Futuhât, chap.47, vol.4, p. l34-135, 140-143
de l'éd. O. Yahya
L'Envoyé d'Allâh -qu'Allâh répande
sur lui Sa Grâce unitive et Sa Paix !- a dit: "La
prière rituelle est une lumière (nurun),
l'aumône une preuve, la patience un éclat illumineux
(diya'un) et le Coran un argument en ta faveur ou contre
toi"...
Allâh -qu'Il soit glorifié et magnifié
!- a dit qu'II "s'entretenait" avec celui qui accomplit
la prière rituelle. Or, Il est Lumière. Allâh
le Très-Haut s'entretient avec lui à partir
de Son Nom "la Lumière", à l'exclusion
de tout autre. De même que la lumière chasse l'obscurité,
de même la prière met fin à toute préoccupation
profane. En cela elle se différencie des autres oeuvres
car aucune d'elles n'implique l'abandon de tout autre qu'elle-même comme le
fait la prière; c'est pourquoi elle est
une lumière. Allâh fait savoir a l'orant que lorsqu'Il
s'entretient avec lui à partir de Son Nom "la Lumière",
Il reste seul avec lui : toute créature disparaît
dans la Présence qui accompagne cet Entretien...
Le soleil étant lui-même un "éclat
lumineux", il permet à l'être doué de
vue sensible de découvrir l'ensemble des choses sur lesquelles
son éclat se répand: cette "découverte"
(kashf) procède, non de la lumière, mais
de son éclat. La lumière n'a d'autre effet que de
classer l'obscurité alors que son éclat provoque
la découverte et l'intuition. Tout comme l'obscurité,
la lumière est un voile. L'Envoyé d'Allâh
-sur lui la Grâce ei la Paix !- a dit au sujet de son Seigneur
-qu'Il soit exalté !- : La lumière est Son Voile";
il a dit également: "Allâh possède soixante-dix
-ou soixante-dix mille- voiles de lumière et de ténèbres"
; lorsqu'on lui demanda -sur lui la Grâce et la Paix !-
: "As-tu vu ton Seigneur ?", il répondit
: "Lumière ! Comment le verrais-je ?" En même
temps, il a déclaré que la "patience",
qui correspond au jeûne et au pèlerinage, était
un "éclat lumineux". En effet elle éclaircit
pour toi ce qui était confus, tout comme l'éclat
de la lumière te permet de percevoir les choses.
L'Envoyé d'Allâh -qu'Allâh répande
sur lui Sa Grâce unitive et Sa Paix !- a mentionné
une parole de son Seigneur -qu'Il soit exalté !- disant
: "Tout acte du flls d'Adam lui appartient à l'exception
du jeûne car celui-ci est à Moi et c'est Moi
qui en paie le Prix". Il a dit aussi à quelqu'un:
"Adonne-toi au jeûne car il n'a pas de semblable".
Le jeûne apparaît ainsi comme une qualification "samadânienne"
exprimant la transcendance à l'égard de la nécessité
de se nourrir propre à la créature. Dès lors
que le serviteur désire -conformément à l'exigence
de la Loi sacrée énoncée dans la Parole divine
: "Le jeûne vous a été prescrit comme
il a été prescrit à ceux qui étaient
avant vous" (Cor.2, l83)- revêtir une qualification
qui n'appartient pas à sa constitution véritable,
Allâh lui dit: "Le Jeûne est à Moi"
et non pas à toi, c'est-à-dire: "Je
suis Moi Celui à qui il ne sied pas de manger et de boire.
Puisque c'est en cela que le jeûne consiste et puisque tu
t'y introduis du fait que Je te l'ai prescrit "c'est Moi
qui en paie le Prix"". C'est donc comme s'Il avait dit:
"Et c'est Moi qui en paie le Prix puisque la qualification
de transcendance à l'égard de la nourriture et de
la boisson M'implique nécessairement ; toi, au contraire,
tu t'en revêts alors qu'elle ne correspond pas à
ton être véritable et qu'elle ne t'appartient en
aucune manière; tu t'en pares dans l'état de jeûne
et elle t'introduit auprès de Moi. La "patience"
consiste, en effet, à contenir son âme et tu l'as
contenue sur Mon Ordre à l'égard de ce qu'implique
ta réalité propre en matière de nourriture
et de boisson". C'est pourquoi Il a dit encore : "Deux
joies appartiennent au jeûneur: l'une, quand il rompt son
jeûne...", cette joie concerne uniquement son esprit
animal, "... l'autre, quand il rencontre son Seigneur"
: cette joie là concerne son "âme parlante"
(nafs nâtiqa) et son "noyau seigneurial"
(latifa rabbaniyya) car le jeûne amène à
la rencontre d'Allâh, c'est-à-dire à
la contemplation (mushâhada).
Le jeûne est plus parfait que la prière rituelle
car il entraîne la rencontre d'Allâh et Sa contemplation.
La prière est un entretien (munâjat), non
une contemplation. Elle implique nécessairement un voile;
Allâh a dit en effet : "Il n'appartient pas à
la créature humaine qu'Allâh lui parle si ce n'est
par inspiration ou de derrière un voile" (Cor. 42,
5l). C'est ainsi qu'Allâh a parlé à Moïse
et c'est pour cette raison que ce dernier Lui a demandé
la Vision. "S'entretenir", c'est échanger des
paroles. (C'est pourquoi) Allâh dit : "J'ai partagé
la prière rituelle en deux moitiés entre Moi et
Mon serviteur et ce qu'il demande est à Mon serviteur ;
lorsque le serviteur dit : "Louange à Allâh,
le Seigneur des mondes", Allah dit : "Mon serviteur
M'a louangé", etc." Le jeûne, en revanche,
ne se partage pas. Il appartient (tout entier) à Allâh
et nullement au serviteur. Bien plus, le serviteur ne reçoit
son "salaire" que par le fait même qu'il appartient
à Allâh !
Il y a ici un secret sublime. Nous avons déjà dit que la "contemplation" et l'"entretien" ne sont pas compatibles. En effet, la contemplation provoque perplexité et stupeur (baht) alors que la parole vise à la compréhension : quand une parole se présente à toi, ton attention se porte sur ce qui est dit -peu importe ce dont il s'agit- non sur celui qui parle. Comprends donc le Coran et tu comprendras al-Furqan ! Telle est la différence entre la prière rituelle et le jeûne... Quant à ce que nous avons dit à propos du fait qu'Allâh "paie le Prix" du jeûne par la joie que le jeûneur éprouve au moment où il rencontre son Seigneur, le secret correspondant se trouve dans la Parole divine qui figure dans la Sourate Yusuf : "Celui dans le sac duquel Il sera trouvé servira Lui-même de Prix" (Cor. l2, 75).
Futuhat, chap.7 l, vol.9, p. 387-389 de l'éd.
O. Yahya
"Et certes le dhikr d'Allâh est plus grand
!" Quelle que soit l'oeuvre d'adoration pratiquée
par le serviteur, lorsqu'elle comporte le dhikr d'Allâh
celui-ci est nécessairement "plus grand"
que les actes et les paroles que cette oeuvre comprend par ailleurs.
Le Très-Haut a dit en effet: "La prière
rituelle écarte la turpitude et ce qui est blâmable;
cependant le dhikr d'Allâh est plus grand" (Cor.29,
45), c'est-à-dire: celui qui est pratiqué
dans la prière est "plus grand" que les divers
actes que celle-ci comporte. Si tu pratiques le dhikr d'Allâh
quand tu accomplis la prière, Il est ton Compagnon (jalis)
dans cette oeuvre, Lui qui a dit qu'Il était "le
Compagnon de celui qui Le mentionne (dhakara-Hu)"
; or, s'Il est ton Compagnon, ou bien tu es doué de
la Vue divine et tu Le contemples (directement), ou bien tu ne
possèdes pas ce don et tu Le contemples par la Foi dans
le fait qu'"II te voit".
De même qu'Allâh ne parle à Sa créature que "de derrière un voile" (Cor.42, 5l) -et le voile n'est autre que Sa Parole même !- de même, tu ne peux, toi, lui parler, te mentionner toi-même ou mentionner un autre, que de derrière un voile ; il ne peut en être autrement. En effet, la contemplation rend stupide et muet. Celui qui pratique le dhikr est nécessairement aveugle, même si Dieu est son Compagnon : ce qui le rend aveugle, c'est son dhikr ! Dieu, pour tout pratiquant du dhikr, est un "Compagnon invisible" (jalisu ghaybin) ! Seul réunit la contemplation (mushâhada) et la parole (kalam) celui qui est sous l'emprise d'une contemplation imaginaire de son Seigneur, indiquée par la parole "comme si tu Le voyais" car c'est là une présence qui se manifeste dans l'imagination : dans cet état, le "compagnon" est semblable à toi, ce n'est pas Celui "à qui rien n'est semblable". Tel était l'état de Shihâb b. Akhî al-Najîb -qu'Allâh lui fasse miséricorde !- d'après cette parole de lui qui m'a été communiquée de manière sûre : "l'homme peut réunir la contemplation et la parole". Qu'est donc un tel goût initiatique en comparaison de celui du "Réalisé Certificateur" (muhaqqiq) Abû-l-'Abbâs as-Sayyârî, qui fait partie des hommes mentionnés dans la Risala de Qushayrî ? Il a dit en effet: "l'être doué d'intellect n'a jamais tiré aucune jouissance de la contemplation car la contemplation de Dieu est une extinction ; elle ne comporte aucune jouissance". Qu'est donc un tel goût initiatique en comparaison de celui de Shihâb ! Comprends donc, car c'est un point où se trompent même les Gens d'Allâh qui ont obtenu les plus grands degrés de réalisation ; que dire de ceux qui leur sont inférieurs !
Ibn 'Arabi, les secrets du jeûne |
Extraits traduits par Abd ar-Razzâq Yahya (Charles-André Gilis). Ibn 'Arabi, Textes sur le jeûne, Éditions Maison des Livres, Alger, 1989.