Ce verset signifie: ils n'ont pas proclamé la Grandeur
de Dieu comme il conviendrait, selon ce qu'exige Son essence et
ce qui est dû à Sa majesté; et cela leur est
d'ailleurs impossible: il n'est pas au pouvoir de l'être
contingent d'y parvenir; sa prédisposition essentielle
(isti'dad) ne le lui permet pas.
Le pronom de la troisième personne du pluriel dans "Et
ils n'ont pas mesuré" englobe tous les anges, les
Esprits éperdus d'amours et, en dessous d'eux, les djinns
et les hommes, y compris les Envoyés, les prophètes
et les saints. Plus encore: il englobe jusqu'à l'intellect
premier, l'Esprit de sainteté, qui est le premier des êtres
créés et le plus proche des Rapprochés.
En effet, celui qui proclame la grandeur le fait à la mesure
de la connaissance qu'il a de celui dont il proclame la grandeur.
Or aucun être créé - qu'il soit de ceux dont
les connaissances sont le fruit de la raison ou de ceux dont les
connaissances proviennent des théophanies- ne connaît véritablement
Allah, c'est-à-dire ne Le connaît tel qu'Il Se connaît
Lui-même. Comment l'être fini pourrait-il connaître
Celui qui est exempt de toute relation ou limitation? La plus
savante des créatures au sujet d'Allah (i.e. le Prophète),
elle-même, ne dit-elle pas: "Gloire à Toi !
Nous ne Te connaissons pas comme il conviendrait de Te connaître.
Aucune louange ne T'embrasse. Tu es tel que Tu T'es loué
Toi-même et ce qui est en Toi est hors d'atteinte de moi.''
Toutes les espèces de l'univers Le glorifient, et chacune
affirme Sa transcendance à l'égard de ce que les
autres professent à Son sujet: ce que l'un affirme, c'est
précisément ce que nie l'autre. Cela vient de ce
que tous sont voilés, quel que soit le degré qu'ils
aient atteint. Celui qui professe la pure transcendance est voilé,
celui qui professe la pure immanence est voilé, et voilé
aussi celui qui professe les deux à la fois. Celui qui
professe qu'II est absolu est voilé, et de même celui
qui Lui attribue des limitations, et de même encore celui
qui nie et ceci et cela. Quiconque Lui assigne un statut est voilé,
dans une mesure que déterminent son rang et sa place auprès
de Dieu: car il y a autant de voiles différents que de
voilés. Et qu'on n'objecte pas que ce que je viens de dire
est aussi une manière de Lui assigner un statut, car je
répondrai que ce que j'ai dit ne procède pas de
moi. C'est Lui-même qui l'a affirmé en disant: "Et
leur science ne L'embrasse pas" (Cor. 20: 110); "Et
Allah vous met en garde contre Lui-même" (Cor. 3: 28),
nous dispensant par là de chercher à atteindre ce
qui est inaccessible. Ses Envoyés nous ont dit la même
chose. Lorsqu'il s'agit de l'Essence d'Allah, l'univers entier
est stupide. Il n'est pas jusqu'au Plérôme suprême
(al-mala' al-a'la) qui ne soit en quête de Lui. Or
on ne cherche que ce qui est absent là où on le
cherche!
Cette quête n'a pas de terme; la connaissance de Dieu n'a
pas de terme. Il ne peut être connu: n'est connaissable
que ce qui procède de Lui, en tant qu'effet de Ses noms,
non Son ipseité. C'est pourquoi l'ordre suivant fut donné
à celui-là même qui, pourtant, détient
la science des Premiers et des Derniers (i.e. le Prophète):
"Dis: Seigneur, augmente-moi en science!" (Cor. 20:
114). Et il ne cesse de le dire, en tout état, toute station,
tout degré, en ce monde, dans le monde intermédiaire
et dans l'au-delà.
Cela étant, ce qui s'impose à nous, c'est de nous
attacher fermement à la voie de la foi, d'accomplir les
oeuvres prescrites et de suivre l'exemple de celui qui nous a
apporté la Loi. Ce qu il a dit, nous le disons aussi, pour
nous conformer à son exemple et comme simple interprète
de sa parole- car c'est lui qui le dit, et non nous. Et ce qu'il
a tu, nous le taisons- tout en appliquant la législation
sacrée et les peines légales, et en attendant la
mort.
Mawqif 359.
'Ilm al Yaqin |
Extraits de Écrits spirituels (Kitab al Mawaqif) de l'Émir Abd el-Kader, présentés et traduits de l'arabe par Michel Chodkiewicz (Paris, Seuil, 1988).