le territoire français jouiront du libre exercice de leur religion. Ils pourront construire des mosquées, et accomplir leurs devoirs religieux en tous points, sous l'autorité de leurs chefs spirituels.

Art. 6. - L'Émir livrera à l'armée française 30.000 mesures de blé, 30.000 mesures d'orge et 5.000 bufs. La remise de ces denrées se fera à Oran, en trois livraisons: la première, le 15 septembre l 837, et les deux autres tous les deux mois.

Art. 7. -L'Émir aura la faculté d'acheter en France, la poudre, le soufre, et les armes qu'il demandera.

Art. 8. - Les Kolouglis désirant rester à Tlemcen, ou ailleurs, y auront la libre possession de leurs propriétés, et seront traités comme des citoyens. Ceux qui désirent se retirer dans le territoire français, pourront vendre ou louer librement leurs propriétés.

Art. 9. - La France cède à l'Émir, Rachgoun, Tlemcen, sa citadelle, et tous les canons qui s'y trouvaient primitivement. L'Émir s'engage à convoyer jusqu'à Oran tous les bagages, aussi bien que les munitions de guerre, appartenant à la garnison de Tlemcen.

Art 10. - Le commerce sera libre entre les Arabes et les Français. Ils pourront réciproquement aller s'établir sur chacun de leurs territoires.

Art. 11.-Les Français seront respectés parmi les Arabes, comme les Arabes parmi les Français. Les fermes et les propriétés que les Français ont acquises, ou pourront acquérir, sur le territoire Arabe, leur seront garanties: ils en jouiront librement, et l'Émir s'engage à les indemniser pour tous les dommages que les Arabes pourront leur causer.

Art. 12. - Les criminels, sur les deux territoires, seront réciproquement livrés.

Art. 13. -L'Émir s'engage à ne remettre aucun point de la côte à aucune puissance étrangère, quelle qu'elle soit, sans l'autorisation de la France.

Art. 14 - Le commerce de la Régence ne passera que par les ports français.

Art. 15. - La France maintiendra des agents auprès de l'Émir, et dans les villes sous sa juridiction, pour servir d'intermédiaires aux sujets français, dans tous les différends commerciaux qu'ils pourront avoir avec les Arabes.

L'Émir aura le même privilège dans les villes et ports français.

La Tafna, le 30 mai 1837,
Le Lieutenant-Général commandant à Oran.

(Le sceau de l'Émir sous le texte arabe,
Le sceau du général Bugeaud sous le texte français)

Bugeaud avait reçu de son Gouvernement l'ordre formel de limiter Abdel Kader à la province d'Oran; de ne lui céder sous aucun prétexte la province du Tittery, et d'insister sur le paiement d'un tribut.

Voici comment, dans une lettre au Ministre de la Guerre, il s'excusa d'avoir signé un traité qui enfreignait ces instructions:

" Vous pouvez croire qu'il m'en a coûté infiniment d'avoir dû me décider à ne pas suivre vos instructions, en ce qui concerne les limites à assigner à l'Émir. Mais c'était impossible. Soyez assuré que la paix que j'ai conclue est meilleure et probablement plus durable que toute autre que j'aurais pu faire en enfermant Abdel Kader entre le Chéliff et le Maroc ".

Par ce traité, néanmoins, les Français étaient pratiquement réduits à quelques villes maritimes, avec des territoires adjacents étroitement circonscrits; tandis que toutes les forteresses et points d'appui de l'intérieur étaient laissés entre les mains de leur adversaire triomphant et victorieux. En un mot, Abdel Kader possédait ainsi les deux tiers de l'Algérie (1); et outre l'accroissement immense que ce splendide triomphe avait apporté à son influence et à sa puissance, il jouissait maintenant du prestige d'apparaître devant le monde comme l'ami et l'allié de la France.

Les généraux français, qui s'étaient jusqu'alors rapidement succédés à travers les diverses phases de la guerre, avaient en vain cherché à rencontrer cet illustre chef arabe qui, en même temps qu'il soumettait à cruelle épreuve leurs talents militaires, avait suscité, au fond d'eux-mêmes, des sentiments d'admiration guerrière. Cette faveur était maintenant octroyée au Général Bugeaud.

Le 31 mai 1837, le Général, suivi de six bataillons, de toute son artillerie et de toute sa cavalerie, parvint à l'endroit désigné pour le rendez-vous. Abdel Kader n'y était point encore. Cinq heures se passèrent à l'attendre; et personne ne se présentait. Finalement, vers deux heures, plusieurs Arabes survinrent, l'un après l'autre, apportant des excuses diverses: Le Sultan avait été indisposé.... Il s'était mis en route avec quelque retard.... Il songeait à remettre l'entrevue au lendemain.... Il n'était plus très loin.... Il arrivait bientôt....

C'est alors qu'un cavalier apparut, qui demanda au Général de pousser un peu plus loin: Ce ne serait plus long: Le Sultan était tout proche Il se faisait tard, et le Général, qui désirait ramener ses troupes avant la nuit, reprit sa marche en avant. Après un parcours de plus d'une heure, il tomba enfin sur l'armée arabe, qui se composait de plus de 15.000 cavaliers, alignés dans un ordre relatif, au milieu d'une plaine légèrement vallonnée. A ce moment, Bou Hamedi galopa vers lui et lui montra, de la main, sur une colline voisine, le point où se tenait le Sultan, entouré dune importante escorte.

Quelques minutes plus tard, on vit Abdel Kader et cette escorte s'avancer vers le Général. Le spectacle était imposant Près de deux cents chefs arabes, caracolant sur leurs chevaux de guerre, se pressaient autour du Sultan, dont la sobre tenue offrait un contraste frappant avec leurs superbes équipements, leurs armes fourbies de neuf, qui brillaient et étincelaient au soleil. Abdel Kader galopait quelques pas en avant, montant un magnifique coursier noir, qu'il maniait avec une extraordinaire dextérité, le faisant tantôt bondir des quatre fers, tantôt marcher en se cabrant, cherchant manifestement, par ces courbettes et cabrioles, à en imposer par sa maîtrise dans l'art de l'équitation. Quelques Arabes couraient à ses côtés, tenant ses étriers, et les pans de son burnous.

A cet instant, le Général Bugeaud s'élança vers lui en plein galop, s'arrêta, lui serra la main. L'un et l'autre mirent pied à terre, et s'asseyant sur l'herbe, engagèrent la conversation.

Bugeaud - Savez-vous qu'il y a fort peu de généraux qui auraient osé faire le traité que j'ai conclu avec vous ? Mais je n ai pas craint de vous agrandir et d'ajouter à votre puissance, parce que je me sentais assuré que vous n'useriez des grands moyens que nous vous donnons, que pour améliorer la condition des Arabes, et pour maintenir paix et bonne intelligence avec la France.

Abdel Kader. - Je vous remercie des bons sentiments que vous nourrissez à mon égard. S'il plaît à Dieu, je ferai le bonheur des Arabes; et si jamais la paix est brisée, ce ne sera pas de mon fait.

Bugeaud. -Sur ce point, je suis votre caution auprès du roi des Français.

Abdel Kader. - Ce faisant, vous ne risquez rien. Nous avons une religion qui nous oblige à tenir notre parole. Je n'ai jamais trahi la mienne.

Bugeaud.-Je compte sur elle; et c'est dans cette conviction que je vous offre mon amitié personnelle.

Abdel Kader. - J'accepte votre amitié, mais que les Français prennent garde de ne pas écouter les intrigants.

Bugeaud. - l es Français ne sont pas menés par des considérations personnelles, ce ne sont pas les actions isolées de quelques individus qui peuvent rompre la paix: ce ne pourrait être que la violation du traité, ou quelque manifestation notoire d'hostilité. Quant aux attentats individuels, nous y veillerons, et nous les punirons chacun de notre côté.

Abdel Kader. -Très bien. Il vous suffira de m'en avertir, et les coupables seront punis

Bugeaud. - Je recommande à vos bons soins les Koulouglis qui peuvent rester à Tlemcen.

Abdel Kader. - Soyez rassuré sur ce point; ils seront traités comme des citoyens.

Bugeaud. -Vous m'avez promis de reclasser les Douairs au milieu des Hafras; ce pays ne sera peut-être pas suffisant pour eux.

Abdel Kader. - Ils seront établis de manière à ne pas mettre la paix en danger.

Bugeaud. - Avez-vous ordonné de rétablir les relations commerciales avec Alger et autour des villes ?

Abdel Kader. - Pas encore; mais j'ai l'intention de le faire, lorsque vous m'aurez mis en possession de Tlemcen.

Bugeaud. - Vous devez savoir que je ne puis le faire avant que le traité n'ait été approuvé par le Roi.

Abdel Kader. -Comment, vous n'avez donc pas le pouvoir de traiter ?

Bugeaud. -Si; mais il faut que le traité soit approuvé. C'est une nécessité pour vous, comme garantie; car s il n'était fait que par moi, tout autre général envoyé pour me remplacer serait capable de l'annuler; alors qu'une fois le traité approuvé par le Roi, mon successeur sera dans l'obligation de s'y tenir.

Abdel Kader. - Si vous ne me rendez pas Tlemcen conformément aux stipulations du traité, je ne vois pas là nécessité de faire la paix: ce ne sera guère qu'une trêve.

Bugeaud. -C'est vrai. Mais, avec cette trêve, c'est vous qui y gagnerez; car aussi longtemps qu'elle durera, je ne détruirai pas les moissons.

Abdel Kader. -Détruisez-les si vous voulez: cela m'est égal. Je vous donnerai par écrit autorisation de détruire tout ce que vous pouvez, ce ne sera que peu de chose, et il restera encore abondance de grain aux Arabes.

Bugeaud. -Je ne crois pas que les Arabes soient de cet avis.

Abdel Kader demanda ensuite quel délai serait nécessaire pour recevoir de France la confirmation du traité.

Bugeaud. - Environ trois semaines.

Abdel Kader.- C'est plutôt long. Quoiqu'il en soit, nous ne pouvons rétablir nos relations commerciales qu'après la nouvelle de l'approbation du Roi. Alors la paix sera définitive.

Bugeaud. -Ce sont vos coreligionnaires qui en pâtiront, car vous allez les priver d'un commerce dont ils ont grandement besoin. Quant à nous, nous pouvons avoir tout ce que nous voulons.

Le Général, qui ne voulait pas, à cause de l'heure tardive, prolonger l'entrevue, se leva pour prendre congé. Abdel Kader restait assis et affectait d'être en conversation avec son interprète, qui se tenait debout à ses côtés. Bugeaud, soupçonnant son intention, le prit par la main de façon familière, et le fit lever en le tirant à lui, tout en disant: " Parbleu, quand un général français se lève, vous pouvez vous lever vous aussi ! "

Ainsi se termina cette singulière rencontre, qui avait permis au général français de satisfaire une curiosité gratuite, quoique pardonnable; mais qui, par suite des retards et des malentendus prémédités qui l'avaient immédiatement précédée, offrit à Abdel Kader l'immense avantage d'apparaître aux yeux de ses compatriotes comme un personnage prestigieux, qui imposait, même au chef des infidèles, l'obligation d'attendre son bon plaisir et sa commodité. Après avoir serré de nouveau la main du général, Abdel Kader sauta en selle; et les deux armées quittèrent le lieu de la rencontre aux accents d'une musique guerrière, tandis que les Arabes clamaient avec enthousiasme " Longue vie à notre Sultan Abdelkader ! Que Dieu lui donne toujours la victoire ! "

(1) Cette estimation est exagérée (N.D.T.).

Sommaire

Extraits de La vie d'Abd-El-Kader de Charles-Henry Churchill (1ère édition 1867), introduction, traduction et notes de Michel Habart, seconde édition, Alger, SNED, 1974.

'Ilm al Yaqin

'Ayn al Yaqin

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