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Dictionnaire élémentaire de l'Islam

par Tahar Gaïd

[extraits]


ESCLAVE
Les esclaves ont existé chez tous les peuples bien avant l'apparition de l'Islam. Au moment de la prédication du Prophète, aucune législation au monde n'avait encore prévu d'atténuer les rigueurs de leur misérable situation. Le système d'émancipation en Occident s'établit beaucoup plus tard parallèlement au développement des techniques de la production.

L'Islam ne pouvait pas méconnaître les réalités objectives d'un Hijâz primitif et patriarcal, aux moyens de production traditionnels. Il était amené à énoncer une réglementation juridique et des concepts moraux qui réformeraient profondément les relations socio-économiques en prenant en considération la psychologie des tribus et leurs conditions économiques sans détruire systématiquement ou déséquilibrer brutalement les institutions coutumières de l'édifice social. En reconnaissant un état de fait, il édictait des dispositions pour supprimer les abus ou adoucir les mesures rigoureuses qui faussaient les règles de l'égalité et de la liberté avec comme objectif, à plus ou moins longue échéance, l'élimination de cet accident de l'histoire.

Des raisons psychologiques et objectives, avons-nous dit, n'incitaient pas en faveur de l'abolition radicale d'une institution établie en Arabie depuis des millénaires. L'Islam n'avait pas cependant attendu les progrès de l'industrialisation pour fixer des lois assurant un traitement humain aux esclaves et pour énoncer simultanément une procédure qui devait aboutir progressivement à leur libération. Le Coran et le Hadith, en prônant l'égalité naturelle des hommes, amélioraient les conditions de l'esclave et garantissaient ainsi sa sécurité morale et matérielle.

Tous les hommes sont esclaves de Dieu et de Lui seul. Le Prophète rejeta cette dénomination " esclave " généralement réservée à la catégorie de gens qui, dans la hiérarchie sociale, représentait la classe la plus déshéritée. Il proclama que les hommes libres et les esclaves sont frères. Le Coran interdit aux premiers d'adopter une attitude de suffisance à l'égard des seconds et ordonna au contraire de leur manifester une bonté égale à celle qui était due à la famille, aux voisins et aux étrangers de passage: "Adorez Dieu ! Ne lui associez rien ! Vous devez user de bonté envers vos parents, vos proches, le client qui est votre allié et celui qui vous est étranger ; le compagnon qui est proche de vous; le voyageur et vos esclaves. Dieu n'aime pas celui qui est insolent et plein de gloriole " (S. IV, 36).

Sur le plan matériel, Dieu exhorta les fortunés, non pas à partager leur richesse avec leurs esclaves, mais à leur remettre le surplus de leurs biens afin d'élever leur condition matérielle: " ... Que ceux qui ont été favorisés ne reversent pas ce qui leur a été accordé à leurs esclaves, au point que ceux-ci deviennent leurs égaux. Nieront-ils les bienfaits de Dieu ?" (S. XVI, 71). Précisons qu'il s'agit d'une égalité d'un point de vue matériel et non pas politique.

Le but envisagé consistait à leur fournir les mêmes vêtements et la même nourriture destinés à eux-mêmes comme le dit le Prophète: " Ce sont frères ! Habillez-les comme vous vous habillez. Donnez-leur à manger ce que vous mangez. "

Quant à l'affranchissement des esclaves, le Coran énonça une série de dispositions.

Tout croyant qui tuait involontairement un autre croyant devait, en plus du prix du sang, libérer un esclave: " Celui qui tue un croyant par erreur affranchira un esclave croyant " (S. IV, 92).

Celui qui faisait un serment et se parjurait avait le choix entre nourrir ou vêtir dix pauvres, jeûner trois jours ou encore affranchir un esclave : " Dieu... vous punira pour les serments prononcés délibérément. L'expiation en sera de nourrir dix pauvres - de ce que vous nourrissez normalement votre famille- ou de les vêtir, ou d'affranchir un esclave " (S. V, 89).

Celui qui prononçait la formule de répudiation et qui revenait ensuite sur sa décision était tenu également, à titre d'expiation, de libérer un esclave avant de reprendre son épouse: " Ceux qui répudient leurs femmes avec la formule : " Sois pour moi comme le dos de ma mère et qui la répètent, devront affranchir un esclave avant de pratiquer de nouveau la cohabitation. Vous êtes exhortés à agir ainsi. Dieu est parfaitement informé de ce que vous faites " (S. LVIII, 3). Il est à faire remarquer qu'il s'agit d'une formule de répudiation en usage chez les païens.

Les mauvais traitements infligés à des esclaves entraînaient obligatoirement leur mise en liberté: " Celui qui corrige excessivement son esclave dit le Prophète, ou le gifle, expie sa faute par l'affranchissement. "

Le Coran inclut, parmi les actes méritoires, le rachat des esclaves et destina aussi, à cet effet, une partie de la Zakkat (impôt légal): " Comment pourrais-tu savoir ce qu'est la voie ascendante ? C'est racheter un captif " (S. XC, 12, 13). " La piété ne consiste pas à tourner votre face vers l'Orient ou l'Occident. L'homme bon est celui qui croit en Dieu... Celui qui, pour l'amour de Dieu donne son bien... pour le rachat des captifs " (S. II, 177) " Les aumônes sont destinées... au rachat des captifs " (S. IX, 60). A cette époque, tout captif qui n'était pas libéré contre rançon était soumis à la condition d'esclave.

Le Coran et également le Hadith encouragèrent donc les croyants à introduire dans leurs bonnes oeuvres la libération des esclaves. Ces derniers pour leur part, avait la possibilité d'obtenir leur affranchissement versant à leur maître la somme équivalant à leur prix d'achat. Ils étaient donc en droit de demander à leur propriétaire l'autorisation de travailler à leur compte, en dehors des heures de service, chez une tierce personne. En possession d'un capital conséquent, ils demandaient alors leur libération. Les anciens maîtres devaient leur remettre un acte d'affranchissement et une aide matérielle et financière suffisante pour ne pas retomber dans l'esclavage comme ce fut le cas beaucoup plus tard en Amérique: " Rédigez un contrat d'affranchissement pour ceux de vos esclaves qui le désirent, si vous reconnaissez en eux des qualités et donnez-leur des biens que Dieu vous a accordés " (S. XXIV, 33).

L'histoire nous apprend que la juridiction musulmane, à partir du règne des Omayyades, toléra l'hérédité des esclaves, leur achat et leur capture. C'étaient des mesures que le Coran ne prévoyait pourtant pas; elles n'étaient en vigueur ni au temps du Prophète, ni sous les khalifes " bien dirigés. "

Il est évident que les textes coraniques et les Hadith peuvent se conformer à la vie moderne. Nous mentionnerons à titre d'exemple cette adaptation judicieuse de Marcel A. Boisard d'un Hadith: " Vos subordonnés (esclaves) sont vos frères que Dieu a placés sous vos ordres. Que celui qui emploie un ouvrier (possède un esclave) ne le charge d'aucune tâche dépassant ses forces; s'il doit le faire, qu'il vienne à son aide. Si l'employé (esclave) commet une faute, qu'il la lui pardonne, ou qu'il le révoque (qu'il l'échange), mais ne le maltraite pas (torture) point. "

Des textes juridiques relatifs au monde du travail sont élaborés en vue d'organiser le bon fonctionnement des entreprises. Ils n'ont pas néanmoins cette empreinte spirituelle qui moralise les relations patron-ouvriers. La même projection dans la vie contemporaine peut aisément se réaliser à propos de toutes les formes de servitude: l'exploitation, la colonisation, l'oppression et la tyrannie, l'injustice, l'inégalité sociale...

Il n'est donc pas superflu de parler d'esclavage à une ère où cette institution est complètement abolie si d'autres formes de servitude n'existaient pas encore. Les colonisateurs, les dictateurs asservissent toujours des peuples. Dans les régimes dit démocratiques, les relations patron-ouvriers relèvent de l'exploitation économique et de la domination politique. Il s'agit de nos jours de contribuer à la libération de l'homme de toutes les formes d'aliénation, de participer à la lutte pour le recouvrement de la dignité humaine et l'épanouissement des libertés. En d'autres termes, il convient d'agir inlassablement pour que l'égalité naturelle des hommes entre eux et devant Dieu ne soit pas un vain mot.

 

'Ilm al Yaqin

'Ayn al Yaqin

 

 
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Extraits de Dictionnaire élémentaire de l'Islam, par Tahar Gaïd (Alger, Office des publications universitaires, 2e édition, 1986).


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